TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

 

 

N o de dépôt :

2011-0447

 

 

 

Date :

Le 25 janvier 2011

 

______________________________________________________________________

 

 

 

DEVANT L’ARBITRE :

  DENIS PROVENÇAL , avocat

 

______________________________________________________________________

 

 

 

LA SECTION LOCALE 700 DU SYNDICAT CANADIEN DES COMMUNICATIONS, DE L’ÉNERGIE ET DU PAPIER (FTQ)

 

 

 

-vs-

 

                                                              

 

PIVAL INTERNATIONAL INC.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GRIEF

M. Jean-François Moreau - Perte d’ancienneté

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Procureur du Syndicat

M. Jean-Pierre Gallant (SCEP)

 

 

 

 

Procureur de l'Employeur

Me Alexandre W. Buswell (Heenan Blaikie)

 

 

______________________________________________________________________

 

 

 

SENTENCE ARBITRALE

 

(Code du travail du Québec L.R.Q., c. C-27)

 

______________________________________________________________________

 

 

 

 

LE LITIGE

[1]            Le 8 septembre 2008, le syndicat déposait un grief afin de contester la décision de l’employeur, prise le 29 août 2008, de retirer toute l’ancienneté qu’avait acquise M. Jean-François Moreau parce qu’il s’était absenté plus de deux jours consécutifs sans autorisation et/ou sans raison valable. L’employeur fondait sa décision sur l’article 14.04  7° de la convention collective. M. Moreau n’a toutefois pas perdu son emploi.

[2]            Les parties ont admis que le tribunal est régulièrement saisi du grief et a juridiction pour l’entendre et en disposer.

LA PREUVE

La preuve de l’employeur

[3]            M. Frédéric Dutrisac occupe la fonction de directeur adjoint des opérations entrepôt à l’entreprise. C’est M. Dutrisac, avec l’aide du vice-président aux finances, qui s’occupe des relations de travail. L’entreprise Pival est spécialisée dans l’entreposage et la distribution des pneus aux détaillants, principalement les pneus d’hiver. C’est une entreprise qui connaît une activité saisonnière. La haute saison est du mois de mai à octobre et l’entreprise peut compter de trente à trente-cinq salariés. En basse saison, l’entrepôt fonctionne avec à peine une dizaine de salariés.

[4]            M. Dutrisac affirme qu’il prépare le calendrier de vacances à compter du mois de janvier et les salariés qui sont présents à l’entrepôt peuvent inscrire leur choix.  Toutefois, c’est au retour de la majorité des salariés, au mois de mai, que le calendrier de vacances est déterminé. Les salariés font connaître leur préférence en indiquant la période de vacances qu’ils ont choisie. Selon l’article 22.09, les vacances sont accordées selon les besoins opérationnels de l’entreprise et, entre les mois de juillet et novembre, ce sont les salariés qui ont terminé leur période de probation qui peuvent prendre leurs vacances. De plus, il ne peut y avoir plus de trois salariés qui prennent leurs vacances ou congés mobiles au même moment. Les salariés ne peuvent prendre des vacances à leurs frais en haute saison. Lorsque le calendrier de vacances est affiché, seul M. Dutrisac peut accepter des changements aux choix de vacances des salariés, mais il tente d’accommoder les salariés lorsque c’est possible.

[5]            Le plaignant, M. Jean-François Moreau, occupe la fonction d’homme de maintenance. Il était aussi, à l’époque, le président du syndicat. Selon M. Dutrisac, M. Moreau a effectué son choix de vacances pour l’année 2008. Le 7 mai, M. Moreau avait choisi la semaine du 28 juillet au 1 er août et avait demandé de prendre à ses frais les 4, 5, 6 août et un congé mobile le 8 août. M. Dutrisac a accepté le choix le 30 mai suivant sous réserve cependant des journées que M. Moreau avait demandé à prendre à ses frais. Toutefois, les mois de juillet et août 2008 se sont avérés plus occupés qu’ils ne le sont à l’habitude et une des causes était l’entrée en vigueur de la loi sur l’obligation pour les automobilistes de chausser leur véhicule de pneus d’hiver. De plus, M. Dutrisac affirme que lors de cette période, il ne peut connaître ses besoins de main-d’œuvre que dans un délai de quelques jours à peine. M. Dutrisac a donc informé M. Moreau qu’il ne pouvait accéder à sa demande d’obtenir à ses frais les journées qu’il avait demandées ainsi que son congé mobile. M. Moreau lui a alors signifié qu’il n’était pas d’accord avec cette décision et qu’elle ne respectait pas la convention collective. Selon M. Dutrisac, les relations avec le syndicat n’étaient pas très bonnes. M. Moreau n’a pas formulé de grief lorsque son choix a été refusé.

[6]            Le 3 juillet, M. Moreau soumet à M. Dutrisac une modification de son choix de vacances et il veut prendre la semaine du 11 au 15 août en lieu et place du 28 au 31 juillet.  La convention collective ne prévoit pas qu’un salarié puisse modifier son premier choix, mais M. Dutrisac l’a tout même accommodé. Le 24 juillet, M. Moreau lui soumet une autre demande de modification de ses vacances et il veut que la semaine du 11 au 15 août soit une semaine de vacances à ses frais. M. Dutrisac a refusé cette demande parce que le volume de travail était trop élevé. Toutefois, il lui accorde son congé mobile.  M. Moreau lui avait alors mentionné qu’il avait modifié son choix de vacances parce qu’il voulait se fiancer en Gaspésie et il l’a aussi informé que, malgré le refus de modifier son choix de vacances, il ne serait pas présent au travail la semaine du 11 au 15 août. M. Moreau n’a pas fait de grief en réponse à ce refus.

[7]            Du 11 au 15 août, M. Moreau ne s’est pas présenté au travail comme il devait le faire. Le 18 août, M. Dutrisac rencontre M. Moreau en présence du vice-président du syndicat pour lui demander la raison de son absence au travail. M. Moreau lui formule comme réponse qu’il l’avait avisé qu’il ne serait pas présent au travail la semaine du 11 août. La décision a alors été prise de retirer l’ancienneté à M. Moreau tel que le prévoit le paragraphe 7 de l’article 14.04 de la convention et, le 28 août, il lui remet une lettre à cet effet. 

La preuve du syndicat

[8]            M. Jean-François Moreau est à l’emploi de l’entreprise depuis 2004 et occupe les fonctions d’homme de maintenance depuis 2005. Il est le seul homme de maintenance à l’entreprise. M. Moreau souligne qu’il n’a pas cru nécessaire de déposer un grief lorsque M. Dutrisac lui a refusé la première fois de prendre une semaine de vacances à ses frais car, selon son expression, «  il devait lui revenir là dessus  ».  Lorsqu’il a fait une deuxième demande, le 3 juillet, M. Moreau n’a pas non plus déposé de grief car il n’a pas obtenu de réponse de la part de M. Dutrisac à sa requête. Le 31 juillet, avant de partir en vacances, M. Dutrisac lui aurait mentionné qu’il n’était pas certain de pouvoir accepter ses vacances et qu’il fallait qu’il le rappelle dans le cours de la semaine suivante. M. Moreau affirme qu’il y avait toujours un point d’interrogation sur la semaine de vacances à ses frais qu’il avait demandée pour la période du 11 au 15 août.   

[9]            Lors de sa semaine de vacances, M. Moreau a communiqué avec le vice-président du syndicat, M. Régnier, qui lui a mentionné de profiter de ses vacances, «  que c’était tranquille  ». Il n’a pas rappelé M. Dutrisac pendant ses vacances comme il l’avait convenu. Lorsqu’il a quitté pour sa semaine de vacances à ses frais, il y avait toujours un point d’interrogation sur son formulaire de vacances pour la période du 11 au 15 août. M. Moreau affirme également que les relations de travail étaient tendues à cette époque.

[10]         Lorsqu’il est contre-interrogé par le procureur de l’employeur, M. Moreau affirme  qu’entre le 7 mai et le 3 juillet, il n’a pas eu l’autorisation de M. Dutrisac de prendre une semaine de vacances à ses frais. Lors de la rencontre avec M. Dutrisac le 31 juillet, M. Moreau affirme qu’il lui a dit, à propos de la semaine de vacances à ses frais, qu’il ferait ce qu’il avait à faire car il avait droit, en vertu de la convention collective, à une 3 ième semaine de vacances «  non payable  », selon son expression. Il n’a pas mentionné à M. Dutrisac que la semaine de vacances à ses frais était pour lui permettre de se fiancer en Gaspésie car, selon lui, il n’avait pas à justifier ses vacances.

 

ARGUMENTATION DES PARTIES

Représentations du syndicat

[11]         Selon le procureur, les vacances des salariés sont un droit et non un privilège.  En vertu de l’article 22.03 de la convention collective et de l’article 68.1 de la Loi sur les normes du travail [1] , l’employeur ne peut refuser à M. Moreau sa 3 ième semaine de vacances à ses frais. Toutefois, M. Moreau ne peut exiger de l’employeur que cette troisième semaine soit consécutive à ses deux semaines de vacances. L’employeur a le devoir d’agir de bonne foi dans l’attribution des vacances aux salariés. M. Moreau est le seul employé de maintenance et il était facile pour l’employeur de prévoir ses besoins.  Le tribunal doit prendre en compte que c’est le 24 juillet que M. Moreau a présenté sa 2 ième demande de modification de ses vacances et M. Dutrisac avait suffisamment de temps pour prévoir le fait qu’il serait absent. D’ailleurs, M. Moreau a communiqué avec le vice-président du syndicat au cours de sa semaine de vacances à ses frais et il lui a mentionné de profiter de ses vacances et que c’était tranquille à l’entrepôt. M. Moreau pouvait croire que sa demande avait été acceptée et qu’il pouvait demeurer en vacances. L’employeur ne pouvait donc retirer l’ancienneté à M. Moreau.

Représentations du procureur de l’employeur

Le mérite du grief

[12]         Dans la présente affaire, selon l’article 14.04 7, le tribunal n’a que deux questions à se poser. Tout d’abord, le salarié avait-il eu l’autorisation de s’absenter ou avait-il une raison valable de le faire ? Il est clair qu’il n’appartient pas au seul salarié de décider du moment où il prend ses vacances. Le syndicat ne conteste pas le processus d’attribution des vacances de l’employeur lequel prend en compte la nature saisonnière des activités de l’entreprise. Le procureur souligne que le fait que les relations de travail entre les parties aient été quelque peu perturbées n’a aucune pertinence sur l’issue du présent litige. 

[13]         Aussitôt que la preuve démontre que le salarié s’est absenté plus de deux journées consécutives, c’est à lui qu’il revient de démontrer soit qu’il a eu l’autorisation ou qu’il avait une raison pour ne pas s’être présenté au travail. L’employeur opère une entreprise saisonnière qui connaît d’importantes fluctuations. L’été 2008 a été particulière compte tenu de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi obligeant les automobilistes à chausser leur véhicule automobile de pneus d’hiver. Lors de l’attribution des vacances pour l’été 2008, l’employeur a appliqué l’article 22.09 de la convention qui lui permet d’attribuer les vacances selon ses besoins opérationnels. Les contraintes pour la prise de vacances ont également été négociées, de souligner le procureur. En effet, en aucun temps, trois salariés ne peuvent prendre leurs vacances ou congés mobiles en même temps. La preuve a démontré que l’employeur ne peut et n’accorde aucune demande de vacances aux frais de l’employé dans la période de pointe. L’employeur n’a pas fait preuve d’arbitraire ou de discrimination auprès de M. Moreau. 

[14]         Le procureur souligne que le tribunal n’est aucunement saisi d’un grief contestant le refus de l’employeur d’accorder le choix de vacances demandé à M. Moreau. Le grief soumis à l’examen du tribunal ne conteste que la mesure administrative qui lui a été appliquée, soit la perte de son ancienneté. Le plaignant a admis lors de son témoignage qu’il n’avait pas à justifier le fait qu’il parte en vacances lors de la semaine du 11 au 15 août. Selon M. Moreau, la convention collective lui donne ce droit. Puisqu’il s’agit d’une mesure administrative, le tribunal ne peut intervenir pour substituer une autre mesure que celle qui lui a été appliquée. Le grief doit être rejeté.

La question du tribunal

[15]         Lorsque les procureurs ont complété leurs représentations, j’ai soulevé la question de la nature de la sanction imposée au plaignant en regard de la lettre qui lui a été adressée à cet effet ainsi que de la clause 14.04 7° de la convention collective. La perte d’ancienneté imposée au plaignant, eu égard aux termes mêmes de la lettre de l’employeur du 28 août 2008, ne constituait-elle pas une mesure disciplinaire et, le cas échéant, l’employeur est-il admis à imposer une mesure dite administrative à titre de sanction disciplinaire ?

Représentations du syndicat.

[16]         Le procureur du syndicat soumet que la mesure imposée au plaignant, la perte de son ancienneté, est une mesure disciplinaire et qu’elle est disproportionnée par rapport à la faute reprochée. La lettre de l’employeur est sans équivoque et il est manifeste qu’il a traité l’absence du plaignant sous l’angle disciplinaire. Le procureur du syndicat renvoie le tribunal à l’arrêt rendu par la Cour d’appel à cet effet dans l’affaire Le Syndicat des employés de Molson c. Brasserie Molson O’Keffe [2] . Le tribunal a donc juridiction pour intervenir à la mesure qui a été imposée au plaignant.

Représentations de l’employeur

[17]         Le procureur réitère que la mesure imposée au plaignant est purement administrative et que le tribunal ne peut intervenir sous peine d’excéder sa juridiction.  La lettre remise à M. Moreau le 29 août 2008 indique l’objet, «  Perte d’ancienneté  ».  Les deux premiers paragraphes de la lettre font référence au contenu de l’article 14.04 7 ° . La Cour d’appel, dans l’affaire Alcan c. Côté [3] , a confirmé l’état du droit en cette matière et reconnu que l’application d’une clause de perte d’ancienneté comme celle présente à la convention collective sous étude doit être considérée comme une mesure administrative. D’ailleurs, de souligner le procureur, il n’y a plus de débat parmi les arbitres sur cette question. 

[18]         Il est exact de mentionner que M. Moreau n’a pas été congédié, mais il faut prendre en compte, selon le procureur, que l’article 14.04 de la convention ne prévoit pas la perte de l’emploi du salarié dans les circonstances qui y sont inscrites. L’employeur ne pouvait considérer que la perte de l’ancienneté entraînait automatiquement la perte d’emploi du salarié. De plus, l’expression de la «  perte des autres avantages  », telle qu’utilisée au paragraphe 7° de l’article 14.04, doit s’entendre au sens des autres avantages liés à l’ancienneté du salarié, soit ses droits relatifs à la promotion, supplantation etc. Ainsi, puisque M. Moreau n’a pas perdu son emploi, il n’a pas été contraint de reprendre sa période de probation. 

[19]         Selon le procureur, les troisième et quatrième paragraphes de la lettre du 29 août n’ont pas pour effet de modifier la mesure administrative imposée à M. Moreau.  L’employeur a plutôt pris le soin d’informer M. Moreau qu’une mesure disciplinaire aurait pu lui être imposée. De plus, même si le tribunal considérait qu’il était en présence d’une mesure disciplinaire, il n’aurait davantage le pouvoir d’intervenir selon l’article 100.12 f) du Code du travail [4] car la convention collective, à l’article 14.04 7°, contient une sanction déterminée, soit la perte de son ancienneté. 

[20]         Le procureur souligne qu’en aucun temps avant l’intervention du tribunal, le syndicat ne s’est questionné sur la nature de la mesure imposée à M. Moreau, se contentant de démontrer que son absence était justifiée et autorisée. Le syndicat est en conséquence forclos de prétendre à l’existence d’une mesure disciplinaire.

MOTIFS ET DÉCISION

[21]         La lettre du 29 août 2008 de M. Frédéric Dutrisac imposant la perte de l’ancienneté de M. Moreau se lit comme suit :

«  Objet :  Perte d’ancienneté

Monsieur,

Du 11 au 15 août, vous vous êtes absenté du travail sans l’autorisation de la Compagnie ni raison valable.

Compte tenu des dispositions prévues de l’article 14.04 7 o de la convention collective, une telle absence pour plus de deux (2) jours consécutifs entraîne la perte de l’ensemble de vos droits d’ancienneté, laquelle constitue une mesure administrative.  Vous perdez donc immédiatement toute votre ancienneté.

Malgré le caractère fautif des actes reprochés, la Compagnie a décidé, vu l’ensemble des circonstances, de faire preuve de clémence à votre endroit en ne vous imposant pas la suspension disciplinaire que justifiait pourtant votre comportement.  Ceci dit, cette décision n’efface pas les faits reprochés de votre dossier disciplinaire.  De plus, elle ne doit pas être perçue comme une renonciation, à votre bénéfice ou à celui des autres salariés, à l’application stricte de la politique de la Compagnie en matière d’absentéisme.

Nous vous invitons fortement à amender votre conduite dans l’avenir.  Sachez que dans l’éventualité de tout autre manquement à notre politique en matière d’absentéisme ou de tout autre acte d’insubordination, vous vous exposez à des mesures plus sévères justifiées par l’état actuel de votre dossier disciplinaire, pouvant aller jusqu’au congédiement. »

[22]         L’article 14.04 de la convention collective se lit comme suit :

« Un salarié perd ses droits d’ancienneté et autres avantages dans les cas suivants :

1.     S’il quitte volontairement son emploi.

2.     Congédiement pour cause juste et suffisante.

3.     S’il n’est pas rappelé au travail lors de mise à pied, dans le délai suivant :

-        Salarié ayant 0 à 2 ans/12 mois

-        Salarié ayant 2 ans et plus/24 mois

4.     Si, suite à un rappel, il ne se présente pas au travail dans les trois (3) jours ouvrables suivant l’appel de l’employeur au dernier numéro de téléphone apparaissant dans les dossiers de l’employeur, ou s’il ne communique pas avec l’employeur dans les cinq (5) jours ouvrables suivant l’envoi d’un courrier recommandé confirmant la date de l’appel.  Il est de la responsabilité du salarié d’informer l’employeur de tout changement d’adresse et de numéro de téléphone.  Une copie de la lettre est envoyée au syndicat.

5.     Si, suite à une mise à pied, le salarié refuse le rappel au travail de l’employeur dans sa fonction.  Une lettre confirmant ce refus est alors envoyée au salarié.  Une copie de cette lettre est envoyée en même temps au syndicat.  Cependant, un salarié peut refuser un rappel à une autre fonction une fois par année de calendrier.

6.     Si le salarié ne revient pas au travail à la fin de la période prévue à la clause 14.03. 

7.     S’il s’est absenté du travail pour plus de deux (2) jours ouvrables consécutifs sans autorisation et/ou sans raison valable

(Je souligne)

[23]         Je précise que ce n’est pas le traitement à donner à ces dispositions qui est problématique dans la présente affaire. Comme l’a souligné à juste titre le procureur de l’employeur, la jurisprudence arbitrale sur l’application des clauses dites de terminaison d’emploi automatique est à toutes fins utiles unanime. Lorsque le salarié rencontre les conditions d’application de ces clauses, l’arbitre n’a aucune juridiction pour y substituer une autre mesure qui lui semblerait plus juste ou raisonnable à moins que la décision de l’employeur soit arbitraire, abusive ou discriminatoire. J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur ces clauses dites guillotines dans l’affaire Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 8990 c. Acier Leroux [5]  :

« [27]    Avant d’aborder l’examen de la preuve versée au dossier je crois à propos de situer le cadre juridique dans lequel l’arbitre intervient lorsqu’il est saisi d’un grief contestant l’application d’une clause de terminaison d’emploi automatique.  Tel que le mentionnait à juste titre Me Lyse Tousignant [6] , il ne s’agit pas de clause visant à punir le salarié.  L’arbitre n’agit pas dans le contexte d’une mesure disciplinaire :

«Il ne s’agit pas d’une mesure disciplinaire prédéterminée pour « punir » le salarié vu son comportement même si la clause 9.03 d) peut sembler avoir une telle coloration.  C’est, à notre point de vue, dans une autre dimension que s’insère une clause de cette nature, beaucoup plus au niveau du contrat de travail, de la rencontre de la volonté de l’Employeur et du salarié.  En effet, le salarié et l’Employeur s’engagent mutuellement dans une relation, un contrat de travail.  L’un s’engage à fournir une prestation de travail selon les besoins de l’Employeur et l’autre, à verser une rémunération pour ce faire.  L’Employeur dirige l’entreprise mais il doit le faire selon l’encadrement et les limites posées à la convention collective.

L’existence d’une disposition comme la clause 9.03, - nous n’avons pas à décider de son bien-fondé ou non, telle est la volonté des parties -, peut se comprendre comme l’acceptation par les deux parties, le Syndicat et l’Employeur, qu’en cas de réalisation d’une des situations prévues, il y a perte d’ancienneté et fin d’emploi.  Les termes sont clairs et non ambigus. »

[28]  Me Jean-Pierre Lussier dans l’affaire, SCEP, section locale 821 c. Owens Corning [7] écrivait que les clauses de terminaison d’emploi automatique doivent recevoir une interprétation stricte : 

« 8.02  Les droits d’ancienneté d’un employé devront prendre fin pour l’une quelconque des raisons suivantes :

     … VII) Si l’employé absent durant trois (3) jours ouvrables consécutifs sans autorisation ou raison valable et est considéré comme ayant démissionné volontairement. »

J’ai déjà écrit, et je suis toujours du même avis, qu’une telle disposition doit recevoir une interprétation stricte.  Dans ces deux décisions, après avoir analysé la jurisprudence québécoise et canadienne, j’écrivais que, devant la sévérité de cette mesure et l’impossibilité de la tempérer, les arbitres ne maintiennent cette sanction que si tous les éléments lui donnent ouverture soient indubitablement réunis…

   …Car il s’agit d’une disposition exceptionnelle ne s’appliquant qu’aux cas où justement l’absence d’autorisation et de motif valable d’absence fait présumer de l’abandon volontaire de l’emploi . » (soulignés dans le texte)

Il y a donc lieu pour l’arbitre de déterminer si, dans le cas de monsieur Desmarais, « tous les éléments donnant ouverture à la sanction » prévus à l’article 14.03 étaient « indubitablement réunis. »

Il n’y a pas de problème quant au nombre de jours d’absence consécutifs.  La preuve quant à l’autre élément (« sans raison suffisante ») est loin d’être concluante en faveur de la thèse patronale. »

[29]  L’arbitre, Me Marc Boisvert [8] rappelait la véritable portée et finalité de ces clauses :  

« …

Il ne faut pas perdre de vue la finalité de cette disposition, lorsqu’on cherche à en cerner la véritable portée, comme le rappelait l’arbitre Jean-Guy Ménard dans l’affaire Union des employés de commerce, local 503 - C.T.C. - F.T.C. c. Provigo (Distribution) inc. , lorsqu’il écrivait ce qui suit :

« Malgré les automatismes que peuvent comporter ce genre de dispositions, il ne faut tout de même pas oublier que la finalité première du paragraphe e) de la clause 6.06 est d’arriver à éliminer la personne qui, par son comportement marqué d’un manque d’intérêt, donne des signes volontaires laissant croire à un refus d’accomplir ses obligations ou à une négligence grossière à assumer ses tâches.  En d’autres termes, il faut se souvenir que cette disposition ne veut manifestement couvrir que les cas véritables d’abandon déguisé de poste et non les autres situations qui échappent au contrôle du salarié bien intentionné. » (décision du 19 janvier 1990, D.T.E. no 90T-384 ).

Mais si la jurisprudence a reconnu aux parties signataires d’une convention collective le pouvoir de circonscrire, dans une disposition, les circonstances entraînant une perte automatique d’emploi, elle nous enseigne par contre que pareille sanction doit nécessairement découler d’un texte très clair, ce que rappelait l’arbitre Brandt dans l’affaire Gales Rubber of Canada Ltd c. United Rubbers Worker, local 733 .  (1981-29- L.A.C. (2d) 182.

Appelé à étudier la portée d’une disposition de même nature que le paragraphe c) de la clause 12.01.01 de la convention, l’arbitre Brandt lui avait ainsi donné une interprétation restrictive en se fondant notamment sur l’extrait suivant de la décision rendue par l’Ontario Decisional Court dans l’affaire RE Dwyer and Chrysler Canada Ltd et als . (1987-87 D.L.R. (3d) 279.

«  The loss of employment for an employee, often referred to as « capital punishment » in the labour context, is so serious, especially in these times, that such a consequence ought not to be read into a collective agreement by implication.  If the loss of a job is meant to follow from certain conduct, it should be clearly stipulated for.

Dans les circonstances, j’estime qu’il faut interpréter de façon restrictive le paragraphe c) de la clause 12.01.01 de la convention.  Et ainsi interprété, je constate que ce paragraphe fait perdre l’emploi d’un salarié uniquement lorsque trois conditions se réalisent. »

[30]  Les clauses de terminaison d’emploi automatique doivent recevoir une interprétation stricte en ce que les conditions d’application doivent être présentes et ces clauses doivent aussi être interprétées restrictivement car elles sont une exception à la règle générale applicable en matière de fin d’emploi d’un salarié. L’arbitre n’agit pas en matière disciplinaire et il ne peut considérer d’autres motifs ou circonstances autres que ceux relatifs à la justification de l’absence du salarié.  L’arbitre doit, en regard des motifs invoqués par le salarié pour justifier son absence, évaluer si la décision de l’employeur est arbitraire, discriminatoire ou abusive. »

Analyse de la preuve

[24]         La preuve de l’employeur a démontré que M. Moreau s’est absenté la semaine du 11 au 15 août 2008 et qu’il devait être au travail. M. Moreau a fait un premier choix de vacances le 7 mai qu’il a ensuite modifié les 3 et 24 juillet. L’employeur a accommodé M. Moreau à chaque fois qu’il a demandé à ce que son choix original de vacances soit modifié. Toutefois, en aucune occasion, l’employeur n’a accédé à la demande de M. Moreau d’obtenir une semaine de vacances supplémentaire à ses frais. M. Dutrisac a témoigné que M. Moreau lui a affirmé qu’il ne serait pas présent, de toute façon, la semaine du 11 au 15 août et cette preuve n’a pas été contredite. Au contraire, M. Moreau affirme, dans son témoignage, qu’il a mentionné à M. Dutrisac qu’il ferait ce qu’il avait à faire et que la convention collective lui permettait de prendre une troisième semaine à ses frais. De plus, l’employeur a déposé un document portant la date du 1 er août en regard de la demande de M. Moreau et qui porte l’inscription que la semaine de vacances à ses frais est refusée. 

[25]         Selon la preuve qui a été administrée par les parties, je suis d’avis que le refus de l’employeur d’accorder une troisième semaine de vacances à M. Moreau, à ses frais, n’est en aucune façon arbitraire, discriminatoire ou abusif. La preuve a démontré que la période estivale est celle où il y a le plus d’activités à l’entreprise. Par surcroît, une nouvelle loi obligeant les automobilistes à munir leur véhicule de pneus d’hiver entrait en vigueur. Les parties ont par ailleurs reflété cette réalité à l’article 22.09 de la convention collective en indiquant qu’en aucun temps, pas plus de trois personnes ne peuvent prendre leurs vacances annuelles et congés mobiles en même temps. 

[26]         Le procureur du syndicat plaide qu’en vertu de l’article 22.03 de la convention collective et de l’article 68.1 de la Loi sur les normes du travail , l’employeur ne pouvait refuser à M. Moreau sa 3 ième semaine de vacances à ses frais. Avec égards, je ne partage pas cet énoncé du procureur.  L’article 22.03 de la convention, tel que rédigé par le parties, prévoit que le salarié dont l’ancienneté au 30 juin de l’année courante compte moins de cinq ans de service continu peut prendre une troisième semaine à ses frais, mais l’employeur lui accordera cette semaine selon les besoins opérationnels de l’entreprise, tel que le prévoit l’article 22.09.  En ce qui a trait à l’article 68.1 LNT, il n’est d’aucun secours à l’appui de la prétention du procureur. Tout d’abord, l’employeur n’a jamais refusé le droit à M. Moreau de prendre une troisième semaine à ses frais et, de plus, la loi prévoit que cette troisième semaine peut ne pas être consécutive aux deux semaines continues auxquelles le salarié a droit en vertu de l’article 68 LNT.

[27]         Je conclus que la preuve a démontré que M. Moreau a été absent plus de deux jours ouvrables consécutifs sans autorisation et/ou sans raison valable. Il demeure donc à déterminer la validité de la mesure imposée à M. Moreau.

L’article 14.04 7° de la convention et la lettre remise au plaignant le 28 août

[28]         Le procureur de l’employeur plaide que l’article 14.04 de la convention ne prévoit pas la perte d’emploi du salarié lorsqu’il rencontre les conditions des paragraphes 3° à 7°. L’employeur pouvait donc, comme il l’a fait, appliquer la seule sanction prévue en cas d’absence d’un salarié pour plus de deux jours ouvrables consécutifs, soit la perte de son ancienneté.

[29]         Le procureur de l’employeur a soumis la sentence arbitrale de mon collègue Jean M. Morency qu’il a rendue dans l’affaire Syndicat national du transport écolier Saguenay-Lac-St-Jean  (CSN) c. Les Transports spécialisés du Saguenay Inc. [9] . Dans cette affaire, une salariée avait perdu son ancienneté par l’écoulement du temps en mise à pied. La salariée dépose un grief dans lequel elle prétend que l’employeur ne lui a pas donné droit à une nouvelle évaluation pour obtenir un poste de chauffeur au sein du département de transport public. Au moment du dépôt du grief, la salariée n’avait plus de droit d’ancienneté et, en conséquence, l’employeur a formulé une objection à la recevabilité du grief. L’arbitre rejette l’objection soulevée par l’employeur au principal motif qu’elle lui semblait prématurée. Selon l’arbitre, il ne pouvait présumer au stade de la présentation de l’objection de l’employeur que les droits de la plaignante avaient été respectés alors qu’elle était en situation de mise à pied et, par conséquent, couverte par la convention collective. À mon humble avis, ces propos de l’arbitre étaient suffisants pour disposer de l’objection de l’employeur. Toutefois, l’arbitre ajoute que la convention collective était silencieuse sur le sort du statut d’un salarié qui perd son ancienneté et qu’aucune disposition de la convention ne lui permettait de conclure que la perte d’ancienneté entraînait la rupture du lien d’emploi. La convention collective prévoyait entre autres situations que la salariée perdait ses droits d’ancienneté au terme d’une période de douze mois si elle n’avait pas repris le travail.

[30]         Dans autre sentence arbitrale soumise à mon attention, rendue par l’arbitre Jacques Sylvestre dans l’affaire Bexel, division de la Coopérative fédérée de Québec c. Syndicat des employés de la Coopérative fédérée de Québec [10] , il était question d’une clause de la convention collective qui prévoyait la perte d’ancienneté mais non la perte de l’emploi si le salarié s’était absenté plus de trois jours ouvrables sans avoir avisé et sans raison valable. L’arbitre Sylvestre n’a pas maintenu le congédiement du salarié au motif que l’annulation de l’ancienneté n’entraîne pas la rupture du lien d’emploi à moins de dispositions spécifiques prévues à la convention collective. 

[31]         Avec égards, je ne partage pas l’opinion des arbitres Morency et Sylvestre. Si une clause de la convention collective prévoit à titre de sanction la perte de toute l’ancienneté du salarié dans certaines conditions, elle emporte nécessairement la fin de son emploi. Ce salarié n’a plus d’ancienneté, il n’a donc plus aucun statut ni aucun droit à faire valoir en vertu de la convention collective. 

[32]         J’ai beaucoup de difficulté à comprendre comment un salarié qui possède par exemple quinze années d’ancienneté et qui la perd totalement par l’effet de l’application d’une clause comme celle de l’article 14.04 de la convention peut être considéré comme étant toujours à l’emploi. Ce salarié n’aurait pas vu son lien d’emploi rompu et il aurait une ancienneté équivalente à zéro. Quelle serait alors la façon de calculer son droit aux vacances et son indemnité ? Ce salarié qui a perdu son ancienneté mais dont le lien d’emploi n’a pas été rompu recommencerait à accumuler ses semaines de vacances comme un nouveau salarié en vertu de l’article 22.03 de la convention. Au niveau de son droit aux vacances ainsi que de l’indemnité, serait-il alors considéré comme un salarié ayant un an ou moins de service continu ? Cette façon d’interpréter l’article 14.04 de la convention collective irait manifestement à l’encontre de la Loi sur les normes du travail car son service continu, au sens de la loi, n’a pas été interrompu.  Il faudrait alors concilier, pour ce salarié, les textes de la convention collective et les dispositions de la Loi sur les normes du travail .

[33]         Le but de ces clauses est de terminer automatiquement l’emploi d’un salarié lorsque certaines conditions sont rencontrées. Que la clause de la convention utilise l’expression perte d’ancienneté ou son emploi est terminé ou encore les deux est sans importance. Un salarié qui perd son ancienneté par l’effet d’une clause de la convention collective comme celle sous étude n’a plus de statut et le seul droit qui lui reste est de contester la décision de l’employeur de la lui faire perdre.

[34]         Une lecture de l’ensemble des dispositions contenues à l’article 14.04 de la convention ne laisse subsister aucun doute que ce sont toutes des situations qui conduisent nécessairement à la perte de l’emploi du salarié. Par exemple, il serait plutôt inusité de prétendre que lorsque le salarié est dans une situation visée aux paragraphes 3° à 6° et qui n’est pas rappelé au travail ou qui ne revient pas au travail dans les délais prescrits, il conserverait tout de même son emploi ou même un lien d’emploi bien qu’il ait perdu toute son ancienneté. L’employeur, même en présence des conditions prévues à ces paragraphes, devrait tout de même signifier au salarié qu’il a perdu son emploi même s’il ne peut plus faire valoir aucun droit en vertu de la convention collective. Une telle interprétation ne colle pas aux textes de la convention collective. 

[35]         Dans l’affaire Syndicat des travailleurs d’Olympia (C.S.N.) c. Olymel [11] , l’arbitre André Ladouceur avait à décider d’un argument soulevé par le syndicat à l’effet que la clause de la convention collective ne prévoyait pas la perte de l’emploi après une absence de cinq jours ouvrables consécutifs. L’article de la convention prévoyait que «  L’ancienneté se perd pour l’une ou l’autre des raisons suivantes  : … ». Donc, de plaider le syndicat, la convention prévoyait la perte d’ancienneté mais non le bris du lien d’emploi. L’arbitre Ladouceur dispose de cet argument comme suit :

«  a . PERTE D'ANCIENNETÉ ÉQUIVAUT- IL À PERTE D'EMPLOI ?

À cet égard, nous nous limiterons à reprendre à notre compte un extrait d'une sentence de l'arbitre Huguette Gagnon où elle analyse un article 11.01 dont les dispositions sont de nature très similaire à celle de notre article 10.04

‘’ L'employeur prétend que la perte d'ancienneté prévue à l'article 11.01 de la présente convention collective est une perte d'emploi. Qu'en est-il de cette prétention ?

L'expression "perte d'ancienneté", que l'on retrouve dans plusieurs conventions collectives, n'équivaut pas nécessairement à une perte d'emploi et on retrouve, dans certaines conventions collectives, des dispositions différentes pour la perte d'emploi et pour la perte d'ancienneté (4). Dans la présente convention collective, aucune disposition ne contient l'expression : "perte d'emploi". Se limiter à lire l'expression "Perd son ancienneté" contenue à l'article 11.01 de la convention collective, sans référer au contexte dudit article, nous amènerait à la conclusion que la perte d'ancienneté n'est pas une perte d'emploi. Cependant, il faut vérifier si cette conclusion est compatible avec le contexte dudit article.

Comme l'indiquent les auteurs Morin et Blouin dans leur ouvrage : Arbitrage des griefs 1986 , l'arbitre ne doit pas "se limiter à une simple et froide analyse sémantique des mots utilisés, ni à une décomposition grammaticale de phrases, ni à suivre servilement l'explication que fournissent, hors contexte, les dictionnaires. S'il y a ambiguïté, imprécision, ou doute, l'arbitre doit impérieusement rechercher le sens et la portée qui conviennent le mieux par rapport à l'objet de la disposition, c'est-à-dire favoriser l'interprétation qui produit un effet positif et cohérent plutôt que celle susceptible de produire un résultat négatif, insolite ou contradictoire".

L'article 10.01 mentionne que l'ancienneté est la durée d'emploi d'un salarié chez l'employeur. Perdre la durée d'emploi chez un employeur, est-ce que c'est perdre son emploi ou pas ?

Pour discerner le sens de la perte d'ancienneté prévue à l'article 11.01 , il faut analyser ledit article et non pas se limitera une analyse sémantique. Les paragraphes 1 et 2 dudit article mentionnent l'abandon volontaire d'un emploi et le congédiement, situations qui ne peuvent référer qu'à une perte d'emploi : on ne peut abandonner volontairement son emploi et, en même temps, ne pas perdre cet emploi. Les paragraphes 3 et 4 dudit article mentionnent la mise à pied pendant plus de vingt-quatre (24) mois consécutifs et le défaut de se rapporter au travail après un rappel, situations qui sont plus compatibles avec une perte d'emploi qu'avec une perte d'ancienneté sans perte d'emploi. Les situations visées aux paragraphes 5 et 6 dudit article, dont l'absence sans avis, pourraient, quant à elles, être compatibles avec une perte d'ancienneté sans perte d'emploi.’’

La perte d'ancienneté prévue à l'article 11.01 ne peut qu'avoir une signification qui soit applicable à toutes les situations y mentionnées : en effet, une expression ne peut avoir, à l'intérieur d'une même disposition, deux (2) significations différentes. Conclure que la perte d'ancienneté stipulée à l'article 11.01 n'est pas une perte d'emploi conduirait à une absurdité : il n'y aurait pas perte d'emploi dans les cas d'abandon volontaire de l'emploi et de congédiement, situations prévues aux paragraphes 1 et 2 dudit article.

Il est donc impossible de conclure, comme le voudrait le représentant syndical, que les parties n'ont voulu stipuler, à l'article 11.01 , qu'une perte d'ancienneté sans perte d'emploi. De l'analyse de l'article 11.01 , dans son entier, il ressort que la seule interprétation logique que l'on puisse donner à l'expression "perd son ancienneté", c'est qu'il s'agit d'une perte d'emploi. » [12]

En procédant aux ajustements de concordance nécessaires, cette interprétation vaut tout autant pour les dispositions de notre article 10.04 et nous l'endossons pleinement.

Ainsi, s'il y a lieu de conclure que l'employeur était justifié de décréter la perte d'ancienneté de monsieur Lampron, cette conclusion emportera qu'il était tout aussi justifié de décréter la perte de son emploi. »

(Je souligne)

[36]         L’arbitre Georges E. Laurin, dans l’affaire Mondo America c. Union internationale des travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 [13] , était saisi d’un grief contestant une fin d’emploi imposée à un salarié en vertu de la clause suivante de la convention collective :

«  5.02    Les privilèges d'ancienneté d'un salarié seront révoqués dans I'un ou I'autre des cas suivants:

5) lorsqu'il est absent de son travail pendant une période de trois (3) jours consécutifs de travail, sans aviser la direction de la compagnie en fournissant des raisons suffisantes à celle-ci; »

[37]         L’arbitre Laurin maintient la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi du salarié et, pourtant, l’article ne spécifiait pas la perte de l’emploi :

« Le texte de la clause 5.02 (5) est à l'effet que «Les privilèges d'ancienneté d'un salarié seront révoqués dans I'un ou l'autre des cas suivants (...) lorsque (le salarié) est absent de son travail pendant une période de trois (3) jours consécutifs de travail, sans aviser la direction de la compagnie en fournissant des raisons suffisantes à celle-ci)).

Après avoir analysé l'abondante jurisprudence déposée, il appert nettement que la tendance majoritaire à laquelle se rallie le soussigné est à l'effet de considérer l'application d'une telle clause comme étant de nature administrative. D'ailleurs cette qualification de mesure administrative cadre non seulement avec la rédaction adoptée par les parties mais également avec le but visé qui peut se dégager d'une telle clause. En effet, il est intéressant de remarquer que, sous le titre de l'ancienneté, les parties ont utilisé comme expression «Les privilèges d'ancienneté d'un salarié seront révoqués dans l'un ou l'autre de cas suivants:)), alors qu'à l'article VII,        il y est fait mention de suspension et de congédiement qui sont de nature disciplinaire.

La seule constatation qu'il revient à l'arbitre de faire est qu'en cas de réalisation d'une des situations prévues à la clause 5.01, il y a perte d'ancienneté et fin d'emploi. Les termes sont clairs et ne souffrent d'aucune ambiguïté objective. II s'agit en quelque sorte, comme les arbitres l'ont écrit, du reflet du souci commun des parties d'une nécessité d'organisation, de planification dans la gestion de l'entreprise et aussi, sinon surtout, de l'importance de l'intérêt du salarié comme faisant partie de cette entreprise .

II peut sembler bizarre, comme l'a déjà écrit l'arbitre Lyse Tousignant, qu'une absence d'une journée soit traitée par mesure disciplinaire et qu'aussitôt qu'elle excède trois jours, elle relève de l'administratif. Mais les parties ont elles-mêmes fixé cette limite I/ temporelle et elles ont voulu ainsi traiter d'une façon différente l'absence sans permission ou sans excuse raisonnable selon qu'elle excède ou non trois jours [14] . »

(Je souligne)

[38]         Plus récemment, l’arbitre Jean-Louis Dubé, dans l’affaire Syndicat des travailleurs de câbles d’acier de Pointe-Claire (CSN) c. Industries de câbles d’acier ltée [15] , décidait que l’arbitre ne pouvait substituer une autre mesure au congédiement lorsqu’il était en présence d’une clause d’une convention qui prévoyait la perte d’ancienneté si les conditions mentionnées étaient rencontrées. Je souligne que la convention sous étude devant l’arbitre Dubé ne précisait pas la perte de l’emploi mais uniquement la perte de l’ancienneté.

[39]         J’ai jugé utile de délimiter l’objet et la portée de l’article 14.04 7° de la convention puisqu’il faut déterminer la nature de la mesure imposée à M. Moreau. La perte de l’ancienneté du salarié emporte la perte de son emploi. Si le lien d’emploi n’était pas rompu, c’est donc qu’il ne serait pas compris à l’article 14.04 et, lorsque l’employeur mettrait fin à l’emploi dans les conditions prévues à 14.04 7°, la perte d’ancienneté serait soumise au régime administratif et, en conséquence, puisqu’il n’est pas inclus, le congédiement relèverait du domaine disciplinaire. C’est un non-sens. Dans la présente affaire, M. Moreau s’est vu imposer une perte de toute son ancienneté et l’employeur invoque l’article 14.04 7° de la convention collective. Toutefois, M. Moreau n’a pas été congédié.

[40]         C’est la preuve soumise par les parties qui détermine si la mesure imposée à M. Moreau relève du domaine disciplinaire ou administratif.  Dans l’affaire Le Syndicat des employés de Molson c. Brasserie Molson O’Keffe [16] , la Cour d’appel écrivait ce qui suit à propos de la qualification de la mesure imposée au salarié:

« (…) C'est généralement par l'étude du contexte et non pas nécessairement par la terminologie utilisée, par exemple dans un avis de congédiement qu'un décideur pourra qualifier la mesure.

     Il va de soi qu'il est toujours possible de masquer un congédiement disciplinaire et de le présenter sous l'allure d'une mesure administrative, comme il est d'autre part fréquent de qualifier faussement de disciplinaire une mesure carrément d'ordre administratif. Cependant il va de soi qu'il appartient à l'arbitre ou plus généralement au décideur d'étudier toutes les circonstances pertinentes à l'espèce pour qualifier la mesure discutée de disciplinaire ou d'administrative. Est-elle administrative ou non disciplinaire que l'intervention du décideur devra se limiter au contrôle de la validité de la mesure prise. Est-elle disciplinaire que le décideur devra vérifier si la sanction n'a pas été abusive, déraisonnable ou discriminatoire. »

( Je souligne )

[41]         La preuve a démontré que M. Moreau s’est absenté sans autorisation et sans raison valable plus de deux journées ouvrables consécutives pendant la semaine du 11 au 15 août 2008. L’employeur était donc autorisé à faire agir le paragraphe 7° de l’article 14.04 à l’égard de M. Moreau entraînant les conséquences qui y sont prévues, soit la perte de son ancienneté et, comme je l’ai déjà expliqué, la perte de son emploi. C’est une mesure administrative et j’ai n’ai aucune juridiction pour intervenir sauf si la preuve démontre que c’est une décision abusive, déraisonnable ou discriminatoire, comme l’a précisé la Cour d’Appel dans l’affaire Molson . Or, il apparaît de la lettre remise au plaignant le 28 août que l’employeur n’applique qu’en partie la mesure administrative prévue à l’article 14.04 7° de la convention, la perte de l’ancienneté. Il ressort également de cette lettre que l’employeur insiste sur le caractère fautif du comportement du plaignant et que, de plus, cette faute est inscrite à son dossier et que s’il ne modifie pas son comportement, M. Moreau pourrait se voir congédié.

[42]         À partir du moment où l’employeur décide de n’appliquer que partiellement l’article 14.04 7° lorsque les conditions de son application sont présentes, il en dénature le sens et la portée. Il n’y a aucune obligation pour l’employeur d’appliquer l’article 14.04 7° à l’égard d’un salarié qui y aurait contrevenu. L’employeur peut aussi bien lui imposer une mesure disciplinaire dont la sévérité sera établie en fonction de différents facteurs propres au dossier du salarié qu’il considérera. S’il décide d’appliquer l’article 14.04 7° pour mettre fin à l’emploi du salarié, l’employeur bénéficiera du fait que l’arbitre ne pourra modifier cette décision pour y substituer une autre mesure qui lui apparaît plus juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances. C’est un avantage certain pour l’employeur au niveau de l’administration de la preuve et de son fardeau puisqu’il n’a pas à démontrer que les absences du salarié justifient un congédiement ou encore qu’il a appliqué envers celui-ci la progression des sanctions.

[43]         Le propre de l’imposition d’une mesure disciplinaire est de sensibiliser le salarié à la faute qu’il a commise. Le but poursuivi par la progression des sanctions est d’informer le salarié fautif que, s’il ne modifie pas son comportement, il peut se voir imposer une mesure disciplinaire plus sévère au cas de récidive. Lorsque l’employeur a fait perdre toute son ancienneté à M. Moreau tout en le conservant à son emploi, il a pris soin de l’informer clairement qu’il faisait preuve de clémence à son égard, que sa faute serait consignée à son dossier et qu’il s’exposait à des mesures disciplinaires plus graves allant jusqu’à son congédiement dans l’éventualité de tout autre manquement à la politique de l’entreprise en matière d’absentéisme. Il est manifeste que l’employeur avait quitté le domaine administratif. 

[44]         Je suis d’avis que l’employeur ne pouvait piger dans le régime administratif de l’article 14.04 de la convention pour n’appliquer à M. Moreau qu’une partie de la mesure administrative prévue au 7 ième paragraphe et, par la suite, l’aviser qu’il serait sujet à des sanctions plus sévères au cas de récidive. Ce faisant, l’employeur quittait le domaine administratif pour épouser le régime disciplinaire. Le but des clauses comme celle de l’article 14.04 7° de la convention est, comme l’ont exprimé à maintes reprises les arbitres, de créer une présomption d’abandon volontaire de l’emploi et de limiter le pouvoir habituel d’intervention de l’arbitre en matière disciplinaire, sa seule juridiction étant de constater si les conditions de son application sont réunies.

[45]         À partir du moment où l’employeur n’applique pas entièrement l’article 14.04 7° de la convention, il n’y donne pas effet. Il s’expose alors à ce que l’arbitre examine la nature de la mesure qu’il a prise à l’endroit du salarié. Tel qu’il apparaît de la lettre de l’employeur, c’est une sanction disciplinaire qu’il a appliquée à M. Moreau puisque le retrait de son ancienneté constituait, selon les termes mêmes de la lettre, la première étape de la progression des sanctions, laquelle n’est applicable qu’en matière disciplinaire. Il ne s’agit pas de deux sanctions distinctes, administrative d’une part et disciplinaire d’autre part, mais bien d’une seule et même sanction disciplinaire tel qu’il apparaît du contenu de la lettre remise au plaignant le 28 août. L’employeur avise M. Moreau de la sanction qui lui est imposée et de l’impact qu’elle peut avoir sur son emploi au cas de récidive.  Toutefois, la sanction que l’employeur a imposée au plaignant est inappropriée et injustifiable dans le contexte disciplinaire et plus particulièrement dans le cadre de la progression des sanctions puisque la perte de toute l’ancienneté d’un salarié prévue à l’article 14.04 7° de la convention ne peut emporter que le bris du lien d’emploi et ne vise aucunement à ce qu’il modifie son comportement.  

[46]         Le procureur de l’employeur prétend que le syndicat est forclos de plaider que l’employeur a imposé une mesure disciplinaire et non de nature administrative au plaignant. Je souligne que le grief, tel que formulé par le syndicat, conteste la perte d’ancienneté imposée à M. Moreau et qualifie celle-ci « injustifiée et abusive » . C’est à la fin des représentations des parties que j’ai adressé la question aux procureurs à savoir si la mesure imposée à M. Moreau n’était pas plutôt du domaine disciplinaire considérant le sens et la portée de l’article 14.04 7° de la convention collective et de la teneur de la lettre. C’est une question de droit que j’ai alors adressée aux procureurs puisqu’elle m’apparaît être le centre du litige à partir du moment où j’ai pris connaissance du fait que M. Moreau n’avait pas été congédié malgré qu’il avait rencontré les conditions de l’article 14.04 7° de la convention et de la teneur de la lettre qui lui a été remise le 28 août. Considérant que cette question n’a pas été abordée dans le cadre des représentations des procureurs, j’ai jugé nécessaire de m’adresser aux procureurs afin qu’ils aient l’opportunité d’effectuer leurs représentations à cet égard.  D’ailleurs, les procureurs m’ont transmis des notes et autorités sur la question que je leur adressée.

[47]         Je comprends fort bien la réaction du procureur de l’employeur en regard de la question formulée par le tribunal et je suis aussi d’avis que cette question aurait dû être initiée par le syndicat tellement elle était évidente à la face même du dossier. Un tribunal d’arbitrage n’est pas une commission d’enquête.  Selon l’article 100.11 du Code du travail , l’arbitre rend une sentence à partir de la preuve recueillie à l’enquête et n’a pas à se substituer aux parties dans l’administration de leur preuve sauf quand l’intérêt de la justice le commande. Ce n’est pas au niveau de l’administration de la preuve par les parties que je suis intervenu mais plutôt sur une question de droit et d’interprétation ainsi que de l’application d’un article de la convention collective et en vertu de laquelle je n’ai «  pas le droit de l’altérer, la modifier ou l’amender en quelque partie que ce soit ou y ajouter ou retrancher quoi que ce soit  », selon les termes même utilisés par les parties à l’article 12.03 de cette convention. 

DISPOSITIF

Pour les raisons qui précèdent, après avoir étudié la preuve, la jurisprudence et les autorités soumises par les parties, soupesé les arguments des procureurs et sur le tout délibéré, le tribunal :

ACCUEILLE le grief et annule la perte d’ancienneté imposée à M. Moreau le 28 août 2008;

 

ORDONNE à l’employeur de reconnaître à M. Moreau son ancienneté et les avantages qui y sont rattachés depuis sa date d’embauche;

 

ORDONNE à l’employeur de verser à M. Moreau une indemnité équivalente aux pertes monétaires qu’il a encourues et autres avantages qu’il a perdus en raison de la perte de son ancienneté qu’il lui a imposée, le tout avec les intérêts prévus au Code du travail;

RÉSERVE sa juridiction afin d’établir les sommes dues à M. Moreau à défaut d’entente entre les parties et sur la présentation d’une requête détaillée. 

 

 

 

 

Audition tenue à Valleyfield le 17 novembre 2010

Notes du procureur du syndicat soumises le 1 er décembre 2010

Notes du procureur de l’employeur soumises le 20 décembre 2010

 

 

 

 

 

 

SA/159-11

 

________________________________ __

Me Denis Provençal, arbitre

 

 



[1] L.R.Q., chapitre N-1.1.

[2] [1998] R.J.D.T. 536 , à la page 548.

[3] [2005] R.J.D.T. 699 .

[4] L.R.Q., c. C-27.

[5] D.T.E. 2006T-80 .

[6] Association des employés de Cafétérias Monchâteau c. Cafétérias Monchâteau,  1990 T.A. 220

[7] Sentence du 29 janvier 2003.

[8] Northern Telecom Canada Ltée c. Union canadienne des travailleurs en communications, sentence du 9 avril 1997.

[9] D.T.E. 1991T-968 .

[10] D.T.E.91T-968.

[11] D.T.E. 2001T-859 aux pages 6 et 7.

[12] Salaisons Brochu Inc. c. Association des employés des Salaisons Brochu Inc.  D.T.E. 1990-1326.

[13] D.T.E. 2000T-638 , aux pages 7 et 8.

[14] Voir note 6.

[15] D.T.E. 2008T-407 .

[16] Voir note 2.