Rousseau c. Côté

2011 QCCS 25

JD 2364

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MÉGANTIC

 

N° :

480-17-000006-096

 

 

DATE :

10 janvier 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

GAÉTAN DUMAS, j.c.s.

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RAYMOND ROUSSEAU

Demandeur

c.

MONIQUE CÔTÉ

Défenderesse

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Le demandeur réclame la somme de 99 000 $ représentant les dommages qui lui auraient été causés suite à une chute dans un escalier survenu le 9 décembre 2006.

[2]            La défenderesse opère le Manoir 92 à Stratford et organise un souper « viandes sauvages » le 9 décembre 2006. Le demandeur s'y rend accompagné d'un ami.

[3]            Bien que le demandeur ait pris quelques bières avant d'arriver chez la défenderesse, il est tout de même sobre. Sa chute n'est pas causée par l'état d'ébriété allégué par la défenderesse. Évidemment, après la chute, des témoins trouveront qu'il est confus, mais cela est tout à fait normal d'autant plus qu'il s'est évanoui.

[4]            Le demandeur plaide que sa chute est due à la faute de la défenderesse en ce que :

a.          Elle a fautivement toléré l'accumulation d'eau à l'entrée de la descente d'escalier du sous-sol de son commerce, sous-sol faisant alors office de fumoir pour la clientèle de son établissement;

b.          Elle a fautivement omis d'assurer la sécurité de la clientèle de son établissement en tolérant ainsi l'accumulation d'eau sur la surface de « prélart » surplombant immédiatement le haut de la descente d'escalier de son commerce;

[5]            Notons immédiatement que le débat a porté sur la question de savoir si la pièce située au sous-sol de l'établissement dans laquelle se rendait le demandeur pour fumer était véritablement un fumoir. La défenderesse plaidait que cette pièce ne servait de fumoir que pour ses employés et ses bons clients.

[6]            L'insistance de la défenderesse à nier l'évidence affecte sa crédibilité. Le tribunal croit que la défenderesse a aménagé le sous-sol de son établissement pour servir de fumoir alors qu'il est interdit de fumer dans ce genre d'établissement. Le fumoir aménagé ne rencontre pas les normes applicables.

[7]            Cet entêtement à nier l'évidence affecte également la crédibilité de la défenderesse lorsqu'elle témoigne sur l'état d'ébriété du demandeur.

[8]            Des témoignages entendus, seul le demandeur affirme que de l'eau s'était accumulée lorsqu'il a effectué une chute. Son ami, Normand Grégoire, affirme la même chose, mais son témoignage ne peut être retenu puisqu'il confond, dans son témoignage, l'époque où il a joué de la musique au commerce de la défenderesse, il y a plus de 18 ans.

[9]            Le témoin Grégoire confond lorsqu'il est entré avec le demandeur, en 2006, et l'époque où il devait entrer et sortir ses équipements de musique dans le commerce, il y a 18 ans. D'ailleurs, à cette époque, la porte du commerce ne se trouvait pas nécessairement au même endroit. Le témoignage de Grégoire est tout aussi confus sur la présence d'un tapis à l'entrée du commerce.

[10]         Le soir de l'accident, une petite averse de neige était tombée, mais les clients du commerce n'étaient pas en assez grand nombre pour que leurs simples allées et venues aient causé une accumulation d'eau sur le palier de l'escalier.

[11]         Le tribunal doit évidemment rendre jugement sur la base de la preuve faite devant lui. Il n'appartient pas au tribunal de spéculer sur les causes possibles d'un accident.

[12]         Il est d'ailleurs admis par le demandeur que l'escalier menant au fumoir et son palier étaient conformes au Code national du bâtiment ainsi qu'à toutes lois applicables à ce genre de commerce incluant la Loi sur la sécurité dans les édifices publics [1] et à sa réglementation.

[13]         D'ailleurs, le demandeur n'allègue pas que la chute serait due à un défaut ou à la non-conformité des escaliers.

[14]         Comme le mentionnait la Cour d'appel dans Laniel c. Montreuil [2] :

« 1  Tenant pour acquis, sans le décider, que l'escalier de l'intimée et son palier n'étaient pas conformes, à certains égards, au Code National du bâtiment , il fallait encore que ce défaut eût un caractère causal par rapport au dommage.

2  Ici, le premier juge se réfère au rapport de l'experte de l'appelante qui ne mentionne pas que le palier et l'escalier constituaient un danger. Le juge ne conclut pas d'avantage que l'intimée a manqué à une norme élémentaire de prudence.

3  Qui plus est, le juge retient que les non-conformités ne sont pas la cause du malheureux accident et des dommages subis par l'appelante. Plusieurs témoins, dont certains sont totalement indépendants, ont affirmé n'avoir vu ni sable ni gravier sur le palier. Le juge écrit au paragraphe 9 de son jugement:

[.] aucun témoin, à l'exception de la demanderesse, n'a remarqué une matière liquide ou solide, sable ou gravier sur le palier qui auraient pu provoquer cette chute.

4  Enfin l'argument de l'appelante selon lequel une rampe conforme aurait pu empêcher ou amoindrir les conséquences de sa chute aurait constitué, pour le juge de première instance, de la pure spéculation. »

[15]         Le tribunal note d'ailleurs comme le juge de première instance dans la cause de Laniel c. Montreuil [3] :

« 10  La demanderesse survole l'escalier pour s'écraser sur le ciment à la base de l'escalier. Pour que la demanderesse Laniel puisse tomber de face du haut du palier au bas de l'escalier, sans toucher à une seule marche, il nous semble qu'elle n'a pas glissé (ce qui l'aurait projetée sur le dos), mais a plutôt freiné ou arrêté brusquement sur le haut du palier. »

[16]         La même situation se présente dans le présent dossier. Le demandeur est tombé face première et s'est retrouvé sur le plancher du sous-sol sans toucher une marche. Peut-être le demandeur aurait-il pu être surpris par l'absence de palier en ouvrant une porte qui mène au sous-sol ou par la dénivellation du plancher près des escaliers vu l'absence de couvre plancher à partir de la porte [4] . Mais tel n'est pas le cas.

[17]         Le tribunal est conscient de la difficulté de preuve que rencontre le demandeur. Sa chute et sa perte de conscience peuvent influencer le souvenir des événements, mais le tribunal ne peut spéculer et découvrir de la preuve où il n'y en a pas.

[18]         Dans la présente cause, le demandeur ne bénéficie d'aucune présomption légale [5] . Il ne peut plaider que le danger inhérent et caché découlant de l'état insolite des lieux a contribué à la survenance de l'accident [6] .

[19]         Le demandeur a le fardeau de la preuve et doit faire la preuve des éléments établissant que l'endroit où se produit la chute possède les caractéristiques d'un piège au sens de l'arrêt Rubis c. Gray Rocks Inn Ltd . [7] .

[20]         Évidemment, le demandeur n'avait pas à faire la preuve d'une faute volontaire ou d'une négligence grossière. Il lui faut plutôt s'en remettre aux règles du droit civil. Il devait démontrer que la défenderesse a commis une faute et que cette faute lui a causé des dommages.

[21]         Le tribunal ne croit pas que le plancher était glissant et trempé comme en témoigne le demandeur. Son témoignage est affecté par l'état dans lequel il se trouvait après l'accident. Tous les autres témoins entendus confirment qu'un tapis se trouvait à l'entrée, en haut du palier. On peut le constater aux photographies déposées. Un antidérapant avait été installé sur chaque marche menant au fumoir. Le couvre-plancher n'est pas en prélart comme il le prétend.

[22]         La preuve prépondérante ne permet pas de conclure que de l'eau s'était accumulée à l'entrée et avait rendu le plancher glissant.

[23]         D'autre part, le tribunal met de côté le témoignage de l'ancien conjoint de la défenderesse, monsieur Normand Desrochers. Celui-ci est venu témoigner, d'une façon fort agressive d'ailleurs, que les antidérapants dans les escaliers ont été posés après la réception de la mise en demeure.

[24]         Il n'y a aucune preuve que les antidérapants auraient empêché le demandeur de glisser dans les escaliers et le demandeur, par la voie de son procureur, admet que les escaliers étaient conformes aux normes applicables.

[25]         Même si de l'eau s'était accumulée à l'entrée du commerce, ce que le tribunal ne croit pas, aucune preuve ne permet de conclure à une faute de la défenderesse.

[26]         Comme le rappelait le juge Jean-Paul Aubin dans Pakenham c. Côté [8] :

« En matière de responsabilité, le propriétaire d'un établissement ou d'un immeuble n'est pas l'assureur de son client. Nul n'est tenu à une conduite visant à écarter toute possibilité d'accident.

L'article 1457 du Code civil impose, somme toute, une norme, un standard de conduite raisonnable et non un standard de perfection. »

[27]         Le tribunal ne peut en venir à la conclusion que la défenderesse n'a pas rempli son obligation de prudence.

Demande reconventionnelle

[28]         La défenderesse réclame la somme de 5 000 $ à titre de dommages pour abus de procédures.

[29]         Bien que l'action du demandeur doive être rejetée, il n'y a pas d'abus de procédures de sa part ou de mauvaise foi dans l'exercice de ses droits. La réclamation de la défenderesse ne satisfait sûrement pas les critères établis par la Cour d'appel dans l'arrêt Viel [9] pour les abus de procédures.

 

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[30]         REJETTE l'action du demandeur;

[31]         LE TOUT avec dépens.

[32]         REJETTE la demande reconventionnelle de la défenderesse;

[33]         LE TOUT avec dépens.

 

 

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GAÉTAN DUMAS, j.c.s.

 

 

Me Gilles Ouellet

Procureur du demandeur

 

Me Brigitte Carrier

Procureure de la défenderesse

 

Date d’audience :

2 décembre 2010

 



[1] L.R.Q. ch. S-3

[2] EYB 2005-97450

[3] EYB 2004-54224

[4] Voir photographies pièce D-5.

[5] Gélinas c. Club sportif Celanese inc. , 1988 CanLII 536 (Qc C.A.)

[6] Rochefort c. Trudel , REJB 2003-48435

[7] [1982] 1 R.C.S. 452

[8] 2000 CanLII 14482 (Qc C.Q.)

[9] Viel c. Entreprises immobilières du terroir limitée , [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.)