Domaine de Parc Cloverdale c. Issa

2011 QCCQ 1468

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative et d’appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-80-016318-108

 

 

 

DATE :

16 février 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.Q.

______________________________________________________________________

 

 

DOMAINE DE PARC CLOVERDALE

Appelant - Locateur

 

c.

 

AMOUN ISSA

Intimée - Locataire

 

et

 

RÉGIE DU LOGEMENT

            Mise en cause

 

 

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Le 26 mars 2010, la régisseure Me Linda Boucher de la Régie du logement (la «  Régie  ») constate que la locataire, madame Amoun Issa, est en retard de plus de trois semaines pour le paiement de loyer qu’elle établit à 8 821 $ ce qui justifie, selon elle, la résiliation du bail en application de l’article 1971 du Code civil du Québec («  C.c.Q.  »).

[2]            La régisseure constate également que Mme Issa effectue fréquemment ses paiements en retard et conclut à l’existence d’un préjudice sérieux causé au locateur, Domaine de Parc Cloverdale, toujours en vertu du même article 1971 C.c.Q.

[3]            Malgré la conclusion à laquelle elle en vient relativement au retard de plus de trois semaines, la régisseure traite comme suit de la question des retards fréquents aux paragraphes 81 et 82 de sa décision:

[81] Quant aux retards fréquents, le tribunal considère qu'il y a lieu de surseoir à la résiliation du bail et d'y substituer une ordonnance selon l'article 1973 C.c.Q. :

« 1973.   Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail.»

[82] Compte tenu des circonstances propres au présent dossier , le bail n'est toutefois pas résilié si le loyer dû, les intérêts et les frais sont payés avant l’expiration du délai d’appel .

[Soulignement ajouté]

[4]            La régisseure rend alors la décision suivante dans le dossier portant le numéro 31 090825 150 G (la «  Décision  »), la résiliation et l’éviction ne prenant effet qu’à l’expiration du délai d’appel dans la mesure où Mme Issa n’acquitte pas, entre temps, « sa dette » envers le locateur, Domaine de Parc Cloverdale :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ORDONNE à la locataire de payer son loyer le 1 er de chaque mois si elle est en mesure de s’acquitter de sa dette avant l’expiration du délai d’appel;

RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion de la locataire et de tous les occupants du logement;

CONDAMNE la locataire à payer au locateur la somme de 8 821 $ plus les intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q., à compter du 25 août 2009 sur la somme de 3 129 $, et sur le solde à compter de l'échéance de chaque loyer, plus les frais judiciaires de 71 $;

REJETTE la demande quant aux autres conclusions.

[5]            Insatisfaite de la partie du dispositif de la Décision qui assortit la résiliation du bail et l’éviction à une condition suspensive jusqu’à l’expiration du délai d’appel de la Décision, Domaine de Parc Cloverdale dépose en mai 2010, une requête pour permission d’appeler de la Décision (la «  Requête  ») et propose les trois questions suivantes :

-        A. Après avoir constaté que la locataire était en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer, le juge administratif de la Régie du logement avait-il la discrétion pour lui accorder un délai supplémentaire de paiement avant de prononcer la résiliation du bail?

-        B. La décision du juge administratif accordant un délai supplémentaire à la locataire pour payer son loyer est-elle suffisamment motivée?

-        C. Dans la négative, eu égard aux circonstances et au droit applicable, la Régie du logement était-elle justifiée d’accorder à la locataire un délai pour le paiement de son loyer?

LA QUESTION EN LITIGE

[6]            Le 29 juin 2010, la Cour du Québec autorise le présent appel sur la question suivante :

Après avoir constaté que la locataire était en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer, le juge administratif de la Régie du logement avait-il la discrétion pour lui accorder un délai supplémentaire de paiement avant de prononcer la résiliation du bail?

[7]            En début d’audition en appel, l’avocat de Mme Issa souligne que cette dernière a payé, le 10 mars 2010, soit avant le début de l’audition devant la Régie, une partie des arrérages de 8 821 $ (3 002 $) et que le solde desdits arrérages a été acquitté après la date de la Décision, le 26 mars 2010, mais à l’intérieur du délai d’appel tel qu’autorisé par la régisseure.

[8]            En tenant compte de la nature de la question autorisée et des dispositions de l’article 101 [1] de la Loi sur la Régie du logement , le Tribunal est d'avis que la Cour du Québec siégeant en appel ne peut se prononcer sur des faits postérieurs à la Décision car il serait dès lors impossible de rendre le jugement qui aurait dû être rendu par la Régie.

[9]            De plus, le présent appel, tel qu’autorisé, ne nécessite aucune preuve additionnelle. Il s’agit donc de disposer de la question en litige en fonction de la Décision rendue et de la preuve administrée en première instance sans pour autant tenir compte des faits subséquents. Évidemment, tout dépendant des conclusions que tirera le Tribunal relativement à la question en litige, les faits subséquents pourront possiblement devenir pertinents.

[10]         En définitive, compte tenu de la nature de la question qui fait l’objet du présent appel et avec grand respect pour l’opinion contraire, le fait que Mme Issa ait ou non acquitté, avant l’expiration du délai d’appel, les arrérages dus à Domaine du Parc Cloverdale n’a pas à être considéré pour répondre à la question autorisée par la Cour du Québec.

[11]         Le Tribunal doit essentiellement déterminer si, à la lumière de l’article 1973 C.c.Q. et des faits mis en preuve, la régisseure bénéficiait d’une discrétion pour accorder à Mme Issa un délai additionnel au-delà de la date de la Décision, soit jusqu’à l’expiration du délai d’appel, pour lui permettre d’acquitter les arrérages de loyer et ainsi éviter la résiliation de son bail et son éviction des deux logements.

LA NORME DE CONTRÔLE

[12]         Comme le Tribunal doit disposer du présent appel strictement en fonction de la preuve administrée en première instance, avant de répondre à la question soulevée, il est nécessaire de déterminer la norme de contrôle applicable à celle-ci.

[13]         Il n’est pas utile de reprendre l’analyse jurisprudentielle exhaustive existante en matière d’appels de la Régie lorsqu’aucune preuve additionnelle n’est nécessaire pour répondre à la question ou lorsqu’un procès de novo a été ordonné, à toutes fins pratiques.

[14]         À cet égard, l’avocate du locateur soutient que la norme de contrôle applicable en l’espèce est celle de la décision correcte car la question à trancher en est une strictement de droit. Dans un tel contexte, le Tribunal n’a pas à faire preuve de déférence particulière envers la régisseure, étant tout aussi compétent pour se prononcer sur cette question de droit. L’avocat de Mme Issa abonde dans le même sens.

[15]         Le Tribunal partage cette opinion d’autant plus qu’il ne fait aucun doute quant aux conclusions tirées par la régisseure dans la Décision, que Mme Issa était en retard d’acquitter son loyer depuis plus de trois semaines au moment de l’audience du 10 mars 2010 et que les retards répétés de sa part ont causé par leur fréquence un préjudice sérieux au locateur, Domaine de Parc Cloverdale, au sens de l’article 1971 C.c.Q. Ces éléments factuels importants en l’espèce ne font pas l’objet de contestation dans le présent appel et n’ont pas à être déterminés par le Tribunal pour lui permettre de trancher la question de droit autorisée.

[16]         Il est également reconnu que le solde des arrérages de loyer n’a pas été réglé par Mme Issa avant la date de la Décision, mais plutôt après celle-ci.

[17]         L’appréciation par la régisseure des faits mis en preuve devant elle n’est pas contestée en l’espèce, seule sa décision d’accorder un sursis au-delà de la date de la Décision pour acquitter la « dette » et éviter la résiliation est en jeu.

[18]         En d’autres mots, en prenant pour acquis les conclusions tirées par la régisseure en fonction de la preuve qu’elle a administrée et considérée, à savoir qu’à la date de l’audience en première instance, le 10 mars 2010, Mme Issa était en retard de plus de trois semaines pour le paiement de son loyer, la régisseure avait-elle le droit d’invoquer les dispositions de l’article 1773 C.c.Q. pour surseoir son ordonnance de résiliation du bail de Mme Issa au-delà de la date de sa Décision et d’assortir à son ordonnance de résiliation et d’éviction une condition suspensive?

[19]         Il s’agit d’une question de droit qui doit être étudiée en fonction de la norme de contrôle de la décision correcte qui nécessite peu de déférence envers le décideur de première instance.

LES FAITS

[20]         Pour une meilleure compréhension, il est opportun de relater ci-après les faits pertinents.

[21]         La locataire, Mme Issa, et ses dix enfants occupent deux logements au […] à Montréal. Pour l’appartement 1, elle paie un loyer mensuel de 635 $ (incluant un espace de stationnement) (P-2). Quant à l’appartement 3, Mme Issa a accepté, en juillet 2008, d’assumer le loyer de 682 $, suite à l’éviction de son époux (P  - 3).

[22]         En janvier 2009, l’immeuble dans lequel Mme Issa loge doit subir d’importantes rénovations qui nécessiteront qu’elle libère les deux logements pour plus de six mois.

[23]         Le locateur, Domaine de Parc Cloverdale, offre à Mme Issa, entre autres, de transférer tous les occupants des deux logements dans deux autres logements situés tout près au […]. Le loyer mensuel alors convenu sera 1 214 $ par mois, soit 602 $ par logement majoré de 10 $ par mois pour un espace de stationnement. Mme Issa accepte l’offre du locateur qui inclut un montant forfaitaire pour les frais du déménagement qui aura lieu en juin 2009.

[24]         Le 25 août 2009, le locateur dépose auprès de la Régie une demande de résiliation des deux baux de la rue Alexander invoquant le défaut de Mme Issa de payer, en tout ou en partie, le loyer mensuel de juin, juillet et août 2009 totalisant alors 3 129,50 $. Le locateur invoque aussi qu’elle subit un préjudice sérieux car Mme Issa paie fréquemment son loyer en retard (P-5).

[25]         Le 7 octobre 2009, la Régie entend la demande du locateur en l’absence de Mme Issa qui a fait défaut de se présenter. Le 8 octobre, la Régie rend une décision par défaut et ordonne la résiliation des deux baux de la rue Alexander ainsi que l’expulsion de tous les occupants assortie d’une ordonnance d’exécution provisoire. Mme Issa est également condamnée à payer des arrérages de loyer de 5 353 $. (la «  Décision du 8 octobre  ») (P-6).

[26]         Le 30 octobre 2009, Mme Issa dépose une demande de rétractation de la Décision du 8 octobre, dans laquelle elle justifie son absence à l’audience du 7 octobre par le fait qu’une représentante du locateur l’aurait assurée qu’il n’était pas nécessaire de se présenter à la Régie. De plus, Mme Issa indique qu’elle a acquitté toutes les sommes qu’elle doit personnellement au locateur et ce, outre la subvention que doit lui verser le Comité d’aide Cloverdale (le «  Comité d’aide  ») qui a retenu son chèque de subvention. Mme Issa ajoute qu’elle devrait recevoir ce chèque (au montant non dévoilé dans la demande de rétractation) d’ici la fin du mois de novembre 2009.

[27]         Le 9 décembre 2009, la Régie accueille la demande de rétractation de la Décision du 8 octobre au motif que la prépondérance de la preuve favorise la version de Mme Issa qui aurait été informée que son dossier ne procèderait pas le 7 octobre 2009. La Régie considère qu’il est dans l’intérêt de la justice que Mme Issa ait l’opportunité de se faire entendre. Nulle part dans la décision de rétractation n’est-il fait mention du paiement de la subvention du Comité d’aide (P-7). Ce paiement ne sera jamais effectué pour les raisons discutées ci-après.

[28]         Le 10 mars 2010, la Régie entend de nouveau la demande de résiliation du locateur du 25 août 2009 et ce, en présence des deux parties.

[29]          Le 26 mars 2010, la Décision présentement en appel constate, entre autres, que le défaut de Mme Issa de payer son loyer est alors passé de 5 353 $ à quelque 8 821 $. La Décision ne fait cependant pas mention qu’avant le début de l’audience, Mme Issa a versé au locateur 3 002 $, laissant ainsi un solde impayé de 5 819 $ plus les frais et les intérêts. Cette absence de mention, à elle seule, n’affecte cependant pas la validité de la Décision.

[30]         Fait à noter, alors que les motifs invoqués dans la demande de rétractation laissaient croire que Mme Issa avait déjà acquitté tous les loyers qu’elle devait et que le seul retard était imputable à la subvention qu’elle devait recevoir en novembre 2009, on constate qu’en mars 2010, la subvention n’a toujours pas été reçue et Mme Issa invoque plutôt qu’elle n’a aucune obligation contractuelle à acquitter un loyer pour le second logement. Cet argument a été considéré par la régisseure et n’a pas été retenu par cette dernière.

[31]         Le Tribunal note, à la lecture de la Décision, que la régisseure constate ou conclut que:

-        Avant d’être relogée sur la rue Alexander, Mme Issa bénéficiait d’une subvention accordée par l’entremise du Comité d’aide qui faisait en sorte qu’elle pouvait bénéficier de deux logements sans verser au locateur plus de 25% de ses revenus;

-        Le Comité d’aide est une société distincte du locateur dont le mandat est d’accorder à tous les locataires de Parc Cloverdale et de Domaine de Parc Cloverdale qui en font la demande et qui respectent les conditions d’attribution, de l’aide économique au paiement de leur loyer sous forme d’une subvention; cette subvention mensuelle provient du gouvernement fédéral (SCHL) et est remise directement au locataire subventionné;

-        La prépondérance de la preuve, par rapport au témoignage de Mme Issa empreint de contradictions, favorise la version des témoins du locateur à l’effet que Mme Issa a accepté d’être relogée temporairement dans les deux logements de la rue Alexander et s’est engagée à acquitter un loyer mensuel de 602 $ pour chaque logement majoré de 10 $ pour un espace de stationnement, soit un loyer total de 1 214 $; de fait, avant la relocalisation, Mme Issa acquittait un loyer pour chacun des deux logements qu’elle occupait alors;

-        Dans le contexte de la relocalisation temporaire de Mme Issa, des démarches ont été entreprises auprès du Comité d’aide afin que Mme Issa puisse bénéficier de subventions pour les deux logements de la rue Alexander, tout comme auparavant; il fallait tout de même formuler une demande et fournir la documentation et les informations requises;

-        Quoiqu’il en soit, Mme Issa ne subissait aucun préjudice financier en acceptant de louer les deux logements en question car en obtenant une subvention similaire à celle dont elle jouissait précédemment pour les logements de la rue Station, le nouvel engagement financier pris par Mme Issa ne comportait aucune conséquence financière adverse pour elle. Elle n'aurait eu simplement qu'à continuer d’acquitter un loyer limité à 25% de ses revenus; encore fallait-il compléter les démarches pour obtenir la subvention;

-        Mme Issa admet être responsable de la perte de la subvention n’ayant pas remis au Comité d’aide les documents et fourni les documents qui lui étaient réclamés;

-        Les arrérages réclamés par le locateur étaient bel et bien de 8 821 $ à la date de l’audience du 10 mars 2010;

-        Mme Issa était alors en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer et la résiliation du bail était justifiée aux yeux de la régisseure en vertu de l’article 1971 C.c.Q.;

-        Pour ce qui est du second motif de résiliation, la preuve démontre en effet que la locataire payait fréquemment son loyer en retard;

-        La preuve démontre aussi que ces retards causent un préjudice sérieux au locateur, un organisme à but non lucratif qui compte sur tous les loyers pour acquitter les charges de l’immeuble, les fournisseurs et ses employés;

-        Les faibles revenus de Mme Issa ne sont pas une défense admissible pour justifier le non-respect de son obligation au bail, obligation à laquelle elle s’est d’ailleurs librement engagée.

ANALYSE

[32]         Les dispositions législatives invoquées par les parties sont les suivantes :

Le Code civil du Québec  :

1855. Le locataire est tenu , pendant la durée du bail , de payer le loyer convenu et d'user du bien avec prudence et diligence.

1883. Le locataire poursuivi en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer peut éviter la résiliation en payant, avant jugement, outre le loyer dû et les frais, les intérêts au taux fixé en application de l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé.

1893. Est sans effet la clause d'un bail portant sur un logement, qui déroge aux dispositions de la présente section, à celles du deuxième alinéa de l'article 1854 ou à celles des articles 1856 à 1858, 1860 à 1863, 1865, 1866, 1868 à 1872, 1875, 1876 et 1883 .

1971. Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou , encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement .

1973. Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail , le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine , à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer .

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail.

Le Code de procédure civile :

469. Le jugement portant condamnation doit être susceptible d'exécution . Celui qui condamne à des dommages-intérêts en contient la liquidation; lorsqu'il prononce une condamnation solidaire contre les personnes responsables d'un préjudice, il détermine, pour valoir entre elles seulement, la part de chacune dans la condamnation, si la preuve permet de l'établir.

La Loi sur la Régie du logement [2]  :

82. Sauf si l'exécution provisoire est ordonnée, une décision est exécutoire à l'expiration du délai pour permission d'appeler , ou, selon le cas, du délai de révision. Une décision visée dans la section II du chapitre III est exécutoire dès qu'elle est rendue.

Dans le cas d'une décision relative à une demande ayant pour seul objet le recouvrement d'une créance visée dans l'article 73, la décision est exécutoire à l'expiration d'un délai de 20 jours de sa date, sauf si le régisseur en a ordonné autrement.

92. La demande pour permission d'appeler doit être faite au greffe de la Cour du Québec du lieu où est situé le logement et elle est présentée par requête accompagnée d'une copie de la décision et des pièces de la contestation, si elles ne sont pas reproduites dans la décision.

La requête accompagnée d'un avis de présentation doit être signifiée à la partie adverse et produite au greffe de la Cour dans les 30 jours de la date de la décision . Elle doit préciser les conclusions recherchées et le requérant doit y énoncer sommairement les moyens qu'il prévoit utiliser.

Si la demande est accordée, le jugement qui autorise l'appel tient lieu de l'inscription en appel. Le greffier de la Cour du Québec transmet sans délai copie de ce jugement à la Régie ainsi qu'aux parties et à leur procureur.

De la même manière et dans les mêmes délais, l'intimé peut former un appel ou un appel incident.

[Soulignement et mise en gras ajoutés]

-        La position du locateur, Domaine de Parc Cloverdale

[33]         D’entrée de jeu, le locateur, Domaine de Parc Cloverdale, invoque essentiellement deux motifs:

-        Après avoir constaté un retard de plus de trois semaines du paiement du loyer, la régisseure ne pouvait légalement exercer sa discrétion et utiliser les dispositions de l’article 1973 C.c.Q. pour assortir à son ordonnance de résiliation et d’éviction, une condition suspensive permettant à la locataire d’acquitter « sa dette » avant l’expiration du délai d’appel de 30 jours et ainsi, faire échec à la résiliation et à l’éviction; et

-        en libellant le dispositif de la Décision comme l’a fait, la régisseure a contrevenu aux dispositions de l’article 469 du Code de procédure civile , car la Décision n’est pas susceptible d’exécution sans que le locateur ne s’enquière et ne s’assure que la condition n’a pas été respectée par Mme Issa à l’intérieur du délai imparti.

-        La position de la locataire, Mme Issa

[34]         L’avocat de Mme Issa ne voit aucune erreur commise par la régisseure dans la présente affaire. Il ne voit non plus aucune incertitude pouvant découler du dispositif de la Décision qui ne la rende pas susceptible d’exécution. Selon lui, si Mme Issa ne paie pas « sa dette » à Domaine de Parc Cloverdale avant l’expiration du délai d’appel de la Décision, celle-ci deviendra aussitôt exécutoire, comme il se doit. En pareilles circonstances, le locateur ne subit aucun préjudice car en vertu des articles 82 et 92 de la Loi sur la Régie du logement l’ordonnance de résiliation et d’éviction ne devient exécutoire qu’à l'expiration du délai pour permission d'appeler lequel est de 30 jours. De toute façon, Domaine de Parc Cloverdale devait attendre trente jours pour pouvoir évincer Mme Issa, d’où l’absence de préjudice.

[35]         En ordonnant la résiliation et l’éviction comme elle l’a fait, la régisseure a donc respecté les dispositions de l’article 1973 C.c.Q. car le locateur n’avait pas à effectuer d’autres démarches pour obtenir l’éviction de Mme Issa si elle ne remplissait pas la condition suspensive. Domaine de Parc Cloverdale n’avait pas à obtenir une autre autorisation judiciaire pour pouvoir exercer ses droits.

[36]         L’avocat de Mme Issa invoque également que le principe du droit au maintien dans les lieux doit avoir préséance en l’espèce. Comme Mme Issa ignorait le montant exact à acquitter avant l’audition devant la Régie, compte tenu de son argument qu’elle n’avait pas à payer un second loyer, il était normal et raisonnable que la régisseure lui octroie un délai additionnel.

[37]         Enfin, l’expression « avant jugement » apparaissant à l’article 1883 C.c.Q. réfère à un jugement de la Cour du Québec. Mme Issa fonde cet argument sur une décision de la Cour provinciale du 7 avril 1987 dans l’affaire Ouari c. Sari [3] laquelle fut citée avec approbation dans l’affaire Canlapan c. Terdiman [4] . Dans ces deux décisions, il avait été décidé que l’expression « avant jugement » de l’article 1656.5 du Code civil du Bas-Canada (devenu l’article 1883 C.c.Q.) référait au jugement de la Cour du Québec car, à l’époque, les décisions de la Régie étaient appelables de plein droit et la Loi sur la Régie du logement prévoyait alors que la Cour du Québec (la Cour provinciale auparavant) entendait de nouveau la demande. Il ne s’agissait donc pas d’un appel dans le sens traditionnel du terme.

[38]         En 1996, la Loi sur la Régie du logement a été modifiée (articles 91 et suivants) pour retirer le droit d’appel de plano afin d’assujettir le droit d’appel à la Cour du Québec à une demande de permission et à la détermination d’une question qui devrait être soumise à la Cour du Québec. Le contexte législatif qui a pu donner ouverture aux décisions Ouari et Canlapan n’existe donc plus.

[39]         Qui plus est, en 2000, cette question fut tranchée dans l’affaire Michaud c. Picotte [5] , par la Cour du Québec siégeant alors en appel d’une décision de la Régie. Dans cette affaire, les locataires se sont pourvus en appel afin d’éviter la résiliation de leur bail. Ils avaient été condamnés par la Régie à payer aux locateurs une somme de 587,82 $ à titre de loyer dû et frais d'électricité, avec intérêts au taux légal, l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. et les frais judiciaires liquidés à 58,00 $. La veille de la décision de la Régie, les locataires ont payé le loyer dû de 500,00 $. Quant aux intérêts et aux frais qu'ils n'ont pas payés avant la décision de la Régie, ils ont prétendu pouvoir le faire légalement avant le jugement de la Cour du Québec siégeant en appel puisque, selon eux, l’expression « avant jugement » employée à l'article 1883 C.c.Q. fait référence au jugement de deuxième instance qui est celui de la Cour du Québec et non au jugement (la décision) de la Régie.

[40]         À cet égard, le Tribunal fait siens les propos du juge Serge Gagnon :

[2]…Cet article 1883 C.c. se lit comme suit:

1883. Le locataire poursuivi en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer peut éviter la résiliation en payant avant jugement , outre le loyer dû et les frais, les intérêts au taux fixé en application de l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé.

[3]  Un premier regard sur ce texte nous fait constater qu'il s'agit du jugement sur la poursuite qui est évidemment celui de première instance. Ce texte ne paraît pas ambigu mais s'il fallait néanmoins l'interpréter , il faudrait se référer à d'autres dispositions dans lesquelles le législateur parle du jugement final et entrevoir le caractère raisonnable ou absurde des conséquences.

[4]  Lorsque le législateur veut parler du jugement final, il le dit clairement et il utilise le vocabulaire approprié. Le Tribunal a sommairement examiné les dispositions du Code de procédure civile et du Code Civil . Ainsi à l' article 273 du Code de procédure civile , on utilise les mots « jugement de la Cour supérieure passé en force de chose jugée » pour désigner le jugement final. On utilise le même procédé à l' article 970.1 C.p.c. On fait de même à l' article 648 du Code civil du Québec , autrefois l'article 669 C.c.B.C. On y dit que le successible peut renoncer à la succession si, entr'autre, il n'existe pas contre lui de jugement passé en force de chose jugée qui le condamne à titre d'héritier. Nous croyons donc que le législateur aurait libellé le texte en conséquence s'il avait voulu que le jugement mentionné à l' article 1883 C.c.Q. soit le jugement de deuxième instance .

[5]  Par ailleurs, il nous semble que le législateur a voulu recourir à un procédé raisonnablement expéditif de résolution des conflits entre locateurs et locataires. Dans cette perspective, il conviendrait d'examiner les conséquences de la prétention des appelants qui soutiennent que le jugement dont fait état l'article 1883 C.c.Q. est le jugement final. Dans son ouvrage intitulé « interprétation des lois », l'auteur, Me Pierre-André Côté, cite Maxwell à la page 391:

Avant d'adopter une des interprétations suggérées d'un passage qui se prête à plusieurs, il importe de considérer quels en seraient les effets ou conséquences, car ce sont souvent ces effets ou conséquences qui indiquent la vraie signification des mots. Il y a des résultats que le législateur est présumé ne pas avoir eu l'intention de rechercher. On doit donc éviter toute interprétation qui aboutit à l'un d'eux.

[6]  Prenons un instant pour acquis que le mot jugement de l'article 1883 signifie jugement final. Dès lors, le locataire qui veut éviter la résiliation du bail pourrait le faire immédiatement et ultimement avant la décision de la Cour suprême du Canada . En effet, ce locataire peut en appeler de la décision de la Régie du logement devant la Cour du Québec. Ensuite, il pourrait évoquer le jugement de cette Cour, attendre le jugement de la Cour supérieure, celui de la Cour d'appel et ultimement celui de la Cour suprême. Le législateur n'a certainement pas voulu favoriser une telle aventure dans le temps qui conduirait du reste à un déni de justice . À la page 393 de l'ouvrage précité, Me Pierre-André Côté cite le juge Pigeon, alors à la Cour suprême du Canada:

Pour admettre une telle interprétation de la loi, il faudrait que l'intention du législateur d'imposer un résultat aussi inéquitable soit absolument manifeste...

[…]

[8]  Dans la présente affaire, les locataires-appelants ont payé le loyer dû avant jugement et les intérêts et les frais après jugement. L'article 1883 C.c. est suffisamment clair: c'est le loyer dû, les intérêts et les frais qu'il faut payer avant jugement et non l'un ou l'autre si on veut éviter la résiliation du bail . Il s'agit d'une obligation indivisible qui n'est évidemment ni alternative ni facultative . Au surplus, nous sommes d'avis que la Cour du Québec siégeant en appel ne peut se prononcer sur des faits postérieurs à la décision de la Régie car il serait dès lors impossible de rendre le jugement qui aurait dû être rendu, ainsi que le stipule l'article 101 de la Loi sur la Régie du logement .

[Soulignement ajouté]

[41]         Le Tribunal est convaincu que si un locataire désire éviter la résiliation de son bail et son éviction en raison du fait qu’il a fait défaut d’acquitter son loyer pendant plus de trois semaines, il doit payer au locateur et ce, avant jugement c’est-à-dire avant la décision de la Régie , le loyer alors dû ainsi que les frais, les intérêts au taux fixé en application de l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé. Il n’existe aucune controverse jurisprudentielle à ce sujet.

[42]         Pour étayer ses arguments, l’avocat de Mme Issa réfère le Tribunal à trois décisions de la Régie dans lesquelles la régisseure a accordé un délai additionnel d’une semaine aux locataires pour acquitter les sommes qu’ils devaient à leurs locateurs en capital, intérêts et frais. L’avocat précise que ces trois décisions visaient une demande de résiliation de bail en raison d’un retard de plus de trois semaines. Il soutient qu’ils constituent des précédents à considérer d’autant plus qu’ils n’ont pas fait l’objet d’une demande de permission d’appel à la Cour du Québec.

[43]         Qu’en est-il?

[44]         Avec grand respect pour l’opinion contraire, l’absence d’une demande de permission d’appel n’infère pas automatiquement que ces décisions lient pour autant le Tribunal.

[45]         Le Tribunal note que ces trois décisions ont été rendues par la même régisseure, Me Micheline Leclerc, le 2 [6] mars et les 12 [7] et 14 [8] avril 2010.

[46]         La décision Guy revêt une particularité dont s’inspire l’avocat de Mme Guy à l’effet que le délai additionnel octroyé au-delà de la date de la Décision est justifié lorsqu’il y a incertitude quant au montant du loyer à payer. Dans ce dossier, la régisseure est appelée à résilier un bail pour retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer établi à 4 700 $. Le litige porte principalement sur le fait qu’une partie du loyer réclamé (2 150 $) aurait été acquittée par le locataire qui plaçait l’argent comptant dans le cabanon du locateur. Selon la régisseure, il s’agissait d’une pratique négligente du locateur qui l’a laissée perdurer d’autant plus qu’il n’allait pas cueillir l’argent régulièrement. Bref, le locataire affirme avoir placé la somme de 2 150 $ dans le cabanon et le locateur nie l’avoir reçue, d’où la conclusion que l’argent aurait été volé. La régisseure conclut à une responsabilité commune partagée à parts égales quant à cette portion du loyer réclamé, détermine alors le montant exact du loyer impayé par le locataire et prononce la résiliation du bail en accordant à celui-ci un délai additionnel de huit jours pour acquitter le loyer impayé qu’elle vient de fixer.

[47]         Le Tribunal constate que dans l’affaire Guy , contrairement au dossier qui nous occupe, il existait un débat réel quant au loyer à payer vu l’argument du « vol » d’une somme de 2 150 $. Cet argument a été retenu par la régisseure qui a décidé de partager à parts égales entre le locateur et le locataire la perte en raison de leur négligence respective. Pourtant, la régisseure, sans invoquer l’article 1973 C.c.Q., a jugé opportun d’accorder au locataire un délai additionnel de dix jours au-delà du délai prévu à l’article 1883 C.c.Q. Avec grands égards, au point de vue équité, la décision d’accorder le délai additionnel peut être compréhensible vu que le locataire ne pouvait connaître le montant exact des arrérages de loyer avant de lire la décision de la Régie. Outre une considération d’équité, ce délai accordé ne respecte pas les dispositions de l’article 1883 C.c.Q. et cette décision ne peut être retenue par le Tribunal. 

[48]         Il en est de même des deux autres décisions citées.

[49]         Le 12 avril 2010, dans la décision Beaudet , la régisseure Micheline Leclerc écrit :

[4] Le locataire doit payer son loyer pendant toute la durée du bail selon l’article 1855 C.c.Q. et lorsqu’il fait défaut de respecter ses obligations, le locateur peut réclamer les sommes dues et la résiliation du bail tel que prescrit à l’article 1971 du Code civil du Québec :

« 1971.   Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement.»

[5] Lorsqu’un locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, le Tribunal n’a aucune discrétion : il doit résilier le bail .

[6] Le locataire soulève une défense d’exception.  Or tel qu’expliqué à l’audience, la jurisprudence exige qu’une partie introduise son recours comme l’a rappelé le Tribunal dans l’affaire Nguyen c. Savard [9]  :

«  Tel qu’expliqué au locataire lors de l’audience, le Tribunal ne peut ici retenir ce moyen de défense en sa faveur. La jurisprudence bien établie ne reconnaît pas à une partie le droit unilatéral de se faire justice à elle-même et de retenir le loyer pour forcer une autre partie à exécuter ses propres obligations ou pour se compenser des inconvénients subis.  Le Tribunal saisi d’une demande du locataire sera en mesure d’apprécier la preuve de l’inexécution des obligations du locateur et d’évaluer la compensation qui pourra être accordée au locataire pour les inconvénients ainsi occasionnés, le cas échéant.  Dans l’intervalle, celui-ci se doit de respecter ses propres obligations ».

[7] La preuve a révélé que le locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer et le Tribunal doit résilier le bail

[8] Le locataire peut éviter la résiliation du bail en payant avant jugement les sommes dues en capital, intérêts et frais tel que prévu à l’article 1883 C.c.Q. :

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

CONDAMNE le locataire à payer au locateur la somme de 1 150 $, avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, depuis le 1 er avril 2010 plus 72 $ pour les frais judiciaires et de signification;

A DÉFAUT de paiement avant le 20 avril 2010 des sommes dues en capital, intérêts et frais :

RÉSILIE le bail et ORDONNE l’éviction du locataire et de tous les occupants du logement;

RÉSERVE les recours du locateur;

REJETTE quant au surplus.

[Soulignement ajouté]

[50]         Deux jours plus tard, le 14 avril 2010, la même régisseure rend la décision suivante dans l’affaire Carpentier :

[2] Les parties ont conclu un bail pour la période du 1 er juillet 2009 au 30 juin 2010 au loyer mensuel de 625 $ payable le premier jour du mois.

[3] Le locateur réclame 1 080 $ ainsi que le loyer du mois de février 2010.  Les locataires produisent une copie de leurs relevés bancaires faisant état qu’une somme de 130 $ a été retirée le 8 février qu’il a appliqué au loyer du mois de janvier et qu’une somme de 950 $ a été retirée le 25 février ce qui totalise les arrérages de 1 080 $.  Ils disent aussi avoir payé le loyer du mois de février le 18 mars ainsi que le loyer du mois de mars.

[4] Le locateur reconnaît le paiement des arrérages de 1 080 $ et dit qu’il a appliqué le paiement du 18 mars au loyer du mois de février impayé.

[5] Le Tribunal a autorisé les locataires à produire la preuve du paiement du loyer du mois de février au plus tard le 12 avril 2010, ce qui n’a pas été fait .

DÉCISION

[6] Le locataire doit payer son loyer pendant toute la durée du bail selon l’article 1855 C.c.Q.  et lorsqu’il fait défaut de respecter ses obligations, le locateur peut réclamer les sommes dues et la résiliation du bail tel que prescrit à l’article 1971 du Code civil du Québec.  :

« 1971.   Le locateur peut obtenir la résiliation du bail si le locataire est en retard de plus de trois semaines pour le paiement du loyer ou, encore, s'il en subit un préjudice sérieux, lorsque le locataire en retarde fréquemment le paiement.»

[7] Lorsqu’un locataire est en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, le Tribunal n’a aucune discrétion : il doit résilier le bail .

[8] La preuve a révélé que les locataires sont en retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer et le Tribunal doit résilier le bail

[9] Toutefois tel que mentionné à l’audience, les locataires peuvent éviter la résiliation de leur bail en payant avant jugement les sommes dues en capital, intérêts et frais tel que prévu à l’article 1883 C.c.Q. :

« 1883.  Le locataire poursuivi en résiliation du bail pour défaut de paiement du loyer peut éviter la résiliation en payant, avant jugement, outre le loyer dû et les frais, les intérêts au taux fixé en application de l'article 28 de la Loi sur le minis­tère du Revenu ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé.»

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

CONDAMNE les locataires à payer au locateur la somme de 625 $, avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, depuis le  1 er mars 2010 plus 78 $ pour les frais judiciaires et de signification;

A DÉFAUT de paiement avant le 23 avril 2010 des sommes dues en capital, intérêts et frais  :

RÉSILIE le bail et ORDONNE l’éviction des locataires et de tous les occupants du logement.

RÉSERVE les recours du locateur;

REJETTE quant au surplus.

[Soulignement ajouté]

[51]         Avec grands égards, tout autant sympathiques et particulières puissent être les situations vécues par ces divers locataires, en présence d’un retard du paiement du loyer de plus de trois semaines, la régisseure ne disposait d’aucun pouvoir discrétionnaire pour retarder la résiliation du bail au-delà de la date de sa propre décision. De fait, la régisseure le reconnaît dans ses propres décisions.

[52]         Fait à noter, la régisseure n’invoque pas les dispositions de l’article 1973 C.c.Q. pour justifier l’octroi du délai de grâce additionnel.

[53]         Qu’en est-il de la question autorisée, a près avoir constaté que la locataire était en retard de plus de trois semaines dans le paiement de son loyer, le juge administratif de la Régie du logement avait-il la discrétion pour lui accorder un délai supplémentaire de paiement avant de prononcer la résiliation du bail ?

[54]         Le Tribunal doit répondre à cette question par la négative.

[55]         Le libellé de l’article 1973 C.c.Q. ne souffre d’aucune ambiguïté. Le pouvoir du tribunal d’ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine , au lieu d’accorder au locateur qui le demande la résiliation du bail, n’est pas disponible si la demande qui donne ouverture à la résiliation est fondée sur un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer. [10]

[56]         Le premier paragraphe de l’article 1973 C.c.Q. limite le pouvoir du tribunal (régisseur) de choisir entre accorder immédiatement la résiliation du bail ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine lorsqu’il existe un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

[57]         Le législateur a spécifiquement prévu qu’en cas de retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer, la discrétion offerte au premier paragraphe de 1973 C.c.Q. n’est pas disponible au tribunal (régisseur) qui est appelé à prononcer la résiliation du bail. Ce choix est cependant disponible lorsque la demande de résiliation n’est fondée que sur des retards fréquents dans le paiement du loyer.

[58]         Ce n’est pas parce que le locateur invoque à l’encontre d’un locataire un retard de trois semaines en même temps qu’il soutient avoir souffert d’un préjudice sérieux découlant de retards fréquents dans le paiement du loyer qu’il ouvre, par le fait même, la porte au régisseur de la Régie d’exercer la discrétion judiciaire que confère l’article 1973 C.c.Q. laquelle ne peut s’exercer en pareilles circonstances.

[59]         Au surplus, l’article 1883 C.c.Q. ne confère aucune discrétion au régisseur qui prononce la résiliation du bail si le locataire est en défaut de payer le loyer. En pareilles circonstances, le locataire ne peut éviter la résiliation que s’il acquitte avant jugement les arrérages de loyer ainsi que les frais, les intérêts au taux fixé en application de l'article 28 de la Loi sur le ministère du Revenu ou à un autre taux convenu avec le locateur si ce taux est moins élevé. L’article 1883 C.c.Q. est un article d’ordre public (article 1893 C.c.Q.) et il a déjà été déterminé que l’article 1883 C.c.Q. vise le jugement ou la décision de la Régie.

[60]         Avec égard, la Décision rendue est incorrecte en droit tout en étant déraisonnable dans les circonstances. La Cour du Québec doit donc intervenir pour modifier celle-ci et rendre la décision qui aurait dû être rendue par la Régie en l’espèce.

[61]         Il y a cependant lieu de disposer d’un autre argument soulevé par Mme Issa, à savoir qu’en raison de la soi-disant ambiguïté du bail signé, il n’était pas certain, à tout le moins dans son esprit, qu’elle devait acquitter le loyer pour le second logement, d’où son impossibilité d’acquitter l’entièreté de la « dette » avant la Décision.

[62]         Cet argument ne peut être retenu, à la lumière de la Décision. Il est manifeste que la régisseure n’a pas accordé de crédibilité au témoignage de Mme Issa et à ses témoins à ce sujet, en relevant ses propres contradictions. De plus, cet argument est incompatible avec les motifs indiqués dans la demande de rétractation de Mme Issa.

[63]         En fonction de la preuve offerte devant la Régie, incluant les pièces produites de part et d’autre, Mme Issa payait deux loyers avant la relocalisation et bénéficiait d’une subvention du Comité d’aide. La proposition de relocalisation temporaire impliquait un scénario identique. Il lui fallait cependant compléter les démarches entamées par Domaine de Parc Cloverdale pour obtenir la subvention du Comité d’aide. Tout indique que Mme Issa l’aurait obtenue si elle avait fourni l’information et la documentation requises par le Comité d’aide en temps opportun. Mme Issa devait nécessairement être familière avec ce processus compte tenu qu’elle recevait déjà la subvention pour les logements de Station Road.

[64]         De fait, la Décision révèle que Mme Issa a admis avoir « perdu  sa subvention » en raison de ses propres omissions, qu’elles soient justifiées ou non.

[65]         Or, les documents produits devant la Régie révèlent de façon éloquente toutes les opportunités accordées par le Comité d’aide à Mme Issa pour fournir l’information qui lui permettait d’obtenir la subvention qu’elle pouvait avoir. Son omission, justifiée ou non, de répondre aux demandes répétées du Comité d’aide est difficilement compréhensible compte tenu que ces demandes se sont étalées sur plusieurs mois d’autant plus que le Comité d’aide ne cherchait qu’à aider Mme Issa à obtenir la subvention à laquelle elle avait vraisemblablement droit.

[66]         Étonnamment, le 30 octobre 2009, lorsqu’elle dépose sa demande de rétractation, Mme Issa sait qu’elle a déjà été condamnée à payer des arrérages de plus de 5 000 $ et elle est manifestement au courant qu’elle peut obtenir une subvention par l’entremise du Comité d’aide, car elle mentionne dans sa demande de rétractation qu’elle doit recevoir la subvention d’ici la fin du mois de novembre 2009. Pourtant, à l’audience du 10 mars 2010, plus de quatre mois plus tard, la subvention n’a toujours pas été obtenue par Mme Issa pour les raisons mentionnées ci-devant qui l’incombent.

[67]         Entre-temps, les mois s’écoulent et le montant du loyer impayé continue de s’accroître à plus de 8 000 $. Il ne fait aucun doute dans l’esprit du Tribunal, que cette insouciance, à tout le moins apparente, a causé un préjudice sérieux à Domaine de Parc Cloverdale et justifie la résiliation du bail, comme l’a constaté avec justesse la régisseure.

[68]         Par ailleurs, Mme Issa invoque que la Décision doit être interprétée en gardant à l’esprit son droit au maintien dans les lieux qui doit avoir préséance. Dans l’affaire Michaud [11] , l’argument du « droit au maintien dans les lieux » fut invoqué par les locataires pour justifier qu’ils ne fassent pas l’objet d’une éviction de leur logement malgré qu’ils n’aient pas payé toutes les sommes dues aux locateurs « avant le jugement » de la Régie. Le juge Gagnon a alors traduit de façon particulièrement éloquente la pensée du Tribunal à ce sujet dans la présente cause :

[7]  D'autre part, les locataires-appelants plaident que leur interprétation du mot jugement coïncide avec la philosophie du législateur qui entend favoriser le maintien du locataire dans les lieux loués . Avec égards, nous croyons qu'il s'agit là d'un argument spécieux. Il est vrai que le législateur favorise le maintien du locataire dans les lieux loués mais uniquement lorsqu'il se conforme à la loi . Cette philosophie socio-juridique n'a jamais eu pour effet de faire disparaître les obligations légales des parties et ne constitue donc pas à elle seule un principe d'interprétation.

[Soulignement et mise en gras ajoutés]

[69]         En terminant, l’avocate du locateur argumente que le libellé du dispositif de la Décision, en assujettissant l’ordonnance de résiliation et d’éviction à une condition suspensive, ne respecte pas les dispositions impératives de l’article 469 du Code de procédure civile qui prévoient que le jugement doit être susceptible d’exécution.

[70]         L’avocate a entièrement raison, le dispositif de la Décision contient une condition suspensive qui déroge clairement à la règle de l’article 469 du Code de procédure civile . La locataire avait le loisir d’influencer le caractère exécutoire de la Décision au-delà de la date à laquelle elle a été rendue. Qui plus est, l’utilisation par la régisseure de l’expression « sa dette [12]  » est vague et imprécise. S’agissait-il des sommes prévues à l’article 1883 C.c.Q.? Cette ordonnance aurait dû être plus spécifique pour être susceptible d’être exécutoire.

 

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

 

ACCUEILLE l'appel du locateur, Domaine de Parc Cloverdale;

 

INFIRME partiellement la décision rendue par Me Linda Boucher, régisseure, datée du

26 mars 2010 dans le dossier de la Régie du logement portant le numéro 31 090825 150 G (la «  Décision  »);

 

ANNULLE , à toutes fins que de droit, l’ordonnance de la Décision autorisant la locataire, madame Amoun Issa, de payer son loyer le 1er de chaque mois si elle est en mesure de s’acquitter de sa dette avant l’expiration du délai d’appel ;

 

MAINTIENT la Décision quant aux autres conclusions; et par conséquent;

 

RÉSILIE le bail et ORDONNE l'expulsion de la locataire, madame Amoun Issa, et de tous les occupants des deux logements;

 

CONDAMNE la locataire, madame Amoun Issa, à payer au locateur, Domaine de Parc Cloverdale, la somme de 8 821 $ plus les intérêts au taux légal et l’indemnité additionnelle prévue à l’article 1619 C.c.Q., à compter de l’échéance de chaque loyer, plus les frais judiciaires de 71 $;

 

REJETTE la demande quant aux autres conclusions;

 

LE TOUT , avec dépens en faveur du locateur, Domaine de Parc Cloverdale.

 

 

 

 

 

__________________________________

MICHEL A. PINSONNAULT, J.C.Q.

 

Me Catherine Sylvestre

SYLVESTRE FAFARD PAINCHAUD

Avocate du locateur/Appelant

 

 

Me Éric Martineau

Avocat de la locataire/Intimée

 

 

Date d’audience :

10 décembre 2010

 



[1] 101. Le tribunal peut confirmer, modifier ou infirmer la décision qui fait l'objet de l'appel et rendre le jugement qui aurait dû être rendu.

[2] L.R.Q., c. R-8.1.

[3] [1987] R.J.Q. 1443

[4] [1996] J.L. 389

[5] 2000 IIJCan 19169 (QC C.Q.)

[6] Guy c. Roy , 2010 QCRDL 7899

[7] Beaudet c. Vaillancourt Dupont , 2010 QCRDL 13676

[8] Carpentier c. Corriveau , 2010 QCRDL 14467

[9] (2004) J.L. 201 (R.L.)

[10] Blanco c. Commission des loyers , [1980] 2 R.C.S. 827 ; Habitation Populaire de L’Outaouais inc. c. Bourgon , 550-80-000241-030, 26 janvier 2005

[11] Précitée, Note 4

[12] ORDONNE à la locataire de payer son loyer le 1 er de chaque mois si elle est en mesure de s’acquitter de sa dette avant l’expiration du délai d’appel ;

[Soulignement ajouté]