TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2011-0631

 

Date :

10 février 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

Me Gabriel-M. Côté, arbitre

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LA FRATERNITÉ DES POLICIERS ET POLICIÈRES DE VILLE DE SAGUENAY INC.

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

Et

VILLE DE SAGUENAY

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

 

Plaignant(e) :

 

 

Grief(s) :

 

POL 09-02 du 6 février 2009

 

 

 

 

Convention collective :

        2007 à 2011

 

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SENTENCE ARBITRALE

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LE GRIEF ET LA PREUVE

[1]            Le grief, daté du 6 février 2009, est ainsi rédigé (F-2) :

«  NATURE DU GRIEF :           Refus de congés aux employés temporaires, article 9.19

DESCRIPTION DU GRIEF :       Nous contestons le refus de l’employeur d’accorder les congés demandés par les employés temporaires suivants :

-    Josiane Gagnon, le 6 janvier (sic);

-    Michel Parent, le 8 janvier 2009;

-    Pascal Villeneuve, le 16 janvier 2009.

Ces refus sont illégaux et nuls parce que contraire à la convention collective, notamment l’article 9.19.

RÈGLEMENT RECHERCHÉ :   ORDONNER à l’employeur d’accorder un congé correspondant au nombre d’heures demandées à chacun des policiers ci-haut, à être pris selon leur choix et

                                                      ORDONNER à l’employeur de payer les heures de congés refusées au taux de temps supplémentaire, plus intérêts selon le Code du travail .

                                                      DÉCLARER que l’employeur doit tenir compte de la planification hebdomadaire connue au moment de la demande de congé et non des possibilités futures des semaines suivantes. »

[2]            La réclamation est fondée sur le paragraphe 9.19 de la convention collective     F-1 :

«  9.19   L’employé temporaire ne peut pas prendre de congés accumulés et de journée de vacances pendant la période estivale et pendant les deux (2) semaines couvrant la journée de Noël et du jour de l’An, à moins d’autorisation de la direction du service.

La direction du service accorde, en dehors de ces périodes, un congé si la demande ne cause pas de temps supplémentaire et si un autre employé temporaire est disponible pour le remplacement, même si le ratio de congés des employés réguliers est atteint, en tenant compte de la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires connue au moment de la demande du congé.  Ce congé doit être demandé et autorisé quarante-huit (48) heures à l’avance et il peut être refusé lors de situation d’urgence déterminée par la direction du service.  »

[3]            Il est à noter que ce paragraphe 9.19 est de droit nouveau.  En effet, une semblable disposition n’existait pas dans la convention collective F-3, celle qui a immédiatement précédé la convention collective pertinente, la convention F-1.

[4]            En début d’audience, il a été admis par les parties que la procédure de réclamation en ce dossier a été régulièrement suivie et que l’arbitre soussigné, valablement saisi du grief, avait compétence pour en décider sur la question de fond.  Les parties ont en outre demandé au soussigné de conserver compétence pour fixer, s’il accueillait le grief, le montant dû en vertu de sa sentence.  Il va de soi que le soussigné a consenti à cette demande conjointe des parties.

[5]            La partie syndicale a produit à l’audience comme témoins, dans l’ordre, les personnes suivantes, savoir :

-                Monsieur Marc Sénéchal, le président de la Fraternité au moment de la négociation et de la conclusion de la convention collective F-1;

-                Les employés temporaires intéressés par le grief, notamment Monsieur Michel Parent et Madame Josiane Gagnon;

-                Monsieur Jean-François Imbeault, le président par intérim de la Fraternité à partir de quelque part en 2008.

[6]            De son côté, l’employeur a produit comme témoins, Monsieur Mario Giroux, directeur du Service de la sécurité publique et le capitaine responsable de la surveillance du territoire, Guy Labelle.

[7]            Il appert de la preuve, en général, que les salariés compris dans l’unité de négociation ont soit le statut d’employé régulier (permanent), soit le statut d’employé temporaire; qu’il y a au service de police environ cent soixante-cinq (165) salariés permanents et quarante-cinq (45) employés temporaires; que fondamentalement, selon les termes de la convention collective, les services des employés temporaires sont utilisés surtout pour remplacer les permanents absents pour l’une ou l’autre des raisons prévues à la convention collective, mais aussi « pour effectuer du travail en surplus d’effectifs et accomplir certaines tâches spécifiques » .

[8]            Premier témoin produit par la partie syndicale, Monsieur Marc Sénéchal déclare qu’il a été le président de la Fraternité de 2001 à 2008; qu’à ce titre, il a été le porte-parole syndical lors des négociations en vue de la conclusion de la convention collective F-1 (2007-2011), signée effectivement le 19 juin 2008; que le paragraphe 9.19 de cette convention collective F-1 est de droit nouveau; que le texte de ce paragraphe 9.19, il en est, à toute fin pratique, l’auteur et le rédacteur (F-11); que donc sous les conventions collectives antérieures à la convention collective F-1, la discrétion de l’employeur d’accorder ou refuser un congé demandé par un employé temporaire, c’était strictement affaire de droit de gérance; que c’est justement pour encadrer le droit de gérance de l’employeur sous ce rapport que le paragraphe 9.19 a été introduit dans la convention collective F-1.

[9]            Il est en preuve que les salariés intéressés par le grief, des employés temporaires, ont demandé de prendre des jours de congé dans la semaine s’étendant du 11 au 17 janvier 2009.  La direction du service a refusé d’autoriser ces demandes de congé.  En effet, le jeudi 8 janvier 2009, l’employeur, sous les espèces du capitaine Guy Labelle, a publié une note de service ainsi libellée (E-9) : « Bien vouloir prendre note qu’aucun congé ne sera accordé aux policiers(ères) temporaires lors du Tournoi Pee Wee et ce, pour la période du 11 janvier au 17 janvier inclusivement. » .

[10]         Le Tournoi Pee Wee dont il est question en cette note de service E-9 est le tournoi provincial de hockey Pee Wee de Jonquière (Tournoi Pee Wee), un événement annuel dont sont responsables les policiers de la Ville.  À chaque année, c’est classique, la Ville accorde aux policiers qui sont membres du comité organisateur de ce tournoi, un nombre d’heures de libération avec solde.  En ce qui concerne le Tournoi Pee Wee 2009, la résolution de la Ville de Saguenay, dans sa partie la plus pertinente, se lit comme suit : « Que la Ville de Saguenay accorde aux membres du comité organisateur, dans le cadre de l’organisation du tournoi provincial Pee Wee de Jonquière, jusqu’à un maximum de 700 heures de libération avec solde, dont 250 heures ne devront entraîner aucun coût de remplacements et de temps supplémentaires, pour le Service de la sécurité publique et ce, pour les prochaines éditions. » (E-3).

[11]         Premier témoin produit par la Fraternité, le plaignant, l’employé temporaire Michel Parent, déclare que le 4 janvier 2009, il a demandé l’autorisation de s’absenter, cinq (5) jours, du 12 au 16 janvier 2009, à l’occasion du tournoi Pee Wee.  Il a notamment demandé de prendre « des congés accumulés » , les 12 et 13 janvier.  Son supérieur immédiat, le lieutenant André Gagné a fait la recommandation le 5 janvier d’autoriser sa demande, mais celle-ci, en bout de ligne, a été refusée par « l’officier aux opérations » , le capitaine Labelle, le 8 janvier.  Il faut se souvenir que ce 8 janvier, le capitaine Labelle a émis sa note de service E-9 : aucun congé ne sera accordé aux employés temporaires lors du tournoi Pee Wee » .

[12]         Monsieur Parent déclare que c’est dans la semaine précédant celle du tournoi Pee Wee, donc dans la semaine du 4 au 10 janvier 2009, qu’il a fait sa demande de congé, il l’a faite le 4 janvier.  Il faut savoir que l’horaire des employés temporaires couvre une période d’une (1) semaine, du dimanche au samedi.  Il est diffusé le vendredi précédant ce dimanche.  Ainsi, pour la semaine du dimanche 4 janvier au samedi 10 janvier 2009, il a été diffusé, cet horaire, le vendredi 2 janvier.

[13]         L’horaire, évidemment, peut être modifié après sa diffusion, compte tenu des besoins du service.  Par exemple, l’horaire peut n’attribuer aucun quart de travail à un employé temporaire le vendredi, lors de sa publication, mais l’employeur peut par la suite, c’est courant, ça dépend des besoins du service, accorder des quarts de travail à cet employé temporaire.

[14]         Monsieur Parent témoigne qu’il y avait quarante-cinq (45) employés temporaires en janvier 2009, il était lui, le trentième sur la liste.  Le vendredi 2 janvier 2009, il n’y avait que vingt-quatre (24) employés temporaires qui avaient des heures de prévues, les vingt-quatre (24) premiers sur la liste (F-5).  Donc, quand il a fait sa demande de congé le 4 janvier, tout indiquait à cette époque, qu’il y avait beaucoup d’employés temporaires qui étaient disponibles pour faire des remplacements.

[15]         Monsieur Parent poursuit son témoignage en affirmant qu’en ce qui concerne la semaine pertinente, celle du 11 au 17 janvier 2009, l’horaire publié le vendredi 9 janvier (F-6), lui accordait trente-six (36) heures de travail, d’accord (trois (3) quarts).  Mais les quinze (15) employés temporaires après lui sur la liste, n’en avaient pas d’heures de travail de prévues ou à peu près pas.  Suivant Monsieur Parent, l’employeur aurait donc pu lui accorder les congés qu’il voulait, car il y avait beaucoup d’employés temporaires de disponibles pour faire des remplacements.

[16]         Des témoignages des deux (2) autres personnes salariées intéressées par le grief, Madame Josianne Gagnon et Monsieur Pascal Villeneuve, le tribunal retient que ces personnes salariées ont, le 12 janvier 2009, demandé de s’absenter du 17 janvier 2009 à 16H00 jusqu’au 18 janvier 2009 à 16H00 (un (1) quart de travail); que le 12 janvier 2009 même, leur supérieur immédiat a recommandé de faire droit dans chaque cas, à la demande de congé; que le 16 janvier 2009, le capitaine Labelle a refusé son autorisation, la raison de son refus étant la même que dans le cas de la demande de congés du plaignant Michel Parent.

[17]         Madame Gagnon et Monsieur Villeneuve déclarent que leur supérieur immédiat leur avait trouvé des remplaçants à l’époque, ça n’avait pas été difficile, il y avait de fait quinze (15) employés temporaires de disponibles pour les remplacer.  Mais très vite, leur supérieur immédiat leur a dit que le capitaine Labelle refusait d’accorder aux employés temporaires des congés durant la semaine du tournoi Pee Wee (du 11 au 17 janvier 2009).

[18]         Madame Gagnon déclare que oui, elle et Monsieur Villeneuve ont travaillé le 17 janvier, ils n’ont pas eu le choix de faire autrement.  En arrivant au travail, ils ont appris que l’employeur avait oublié d’annuler l’affectation de leurs remplaçants.  « Il y avait donc deux (2) temporaires de trop, dit Madame Gagnon » .

[19]         Dernier témoin produit par la Fraternité, Monsieur Jean-François Imbeault déclare que selon lui, les horaires comme les horaires produits comme pièces F-5 et   F-6 constituent la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires dont il est question au paragraphe 9.19 de la convention collective.

[20]         Finalement, la Fraternité a déposé comme pièce F-10 un document émanant de l’employeur et contenant les informations suivantes :

-                Dans la semaine pertinente, celle du 11 au 17 janvier 2009, un centre d’hébergement de l’arrondissement de Chicoutimi a été incendié et cette catastrophe a nécessité, trois (3) jours durant, à partir du 15, cent quarante-trois (143) heures de travail de la part des employés temporaires;

-                Dans la même semaine, deux cent soixante-quatre (264) heures ont été consacrées par des employés temporaires pour remplacer les employés permanents absents à cause du tournoi Pee Wee (la prévision, tel que déjà dit, était de quatre cent quarante-huit (448) heures).

[21]         Voilà donc pour la preuve offerte par la Fraternité.

[22]         Résumer l’essentiel du témoignage du capitaine Labelle, c’est du même coup, à toute fin pratique, résumer fondamentalement la preuve testimoniale offerte par l’employeur à l’audience.

[23]         Le capitaine Labelle témoigne en effet que l’horaire des employés temporaires couvre une période d’une (1) semaine, du samedi au dimanche.  Il est diffusé, cet horaire le vendredi précédant ce dimanche.  Il ne peut constituer, lorsque diffusé, affirme le capitaine Labelle, la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires dont il est question au paragraphe 9.19 de la convention collective.  Cet horaire, quand il est diffusé, est forcément incomplet.  En effet, durant la semaine pertinente, des employés permanents peuvent s’absenter pour cause de maladie ou d’accident, c’est imprévisible, ils peuvent prendre un congé à deux (2) heures d’avis (15.07), un événement imprévu (incendie, prise d’otages, tireur fou, etc.) nécessitant de la main-d’oeuvre policière en grand nombre peut se produire, bien des choses peuvent arriver durant la semaine.  L’horaire diffusé le vendredi n’est donc pas statique, il est modifié, c’est une simple question de bon sens, au fur et à mesure des besoins, cela ne peut faire autrement.  En ce qui concerne l’utilisation des services des temporaires, l’employeur, c’est de bonne gestion, doit donc se garder une certaine marge de manoeuvre.

[24]         En général, dit le capitaine Labelle, en dehors de la période estivale et de la période des fêtes, malgré ces contraintes, la direction du service accorde 95% des demandes de congés faites par les temporaires.

[25]         Mais en 2009, durant la semaine du tournoi Pee Wee, il était hors de question d’accorder des congés aux temporaires, car en accorder « aurait causé à coup sûr du temps supplémentaire » .  Avant 2009, durant cette semaine-là, la Ville en a toujours payé, du temps supplémentaire.  En 2009, il avait la commande très stricte d’éviter cette dépense (voir la résolution du comité exécutif de la Ville [E-3]).  Ses supérieurs lui ont donné cette consigne.  D’où sa note de service E-9 du 8 janvier 2009 : aucun congé ne devait être accordé aux policiers temporaires durant le tournoi Pee Wee, du 11 au 17 janvier 2009.

[26]         La première mission des employés temporaires, leur raison d’être, dit le capitaine Labelle, c’est de remplacer des permanents.  Il fallait durant la semaine du tournoi Pee Wee 2009, pourvoir aux remplacements des permanents libérés avec solde pour s’occuper du tournoi Pee Wee.  Quatre cent cinquante (450) heures de remplacement, c’est ce qui était prévu, c’était déjà pas mal.  Comme il se devait en outre de se garder une réserve pour les imprévus (congés pris par des permanents, absences soudaines de permanents pour cause de maladie ou accident, drame ou désastre pouvant se produire sur le territoire etc.), il a donc émis la note de service     E-9 : pas de congé aux temporaires durant le tournoi Pee Wee 2009.  En accorder aurait occasionné à coup sûr du temps supplémentaire, le document E-10 le démontre.  Il s’agit de l’horaire qui s’est actualisé au fur et à mesure des besoins dans la semaine du 11 au 17 janvier.  Ce document fait voir que les employés temporaires ont été utilisés beaucoup durant cette semaine-là, quasiment à 100%.  Le capitaine Labelle se dit d’avis que si les demandes de congés des plaignants avaient été autorisées, la Ville aurait été obligée de payer des heures de travail en surtemps.

[27]         Voilà donc pour l’essentiel du témoignage du capitaine Labelle.

[28]         Le tribunal tient à faire remarquer, à ce stade-ci, qu’il fera référence à la preuve documentaire offerte de part et d’autre s’il l’estime nécessaire ci-après.

ARGUMENTATION DES PARTIES

            A)        Argumentation de la partie syndicale

[29]         Le procureur de la partie syndicale est d’avis que l’employeur a violé le paragraphe 9.19 de la convention collective F-1 en refusant d’accorder aux trois (3) plaignants les congés que ceux-ci demandaient de prendre durant la semaine du tournoi Pee Wee 2009, soit du 11 au 17 janvier.

[30]         Cette disposition (9.19) est de droit nouveau.  Monsieur Sénéchal a bien expliqué la situation que les parties entendaient viser et à laquelle elles voulaient remédier en l’introduisant dans leur convention collective F-1.  Leur intention était d’encadrer le droit de gérance de l’employeur concernant l’octroi des congés aux temporaires.  Avant la convention collective F-1 en effet, l’employeur refusait plus souvent qu’autrement les demandes de congés des temporaires en prétextant qu’il ne voulait pas payer d’heures de travail en surtemps.

[31]         Pour le syndicat, le texte du paragraphe 9.19 est clair.  Mais si l’arbitre éprouvait le besoin de l’interpréter, il devrait le faire à la lumière du témoignage de Monsieur Sénéchal et de la règle d’interprétation suivante : un texte reçoit une interprétation libérale de façon qu’il atteigne sa fin particulière recherchée.

[32]         Pour le procureur du syndicat, le capitaine Labelle a rendu à l’audience un témoignage fantaisiste.  À l’entendre, la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires connue au moment de la demande de congé, c’est la planification qui est dans sa tête.  Il est plutôt évident que cette planification hebdomadaire connue au moment de la demande de congé, est reflétée par l’horaire hebdomadaire, du dimanche au samedi, affiché le vendredi précédant ce dimanche (F-5, F-6).  Il est très important de noter que le texte dit que c’est la planification hebdomadaire connue au moment de la demande de congé qui doit servir à décider si le congé, s’il était accordé, causerait du temps supplémentaire.

[33]         Il est évident qu’au moment des demandes de congés des plaignants, l’horaire diffusé le vendredi 9 janvier 2009 pour la semaine s’étendant du dimanche 11 janvier au samedi 17 janvier 2009 (F-6) ne permettait pas à l’employeur de refuser lesdits congés au motif que les accorder aurait pour effet d’occasionner du temps supplémentaire.

[34]         Le vendredi 9 janvier 2009, parmi les quarante-cinq (45) employés temporaires de la liste, les quinze (15) derniers n’avaient aucune affectation, à toute fin pratique.

[35]         Dans les cas de Madame Gagnon, Monsieur Villeneuve, l’employeur a de plus violé « la règle du quarante-huit (48) heures » .  On sait que le congé doit être demandé et autorisé au moins quarante-huit (48) heures à l’avance.  Or, le capitaine Labelle a refusé la demande de Madame Gagnon et celle de Monsieur Villeneuve la veille du jour où ceux-ci désiraient prendre congé.  Soit dit en passant, mais c’est très important, il appert du témoignage de Madame Gagnon que le 17 janvier, jour où elle et Monsieur Villeneuve voulaient prendre congé, il y avait deux (2) temporaires de trop!

[36]         La preuve patronale selon laquelle l’employeur était obligé à l’époque de faire travailler des temporaires quatre cent quarante-huit (448) heures pour remplacer les permanents libérés à cause du tournoi Pee Wee est inexacte.  En réalité, c’est deux cent soixante-quatre (264) heures de remplacement qu’il y a eues, soit l’équivalent de six (6) ou sept (7) employés temporaires à temps complet, alors qu’il y en avait quinze (15) de disponibles.

[37]         Les documents produits en preuve font voir que si du temps supplémentaire a été fait dans la semaine du 11 au 17 janvier 2009, cela n’avait rien à voir avec le tournoi Pee Wee.  Il s’agissait de temps supplémentaire lié au fonctionnement normal du service, par exemple des témoignages en cour.

[38]         Le document E-5 fait voir que durant la semaine en question, les services des employés temporaires n’ont pas été utilisés plus que les autres semaines de l’année 2009, abstraction faite évidemment des semaines comprises durant la période estivale et probablement, celle des Fêtes.

[39]         Contrairement à ce qu’a dit le capitaine Labelle, il appert du document E-10 que dans les faits, dans le concret, les services des employés temporaires n’ont pas été utilisés à 100% durant la période pertinente, même s’il y a eu un incendie important qui ne pouvait pas faire partie de la planification hebdomadaire connue au moment des demandes des congés faites par les plaignants.

[40]         Pour toutes ces raisons, de conclure le procureur du syndicat, le grief devrait être purement et simplement accueilli.

B)        Argumentation de la partie patronale

[41]         Pour le procureur de la partie patronale, il faut d’entrée de jeu, pour interpréter correctement le paragraphe 9.19 de la convention collective, tenir compte tout d’abord de deux (2) réalités incontournables avec lesquelles le syndicat ne peut être que d’accord, il l’a d’ailleurs admis.  Il faut considérer premièrement que la mission fondamentale de l’employé temporaire, sa raison d’être, c’est de remplacer les permanents absents et deuxièmement que l’employeur a le droit de gérer son service de police de manière à ne pas générer d’heures de travail rémunérées au taux du temps supplémentaire.

[42]         Il est en preuve, par le témoignage du capitaine Labelle, que l’employeur, sauf circonstances exceptionnelles, accorde généralement les congés demandés par les employés temporaires.  Lors du tournoi Pee Wee, un événement annuel en janvier, les circonstances sont exceptionnelles.  La Ville doit remplacer des permanents qui s’absentent avec solde avec sa permission pour s’occuper du tournoi par des temporaires.  La Ville a le droit de gérer ses coûts en main-d’oeuvre cette semaine-là de manière à ne pas payer d’heures de travail au taux du temps supplémentaire.  Cette saine gestion lui est permise par le texte même du paragraphe 9.19 : en dehors de la période estivale et de la période des Fêtes, un congé n’est accordé à un employé temporaire que s’il « ne cause pas de temps supplémentaire » .

[43]         Cette volonté des parties de permettre à l’employeur de ne pas accorder un congé « causant du temps supplémentaire » est exprimée de diverses façons au paragraphe 9.19 : notamment par les mots « si la demande ne cause pas de temps supplémentaire » , par l’expression « et si un autre employé temporaire est disponible pour le remplacement » et « ce congé doit être demandé et autorisé quarante-huit (48) heures à l’avance » etc.

[44]         Ce repère temporel (quarante-huit (48) heures à l’avance) indique bien que les parties n’ont pas voulu instituer, en quelque sorte, une course aux congés.

[45]         L’employeur doit tenir compte pour accorder ou refuser le congé demandé, de la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires.  L’horaire hebdomadaire ( « la cédule » ) des employés temporaires affiché le vendredi de chaque semaine pour la semaine suivante, ce n’est pas, comme le croit le syndicat, la planification hebdomadaire dont parle le paragraphe 9.19 de la convention collective, c’est une simple question de bon sens.  Cette planification n’est d’ailleurs pas conventionnée.  L’horaire diffusé le vendredi l’est à titre indicatif, c’est un outil de gestion destiné à faire connaître aux employés temporaires les quarts de travail qui leur sont attribués.  Il est important de noter que cet horaire n’est pas statique, qu’il est modifié durant la semaine pertinente au fur et à mesure des besoins en remplacement de main-d’oeuvre ou en surplus de main-d’oeuvre qui se présentent.  Il est normal qu’il en soit ainsi, le capitaine Labelle l’a dit, il y a des absences imprévues de permanents qui se produisent durant la semaine, des événements imprévus nécessitant de la main-d’oeuvre policière qui peuvent arriver etc.

[46]         Il est donc normal que la direction du service, comme l’a affirmé le capitaine Labelle, « se garde une marge de manoeuvre » .  Gérer un service de police, c’est gérer l’imprévu et l’urgence, personne ne peut le nier, un gestionnaire doit tenir compte de cette réalité, c’est fondamental.

[47]         En ce cas-ci, le document E-10, fait la preuve que le gestionnaire, le capitaine Labelle a eu raison de refuser les congés demandés par les plaignants, ce document fait voir que tous les employés temporaires, durant la semaine pertinente, ont travaillé, peut-être pas à 100%, mais les services de tous les temporaires ont été utilisés, ce sont les faits.

[48]         La preuve qu’il se produit parfois en une semaine des événements d’importance et imprévus, c’est le désastre du 15 janvier 2009 : l’incendie d’un centre d’hébergement.  Cet événement a demandé de la présence policière trois (3) jours durant, cent quarante-trois (143) heures de travail ont été effectuées sur le site par des employés temporaires.

[49]         La question auquelle doit répondre le tribunal, dans le fond, est la suivante : la décision de l’employeur de refuser les congés demandés par les plaignants à l’époque pertinente était-elle abusive, déraisonnable ou discriminatoire?  C’est la question que se posent généralement les arbitres en pareil cas.  Voir :

-                Association des policiers-pompiers de La Tuque Inc. et La Corporation de la Ville de La Tuque , références D.T.E. 2001T-673 , le 30 avril 2001, Me Claude H. Foisy, arbitre;

-                Syndicat national des employés de Windsor (CSN) et Ville de Windsor , Coplanam, le 2004/06/04, Me François Blais, arbitre;

-                Union des employés et employéEs de service, section locale 800, F.T.Q. et Ville de Sainte-Marie, Coplanam, 2000/06/27, Me Nicolas Cliche, arbitre;

-                Teamsters Québec, local 1999 et Industries Norbord Inc. (Division Val-d’Or) , griefs 46571 et 46577, le 13 novembre 2006, Me Jean M. Gagné, arbitre;

-                Aluminerie de Bécancour Inc. et Syndicat des employés de l’aluminerie de Bécancourt (F.S.S.A.) , Coplanam, le 1996/07/19, Me Alain Coriveau, arbitre;

-                Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec et Hydro-Québec , Coplanam, le 2005/09/14, Me Richard Marcheterre, arbitre.

[50]         Le tribunal devrait donc décider que la décision de l’employeur, à l’époque pertinente, n’avait rien de déraisonnable, d’abusif ou de discriminatoire.

[51]         Pour toutes ces raisons, de conclure le procureur de l’employeur, le grief devrait être purement et simplement rejeté.

MOTIF ET DÉCISION

[52]         Le tribunal a tenu, pour des raisons évidentes, à résumer, de façon aussi détaillée que possible ci-dessus, outre la preuve pertinente, l’essentiel de l’argumentation de chacune des parties.  Cet exercice fait voir que les positions, de part et d’autre, sont bien campées et globalement, soutenables et défendables.

[53]         Le tribunal, réflexion faite, est humblement d’avis, cela dit avec respect pour l’opinion contraire, que pour des raisons de texte et de contexte, le grief doit être accueilli et ce principalement pour les raisons et motifs ci-après exposés.

[54]         Le paragraphe 9.19 de la convention collective F-1 est de droit nouveau.  Au moment de la signature de cette convention collective, le 19 juin 2008, il était forcément connu des parties qu’il y avait au Service de sécurité publique environ cent soixante-cinq (165) employés permanents et pour les remplacer, enfin surtout pour les remplacer, quarante-cinq (45) employés temporaires.  Sachant qu’à cause des congés annuels et fériés, les permanents s’absentent en grand nombre l’été et durant la période des Fêtes, elles ont écrit à l’alinéa 1 du paragraphe 9.19 « que l’employé temporaire ne peut pas prendre de congés accumulés et de journée de vacances pendant la période estivale et pendant les deux (2) semaines couvrant la journée de Noël et du jour de l’An, à moins d’autorisation de la direction du service » , elles ont donc écrit, à toute fin pratique, que l’employé temporaire ne peut pas prendre de tels congés durant ces périodes-là.

[55]         À l’alinéa 2 du paragraphe 9.19, les parties ont cependant décidé, le texte le fait voir sans efforts, d’encadrer le droit de gérance de l’employeur en ne laissant somme toute à ce dernier que peu de discrétion pour la prise d’une décision.  En résumé, le texte dit plutôt clairement qu’en dehors de la période estivale et du temps des fêtes, l’employé temporaire a le droit de prendre le congé qu’il demande, la direction du service ne peut le lui refuser « s’il ne cause pas de temps supplémentaire » .  Le tribunal comprend que pour déterminer « si la demande (cause ou) ne cause pas de temps supplémentaire » , l’employeur doit tenir compte, c’est assez clair, « de la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires connue au moment de la demande du congé  » (soulignage en sus).

[56]         Pour les fins de la présente décision, la dernière phrase du deuxième alinéa du paragraphe 9.19 ( « Ce congé doit être demandé et autorisé quarante-huit (48) heures à l’avance et il peut être refusé lors de situation d’urgence déterminée par la direction du service » ) est sans pertinence, croit humblement le soussigné.  Le délai de quarante-huit (48) heures en question est un délai minimal, et il est facile de comprendre que l’employeur n’est pas obligé d’accepter une demande de congé faite, par exemple, par un employé temporaire le seizième jour du mois pour le lendemain 17.  En outre, il semble assez clair au tribunal qu’au moment où les plaignants ont fait leur demande, la direction n’avait pas déterminé de situation d’urgence, elle n’avait d’ailleurs aucune raison valable, à en juger strictement par la preuve, de le faire.

[57]         Ce qui est d’importance capitale, pour les fins de la présente décision, ce sont les mots « si la demande ne cause pas de temps supplémentaire… en tenant compte de la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires connue au moment de la demande du congé » , contenus dans la première phrase du deuxième alinéa du paragraphe 9.19.

[58]         Les plaignants ont demandé de prendre des congés dans la semaine du 11 au 17 janvier 2009, une semaine planifiée à partir de ce qui était connu, le vendredi 9 janvier, il en est ainsi à chaque semaine.  On sait en effet que l’horaire des employés temporaires couvre une période d’une (1) semaine, du dimanche au samedi, et qu’il est diffusé le vendredi précédant ce dimanche.  Le soussigné est peut-être bouché à l’émeri, mais il lui semble que selon la preuve et le bon sens, cet horaire ( « cédule hebdomadaire » ) diffusé le vendredi, mais qui peut être modifié au fur et à mesure que les besoins en main-d’oeuvre se manifestent, reflète forcément la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires connue le jour ou les jours où l’employé temporaire demande congé et sert en conséquence, quoi qu’en dise l’employeur, de repère à l’aide duquel la direction du service évalue si la demande cause ou ne cause pas de temps supplémentaire et prend sa décision.

[59]         Les horaires hebdomadaires des employés temporaires (F-5, F-6 etc.) reflètent une planification des effectifs à partir de ce qui est connu en besoin de main-d’oeuvre, à n’en point douter.  Témoin, les horaires F-5 et F-6.  Au moment de la diffusion de l’horaire F-5 (période du 4 au 10 janvier 2009) le vendredi 2 janvier 2009, aucun événement particulier n’était connu.  Il n’y avait donc des quarts de travail de prévus que pour les vingt-trois (23) premiers employés temporaires de la liste.  Par contre, au moment de la diffusion de l’horaire F-6 (période pertinente du 11 au 17 janvier 2009), le vendredi 9 janvier 2009, un événement spécial était connu, le tournoi Pee Wee.  En conséquence, ce 9 janvier, l’employeur a prévu des affectations pour sept (7) employés temporaires de plus, trente (30) au lieu de vingt-trois (23), il en restait une douzaine pour faire des remplacements.  Les horaires F-5 et F-6, comme tous les horaires hebdomadaires, peu importe la période de l’année, sont donc le reflet d’une planification établie et diffusée à partir de ce qui est connu en besoins de main-d’oeuvre.

[60]         Le texte du paragraphe 9.19 ne dit pas que le congé doit être accordé si la demande n’est pas susceptible de causer du temps supplémentaire compte tenu de la planification hebdomadaire connue de rappel au travail des temporaires, il dit ce qu’il dit et c’est plutôt clair, le congé est accordé « si la demande ne cause pas de temps supplémentaire… en tenant compte de la planification hebdomadaire de rappel des policiers temporaires connue au moment de la demande du congé. » .

[61]         Le soussigné est donc d’avis que l’employeur a violé la convention collective en refusant à chacun des plaignants le ou les jours de congés demandés par chacun d’eux et à prendre par chacun d’eux dans la semaine s’étendant du 11 au 17 janvier 2009.

DISPOSITIF

[62]         Donc, pour toutes les raisons et motifs ci-dessus indiqués, le tribunal décide :

-                D’ACCUEILLIR le grief;

-                QUE l’employeur a violé le paragraphe 9.19 de la convention collective en ne faisant pas droit à la demande de congé formulée par chacun des plaignants;

-                DE CONSERVER compétence pour entendre les parties concernant les mesures de redressement demandées au grief et en décider, puis POUR FIXER en bout de ligne les sommes dues, le cas échéant, en vertu de la présente sentence arbitrale.

 

 

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Me Gabriel-M. Côté, arbitre

 

 

Pour le syndicat :

Me Serge Gagné

 

Pour l’employeur :

Me Robert Pépin

 

 

Date(s) d’audience :

21 octobre 2009, 22 janvier 2010 et 12 janvier 2011

 

Date(s) de délibéré :