S-395-10
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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2010-9857 |
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N o de décision : |
S-395-10 |
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Date : |
18 janvier 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
M e Richard Marcheterre |
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Le Syndicat des employés de magasins et de bureaux de la Société des Alcools du Québec (CSN) |
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Ci-après appelé(e) « le syndicat » |
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Et |
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La Société des Alcools du Québec |
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Ci-après appelé(e) « l’employeur » |
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Plaignant(e) : |
Employés à temps partiel |
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Grief(s) : |
n o du syndicat |
M-2007-04-0204 |
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Convention collective : |
16 mars 2005 au 31 mars 2009 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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[1] L’audition du grief M-2007-04-0204 a eu lieu à Montréal le 1 er décembre 2010. Aucun moyen préliminaire d’ordre juridictionnel ou intra juridictionnel n’a été soulevé mais l’Employeur a présenté une défense fondée sur la théorie de l’estoppel. Je note de plus que les parties ont convenu d’appliquer la présente sentence à tout autre grief de même nature.
[2] Le grief M-2007-04-0204 du 10 avril 2007, se lit comme suit (pièce S-2) :
NATURE DU GRIEF :
CONSIDÉRANT plus particulièrement mais non limitativement l’article 8 :19 de la convention collective.
Conformément à la convention collective nous contestons car nous croyons injustifié que les représentants de l’employeur aient refusé de respecter l’article 8 :19 de la convention collective et qu’ils n’aient pas offert aux employés à temps partiel, s’étant absentés pour des raisons prévues à la convention collective, tous les besoins imprévisibles, depuis le ou vers le 25 février 2007, afin de leur permettre de compléter leurs semaines normales de travail.
PAR CONSÉQUENT, NOUS RÉCLAMONS :
Sans préjudice à toutes autres conclusions;
(1 o ) QUE l’employeur cesse cette pratique immédiatement et qu’il permette aux employés à temps partiel de compléter leurs semaines normales de travail de 38 heures;
(2 o ) QUE l’employeur rembourse aux employés à temps partiel de succursale qui ont bénéficié d’un ou des congé/s prévu/s à la convention collective, le salaire pour les heures qu’ils auraient dû effectuer, pour des besoins imprévisibles, depuis ou vers le 25 février 2007, ainsi que pour toutes les périodes à venir jusqu’à ce qu’une sentence arbitrale soit rendue, à taux régulier et/ou à taux supplémentaire selon le cas, avec tous les avantages qui s’y rattachent incluant cotisations syndicales et les intérêts, tels que prévus au Code du travail du Québec;
Et tous les autres droits reconnus dans la convention collective de travail.
[3] Comme dans le cas du grief M-2005-10-425 qui fait l’objet d’une sentence du Tribunal qui précède de peu celle-ci, les parties ont soumis ensemble les éléments qu’elles ont jugés utiles à la solution du litige. Elles ont de plus convenu de déposer la preuve soumise dans cette autre affaire, pertinente à la présente. Elles ont aussi déposé la sentence de l’arbitre Fernand Morin [1] dont le grief sous étude fait état.
[4] La décision de l’arbitre Morin datée du 6 mars 2003, concernait un grief qui contestait le refus de l’Employeur de payer au taux du travail en temps supplémentaire une employée à temps partiel, le Syndicat alléguant alors que ses heures d’absence pour maladie ne devaient pas être considérées du temps travaillé. Elle avait été payée à taux simple.
[5] Je reproduis les admissions suivantes soumises à l’étude de l’arbitre Morin relatives à la pratique de l’Employeur :
7- L’employeur admet que les employés à temps partiel assignés pour un nombre d’heures déterminé selon les règles de l’article 8 de la convention collective, par exemple 38 heures comme dans le présent cas, ne sont pas assignés pour d’autres heures en besoins imprévisibles en cas d’absence en congé maladie ou congé personnel ou autre absence autorisée, et ce en application de l’article 8 :20 de la convention collective;
8- L’employeur prétend que les 21.50 heures en congé maladie ( de la plaignante ) pour la période du 30 septembre 2001 au 6 octobre 2001 ne doivent pas être comptabilisées aux fins d’établir le droit au paiement en temps supplémentaire d’où la correction de paie à taux simple survenue la semaine suivante;
9- Le Syndicat soutient que les 21.50 heures en congé maladie doivent être comptabilisées puisqu’il s’agit d’une absence autorisée et payée par les bénéfices marginaux de 18% (voir bulletins de paie A-1 et A-2) tenant lieu d’avantages sociaux conformément à l’article 50.02 de la convention collective.
[6] Il fallait donc déterminer si les heures d’une absence autorisée d’un employé à temps partiel, devaient être considérées du temps travaillé, donc pris en compte pour établir la rémunération d’heures imprévisibles ajoutées en cours d’assignation. Cette question reposait notamment sur l’appréciation de la règle relative aux bénéfices marginaux des employés à temps partiel, qui est un pourcentage déterminé à l’avance de 18% calculé sur les heures accomplies et rémunérées, en vertu de l’article 50.02 de la convention collective. Tel était le débat de fond devant l’arbitre Morin. Il a décidé ce qui suit [2] :
Ce grief soulève différentes questions selon les
positions respectives des parties que nous tentons d’aborder. D’abord, peut-on
considérer que la durée d’absence pour maladie (admission 2) peut être
assimilée à du temps de travail pour toutes les autres fins de la convention collective.
Certes, par voie de fictions juridiques, on peut considérer ce temps comme s’il
s’agissait d’un temps de travail pour multiples fins. C’est d’ailleurs ce que fit
le législateur lui-même il y a peu de temps encore à l’article
En notre affaire, les parties n’ont pas directement ni expressément effectué une semblable fiction, du moins pour la question des absences au cours de la semaine normale de travail. D’une certaine manière, la disposition que l’on retrouve à l’article 35.01 confirme a contrario cet entendement.
Le fait que l’Employeur verse au salarié à temps
partiel un forfaitaire de 18% ajouté au salaire direct permettait-il de
considérer que ces absences sont non seulement autorisées, mais également
rémunérées. Cette assertion ne nous apparaît pas parfaitement fondée parce que la
cause justifiant ce versement au cours d’une période de maladie n’est certes
pas la maladie mais bien le travail déjà effectué. Il en est ainsi notamment
pour les congés annuels, car la rémunération demeure la contre-prestation de
l’Employeur suite à une prestation de travail (art. 20-
Pour ces raisons, nous ne pouvons considérer que Mme Di-Lillo avait effectivement réalisé ou accompli trente-huit heures de travail au cours de la semaine du 30 septembre au 6 octobre 2001 (admission 2).
[7] Nous retenons que selon l’arbitre Morin, les heures d’une absence autorisée d’un employé à temps partiel ne doivent pas être considérées du temps travaillé. Le présent débat pose la question suivante : Est-ce que la conclusion de l’arbitre Morin s’applique aussi à l’assignation d’heures pour combler des besoins imprévisibles suivant l’article 8 :19 a)?
[8] En effet, la réclamation sous étude concerne les heures nécessaires pour combler des besoins imprévisibles que, selon le Syndicat, l’Employeur devait offrir aux employés à temps partiel en accord avec la décision de l’arbitre Morin, afin qu’ils puissent approcher leur semaine de travail de la semaine normale de 38 heures, étant acquis que ces salariés ne bénéficient pas automatiquement d’un tel nombre d’heures hebdomadaires de travail.
[9] Conséquemment, selon le Syndicat, dès lors qu’un tel employé n’a pas été affecté à au moins 38 heures de travail durant une semaine donnée, il doit être considéré pour l’affectation des heures de travail imprévisible. Cela signifie que dans le calcul de ses heures de disponibilité pour l’assignation d’heures imprévisibles, ses heures d’une absence autorisée parmi celles assignées le jeudi précédent, ne doivent pas être incluses comme si elles avaient été travaillées.
[10] La convention établit un ordre de l’assignation régulière d’une semaine de travail sur la base des besoins prévisibles et ensuite des heures imprévisibles en cours d’assignation. Le vice-président syndical aux relations de travail, monsieur Simon-Mathieu Malenfant, le décrit comme suit :
1 o - Les besoins prévisibles sont d’abord comblés selon l’ancienneté et la disponibilité exprimée, dans l’ordre suivant:
a) Les employés réguliers;
b) Les employés réguliers détenteurs d’un poste 16-19.5;
c) Les « postes composés » pour des semaines de 38 heures;
d) Le reste des heures pour le comblement de besoins prévisibles est distribué entre les employés à temps partiel.
2 o - Vient ensuite le comblement des besoins imprévisibles , par exemple en raison d’une absence non prévue d’un employé un jour donné. Ce sont ces heures qui sont réclamées par le grief.
[11] Monsieur Malenfant soutient que les règles d’assignation des heures imprévisibles doivent être appliquées aux salariés à temps partiel dont les affectations pour une semaine donnée pour les heures planifiées ou prévisibles, ne totalisent pas au moins 38 heures.
[12] Il explique qu’une succursale doit déclarer un besoin imprévisible à sa division dont les heures nécessaires à combler le sont par ordre décroissant d’ancienneté parmi les employés à temps partiel volontaires et disponibles, jusqu’à ce que le besoin soit comblé.
[13] Il précise que trois raisons peuvent justifier de ne pas offrir ces heures à un employé à temps partiel : 1- il a déjà obtenu 38 heures de travail la semaine où ce besoin doit être comblé, 2- on regarde d’abord les possibilités de morcellement parmi les employés détenteurs de poste, 3- la non disponibilité de l’employé à temps partiel en regard du besoin à combler.
[14] Monsieur Malenfant fait état d’un différend entre les parties, à savoir si les heures qui doivent être prises en compte sont celles assignées ou celles effectivement accomplies, ce qui, dans le premier cas, inclurait les heures d’absence parce qu’elles étaient initialement assignées, alors que dans le second cas, elles seraient écartées du calcul des heures disponibles de l’employé parce que non accomplies.
[15] Pratiquement, cela signifie que l’employé à temps partiel qui s’était vu assigner 38 heures de travail une semaine donnée, ne pourrait se voir offrir des heures pour combler des besoins imprévisibles malgré qu’il n’ait pas travaillé toutes les 38 heures assignées en raison d’une absence autorisée, par exemple pour maladie. C’est la théorie des « heures assignées » soutenue par l’Employeur. Le Syndicat est plutôt d’avis que cet employé peut être rappelé à travailler en dehors de son horaire initial de 38 heures, mais rémunéré à temps simple, en conformité avec la décision de mon collègue Morin, donc en écartant les heures assignées non accomplies. C’est la théorie des « heures accomplies »
[16] Il faut rappeler que l’arbitre Morin a considéré que l’avantage forfaitaire de 18% de leur rémunération, dont les employés à temps partiel bénéficient, n’engendrait pas l’assomption que les heures d’absences autorisées soient des heures travaillées. Il en a conclu que ces heures d’une absence autorisée ne devaient pas être considérées comme travaillées et ne doivent pas être comptabilisées parmi les heures « effectivement accomplies ».
[17] Cela a pour conséquence que les heures ajoutées qui demeurent à l’intérieur des paramètres de la rémunération à taux simple, doivent être rémunérées à ce taux. Cela tient du fait que la théorie des « heures effectivement accomplies » fait des heures ajoutées, des heures de remplacement à l’intérieur de 38 heures, sauf les heures parmi celles ajoutées, qui excéderaient le total hebdomadaire de 38 heures, si tant est que l’Employeur ait décidé d’affecter aussi l’employé en temps supplémentaire.
[18] Le Syndicat en tire la conclusion que l’Employeur ne peut assumer par fiction que les heures d’absences étaient travaillées et, conséquemment, il devait offrir à ces mêmes employés des heures pour le comblement d’un besoin imprévisible, de manière à ce qu’ils puissent approcher le nombre régulier d’heures pour une semaine de travail, soit 38 heures, travaillées et rémunérées.
[19] Pour sa part, monsieur Jérôme Soucy confirme la description du litige qu’en a faite monsieur Malenfant et il ajoute qu’à sa connaissance, la façon contestée d’affecter les heures de travail imprévisibles se fait ainsi depuis « toujours ». Il explique donc que dès lors qu’un employé à temps partiel était déjà assigné à 38 heures de travail une semaine donnée, aucune heure pour combler un besoin imprévisible ne lui était offerte, qu’il ait ou non travaillé toutes les 38 heures assignées pour lesquelles il avait été initialement affecté, en application des heures « assignées » plutôt que « travaillées ou accomplies ».
[20] L’Employeur soutient que la position syndicale sur l’attribution des heures nécessaires au comblement d’un besoin imprévisible, ajoute à la convention collective en accordant un possible rang prioritaire à un employé à temps partiel pour se voir offrir ces heures, au motif qu’il s’est absenté durant des heures assignées.
[21] D’autre part, le procureur de l’Employeur rappelle que la convention collective ne l’oblige pas à accorder 38 heures hebdomadaires de travail à un employé à temps partiel. Le principe n’est que de tenter de s’en approcher par le biais, notamment, de l’affectation d’heures de travail pour le comblement d’un besoin imprévisible. Il me faut indiquer à ce stade sur ce sujet, que le Syndicat n’a pas prétendu que l’Employeur avait une telle obligation mais plutôt que la convention collective établit un régime d’affectation des heures de travail pour un besoin imprévisible et que c’est à cet égard que l’Employeur contrevient à la convention.
[22] L’Employeur prétend d’autre part que la preuve soutient la défense d’estoppel, rappelant que non seulement monsieur Soucy a déclaré sans être contredit que la manière d’affecter les employés à temps partiel dans la situation dénoncée par le grief était appliquée depuis au moins 1997, mais aussi que le Syndicat ne peut prétendre que le grief décidé par l’arbitre Morin a mis fin à celle-ci, car l’objet de ce grief n’était pas le même qu’en l’instance, celui-là concernant la rémunération alors que celui-ci traite de l’affectation du travail.
[23] Selon l’Employeur, il en va de même des deux griefs du 26 novembre 2003 et du 12 décembre 2003 soumis en liasse sous la cote S-3. Or, ces derniers demandaient non seulement que les employés à temps partiel soient rémunérés au taux du travail en temps supplémentaire, mais aussi que ces heures pour le comblement d’un besoin imprévisible leur soit offertes. On peut en effet lire dans chacun des griefs la dénonciation et la conclusion suivantes:
[Dénonciation] « que l’employeur refuse de respecter l’article 8 :19 de la convention collective et d’assigner les employés à temps partiel ayant bénéficié d’un congé en vertu de la convention collective, selon la liste d’assignation, lorsque survient (sic) des besoins imprévisibles afin de leur permettre de compléter leur semaine normale de travail. »
[Réclamation] « et qu’il permette aux employés à temps partiel de succursale de compléter leur semaine de travail de 38 heures. »
[24] Comme on peut le constater, dès 2003 le Syndicat avait contesté le mode d’attribution des heures visant à combler des besoins imprévisibles, dans le cas spécifique des employés à temps partiel qui s’étaient absentés durant des heures assignées initialement pour une semaine donnée de travail. À ce moment, le Syndicat utilisait l’expression « d’assigner les employés… » alors qu’en vertu du grief sous étude, il emploi celle « « qu’ils n’aient pas offert aux employés… »
[25] L’Employeur soutient que le débat est donc différent puisqu’il s’agissait d’assignation en 2003 alors qu’en vertu du présent grief il s’agit d’offrir le travail. Pour lui, donc, le débat entourant « l’offre » de travail est demeuré et, à cet égard, il n’y aurait eu aucune contestation de la part du Syndicat avant le grief sous étude soumis en 2007.
[26] Je suis toutefois d’avis que ce discours de sémantique tourne autour de la même réalité, au point, d’ailleurs, que les témoins tout comme les procureurs utilisent parfois comme s’ils étaient synonymes, ou au moins de même nature, les mots « affecter, offrir et assigner », mais en regard d’une même réalité, celle de permettre aux employés à temps partiel d’ajouter des heures à celles initialement assignées.
[27] Le débat en 2003 et celui soulevé en 2007 est donc le même, il n’est qu’exprimé en des mots différents qui visent toutefois la même réalité. Je suis donc d’avis que l’objet des griefs de 2003 et de celui de 2007, est le même, celui des affectations de travail à des employés à temps partiel, par l’ajout d’heures visant à combler des besoins imprévisibles, afin de leur permettre d’approcher une semaine dite normale de travail, soit 38 heures.
[28] Conséquemment, depuis le 26 novembre 2003 et ensuite le 12 décembre 2003, le Syndicat a clairement dénoncé la façon de faire de l’Employeur et, de ce fait, la défense d’estoppel ne peut être reçue, l’Employeur devant savoir depuis au moins ces deux griefs, que ses affectations et/ou son refus d’offrir des heures d’un besoin imprévisible sur la base des « heures assignées », étaient contestées.
[29] L’offre d’heures de travail pour un besoin imprévisible est encadrée par l’article 8 :19 a) qui se lit comme suit :
Pour tout besoin imprévisible survenant en cours d’assignation, l’employeur offre les heures à effectuer en respectant le même ordre que celui de l’assignation à la semaine et sans modifier les assignations déjà existantes. Cependant, tout employé à temps partiel peut refuser une telle offre d’assignation sans se voir imputer un refus et sans que cela l’empêche de se voir offrir tout nouveau besoin.
[30] Aux fins des présentes, il faut assumer que le litige ne porte pas sur l’ordre de l’offre des heures nécessaires pour combler un besoin imprévisible, avant qu’à son tour, elle soit adressée à un employé à temps partiel. C’est à ce moment que le litige naît et il ne concerne que la question suivante : Est-ce que l’Employeur est tenu d’offrir de telles heures à un employé à temps partiel si lesdites heures se retrouvent en dehors de son horaire initial? ( heures d’absence incluses - théorie des heures assignées )
[31] Pour l’Employeur, la réponse se retrouve notamment à l’article 8.20 qui se lit comme suit :
Un employé régulier détenteur d’un poste 16-19.5 heures et l’employé à temps partiel ou occasionnel ne peuvent exiger d’être assigné pour un horaire de plus de trente-huit (38) heures semaines. De plus, il ne peut exiger un horaire dépassant 10 heures dans une même journée, le tout sous réserve des droits prévus à l’article 11.
[32] Cette disposition détermine clairement que l’employé à temps partiel et celui qui détient un poste 16-19.5, ne peuvent exiger de travailler plus de 38 heures durant une semaine ou 10 heures un jour donné. C’est à cet égard qu’il faut déterminer si les heures assignées durant lesquelles il s’absente, doivent être considérées des heures assignées ou accomplies. Comme nous l’avons vu, parce que le litige soumis à l’étude de l’arbitre Morin concernait la rémunération d’heures ajoutées à celles déjà assignées à une employée à temps partiel qui s’était absentée pendant certaines de ses heures assignées, il a eu à déterminer si ces heures ajoutées pour un besoin imprévisible l’étaient en temps supplémentaire, donc au-delà de 38 heures par semaine ou 10 heures un jour donné.
[33] Parce que l’arbitre Morin a conclu que les heures ajoutées ne devaient être payées qu’à taux simple parce que celles de l’absence autorisée l’étaient aussi, ne devant donc pas être considérées comme du temps travaillé auquel des heures étaient ajoutées, il faut assumer que la semaine de travail peut être complétée à l’intérieur de celle initialement assignée, par le remplacement des heures de l’absence autorisée, par des heures visant le comblement d’un besoin imprévisible.
[34] Je n’ai pas de motif me permettant d’écarter le raisonnement de l’arbitre Morin sur ce sujet, sans compter que la preuve n’a pas démontré que sa décision avait fait l’objet d’une révision judiciaire.
[35] Il faut en conclure que l’employé qui s’est absenté pendant des heures de travail qui lui avaient initialement été assignées, a droit d’être assigné à des heures pour des besoins imprévisibles, sans que l’Employeur ne comptabilise celles de son absence, comme si elles avaient été travaillées.
[36] Pour illustrer, cela signifie que lorsque l’un de ces employés a été initialement affecté 38 heures une semaine donné et qu’il s’absente pendant 10 de ces heures, l’Employeur devra considérer qu’il est disponible pendant 10 heures pour des heures imprévisibles, avant d’atteindre de nouveau la limite de 38 heures à laquelle il peut prétendre, stipulée à l’article 8 :20. Conséquemment, en accord avec la décision de l’arbitre Morin, ces 10 heures deviennent des heures de remplacement de celles de l’absence et elles seront rémunérées à taux simple parce qu’à l’intérieur de la semaine normale de travail de 38 heures.
[37] Il me faut conclure ainsi car si ce n’était pas le cas, il y aurait une incohérence entre la décision de l’arbitre Morin sur la rémunération et celle que je rends sur l’offre d’heures imprévisibles car, dans le premier cas, les heures d’absence ne doivent pas être comptabilisées alors que si je donnais raison à l’Employeur, il me faudrait conclure que ces mêmes heures devraient plutôt être comptabilisées aux fins de l’offre, lesquelles déterminent pourtant la rémunération. Conséquemment, la logique des assignations ou offres et de la rémunération est obligatoirement unique.
[38] L’Employeur soutient d’autre part que conclure ainsi a pour effet de modifier les assignations déterminées pour l’horaire d’une semaine publié le jeudi précédent, alors que l’article 8 :19 a) l’interdit.
[39] Je partage le principe avancé par le procureur de l’Employeur sur ce sujet mais, encore une fois, l’effet de la sentence Morin qui constate le droit entre les parties sur la question de la rémunération, impose par souci de cohérence, de considérer que les heures offertes en cours d’assignation en remplacement d’heures assignées en raison d’une absence autorisée, n’ont pas pour effet de modifier les assignations précédentes mais de les remplacer.
[40] L’article 8 :19 a) doit être mis dans son contexte pour autoriser une telle approche. En effet, l’explication soumise par les parties en regard des assignations de travail indique qu’elles ont privilégié une certaine stabilité qui se traduit par la publication d’un horaire pour chaque employé le jeudi, pour la semaine suivante. Ainsi, tous savent ce jour-là la somme de travail à accomplir la semaine suivante.
[41] De plus, les heures dites imprévisibles ne viennent s’ajouter au fardeau d’assignation que parce qu’elles surgissent sans préavis, donc à la dernière minute, « en cours d’assignation » (art. 8 :19 a)), c’est-à-dire pendant l’exécution du travail aux heures inscrites à l’horaire de chaque employé le jeudi précédent.
[42] Conséquemment, en écrivant « et sans modifier les assignations existantes », les parties ont voulu signifier leur volonté que les horaires établis à l'avance ne soient pas perturbés par les besoins imprévisibles, car cela risque d’entraîner l’instabilité par un changement des assignations prévues par celles imprévisibles.
[43] Cela se traduit toutefois de façon différente lorsqu’il s’agit d’heures assignées à l’horaire pendant lesquelles l’employé s’absente, créant ainsi lui-même un besoin imprévisible qui peut être comblé sans « modifier les assignations » effectuées la semaine précédente. Les heures qui seront affectées à un employé pendant l’absence de son collègue, le seront sans modifier ses assignations alors que les heures assignées à l’employé absent remplaceront celles de son absence sans pour autant modifier ses assignations initiales, car elles se situeront ailleurs dans sa semaine de travail, comme toute autre heure imprévisible, ne modifiant pas ainsi sa semaine de travail.
[44] Sous réserve des autres règles qui gouvernent l’offre d’heures et leur assignation pour le comblement d’un besoin imprévisible, la conclusion logique à retenir, avec respect pour l’opinion contraire, est que les heures d’absence ne doivent pas être comptabilisées et que les heures assignées et travaillées doivent être rémunérées de manière normales, soit à taux simple à l’intérieur d’un total de 38 heures sans inclure les heures d’absence, ou au taux du travail en temps supplémentaire pour celles qui excèdent le total de 38 heures, sans comptabiliser les heures d’absence.
[45] J’estime à cet égard que le lien que fait l’Employeur entre l’article 8 :19 a) et l’article 8 :20 ne couvre pas toute la réalité du litige. Je m’explique.
[46] On sait que l’employé à temps partiel qui détient un poste 16-19.5 heures, se voit d’abord assigner des heures à ce titre. On sait aussi que d’autres heures peuvent être ajoutées afin qu’il puisse approcher la semaine régulière de 38 heures de travail. Le jeudi précédant la semaine à travailler, il reçoit son horaire de travail sur lequel un nombre d’heures lui sont assignées. C’est son horaire pour cette semaine.
[47] C’est à cet horaire que des heures pour des besoins imprévisibles sont susceptibles d’être ajoutées, par exemple à la suite de l’absence pour maladie d’un autre employé, sans préavis. Cette absence n’a donc pas été comblée lors de la confection de l’horaire affiché le jeudi précédent et mais en cours d’assignation, comme le prescrit l’article 8 :19 a).
[48] Ces heures dites imprévisibles, peuvent être offertes aux salariés à temps partiel et à l’employé qui détient un poste 16-19.5, par ordre d’ancienneté et selon la disponibilité de chacun suivant l’article 8 :19 a). Ainsi, à titre d’illustration, lorsqu’un salarié à temps partiel ne s’est vu octroyer que 25 heures de travail une semaine, il est susceptible de se voir offrir jusqu’à 13 heures de plus pour atteindre la durée normale de 38 heures d’une semaine de travail et voire même plus en temps supplémentaire suivant l’article 11, si l’Employeur le lui demande.
[49] L’article 8 :20 porte le débat sur un autre plan. Il concerne les salariés réguliers détenteurs d’un poste 16-19.5, ceux à temps partiel et les occasionnels, tous des employés dont l’horaire de travail est comblé par les heures qui n’ont pas déjà été attribuées aux employés réguliers et à l’employé à temps partiel détenteur d’un poste 16-19.5 heures, à l’intérieur dudit poste.
[50] Cette disposition ne fait que limiter expressément le droit de ces employés d’exiger d’être assigné plus de 38 heures pendant une semaine ou 10 heures un jour donné. Le lien de cette clause avec l’assignation d’heures imprévisibles en vertu de l’article 8 :19 a), ne concerne donc que la portion des heures pour lesquelles un employé est disponible pour de se les voir confier, à l’intérieur de 38 heures de travail par semaine ou 10 heures un jour donné.
[51] Conséquemment, si le bloc d’heures à être assignées à un employé fait en sorte que le total de ses heures assignées initialement additionnées de celles imprévisibles dépassent 38 heures, il ne peut exiger l’assignation car il faudrait soit modifier ses assignations initiales ou forcer le paiement de temps supplémentaire, ce que les articles 8 :19 a) et 8 :20 interdisent, le premier en regard de la modification des assignations initiales et le second en regard du temps supplémentaire.
[52] Mais il faut rappeler qu’à la suite de la décision Morin, il faut écarter de ce calcul la portion des heures d’absence de cet employé pendant les heures qui lui avaient été assignées la semaine précédente. Si donc il avait été assigné pour 30 heures de travail mais qu’il s’est absenté pendant 10 heures de celles-ci, sa disponibilité sera potentiellement de 18 heures, soit 30 assignées - 10 d’absence + 18 heures de disponibles dont 10 remplacent les heures d’absence, pour un total de 38 heures.
[53] D’autre part, il ne faut pas mêler les assignations des heures imprévisibles (art. 8 :19 a)) et leur rémunération (art. 11). En effet, l’objet de l’article 11 n’est que la rémunération des heures déjà assignées ou demandées par l’Employeur en sus de la semaine de 38 heures ou de la journée de 10 heures. Cela n’intervient pas dans l’affectation des heures imprévisibles, quelque soit la raison de leur affectation. Quant à l’article 8 :20, il n’a pas pour objet d’empêcher l’assignation d’heures imprévisibles en remplacement d’heures d’absence parmi celles qui avaient été assignées, mais de limiter le droit de l’employé concerné d’exiger qu’une affectation imprévisible lui soit accordée si cela a pour effet de dépasser le total de 38 heures hebdomadaires ou de 10 heures quotidiennes, mais en ne comptant pas ses heures d’absence.
CONCLUSION
[54] Considérant la décision de l’arbitre Morin et, conséquemment, que les heures imprévisibles assignées à un employé à temps partiel en remplacement de ses heures d’absence en cours d’assignation initiale, ne doivent pas être toutes additionnées à celles qui avaient été initialement assignées car, jusqu’à concurrence des heures d’absence, elles ne sont que de remplacement. Donc, seules les heures au-delà du nombre de celles de l’absence, sont additionnées.
[55] La rémunération sera alors conforme à l’article 11 et seules les heures qui excèdent 38 heures une semaine ou 10 heures un jour donné, seront rémunérées au taux du travail en temps supplémentaire, alors que les autres, à l’intérieur de ces balises de 38 et 10 heures, le seront à taux simple, comme l’arbitre Morin l’a déterminé.
DÉCISION
[56] Pour ces motifs le grief M 2007-04-0204 est accueilli;
[57] Il est ordonné à l’Employeur d’offrir les heures de besoins imprévisibles aux employés à temps partiel qui se sont absentées pour des raisons prévues à la convention collective, en ne comptabilisant pas les heures d’absence comme si elles avaient été travaillées ou accomplies.
[58] Ces heures pour les besoins imprévisibles doivent alors être offertes à ces employés suivant les termes de l’article 8 :19 a) et en respectant l’interdiction qui leur est imposée par l’article 8 :20 d’exiger un total hebdomadaire de plus de 38 heures ou de 10 heures quotidiennes. Les heures assignées pour les besoins imprévisibles seront rémunérées à taux simple en deçà de 38 heures au total durant la semaine de travail ou 10 heures un jour donné et en temps supplémentaire si l’Employeur en a fait la demande, au-delà de 38 ou 10 heures selon le cas, tel que l’article 11 le prescrit.
[59] Conséquemment, il est ordonné à l’Employeur de rembourser aux employés à temps partiel concernés par le grief « le salaire pour les heures qu’ils auraient dû effectuer pour des besoins imprévisibles, depuis le ou vers le 25 février 2007 », en les rémunérant comme prescrit précédemment.
[60] Il est aussi ordonné à l’Employeur, s’il y a lieu, de reconnaître à ces employés tout autre avantage dont ils ont pu être privés du fait de ne pas avoir été assignés comme prescrit précédemment.
[61] L’indemnité à être versée à chacun des employés concernés est majorée de l’intérêt prévu par le Code du travail du Québec , calculé depuis la date de la soumission du grief, le 10 avril 2007.
[62] À défaut des parties de déterminer lesdites indemnités et autres avantages, et à l’Employeur de verser celles-ci et de reconnaître lesdits avantages, le cas échéant, dans les trente (30) jours de la présente, les parties seront convoquées de nouveau pour audition, sur demande écrite de l’une des parties à cet effet, auquel cas les parties pourront faire valoir toute preuve et/ou argument pertinent à la détermination par le Tribunal desdites indemnités et avantage(s) devant être reconnu(s) par l’Employeur, le cas échéant.
Fait à Sherbrooke, ce 18 janvier 2011.
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Richard Marcheterre, arbitre
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Pour le syndicat : |
Maître Zoé Poulin |
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Pour l’employeur : |
Maître Michel Brisebois |
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Date(s) d’audience : |
1 er décembre 2010 |
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Date(s) de délibéré : |
13, 14 et 18 janvier 2011 |
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