Monette c. Repentigny (Ville de) |
2011 QCCS 955 |
JF0770
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
JOLIETTE |
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N o : |
705-17-002990-099 |
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DATE : |
4 mars 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE: |
L'HONORABLE JACQUES R. FOURNIER, J.C.S. |
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CLAUDE MONETTE |
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demandeur-intimé |
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c. |
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LA VILLE DE REPENTIGNY |
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défenderesse-requérante |
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JUGEMENT |
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[1] La défenderesse (Repentigny) demande de rejeter l'action du demandeur (Monette), un fonctionnaire municipal, pour le motif que son droit d'action relève de la compétence exclusive de la Commission des relations du travail en vertu de la Loi sur les cités et villes, LRQ ch. C-19 et du Code du travail.
[2] Monette poursuit Repentigny essentiellement pour réclamer un délai de congé supérieur à celui fixé par une transaction qu’il a signée le 21 octobre 2008, qui mettait fin à son emploi auprès de Repentigny.
[3] Il est utile d'en reproduire le texte qui se lit comme suit :
ATTENDU que l’Employé a été à l’emploi de l’Employeur jusqu’au 25 août 2008 ;
ATTENDU que l’Employeur a procédé à une restructuration administrative mettant ainsi fin à l’emploi de l’Employé le 25 août 2008 ;
ATTENDU que les parties, sans admission de responsabilité, désirent mettre fin à tout litige existant et prévenir tout litige possible et éventuel pouvant découler de l’emploi de l’Employé chez l’Employeur ou de la cessation dudit emploi ;
LES PARTIES CONVIENNENT DE CE QUI SUIT :
1. Le préambule fait partie des présentes.
2. L’Employeur verse à l’Employé une somme correspondant à trois (3) mois de salaire régulier correspondant à 23 477 $ brut, à titre d’indemnité de départ et de délai de congé, somme à être versée selon le mode de paiement formulé par l’Employé, et ce, dans les trente (30) jours de la signature des présentes. Cette somme de 23 477 $ sera majorée de 9% correspondant à la contribution de l’Employeur au REER collectif de l’employé, totalisant ainsi une indemnité de départ au montant de 25 590 $ brut.
3. L’Employeur verse à l’Employé, au prorata, le solde des banques de temps non prises à la date de la cessation d’emploi.
4. La Ville de Repentigny s’engage à donner à l’Employé une lettre de référence conforme au texte apparaissant à l’Annexe «A» des présentes. De plus, la Ville de Repentigny s’engage à donner des références de même nature que celle apparaissant à ladite lettre de référence de toute personne, employeur ou autre, qui en fera la demande.
5. En considération des engagements ci-haut, l’Employé reconnaît qu’elle n’a plus de lien d’emploi avec l’Employeur depuis le 25 août 2008.
6. L’Employé reconnaît de plus que les engagements de l’Employeur sont suffisants et libératoires de toute obligation de ce dernier pouvant découler de son emploi ou de la cessation de celui-ci.
7. En considération de ce qui précède, les parties se donnent entre elles quittance complète, finale et définitive, pour leur compte et pour le compte de leurs héritiers, administrateurs, ayants droit, officiers, représentants, employés, mandataires et agents présents ou passés, de toute action, cause d’action, dette, plainte, contestation, réclamation ou demande passée, présente ou future, devant tout tribunal judiciaire, quasi judiciaire ou administratif pouvant résulter directement ou indirectement de l’emploi ou de la cessation d’emploi de l’Employé.
8. L’Employé déclare avoir eu l’opportunité de consulter au sujet du présent document et déclare avoir eu le temps nécessaire pour le lire et l’étudier et ajoute avoir consenti è la présente transaction et quittance librement et volontairement après avoir compris tous les termes et être en accord avec ceux-ci.
9. La présente entente constitue une transaction au sens des
articles
EN FOI DE QUOI, les parties ont signé à Repentigny, ce 21 e jour du mois d’octobre 2008.
[4] Repentigny a déjà présenté une requête en rejet d’action sous 54.1 C.p.c. où elle plaidait transaction. Sa requête a été rejetée du bout des lèvres par le juge Blanchard dans les termes suivants :
Considérant aux termes de l’arrêt Royal Lepage commercial inc. c. 109650 Canada Ltd, 2007, QCCA 915 et notamment les par. 42 à 46 que le Tribunal ne peut empêcher au plaideur de faire valoir une thèse qui bien qu’en apparence fragile offre quand même une possible chance de succès.
[5]
La prétention de Monette, qui lui a permis de
survivre à la première requête en rejet repose sur la prémisse qu’au moment où
il a signé la transaction, son droit à un délai-congé n’était pas encore né de
sorte qu’il ne pouvait renoncer à la protection de l’article
[6] Il prétend qu’il ne peut à l’avance renoncer à une protection d’ordre public.
[7] Le raisonnement de Monette s’appuie sur la décision de la Cour suprême dans Garcia Transport Ltée c. Compagnie Trust Royal . [1]
[8] Dans cet arrêt la Cour suprême décidait que l’on ne peut validement renoncer à une protection d’ordre public. On y lit le passage suivant :
De plus, les dispositions des art. 1202a et suiv. C.c.B.-C. sont conformes à d'autres lois d'ordre public édictées ces dernières années pour la protection des débiteurs. Ainsi, les art. 1040a et suiv. C.c.B.-C. prévoient que les créanciers ne peuvent, sans avis, saisir les biens immeubles affectés à la garantie d'une dette, et que les tribunaux peuvent intervenir pour réduire le montant d'une dette lorsqu'elle est excessive et l'opération, " abusive et exorbitante ". Bien que, comme l'a souligné le juge Vallerand de la Cour d'appel, l'art. 1040e C.c.B.-C. stipule expressément que ses dispositions sont d'ordre public, le silence du législateur à cet égard aux art. 1202a et suiv. C.c.B.-C. ne saurait empêcher les tribunaux de conclure qu'il s'agit de dispositions édictées à des fins d'ordre public.
Mais plus important encore, si l'on veut qu'elles aient quelque effet, les dispositions des art. 1202a et suiv. C.c.B.-C. doivent nécessairement être impératives. La réalité des relations entre créancier et débiteur est en effet telle que les conditions d'un prêt sont souvent standardisées et dictées par le prêteur, devenant ainsi des contrats d'adhésion véritables. Comme le fait remarquer le juge Jacques de la Cour d'appel, si ces dispositions étaient purement facultatives, la renonciation à leur bénéfice deviendrait rapidement une clause type dans tous les contrats de prêt au Québec (à la p. 928):
Les articles 1202 a et sqq. du Code civil , intitulés "De la libération de certains débiteurs", ont été adoptés pour la seule protection des débiteurs.
À sa face même, la section VIII (art. 1202 a à 1202 l ) du code n'est ni interprétative de contrats ni simplement supplétive de la volonté des contractants. Elle est impérative en ce qu'elle crée un régime de libération d'un débiteur. Elle serait lettre morte si ce régime était facultatif. Elle n'atteindrait pas alors son but. Elle fait échec à la volonté des parties contractantes, même si cela n'est pas dit en toutes lettres. Cela découle du texte et de la nature du droit qu'elle crée.
La section VIII constitue donc un ensemble de dispositions législatives d'ordre public économique de protection des débiteurs hypothécaires. [Je souligne.]
C'est aussi mon avis. La présente instance illustre bien les abus auxquels le législateur cherchait à remédier ainsi que la nécessité de conférer aux dispositions édictées un caractère impératif. La Banque a certes admis que Garcia avait été libérée de sa dette envers elle à la suite de la deuxième vente par shérif. Mais si Garcia ne l'avait pas été, et si les art. 1202a et suiv. C.c.B.-C. n'étaient pas d'ordre public, la Banque n'aurait, même aujourd'hui, aucune obligation de la libérer. Elle pourrait continuer à exécuter son jugement contre Garcia pour le reliquat de la dette, même si les immeubles lui appartenant valent beaucoup plus que le montant de ce jugement, intérêts compris. De toute évidence, les dispositions seraient ainsi rendues totalement inefficaces, contrairement à l'esprit de la loi et à l'intention manifeste du législateur.
Pour ces motifs, je suis d'avis que la Cour d'appel a eu raison de conclure que les art. 1202a et suiv. C.c.B.-C. constituent des dispositions d'ordre public économique de protection. Or, quelles conséquences cette conclusion entraîne-t-elle?
La renonciation
La première
et la plus importante conséquence est qu'on ne peut, en principe, renoncer au
bénéfice d'une loi d'ordre public. L'article
13. On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l'ordre public ou les bonnes moeurs.
[9] La requête sous étude ne s’attaque plus à la question de la chose jugée issue de la transaction, mais porte sur la question de la juridiction de la Cour supérieure.
[10] Dans un arrêt récent, Kirkland c. Chabot [2] , la Cour d’appel a conclu que dans le cas de destitution d’un fonctionnaire municipal, la Commission des relations du travail est seule compétente.
[11] Dans les faits de cet arrêt, Madame Chabot, fonctionnaire municipale, avait été réaffectée à d’autres tâches dans le cadre d’une réorganisation administrative dont elle ne contestait pas la légitimité, affirmant que la ré-affectation constituait une rétrogradation, elle a démissionné et poursuivi l’employeur duquel elle réclamait un délai de congé suite à ce qu’elle qualifiait de congédiement déguisé.
[12] La Cour d’appel en est venue à la conclusion, contrairement à la Cour supérieure, que dès que le fonctionnaire prétendait que le congédiement constituait la base de son recours, il ne pouvait s’agir que d’une destitution sur laquelle la seule juridiction était celle de la Commission des relations du travail.
[13] Voici ce qu’écrit le juge en chef Robert :
[38] L'ajout
en 2001 de l'Annexe I au Code du travail consacre l’exclusivité de juridiction
de la C.R.T. Or, le jugement Mormina précité a été rendu bien avant l’adoption
de l’Annexe I. Il ne peut alors y avoir un recours qui s’ajoute à celui
déjà prévu par l'article
[39] Par
ailleurs, invoquant, dans sa requête introductive d’instance, l’existence d’un
congédiement déguisé, l’intimée soutient que le juge avait raison de déclarer
la Cour supérieure compétente. Dans leur Traité de droit administratif, volume
2, 2
e
éd., P.U.L., Montréal, 1986, à la page 422, les auteurs René
Dussault et Louis Borgeat résument les propos de la Cour suprême, exprimés dans
les arrêts Jacmain c. Procureur général (Canada) et autre,
[…] la Cour suprême a jugé que la seule appellation donnée par l’employeur à une mesure prise contre l’employé ne pouvait permettre de trancher la question de la compétence d’un arbitre ou de la Commission de la Fonction publique. L’organisme saisi du litige doit examiner quelle mesure a été prise en fait, indépendamment du nom qu’on lui donne .
]JE SOULIGNE]
[40] Par analogie avec ce qui précède, le fait d’invoquer, pour l'intimée, un congédiement déguisé dans ses actes de procédure ne suffit pas pour donner compétence à la Cour supérieure puisque les faits allégués démontrent qu'il s'agit d'une destitution.
[41] Ainsi, je suis d'avis que la Cour supérieure n'est pas compétente sur le litige.
[14]
L’article
2091. Chacune des parties à un contrat à durée indéterminée peut y mettre fin en donnant à l'autre un délai de congé.
Le délai de congé doit être raisonnable et tenir compte, notamment, de la nature de l'emploi, des circonstances particulières dans lesquelles il s'exerce et de la durée de la prestation de travail.
[15]
L’article
2092. Le salarié ne peut renoncer au droit qu'il a d'obtenir une indemnité en réparation du préjudice qu'il subit, lorsque le délai de congé est insuffisant ou que la résiliation est faite de manière abusive.
[16]
Par ailleurs, «
l’une et l’autre des parties
peut, pour un motif sérieux, résilier unilatéralement et sans préavis le
contrat de travail.
» Il s’agit du texte intégral de l’article
[17] Lorsque la protection est à l’avantage de l’employé, il n’y a droit que si c’est l’employeur qui prend l’initiative de la fin du contrat de travail dans le cas d’un congédiement ou s’il s’agit d’un fonctionnaire municipal d’une destitution. De plus, il n’y a droit que dans la mesure où le congédiement est sans cause juste et suffisante.
[18]
La Cour d’appel a décidé que dans le cas d’un
congédiement déguisé qui donc n’a pas été assujetti aux formalités de
destitution prévues aux articles
[19] Pour réussir dans son recours et offrir à Monette la protection dont il se réclame, il faudra déterminer que c’est l’employeur qui a pris l’initiative de la fin du contrat d’emploi et s’il avait une cause juste et suffisante.
[20] Monette a beau prétendre qu’il ne remet pas en cause la transaction mais seulement la durée du délai de congé qui lui a été consenti, les circonstances alléguées des événements qui ont mené à son départ dont sa suspension, ont fait partie de la transaction (par. 22 et ss de la requête introductive d’instance).
[21] On ne peut penser que la durée du délai de congé s’apprécie sans tenir compte des motifs de Repentigny et de Monette pour mettre fin au contrat d’emploi. Décider autrement équivaudrait à permettre à l’employé de contester la durée sans tenir compte du droit de l’employeur d’étayer ses motifs. Or si l’employeur étaie ses motifs, on revient à la case départ et seule la Commission des relations du travail a juridiction pour décider de la validité des motifs qui auraient mené à la destitution.
[22] Repentigny avait peut-être droit de mettre fin à l’emploi pour cause juste et suffisante selon 2094 C.c.Q. Elle a transigé sur ce droit, on ne peut l’exposer à payer le délai de congé sans lui permettre de faire valoir ses motifs. Or ceux-ci sont de la juridiction de la Commission des relations du travail au sens de Kirkland c. Chabot [4] .
[23] La Cour supérieure est sans juridiction.
[24] POUR CES MOTIFS , le tribunal :
[25] ACCUEILLE la requête ;
[26] REJETTE l’action avec dépens.
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Jacques R. Fournier, j.c.s. |
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Me Théodore Goloff ROBINSON, SHEPPARD procureurs du demandeur-intimé |
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Me Alain Chevrier Me Orélie Landreville DUNTON, RAINVILLE procureurs de la défenderesse-requérante |
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date d’audience : 17 février 2011 |