Section des affaires sociales
En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière
Référence neutre : 2011 QCTAQ 01674
Dossier : SAS-Q-165565-1006
ANDRÉE DUCHARME
CLAUDE OUELLETTE
c.
SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC
[1] Le requérant intente un recours à l’encontre de la décision du Service de la gestion des sanctions des conducteurs rendue le 17 juin 2010 qui, à la suite de la réception du rapport d’évaluation de l’Association A (A), concluait à la démonstration d’un comportement à risque pour la sécurité routière, lié à la consommation d’alcool.
[2] Le Tribunal dispose de la preuve documentaire, des témoignages du requérant et de l’évaluatrice de [l’Association A], ainsi que des représentations de la procureure de la partie intimée.
Les faits tels que retrouvés au dossier
[3] Le permis du requérant a été révoqué le 1 er septembre 2009, à la suite de sa déclaration de culpabilité pour une infraction au Code criminel (conduite en état d’ébriété), survenue le 15 juillet 2008. On avise alors le requérant qu’il doit se soumettre à l’« évaluation sommaire » et suivre le programme « Alcofrein ».
[4] L’évaluation sommaire réalisée le 14 juin 2010 permet de confirmer que le requérant représente un risque de récidive face à l’alcool, ce qui implique qu’une évaluation complète s’impose. Préalablement à cette évaluation, le requérant était entré en thérapie en mars 2010 pour régler son problème de consommation d’alcool.
[5] Le rapport d’évaluation du 14 juin 2010 est non équivoque. Une surveillance accrue est nécessaire puisque plusieurs motifs figurant au rapport sont reconnus être des facteurs de récidive.
- Antécédent d’hospitalisation en lien avec son abus d’alcool.
- Consommation régulière et abusive.
- Inquiétude de son entourage face à sa consommation d’alcool.
[6] Dans sa lettre du 17 juin 2010, objet du présent litige, l’intimée demande que le requérant se soumette :
- à un examen médical par son médecin traitant;
- à une évaluation complète échelonnée sur 7 à 9 mois, à ses frais.
[7] Dans sa demande de révision, le requérant écrit :
« Évaluation sommaire n’a jamais démontré que mon comportement envers la consommation d’alcool, à la date de l’évaluation, représente ENCORE un risque pour la sécurité routière… »
[8] Le requérant proclame son changement de mode de vie. Il affirme s’être pris en main et déplore que ce changement (opéré il y a près de 4 mois) ne signifie rien aux yeux de l'intimée.
Témoignage du requérant
[9] Le requérant voudrait que son « bon comportement » permette au Tribunal de renverser la décision prise par l'intimée puisque, de toute façon, il n'a pas les moyens financiers de se soumettre à une évaluation complète qu’il juge ne pas mériter. Il considère la situation du début 2010, passagère/circonstancielle et enfin résolue.
[10] Le requérant voit comme une punition l’exigence de l’intimée, punition inutile puisqu’il a compris le bien-fondé de la sobriété au volant. Il ne se juge nullement à risque de récidiver puisque, dit-il, il a changé ses habitudes de vie depuis mars 2010.
· Juste avant d’entrer en thérapie (mars 2010), le requérant a donné sa démission (janvier 2010) comme ingénieur, se sentant mis à l’écart, malgré l’assurance de son employeur sur la qualité de son travail.
· Il a consommé de façon exagérée pendant tout le mois de février 2010, jusqu’au jour où on le retrouve chez lui, dans un état déplorable. On [1] le conduit alors à l’hôpital où l’on constate des plaies aux avant-bras [2] . Le requérant ne garde pas de souvenir de ces événements. Il entre en thérapie de désintoxication (durée : environ un mois).
· Entre avril et juillet 2010, le requérant fréquente les alcooliques anonymes (AA) à raison de 3 ou 4 visites par semaine. Depuis juillet 2010, ses rencontres sont bi-hebdomadaires. Il n’a pas l’intention d’y mettre un terme, puisqu’elles lui sont trop utiles.
· Le requérant certifie qu’il n’a pas repris d’alcool depuis mars 2010 et qu’entre juillet 2008 (son accident) et août 2009, il avait été aussi sobre.
· Entre août 2009 et mars 2010, il aurait consommé « surtout les fins de semaine ». Il explique cette rechute par ses déboires professionnels/financiers et la perte de son permis de conduire (ayant pour conséquence l’impossibilité de se rendre chez ses parents tous les 15 jours, comme il le faisait toujours).
[11] Le requérant explique sa nécessité de disposer d’un permis de conduire. Il ne semble pas au fait de l’existence d’un permis restrictif (pour le travail), puisqu’il ne travaille plus depuis près d’un an.
[12] Questionné sur les tests (3) passés à [l’Association A], le requérant affirme avoir bien compris les questions et avoir lui-même compilé les réponses à l’ordinateur.
Témoignage de l’évaluatrice, M me M... R...
[13] L’évaluatrice explique les buts de l’évaluation et les résultats obtenus par le requérant. Les échecs aux tests sont corroborés par les informations recueillies à l’entrevue structurée préalable. Elle explique l’arbre décisionnel et l’évidence de l’impact des mauvais scores, jumelé au taux d’alcoolémie lors de l’arrestation ( . 196 mg) et aux points d’inaptitude (6) à son dossier-conducteur.
[14] Le fait que le requérant soit sobre depuis mars 2010 ne vient nullement annuler l’impact de certaines informations cruciales (dont la fréquentation des AA, l’hospitalisation pour problème d’alcool et la conduite en état d’ébriété/arrestation), considérées comme révélatrices de facteurs de risques.
Que dit la Loi ?
[15] Lorsqu’il y a révocation d’un permis à la suite d’une déclaration de culpabilité, des conditions particulières s’appliquent pour qu’un nouveau permis soit délivré. Les extraits pertinents du Code de la Sécurité routière se lisent comme suit.
76. […]
Dans le cas où l'infraction donnant lieu à la révocation ou à la suspension en est une visée au paragraphe 4° du premier alinéa de l'article 180, les conditions additionnelles suivantes s'appliquent à la délivrance du nouveau permis:
1° si, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, la personne ne s'est vu imposer ni révocation ni suspension en vertu du paragraphe 4° du premier alinéa de l'article 180, elle doit alors:
a) suivre avec succès le programme d'éducation reconnu par le ministre de la Sécurité publique et destiné à sensibiliser les conducteurs aux problèmes de la consommation d'alcool ou de drogue;
b) établir à la satisfaction de la Société, au terme d'une évaluation sommaire faite par une personne dûment autorisée œuvrant au sein d'un centre de réadaptation pour personnes alcooliques et autres personnes toxicomanes ou au sein d'un centre hospitalier offrant un service de réadaptation pour de telles personnes, que son rapport à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe demandée. En cas d'échec, il doit être satisfait à cette exigence au moyen d'une évaluation complète ;
[…]
76.1. Le nouveau permis délivré en vertu du quatrième alinéa de l'article 76 n'autorise une personne à conduire un véhicule routier pour une période d'un, de deux ou de trois ans selon que, au cours des 10 années précédant la révocation ou la suspension, la personne s'est vu imposer respectivement aucune, une seule ou plus d'une révocation ou suspension en vertu du paragraphe 4° du premier alinéa de l'article 180, que s'il est muni d'un antidémarreur éthylométrique agréé par la Société.
Le présent article ne s'applique pas dans le cas où l'évaluation sommaire prévue au sous-paragraphe b du paragraphe 1° du quatrième alinéa de l'article 76 établit que le rapport de la personne à l'alcool ou aux drogues ne compromet pas la conduite sécuritaire d'un véhicule routier de la classe demandée.
[…] (Notre emphase)
[16]
De plus, concernant le problème d’alcoolisme, l’article 45 du
Règlement
sur les conditions d’accès à la conduite d’un véhicule routier relatives à la
santé des conducteurs
[3]
,
et l’article
45. L'alcoolisme chronique ou la dépendance pharmaco-physiologique à l'alcool éthylique est essentiellement incompatible avec la conduite d'un véhicule routier sauf si la personne satisfait aux conditions suivantes:
1° elle
a remis à la Société un rapport d'examen ou d'évaluation visé à l'article
2° elle a atteint les objectifs fixés dans le plan d'encadrement.
191. La Société doit suspendre un permis d'apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l'un ou plusieurs de ces permis, selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 73 ou 76 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation qui, suivant les normes concernant la santé établies par règlement, sont essentiellement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant à l'un des permis ou à l'une des classes de permis qu'il possède.
[17] Le plan d’encadrement mentionné à l’article 45 du Règlement précité résulte d’une entente entre [l’Association A] et la Société de l’assurance automobile du Québec. Les tests ne sont pas parfaits, mais ils ont été conçus par des chercheurs pour dépister les conducteurs à risques de se retrouver derrière un volant, après avoir trop consommé, altérant ainsi leur jugement et leur temps de réaction.
[18] Les conditions pour récupérer son permis de conduire ne sont pas négociables. Il ne s’agit pas d’un marchandage entre l’intimée et le requérant, contre promesse de bonne conduite à venir.
[19] La Cour suprême [4] s’est prononcée en ces termes au sujet de la conduite automobile, « il faut se rappeler cependant que ce droit n’est pas une liberté fondamentale comme le droit ordinaire de circuler dont jouit une personne, mais une activité qui nécessite un permis, c’est-à-dire assujettie à une réglementation et à un contrôle en vue de la protection de la vie des personnes et de la propriété . »
[20] Compte tenu du témoignage du requérant et de ses échecs aux tests, la référence à une évaluation complète était incontournable et aucune autre conclusion ne pouvait s’appliquer. En conséquence, le requérant doit se soumettre aux exigences de la Loi.
Pour tous ces motifs, le Tribunal :
Confirme la décision du 17 juin 2010;
Rejette le présent recours.
Me Maryse Drapeau
Procureure de la partie intimée
[1] C’est un oncle et une tante qui viendront à son secours : « Ils m’ont ramassé ».
[2] Le requérant disposait d’un couteau. Il présume que c’est lui qui s’est fait ses entailles dont il ne conserve aucun souvenir.
[3] c. C-24.2, r.0.1.0001.
[4] 1985, 2 R.C.S. 2 , 34-35, dans l’affaire Tedman c. La Reine.