[1] Par avis du 26 octobre 2010, la Régie des alcools, des courses et des jeux (ci-après nommée « la Régie ») a convoqué en audience la titulaire en vue de procéder à une enquête et de déterminer si elle avait manqué à ses obligations légales, en rapport avec les reproches mentionnés à l’avis et, le cas échéant, aux fins de sanctionner tel manquement.
LES FAITS
[2] Les faits qui ont donné ouverture à la convocation se résument comme suit à l’avis :
[Transcription conforme]
Contenant(s) non timbré(s)
Le 17 février 2010, les policiers ont saisi, dans votre établissement, le(s) contenant(s) de boisson(s) alcoolique(s) suivant(s) (Document 1) :
- 1 bouteille(s) de boisson(s) alcoolique(s) de 1,14 litre(s) de marque Johnnie Walker , 40 % alc./vol.
Le timbre de la Société des alcools du Québec n'était pas apposé sur ce(s) contenant(s).
Ce(s) contenant(s) a (ont) été trouvé(s) sur la tablette du bar central.
Total en litres du (des) contenant(s) non timbré(s) : 1,14 litre(s).
Contenant(s) de boisson(s) alcoolique(s) ne provenant pas de la Société des alcools du Québec/ Contenant(s) non timbré(s)
Le 17 février 2010, les policiers ont saisi, dans votre établissement, le(s) contenant(s) de boisson(s) alcoolique(s) suivant(s) (Document 1) :
- 1 bouteille(s) de boisson(s) alcoolique(s) de 750 millilitre(s) de marque Martini Bianco , 16 % alc./vol.
- 1 bouteille(s) de boisson(s) alcoolique(s) de 750 millilitre(s) de marque Martini Rosso , 16 % alc./vol.
Ce(s) contenant(s) a (ont) été trouvé(s) en dessous du comptoir, près des robinets.
Le(s) rapport(s) d'expertise de la SAQ de cette(ces) boisson(s) mentionne(nt) ce qui suit : « Ce produit n'est pas commercialisé par la S.A.Q. et n'est pas fabriqué, embouteillé ou livré conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec. ».
Total en litres de la (des) boisson(s) alcoolique(s) ne provenant pas de la S.A.Q. : 1,5 litre(s).
AUTRES INFORMATIONS PERTINENTES
Restaurant Mordechai Holdings inc. est autorisé(e) à exploiter cet établissement depuis le 27 novembre 2008.
La date d'anniversaire du(des) permis est le 9 janvier.
[3] L’audience s’est tenue au Palais de justice de Montréal, le 16 décembre 2010. La titulaire était représentée par M me Esther Abergel-Israël. La Direction du contentieux de la Régie était représentée par M e Bianca Catherine Rossi. M me Aline Abergel était présente à titre de témoin.
PREUVE DE LA TITULAIRE
Témoignage de M me Esther Abergel-Israël
[4] La preuve documentaire est à l’effet que deux policiers du SPVM, lors d’une inspection systématique qui a eu lieu le 17 février 2010, ont saisi un contenant de boisson alcoolique Johnnie Walker Red Label, non timbré et deux contenants (un Martini Blanco et un Martini Rosso) ne provenant pas de la SAQ et non commercialisés par celle-ci (document 1).
[5] Dans son témoignage, M me Abergel-Israël, responsable de la titulaire, explique que l’établissement est un restaurant qui offre également un service de traiteur lors des banquets ayant lieu sur place.
[6] L’agence qui emploie les serveurs pour les banquets est censée avoir fait les vérifications d’usage quant à leur fiabilité.
[7] Elle ajoute que la période autour du 16 février 2010, étant une période de fête juive, le restaurant était très occupé. Elle a, conséquemment, eu recours à l’agence pour les services de serveurs.
[8] Suite aux saisies qui ont eu lieu le 17 février 2010, M me Abergel-Israël, étonnée par la présence, dans son établissement, d’une bouteille de Johnnie Walker Red Label non timbrée, décide de faire installer des caméras dans son établissement afin de surveiller les pratiques et les comportements des employé(es) qui y travaillent.
[9] La responsable de la titulaire souligne également que le restaurant vend rarement le Johnnie Walker Red Label, mais plutôt le Black Label.
[10] Grâce à la surveillance des caméras, elle découvre qu’un serveur (de l’agence) avait caché sous le bar, une bouteille de Johnnie Walker Red Label, apportée par lui, et qu’il buvait en cachette pendant son travail.
[11] Il a été congédié.
[12] Quant aux deux bouteilles de Martini, la responsable de la titulaire fait valoir que celles-ci n’étaient que des cadeaux pour elle et sa fille Aline, offertes le 11 février 2010 par un importateur, pour consommation personnelle.
Témoignage de Aline Abergel (fille de M me Abergel-Israël)
[13] Suite aux saisies de Johnnie Walker Red Label, M me Abergel-Israël et sa fille ont ouvert une investigation privée, car l’établissement titulaire n’achète que rarement cette marque de boisson alcoolique.
[14] Subséquemment à l’enquête, le serveur confronté a avoué avoir un problème d’alcool, d’avoir apporté lui-même et caché la bouteille en question.
[15] Ce serveur ne travaille plus à l’établissement.
[16] Les deux Martinis, des produits cachers, importés d’Israël par M.G. Elbaz, lui ont été offerts pour dégustation, comme cadeau, mais elle a oublié de les apporter à la maison.
[17] Elle fait savoir que, maintenant, ces produits sont parmi des boissons alcooliques vendues par la SAQ.
[18] Après cet incident, réalisant que les serveurs n’étaient pas surveillés, elle a dû instaurer des mesures serrées : les employés et les serveurs d’agence doivent laisser leurs manteaux et sacs à dos au vestiaire à l’entrée de l’établissement.
[19] Elle plaide que les deux reproches ne sont que des cas isolés dus à une erreur humaine. D’ailleurs, fait-elle valoir, c’est une première infraction pour la titulaire.
LE DROIT
[20] Les dispositions légales qui s’appliquent dans le présent dossier sont les suivantes :
Loi sur les infractions en matière de boissons alcooliques [1] (LIMBA)
82.1. Sous réserve des droits qui lui sont conférés par la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13), à titre de titulaire de permis de boisson artisanale ou de producteur artisanal de bière, un titulaire de permis ne peut garder, posséder ou vendre dans son établissement :
1º des boissons alcooliques autres que la bière, le cidre léger ou celles visées au deuxième alinéa qui n'ont pas été achetées directement de la Société;
[…]
84. Il est défendu à un titulaire de permis de garder dans l'établissement où ce permis est exploité un contenant de boissons alcooliques autres que la bière et le cidre et sur lequel n'est pas apposé le timbre de la Société ou un contenant de boissons alcooliques fabriquées par un titulaire de permis de production artisanale sur lequel n'est pas apposé un autocollant numéroté de la Régie.
[…]
Loi sur les permis d’alcool [2] (LPA)
72.1. Un titulaire de permis autorisant la vente ou le service de boissons alcooliques ne doit tolérer dans son établissement que la présence de boissons alcooliques acquises, conformément à son permis, de la Société ou d'un titulaire de permis de production artisanale, de brasseur, de distributeur de bière ou de fabricant de cidre, délivrés en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13), ou d'un agent d'un tel titulaire de permis.
[…]
86. […]
La Régie doit révoquer ou suspendre un permis si :
[…]
4º le titulaire du permis a contrevenu à l'article 72.1;
[…]
La Régie, dans la détermination de la sanction administrative pour contravention à l'article 72.1, tient compte notamment des facteurs aggravants suivants :
a) la quantité de boissons alcooliques ou d'appareils de loterie vidéo;
b) le fait que les boissons alcooliques sont de mauvaise qualité ou impropres à la consommation;
c) le fait que les boissons alcooliques sont fabriquées frauduleusement ou falsifiées;
d) le fait que le titulaire du permis a contrevenu à l'article 72.1 dans les cinq dernières années;
e) le fait que les boissons alcooliques ne sont pas commercialisées par la Société des alcools du Québec et qu'elles ne sont pas fabriquées, embouteillées ou livrées conformément à un permis délivré en vertu de la Loi sur la Société des alcools du Québec (chapitre S-13).
ANALYSE
La Régie doit décider si la titulaire a contrevenu à
l’article
[21]
L’ensemble
de la législation en matière d’alcool démontre l’intention du législateur
d’assurer un contrôle très serré du commerce des boissons alcooliques au
Québec, tant au niveau de la fabrication et de la distribution que de la vente.
Selon les articles 72.1 et 86, 2
e
alinéa (
[22] La Régie estime qu’un titulaire qui connaît la présence, dans son établissement, de boissons alcooliques non acquises conformément à son permis ou qui est présumé être au fait de cette présence, mais qui n’a pas pris les moyens qui s’imposent pour s’en départir dans un délai raisonnable, contrevient à la loi. Il en est de même de celui qui, sans connaître cette présence, n’a pas pris les mesures nécessaires afin de s’assurer que cette situation ne se produise pas.
[23]
L’absence
du timbre de la SAQ sur la bouteille de Johnnie Walker Red Label saisie révèle
d’abord une contravention à l’article
[24] D’ailleurs, la titulaire avoue que cette bouteille de boisson n’était pas timbrée car elle avait été acquise et apportée sur les lieux par un serveur pour sa consommation personnelle.
[25] Dans ce contexte, il est clair qu’un titulaire doit prendre toutes les mesures nécessaires pour éviter que des boissons alcooliques non acquises conformément à son permis ne se trouvent dans son établissement.
[26] Quant aux deux autres bouteilles reçues comme cadeaux, ces boissons ne provenant pas de la SAQ, la titulaire n’aurait pas dû les tolérer dans son établissement. À ce sujet, le responsable de la titulaire avoue son erreur et s’en excuse.
[27] Ici, la Régie fait référence à l’arrêt Reubens, dans lequel le juge Baudouin écrit ceci :
[8] La requête plaide que pour « tolérer » quelque chose, il faut avoir une intention de le faire ou, du moins, commettre une faute par négligence. À mon avis, elle a tort.
[9] Selon le Petit Robert que la requérante nous a cité, le mot « tolérer » ne signifie pas simplement
« autoriser », ou « permettre », mais aussi « laisser se produire ». De même, en langue anglaise, « to tolerate » s’entend (et je cite le « Random House Dictionary ») … « to allow the existence, presence, practice or act of without prohibition or hindrance ».
[10] Il n’était donc pas manifestement déraisonnable pour les deux instances administratives de donner une interprétation stricte et objective au mot en question et d’exclure toute intention coupable ». [3]
[28]
Comme
il y a contravention à l’article
[29] Une suspension d’une durée de deux jours est raisonnable et justifiée dans les circonstances.
[30] La Régie prend, toutefois, en considération que la titulaire a pris des mesures concrètes afin de rectifier la situation et que c’est une première infraction pour elle depuis novembre 2008.
[31] La Régie souligne également que l’objectif de la suspension ne vise pas à punir la titulaire, en lui imposant une mesure disciplinaire qui lui servira de leçon, mais plutôt de s’assurer que cette mesure serve à la responsabiliser et à l’inciter à respecter la loi.
PAR CES MOTIFS, |
SUSPEND |
pour une période de 2 jours, le permis de restaurant pour vendre n o 9248824 dont Restaurant Mordechai Holdings inc. est titulaire, et ce, à compter de la mise sous scellés des boissons alcooliques par un inspecteur de la Régie ou par le corps policier dûment mandaté à cette fin; et |
|
|
ORDONNE |
pendant la période de suspension la mise sous scellés des boissons alcooliques se trouvant sur les lieux par un inspecteur de la Régie ou par le corps policier dûment mandaté à cette fin. |
Régisseure