TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2011-1129

 

Date :

25 février 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

Me Gabriel-M. Côté, arbitre

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SYNDICAT DES PROFESSIONNELLES EN SOINS DE QUÉBEC (SPSQ)

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

Et

CHSLD CHANOINE-AUDET

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

 

Plaignant(e) :

Madame Hélène Bernier

 

Grief(s) :

 

Numéro 615317 déposé au nom de Madame Hélène Bernier (contestation d’une réprimande)

 

 

 

 

Convention collective :

         2006 - 2010

 

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SENTENCE ARBITRALE

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LE GRIEF ET LA PREUVE

[1]            Par son grief daté du 10 mai 2010, la plaignante, Madame Hélène Bernier, une infirmière au service de l’employeur partie aux présentes, conteste une mesure disciplinaire, à savoir une réprimande qui lui a été imposée le 30 avril 2010.  Ce jour-là en effet, l’employeur, sous la plume de Madame Lyne Émond, chef d’unité, informait la plaignante de cette mesure et des faits et raisons à la base de celle-ci dans les termes suivants (S-3) :

« Nous avons été informés de votre absence du 2 avril 2010.  Lors de notre rencontre du 6 avril dernier, vous avez invoqué comme raison de votre absence du 2 avril 2010, que le fait d’être seule sur l’étage vous stressait beaucoup.

Nous vous rappelons que vous devez fournir une prestation de travail selon votre contrat de travail.  Qui plus est, votre code de déontologie stipule qu’une « infirmière ne peut poser un acte ou avoir un comportement qui va à l’encontre de ce qui est généralement admis dans l’exercice de la profession » .

Ce motif d’absence constitue un manquement inacceptable dans notre établissement et ne peut être par conséquent toléré.  Vous avez agi de façon irresponsable et irrespectueuse envers nos résidents et vos collègues de travail.  De plus, votre absence aurait pu avoir de graves répercussions, compte tenu de notre difficulté à effectuer les remplacements.

Par ailleurs, lors de cette journée, le cadre de garde vous a laissé deux messages.  Si nous avions pu vous rejoindre, nous vous aurions proposé des alternatives afin de vous soutenir dans votre travail, lorsqu’une circonstance comme celle-ci se produit.  Malheureusement, vous n’avez pas retourné nos appels téléphoniques.  Par conséquent, une de vos collègues à (sic) effectuer (sic) ce temps supplémentaire et a bénéficié de ce soutien.

Nous espérons que vous comprenez l’importance de respecter votre contrat de travail.  Nous vous rappelons que le fait de vous absenter, perturbe l’organisation du travail, le service à la clientèle, et la charge de travail de vos collègues.

Nous vous demandons de prendre les moyens nécessaires pour assurer votre présence au travail.  À défaut, nous devrons prendre des mesures disciplinaires plus sévères. »

[2]            Fondamentalement, l’employeur prétend, on le verra plus en détail plus loin, que ce 2 avril 2010, un Vendredi Saint, la plaignante n’a pas accompli ce à quoi elle s’était librement et volontairement engagée le 25 mars 2010, c’est-à-dire accomplir un quart de travail en temps supplémentaire de soir (de 15H15 à 23H15); il soutient que l’absence de la plaignante a eu pour effet de « perturber l’organisation du travail, le service à la clientèle, et la charge de travail de (ses) collègues » et aurait pu avoir «  de graves répercussions » etc.

[3]            À l’audience, l’employeur, sur les épaules de qui repose le fardeau de la preuve en semblable matière (matière disciplinaire) a fait témoigner, dans l’ordre, les personnes suivantes, savoir :

-        La plaignante elle-même Madame Hélène Bernier;

-        Madame Mélanie Ferland, agente administrative;

-        Madame Manon Drolet, chef d’unité;

-        Madame Lyne Émond, chef d’unité;

-        Madame Sophie Barsetti, directrice régionale.

[4]            De son côté, en défense, le syndicat, outre de faire témoigner de nouveau la plaignante a produit comme témoins les infirmières auxiliaires Marie-Chantale Giguère et Josée Dumas.

[5]            En contre preuve, l’employeur a fait témoigner Madame Marie-Éve Bernier, agente administrative.

[6]            Le CHSLD Chanoine-Audet de Saint-Romuald est l’un des trois (3) CHSLD exploités par le Groupe Champlain dans les régions de Québec et Chaudière - Appalaches.  Les deux (2) autres établissements sont situés, l’un à Charlesbourg et l’autre à St-Georges de Beauce.

[7]            Sauf Madame Sophie Barsetti qui est directrice du Groupe Champlain pour les régions de Québec et Chaudière - Appalaches et Madame Manon Drolet qui est attachée comme chef d’unité à l’établissement de Charlesbourg, toutes les autres personnes qui ont témoigné à l’audience sont strictement des employées du CHSLD partie aux présentes, le CHSLD Chanoine-Audet de Saint-Romuald.

[8]            Le tribunal comprend de l’ensemble de la preuve qu’il y a au CHSLD Chanoine-Audet deux (2) unités de soins ( « étages 2 et 3 » ), comprenant quarante-huit (48) résidents chacune.  Ceux-ci, à cause de leur âge et autres caractéristiques personnelles (maladie, déficience mentale ou physique etc.) sont dans un état d’infériorité et de dépendance envers les salariés veillant à leurs soins.  Le travail du personnel est peut-être un peu plus difficile au 3 qu’au 2 parce que les patients du 3 ont davantage de troubles de comportements et prennent peut-être un peu plus de médicaments que ceux du 2, en tout cas c’est le témoignage de Madame Bernier, mais fondamentalement, globalement, 2 ou 3 peu importe, il s’agit évidemment d’une clientèle de CHSLD présentant à toute fin pratique les mêmes caractéristiques, demandant les mêmes soins, le même personnel soignant en quantité et en qualité, à en juger strictement par la preuve en général, bref les différences entre les patients des deux (2) étages ne sont pas assez grandes pour avoir quelque influence dans le présent dossier.

[9]            Il y a trois (3) quarts de travail : jour, soir, nuit.  Les heures de travail, de jour, sont de 7H30 à 15H30, de soir de 15H30 à 23H15 et de nuit de 23H15 à 7H30.

[10]         Les quarts de travail les plus pertinents, pour les fins de la présente décision, sont ceux de jour et de soir, surtout celui de soir.

[11]         De jour, le personnel soignant est composé, par étage, d’une (1) infirmière, de deux (2) infirmières auxiliaires et d’un certain nombre de préposés aux bénéficiaires.  De soir, la structure est un peu différente : il y a, par étage, une (1) infirmière (AIC), une (1) infirmière auxiliaire et cinq (5) ou six (6) préposés aux bénéficiaires.

[12]         Il va de soi que de soir, la tâche la plus importante de l’infirmière et de l’infirmière auxiliaire, c’est la préparation et l’administration des médicaments, ainsi que l’administration de traitements d’autre nature.  Les médicaments sont distribués deux (2) fois en soirée, une première fois entre 16H00 et 17H30 et une deuxième fois, « au coucher » , quelque part entre 20H00 et 22H00.

[13]         Madame Bernier était titulaire à l’époque pertinente, d’un poste de nuit au 2 : quatre (4) nuits par période de deux (2) semaines (4 - 14).  Elle était en plus inscrite sur la liste de rappel de l’établissement, sa disponibilité exprimée étant de sept (7) jours ( « de jour » ) par période de deux (2) semaines.  Elle avait exprimé en outre une disponibilité pour effectuer du travail en temps supplémentaire.  De fait, elle acceptait de faire des quarts de travail en temps supplémentaire.  Le 3 lui étant familier également, elle y avait fait bon nombre de remplacements.

[14]         L’horaire hebdomadaire le plus pertinent au présent dossier est celui de la semaine s’étendant du dimanche 28 mars au samedi 3 avril 2010, puisque le Vendredi Saint 2 avril 2010, jour à marquer d’une pierre blanche, est inclus dans cette semaine-là.  Durant la semaine en question, Madame Bernier a notamment travaillé :

-        Le jeudi 1 er avril, de soir, de 15H15 ou peut-être 18H30 à 23H15 en temps supplémentaire et ensuite, comme le veut son poste, de nuit, de 23H15 ce 1 er avril à 7H30 le vendredi 2 avril;

-        Le vendredi 2 avril de 23H15 ce 2 avril à 7H30 le samedi 3 avril (taux normal);

-        Le samedi 3 avril, de soir, de 15H15 à 23H15 en temps supplémentaire et de nuit de 23H15 ce 3 avril à 7H30 le 4 avril (taux normal).

[15]         Elle devait travailler en temps supplémentaire, mais ne l’a pas fait, on l’a vu, c’est un fait brut dont il suffit de prendre acte à ce stade-ci, le Vendredi Saint 2 avril, de soir, soit de 15H15 à 23H15.

[16]         Elle avait accepté de faire ce quart de travail, en temps supplémentaire, avec ou sans condition - la condition de travailler en compagnie d’une infirmière auxiliaire comme c’est le cas normalement - c’est selon, avec cette condition suivant la plaignante, sans cette condition selon l’agente administrative, Madame Mélanie Ferland, qui lui a proposé cette affectation, le jeudi 25 mars 2010 à 14H00.

[17]         Il convient de mentionner que ce vendredi 2 avril, de jour, donc de 7H15 à 15h15, le personnel soignant à l’établissement, abstraction faite des préposés aux bénéficiaires, était composé, des personnes suivantes :

-        Au 2, de l’infirmière Chantale Côté, de l’infirmière auxiliaire Marie-Chantale Giguère et de l’infirmière auxiliaire Josée Dumas;

-        Au 3, de l’infirmière Carole Robitaille, de l’infirmière auxiliaire Carine Albert et de l’infirmière auxiliaire Nicole Sévigny.

[18]         La structure de personnel était donc pour ainsi dire normale, jusqu’à ce que Madame Côté quitte son service au 2 vers 12H00 pour cause de maladie.

[19]         Le soir, ce 2 avril, soit de 15H15 à 23H15, le problème, le gros problème, c’était un manque total d’infirmières auxiliaires.  Madame Bernier a refusé de se présenter au travail au 3 pour cette raison.  Si bien qu’avant le début de ce quart de travail, l’employeur ne pouvait compter, en fait d’infirmières et d’infirmières auxiliaires, que sur une seule personne pour les deux (2) étages sous les espèces de l’infirmière Stéphanie Lacroix qui était affectée au 2.

[20]         Avant le début du quart de soir, il manquait donc une (1) infirmière (Madame Bernier qui a refusé de se présenter au travail en temps supplémentaire) et deux (2) infirmières auxiliaires.  L’employeur a pallié ce manque par les moyens suivants, quasiment des expédients.  En effet, l’infirmière auxiliaire Josée Dumas a accepté, après la fin de son quart de travail de jour à 15H15, de prêter mainte forte au 2 à l’infirmière Stéphanie Lacroix, trois quarts d’heure de temps, jusqu’à 16H00.  L’infirmière de jour au 3 Carole Robitaille a accepté, après des négociations en quelque sorte, il a été question en effet de lui imposer des heures de travail en temps supplémentaire en soirée, de prêter son concours jusqu’à 18H30, bref de demeurer sur son département jusqu’à cette heure-là.  Vers 19H00, une employée cadre de l’établissement de Charlesbourg, Madame Manon Drolet, une infirmière de formation mais qui n’avait pas pratiqué depuis trois (3) ans, a pris la relève de Madame Robitaille.  Enfin, vers 21H30, l’infirmière Karen Thibodeau a pris la relève de Madame Drolet.  Il faut dire que Madame Thibodeau qui devait travailler de nuit, de 23H15 à 7H30 et qui de fait a travaillé de nuit, a accepté de se présenter au travail à 21H30, donc quasiment deux (2) heures d’avance pour pallier ce manque de personnel infirmier au sens large (infirmière et infirmières auxiliaires).

[21]         En gros, c’est ainsi que l’établissement s’est débrouillé pour pallier l’absence de Madame Bernier et le manque total d’infirmières auxiliaires, en soirée, ce Vendredi Saint 2 avril 2010.

[22]         Les témoins, y compris la plaignante, s’accordent à dire que c’était la première fois le 2 avril 2010 en soirée que l’équipe du 2 n’avait pas son infirmière auxiliaire, que l’équipe du 3 n’avait pas la sienne non plus, cette situation, disent-ils, était donc exceptionnelle.

[23]         Suivant la preuve, il est arrivé, mais rarement, qu’il y ait sur un étage le soir, une infirmière et une infirmière auxiliaire et sur l’autre étage une infirmière seulement.

[24]         Le temps est maintenant venu de faire état des assertions les plus pertinentes des principaux témoins entendus.

[25]         Madame Bernier déclare d’abord que l’agente administrative Mélanie Ferland lui a offert, probablement le 25 mars vers 14H00, de faire du temps supplémentaire le 2 avril en soirée.  Madame Ferland lui a dit à cette occasion que l’établissement ferait tout son possible pour lui adjoindre une infirmière ou une infirmière auxiliaire.  « J’ai demandé à Madame Ferland, dit Madame Bernier, de me tenir au courant s’ils trouvaient quelqu’un » .  Par la suite, de poursuivre Madame Bernier, personne ne l’a appelée pour lui dire qu’on trouvait personne, qu’elle serait seule de service le 2 avril en soirée.  Elle s’est adressée elle-même, croit-elle, à quelques occasions à une agente administrative pour savoir si on lui avait trouvé quelqu’un.  Elle s’est toujours fait répondre « qu’on continuait de chercher » .

[26]         Le 1 er avril au soir, témoigne Madame Bernier, elle a constaté qu’elle était la seule professionnelle en soins infirmiers d’affectée le 2 avril, de soir, au 3.  Le lendemain matin, 2 avril, après son quart de travail de nuit, elle a appelé de chez-elle, dit-elle, à l’heure de l’ouverture des bureaux à peu près, il était de fait 9H30, Madame Ferland.  Elle a demandé à cette dernière si on lui avait trouvé une infirmière pour faire équipe avec elle.  Madame Ferland lui a répondu ce qui suit : « Non, on a tout fait, mais c’est pas possible, tout ce qu’on peut faire c’est de mettre une préposée aux bénéficiaires en surplus sur l’étage » .

[27]         Madame Bernier affirme qu’elle a répondu à cela : « C’est bien beau une préposée aux bénéficiaires, mais une préposée aux bénéficiaires ne peut pas remplacer une infirmière ou une infirmière auxiliaire » .  Il est tout à fait exact, insiste Madame Bernier, qu’une préposée aux bénéficiaires ne peut pas préparer et distribuer des médicaments.  Il faut être deux (2) professionnelles en soins infirmiers pour compter et préparer certains types de médicaments, des narcotiques par exemple.  Madame Bernier déclare qu’elle a mentionné à Madame Ferland que s’il y avait eu une autre infirmière ou infirmière auxiliaire avec l’AIC Stéphanie Lacroix au 2 qu’elle aurait accepté probablement de travailler seule au 3.

[28]         Il est vrai que Madame Ferland lui a dit qu’elle « mettrait du monde dans le trouble » , mais elle a répondu à cela qu’il lui était impossible seule d’assurer la sécurité de quarante-huit (48) patients.  En fait, elle n’a pas pensé qu’elle laissait sa collègue, Madame Lacroix, seule avec quatre-vingt-seize (96) patients, ce qui était inhumain, elle a pensé à la sécurité des quarante-huit (48) patients dont elle aurait la responsabilité si elle acceptait de travailler seule au 3.

[29]         Madame Bernier reconnaît que la cadre de garde, Madame Drolet, lui a laissé deux (2) messages sur son répondeur - enregistreur dans l’après-midi du 2 avril.  Elle a consulté son répondeur - enregistreur, à son réveil, vers 17H15.  Elle n’a pas eu le temps de rappeler Madame Drolet.  En effet, au même moment, Madame Ferland lui a téléphoné que l’infirmière de nuit, Madame Thibodeau, était d’accord pour se présenter au travail en avance, vers 21H10 pour lui prêter main forte à partir de cette heure-là.  Elle a répondu à Madame Ferland ce qui suit : « Non, rendu à cette heure-là, le gros du travail est fait » .  Madame Bernier précise que par « gros du travail » , il faut entendre la préparation et la distribution des médicaments.

[30]         Enfin, il est exact, affirme Madame Bernier, que le 6 avril, lorsqu’elle a rencontré la chef d’unité Lyne Émond, elle a dit à celle-ci, comme il est écrit au paragraphe 1 de l’avis S-3, « que le fait d’être seule sur l’étage, le 2 avril, la stressait beaucoup » et que c’est pour cette raison qu’elle ne s’est pas présentée au travail en soirée ce jour-là.

[31]         Voilà donc pour l’essentiel du témoignage de Madame Bernier.

[32]         Madame Mélanie Ferland, agente administrative, déclare catégoriquement que le 25 mars 2010, à 14H00, quand elle a fait l’offre à Madame Bernier de faire du temps supplémentaire le 2 avril en soirée, cette dernière a accepté l’offre sans condition.  Il est inexact, précise-t-elle, qu’à ce moment-là, Madame Bernier lui a dit qu’elle le ferait ce temps supplémentaire le 2 avril en soirée à la condition de faire équipe avec une autre infirmière ou une infirmière auxiliaire.

[33]         Il est sûr cependant, de préciser Madame Ferland, que l’établissement sous les espèces de ses adjointes administratives, a fait tous les efforts voulus pour adjoindre à Madame Bernier, une professionnelle en soins infirmiers, c’est la norme d’avoir une équipe de deux (2) professionnelles en soins infirmiers en soirée.

[34]         Madame Ferland soutient que c’est vers 11H00, le 2 avril, que Madame Bernier l’a appelée pour lui dire qu’elle n’entrerait pas en soirée, vu qu’elle n’avait pas d’infirmière auxiliaire pour faire équipe avec elle.  Madame Ferland affirme qu’elle a demandé d’entrée de jeu à Madame Bernier si elle avait pensé à sa collègue Stéphanie Lacroix qui serait la seule infirmière pour tout l’établissement en soirée si elle, Hélène Bernier, refusait de se présenter au travail.  Madame Bernier a répondu à cela : « Est-ce que vous (l’établissement) pensez à moi? »

[35]         Madame Ferland déclare encore une fois que dans les jours précédant le 2 avril, elle et sa collègue, Madame Baron, ont fait tous les efforts voulus, par téléphone ou autrement, pour trouver une coéquipière à Madame Bernier dans la soirée du 2 avril, mais en vain.  « On s’est même adressé, dit-elle, à des infirmières auxiliaires qui n’avaient pas déclaré de disponibilité pour faire du temps supplémentaire » .  Dans la journée même du 2 avril, en avant-midi comme en après-midi, avant le début du quart de soir, elle s’est adressée, affirme-t-elle, à toutes les infirmières auxiliaires qui étaient de service de jour.  Aucune d’elles n’a accepté de travailler en soirée.

[36]         Madame Ferland se souvient que vers 11H30, le 2 avril, quelques minutes en fait après le téléphone de refus de Madame Bernier, elle a appelé la cadre de garde, à Charlesbourg, Madame Drolet pour la mettre au courant de la situation.  Madame Drolet lui a dit qu’elle prenait l’affaire en main.

[37]         Madame Drolet déclare qu’effectivement, le 2 avril, elle était à l’établissement de Charlersbourg, de garde, lorsque vers 12H00 elle a reçu ce coup de fil de Madame Ferland.  Cette dernière lui a expliqué que Madame Bernier refusait de faire le temps supplémentaire qu’elle s’était engagée à faire en soirée pour la raison que l’on sait.  Madame Ferland lui a dit qu’elle avait tout fait, tout essayé, pour avoir les services d’une infirmière auxiliaire, en soirée, mais en vain.

[38]         Madame Drolet déclare qu’elle a dit à Madame Ferland d’essayer encore.

[39]         Madame Drolet dit qu’elle n’est pas restée sans rien faire.  Elle a appelé Madame Bernier une première fois, vers 12H00.  Elle a laissé à cette dernière le message de la rappeler.  Puis, sans perdre de temps, elle a communiqué avec Madame Barsetti, la directrice régionale.  Celle-ci lui a recommandé de s’adresser à des agences de placement.  Elle l’a fait, mais ses démarches n’ont pas donné de résultats.

[40]         Vers 13H00, de poursuivre Madame Drolet, Madame Barsetti est venue la rencontrer à l’établissement de Charlesbourg.  La situation était critique : une seule infirmière pour tout l’établissement de Saint-Romuald en soirée.  Vu l’urgence de la situation, Madame Barsetti l’a autorisée, elle Madame Drolet, à recourir s’il le fallait au temps supplémentaire obligatoire.

[41]         Donc, dit Madame Drolet, elle s’est présentée en après-midi au CHSLD Chanoine-Audet.  À son arrivée, elle a rappelé Madame Bernier, elle n’a pas réussi à lui parler, elle lui a laissé un message, mais le fait est qu’elle n’a pas eu de retour d’appel ce jour-là.

[42]         Madame Drolet déclare qu’elle a constaté sur place que personne parmi l’infirmière et les infirmières auxiliaires présentes ne voulait travailler en soirée.  Elle a donc eu recours à différents moyens pour pallier au manque de personnel infirmier au sens large (note de l’arbitre : ceux mentionnés au paragraphe 19 de la présente décision).

[43]         La signataire de l’avis disciplinaire S-3, Madame Lyne Émond, chef d’unité, déclare qu’effectivement, lorsqu’elle a rencontré la plaignante le 6 avril, celle-ci lui a dit qu’elle n’était pas entrée au travail vendredi le 2 avril en soirée parce que le fait d’être seule comme professionnelle en soins infirmiers sur l’étage la stressait beaucoup.

[44]         En contre-interrogatoire, Madame Émond déclare qu’une infirmière pour quarante-huit (48) patients, ce n’est pas assez, d’accord, qu’en effet la situation n’était pas normale le 2 avril en soirée, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’employeur s’efforce d’avoir en soirée sur chaque étage une équipe composée d’une infirmière et d’une infirmière auxiliaire minimalement.

[45]         Le tribunal retient du témoignage de Madame Barsetti qu’à l’époque pertinente au présent dossier, il y avait à l’établissement un grand nombre d’infirmières auxiliaires en absence de longue durée et que l’employeur ne parvenait pas, malgré ses efforts, à recruter du personnel pour effectuer les remplacements qui s’imposaient.

[46]         Il était donc particulièrement difficile d’avoir des infirmières auxiliaires pour effectuer des remplacements lors de longs congés, comme celui de Pâques.

[47]         Suivant Madame Barsetti, la plaignante, par ses agissements, tout à fait inacceptables, le 2 avril 2010, a aggravé une situation déjà critique et préoccupante.  En effet, l’employeur, ne pouvait compter que sur deux (2) infirmières, la plaignante et Madame Lacroix pour assurer le service à quatre-vingt-seize (96) patients sur deux (2) étages, le 2 avril, en soirée.  Cette situation était connue de la plaignante.  Celle-ci, en ne se présentant pas au travail, a donc « doublement aggravé » une situation déjà très critique.

[48]         Madame Barsetti déclare enfin que le temps supplémentaire obligatoire n’est pas privilégié à l’établissement, c’est une mesure qui est insatisfaisante pour tout le monde, pour des raisons évidentes.

[49]         Madame Marie-Chantale Giguère déclare qu’elle avait exprimé à l’époque pertinente une disponibilité pour effectuer du travail en temps supplémentaire.  Elle affirme qu’on ne lui a pas offert avant le 2 avril de faire du travail en temps supplémentaire cette soirée-là.  On lui a fait cette proposition le jour même, mais elle a refusé, elle n’était pas intéressée à travailler dans un contexte de manque de personnel en soirée.

[50]         Avant le 2 avril 2010, dit-elle, il lui était arrivée deux (2) fois d’avoir été seule comme infirmière ou infirmière auxiliaire une partie d’un quart de travail.

[51]         Madame Josée Dumas déclare qu’à l’époque pertinente, elle n’avait pas exprimé de disponibilité pour faire du temps supplémentaire.  On ne l’a pas appelée avant le 2 avril pour en faire du temps supplémentaire, en soirée ce 2 avril.  Le 2 avril, elle était de jour et elle a accepté de prolonger son quart de travail de trois quarts d’heure pour aider Madame Lacroix dans sa tâche de préparation des médicaments.

[52]         Voilà pour l’essentiel de la preuve.

ARGUMENTATION DES PARTIES

A)        Argumentation de la partie patronale

[53]         Pour le procureur de l’employeur, il est tout à fait certain que la preuve révèle que le 25 mars 2010, la plaignante s’est engagée librement et volontairement, sans condition, à accomplir un quart de travail en temps supplémentaire, de soir, le 2 avril 2010, un Vendredi Saint, à l’établissement.  Cet engagement, la plaignante, le 2 avril venu, jour où il était difficile de trouver du personnel pour assurer le service aux résidents, en raison d’abord d’une pénurie générale de main-d’oeuvre, en raison ensuite du long congé de Pâques en particulier, ne l’a pas respecté.

[54]         Suivant la jurisprudence, le fait de refuser de se présenter au travail sans excuse raisonnable après s’être engagée préalablement à le faire, même s’il s’agit de temps supplémentaire à effectuer sur une base volontaire, constitue un manquement justifiant une mesure disciplinaire :

-        Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA - Canada) et J.L. De Ball Canada Inc. , D.T.E. 1998 T-934 , Jean-Louis Dubé, arbitre;

-        Syndicat international des communications graphiques, local 555 Montréal et Lawson Mardon Emballages Inc. , D.T.E. 99T-821 , Marie-France Bich, arbitre.

[55]         Un tel manquement est particulièrement grave en contexte de CHSLD, à cause des conséquences très graves qu’il peut avoir, attendu que les patients sont dans un état de dépendance envers le personnel veillant à leurs soins.  Madame Barsetti l’a dit : la plaignante, par ses agissements, a « doublement aggravé » une situation au départ critique et fort préoccupante.  L’employeur ne pouvait compter en effet que sur deux (2) infirmières, la plaignante et Madame Stéphanie Lacroix, car malgré tous ses efforts il n’a pu obtenir les services qu’il recherchait de deux (2) infirmières auxiliaires.  La plaignante la connaissait cette situation critique.  Elle savait qu’en refusant de se présenter au travail, elle laissait Madame Lacroix seule à l’établissement pour s’occuper de quatre-vingt-seize (96) patients!

[56]         La seule excuse exprimée par la plaignante, lorsqu’elle a eu à rendre compte le 6 avril à Madame Émond de sa conduite du 2 avril, a été la suivante : elle trouvait stressant de travailler seule au 3.

[57]         L’employeur ne prétend pas que la situation était idéale.  Oui, il est plus stressant pour une infirmière de travailler seule, il est normal de travailler en équipe de deux (2), de soir, d’accord, sur les départements.  Mais la plaignante se devait de comprendre la situation, et de prendre ses responsabilités d’infirmière.  Sa conduite n’a pas été raisonnable dans les circonstances.

[58]         Le fait de désapprouver, avec raison ou pas, la planification de l’employeur quant au maintien des effectifs infirmiers ne justifie pas de se faire justice soi-même en refusant de respecter un engagement d’effectuer le temps supplémentaire prévu.  Voir : Syndicat régional des personnes techniciennes ambulancières de Sept-Îles (CSN) et Ambulances de Sept-Îles Inc. , D.T.E. 2004 T-883 , Denis Gagnon, arbitre.

[59]         La plaignante n’avait donc pas d’excuse raisonnable, comme la maladie, une situation d’urgence, un cas de force majeure, pour ne pas accomplir le travail en temps supplémentaire qu’elle avait accepté de faire.  Des tâches alourdies, à cause d’un manque provisoire de personnel, ce n’est pas une raison pour se soustraire à ses obligations et manquer à ses responsabilités.

[60]         Vu la gravité objective du manquement de la plaignante et considérant toutes les circonstances de l’affaire, l’employeur a été clément en ne recourant comme mesure disciplinaire qu’à la sanction la plus légère à sa disposition, à savoir une réprimande écrite.

[61]         Pour toutes ces raisons, de conclure le procureur patronal, le grief devrait être purement et simplement rejeté.

B)        Argumentation de la partie syndicale

[62]         Les prétentions du procureur de la partie syndicale sont, on s’en doute, d’une tout autre nature.

[63]         En vertu du paragraphe 11.14 du décret, de plaider le procureur syndical, le fardeau de prouver que la mesure est justifiée, en l’occurrence une réprimande écrite, appartient à l’employeur, lequel ne peut, selon les termes du paragraphe 11.10 qu’invoquer à l’arbitrage les motifs indiqués dans l’avis de mesure disciplinaire.

[64]         En ce cas-ci, l’avis S-3 reproche à la plaignante cinq (5) choses :

-        Son absence, le 2 avril 2010;

-        Le non respect de son contrat de travail;

-        Le non respect de son Code de déontologie;

-        Son absence de motif valable pour s’absenter;

-        Le fait de ne pas avoir retourné les appels que lui a faits la cadre de garde dans l’après-midi du 2 avril.

[65]         Il est important de noter que la plaignante a respecté son horaire régulier.  Elle a donc respecté son contrat de travail.  Il n’est pas de l’obligation d’une personne salariée de pallier le manque de personnel nécessaire pour assurer les besoins du service, c’est là l’obligation de l’employeur.

[66]         Il est inexact que la plaignante n’a pas respecté son Code de déontologie.  Au contraire, suivant l’article 16 de ce Code, l’infirmière doit s’abstenir d’exercer sa profession lorsqu’elle est dans un état susceptible de compromettre la qualité des soins et des services.  Selon les termes de l’article 45 du même Code, l’infirmière ne doit pas faire preuve de négligence lors de l’administration d’un médicament.  En travaillant seule au 3, en soirée, le 2 avril 2010, la plaignante aurait pris le risque de ne pas rencontrer les obligations qui lui incombent en vertu de son Code de déontologie.

[67]         À l’époque pertinente, c’est l’employeur qui ne respectait pas le Code de déontologie en obligeant une infirmière à s’occuper seule de quarante-huit (48) patients, ce qui, de toute évidence, n’est généralement pas admis dans l’exercice de la profession d’infirmière.

[68]         Il ne faut pas oublier que suivant la preuve, deux (2) infirmières, en soirée, sur un étage, c’est la norme minimale, les témoins produits par l’employeur l’ont admis.

[69]         La préparation et l’administration des médicaments, c’est la tâche la plus importante des infirmières en contexte de CHSLD.  Il est de jurisprudence constante que l’administration d’un médicament constitue le geste le plus important et le plus sérieux pour une infirmière ( Micheline Roy c. Francine Lehoux , décision rendue le 12 avril 1989 par le comité de discipline de l’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec, numéro 198806, Me Jacques Cantin, président).

[70]         Il est injuste et abusif que l’employeur reproche à Madame Bernier de ne pas avoir retourné dans l’après-midi du 2 avril 2010 les appels que lui a faits Madame Drolet.  Un tel reproche oublie que Madame Bernier avait travaillé la veille, quasiment douze (12) heures, de 18H30 le 1 er avril à 7H30 le matin du 2 avril.  D’ailleurs, c’est la communication téléphonique qu’a eue Madame Bernier avec Madame Ferland autour de 17H00 qui a fait en sorte qu’il n’était plus pertinent pour Madame Bernier de répondre aux appels de Madame Drolet.

[71]         En fait, le reproche le plus important fait à l’audience à Madame Bernier c’est d’avoir refusé d’effectuer un travail en temps supplémentaire vendredi le 2 avril 2010 en soirée.  Cependant, l’employeur ne peut invoquer ce manquement, il ne l’indique pas en l’avis S-3, il lui reproche de ne pas avoir respecté son contrat de travail, mais son contrat de travail, tel que déjà dit, elle l’a respecté, elle l’a respecté son horaire normal..

[72]         Cependant, si le tribunal était d’avis que l’employeur avait le droit de mettre en preuve ce reproche, il devrait décider que l’employeur n’a pas fait la preuve d’une faute pour les raisons suivantes.

[73]         La plaignante a accepté le 25 mars 2010 de faire du travail en temps supplémentaire le 2 avril, en soirée, à la condition d’avoir une coéquipière du titre d’emploi d’infirmière ou d’infirmière auxiliaire, c’est la preuve.  Les horaires, le 25 mars, étaient connus, ils faisaient voir que l’employeur manquait d’infirmières auxiliaires pour effectuer des remplacements, il était donc de bonne logique que Madame Bernier pose comme condition d’avoir avec elle, ce 2 avril en soirée, une infirmière ou une infirmière auxiliaire.  Son témoignage à ce sujet doit être préféré au témoignage de pure négation de Madame Ferland.  D’ailleurs, si Mesdames Ferland et Baron ont fait les efforts qu’elles ont dit pour adjoindre une infirmière auxiliaire à Madame Bernier, c’était pour rencontrer la condition posée par celle-ci, de toute évidence.

[74]         Donc, la preuve ne révèle aucunement que la plaignante a manqué à quelque engagement que ce soit.  C’est l’employeur qui n’a pas respecté sa part de marché en ne trouvant pas d’infirmière auxiliaire pour travailler avec Madame Bernier le 2 avril.  D’ailleurs, l’employeur a fait preuve de négligence dans sa recherche de personnel, à en juger par les témoignages de Mesdames Dumas et Giguère.  En effet, celles-ci n’ont pas été appelées pour se faire offrir une assignation dans la soirée du 2 avril 2010 avant ce 2 avril 2010.  Madame Ferland n’a rien fait dans l’avant-midi du 2 avril pour trouver une coéquipière à Madame Bernier, elle ne s’est activée qu’en après-midi, il était trop tard.

[75]         La condition posée par Madame Bernier n’ayant pas été respectée par l’employeur, elle pouvait refuser de faire du temps supplémentaire car le temps supplémentaire n’est pas obligatoire.  Voir :

-        Fédération des infirmières et infirmiers du Québec et Centre hospitalier régional de Lanaudière, griefs de Renée Poulette et autres, décision 92A-17, 92-00421, Me André Ladouceur, arbitre;

-        CSSS de la Côte de Gaspé et Syndicat des infirmières, infirmières auxiliaires et inhalothérapeutes de l’Est du Québec (CSQ) , 2009A-89 , le 3 juillet 2009, Me Jean-Pierre Lussier, président.

[76]         L’employeur ne peut pas invoquer comme faute l’insubordination, puisqu’il ne l’invoque pas en l’avis S-3.

[77]         De plus, même si l’employeur pouvait invoquer ce type de manquement, l’arbitre devrait décider qu’il n’y a pas de preuve d’insubordination dans le présent dossier.  Il faut en effet réunir les conditions suivantes pour retenir une faute d’insubordination :

-        Un ordre clair et non équivoque;

-        Un ordre donné par un supérieur hiérarchique;

-        Un ordre qu’un salarié a refusé de suivre.

[78]         Dans le présent cas, la plaignante n’a pas eu un ordre clair et non équivoque de se présenter au travail le 2 avril, surtout elle n’a pas eu un ordre donné par un supérieur hiérarchique, la demande de venir travailler lui a été faite par une agente administrative et non pas par une employée cadre.  La plaignante n’a eu, dans le fond, que des messages, rien d’autre.  Et Madame Bernier n’a jamais refusé de suivre un ordre, si ordre il y a eu.  Madame Bernier ne voulait que s’assurer que sa pratique professionnelle était sécuritaire, c’était son obligation, pour elle-même et ses patients.

[79]         De toute façon, une personne salariée peut refuser d’obéir à un ordre, il y a en effet beaucoup d’exceptions au devoir d’obéissance.  Dans le présent dossier, si ordre il y a eu, il était contraire à la Loi sur les normes du travail, l’ordre comportait un danger pour la sécurité de la personne salariée, il était déraisonnable, discriminatoire, abusif etc.

[80]         Madame Émond, la signataire de l’avis S-3, l’a admis qu’il était déraisonnable de demander à une infirmière de s’occuper seule de quarante-huit (48) patients.

[81]         Pour toutes ces raisons, de conclure le procureur syndical, le grief devrait être purement et simplement accueilli.

[82]         Voilà donc pour les grandes lignes de l’argumentation de chacune des parties.

MOTIFS ET DÉCISION

[83]         Il est exact, comme l’affirme le syndicat, ce que l’employeur ne nie pas, c’est d’ailleurs indéniable, que selon les termes très clairs du paragraphe 11.14, le fardeau de la preuve, en cas de mesure disciplinaire, appartient à l’employeur et que suivant le texte tout aussi clair du paragraphe 11.10, « seuls les motifs indiqués dans l’avis » de mesure disciplinaire « peuvent être invoqués lors de l’arbitrage » .

[84]         Il saute aux yeux à la lecture de l’avis de réprimande S-3, c’est écrit noir sur blanc, que l’employeur reproche essentiellement à Madame Bernier de ne pas avoir respecté une des obligations fondamentales qui lui incombent en vertu de son contrat de travail en ne se présentant pas au travail pour y fournir sa prestation durant le quart de soir, Vendredi Saint le 2 avril 2010.

[85]         La personne salariée qui refuse de se présenter au travail sans excuse raisonnable après s’être engagée librement et volontairement à fournir sa prestation de travail en temps supplémentaire, manque à ses obligations contractuelles et son manquement justifie l’imposition par l’employeur d’une mesure disciplinaire.  Voir :

-        Syndicat international des communications graphiques, local 555 Montréal et Lawson Mardon Emballages Inc. , D.T.E. 99T-821 , Marie-France Bich, arbitre;

-        Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs et travailleuses du Canada (TCA - Canada) et J.L. De Ball Canada Inc. , D.T.E. 1998 T-934 , Jean-Louis Dubé, arbitre

[86]         Par exemple, dans la deuxième décision, l’arbitre Jean-Louis Dubé écrit ce qui suit :

« Avec respect pour l’opinion du procureur syndical, j’estime qu’il n’y a aucune distinction à faire quant à l’obligation d’être présent au travail entre d’une part l’horaire régulier d’un salarié et d’autre part le temps supplémentaire.  Si le temps supplémentaire est obligatoire comme cela se rencontre dans certaines conventions collectives, l’obligation d’être présent au travail ne fait nul doute.  Si le temps supplémentaire est volontaire, une telle obligation de se présenter au travail devient tout autant contraignante si le salarié a pris un engagement en ce sens.  En effet, cela va de soi que pour la bonne marche de l’entreprise, l’employeur doit compter non seulement sur les salariés prévus en horaire régulier mais aussi sur ceux prévus, conformément à la convention collective, en temps supplémentaire.  C’est la raison pour laquelle, dans leur ouvrage intitulé « Collective Agreement Arbitration in Canada » , les auteurs Palmer & Palmer écrivent au sujet de l’obligation de se présenter au travail lors du temps supplémentaire ce qui suit :

« Consequently, number of cases deal with what constitutes a reasonable excuse for failure to so work. »

S’il faut une excuse raisonnable pour ne pas se présenter au travail en temps supplémentaire, c’est donc qu’il y a au départ une obligation de le faire. »

[87]         Il n’y a rien à ajouter à cette logique.  Tel est donc l’état de la jurisprudence.

[88]         Bref, il découle de ces décisions que la personne salariée n’est pas obligée de se porter volontaire pour accomplir du travail en temps supplémentaire, mais à partir du moment où librement, elle le fait, elle s’y oblige et en conséquence, l’employeur peut exiger d’elle qu’elle accomplisse ce à quoi elle s’est librement et volontairement engagée et lui imposer une mesure disciplinaire à défaut par elle de s’exécuter comme convenu.  Il est  bien entendu que l’employeur ne peut pas recourir à une mesure disciplinaire si la personne salariée avait une excuse raisonnable pour ne pas se présenter au travail comme prévu.

[89]         Il est clair que la plaignante, Madame Bernier, ne s’est pas présentée au travail le 2 avril 2010, en soirée.  A-t-elle commis une faute?

[90]         Pour le déterminer, le tribunal doit répondre à deux (2) questions préalables.  Premièrement, est-ce que, suivant la preuve, la plaignante s’est engagée librement et volontairement, sans condition, comme le prétend l’employeur, le 25 mars 2010 à effectuer du travail en temps supplémentaire Vendredi Saint le 2 avril 2010, de soir?  Deuxièmement, si la réponse à cette première question est positive, la plaignante a-t-elle refusé, toujours suivant la preuve, de se présenter au travail sans excuse raisonnable?

[91]         Pour répondre à la première question, le tribunal doit faire un choix : ou bien retenir la version de l’agente administrative, Madame Ferland, selon laquelle la plaignante le 25 mars 2010 s’est engagée sans condition à faire du temps supplémentaire ce vendredi 2 avril 2010 en soirée (entendons sans la condition d’avoir comme coéquipière ce soir-là une infirmière ou une infirmière auxiliaire) ou bien retenir la version de Madame Bernier qui prétend qu’effectivement l’engagement qu’elle a donné était conditionnel à ce que l’employeur lui trouve une coéquipière du titre d’emploi d’infirmière ou d’infirmière auxiliaire.

[92]         Le tribunal, cela dit avec respect pour l’opinion contraire, est d’avis que l’employeur, par le témoignage de Madame Ferland, a offert à l’audience une preuve rendant plus probable l’existence que son inexistence d’un engagement sans condition de la part de la plaignante.

[93]         En effet, le témoignage de Madame Ferland sur la question est catégorique, clair, net, précis et aucune cause sérieuse de reproche n’a pu être établie contre ce témoin : le 25 mars 2010, lorsqu’elle a offert au téléphone à Madame Bernier le travail en temps supplémentaire dont il s’agit, celle-ci a accepté l’offre purement et simplement, il n’a pas été question de quelque condition que ce soit.

[94]         En revanche, le soussigné est humblement d’avis que le témoignage de Madame Bernier sur la question est vague et ambigu.  Lorsqu’elle a été interrogée à l’audience par le procureur patronal, elle n’a pas déclaré d’entrée de jeu, d’emblée, spontanément et clairement que son engagement, le 25 mars 2010, était assujetti à la condition que l’on sait.  Elle a dit que lors de ce téléphone, Madame Ferland lui a mentionné que l’établissement ferait tout son possible pour lui adjoindre une infirmière ou une infirmière auxiliaire.  Pas plus.  Il est d’ailleurs de bonne logique de penser que si véritablement, son acceptation était conditionnelle le 25 mars, comme elle le dit, qu’elle l’aurait invoqué ce moyen de défense, en soi très valable évidemment, à la première occasion raisonnable lorsque l’employeur, sous les espèces de Madame Émond, lui a demandé le 6 avril d’expliquer son absence au travail du vendredi 2 avril en soirée.  Madame Bernier a admis qu’elle a tout simplement donné comme excuse à Madame Émond ce qui est écrit au paragraphe 1 de l’avis S-3 : « le fait d’être seule sur l’étage la stressait » .  Elle n’a pas prétendu alors, l’occasion était belle, que l’employeur n’avait pas respecté sa part du marché en ne lui trouvant pas une coéquipière.

[95]         Cela dit, la plaignante a-t-elle fait la preuve à l’audience qu’elle avait une raison valable ou excuse raisonnable, le 2 avril 2010, en soirée, de ne pas se présenter au travail comme elle s’y était engagée?

[96]         Qu’est-ce qui peut constituer une excuse raisonnable?  Sur la question, le soussigné ne saurait faire mieux que de citer avec approbation le passage suivant de la décision rendue par l’arbitre Marie-France Bich dans l’affaire Lawson Mardon Emballages Inc. ci-dessus citée (page 27) :

« Monsieur Rioux fait-il valoir une excuse raisonnable pour justifier de ce qu’il n’ait pas accompli le temps supplémentaire qu’il avait accepté de faire?  Non : il n’a invoqué ni la maladie ni une situation d’urgence ni un cas de force majeure ni même une difficulté quelconque. »

[97]         Le tribunal est d’opinion que la plaignante n’a pas prouvé à l’audience qu’elle avait une excuse valable ou raisonnable de semblable nature le 2 avril 2010, c’est assez évident.

[98]         Elle a évoqué et invoqué globalement que le fait d’être la seule professionnelle en soins infirmiers au 3 pour s’occuper de quarante-huit (48) patients la plaçait dans une situation susceptible de compromettre la qualité des soins et des services, la sécurité des résidents, mais son devoir, croit le tribunal, c’était plutôt de se présenter au travail pour ne pas compromettre, justement, la qualité des soins et des services, la sécurité des patients.  Ce qui fait le génie du témoignage de Madame Barsetti, c’est tout simplement son bon sens : l’horaire du 2 avril ne prévoyait, a-t-elle dit, avant le début du quart de soir, que la présence d’une infirmière par étage, Madame Bernier au 3, Madame Lacroix au 2, attendu qu’à cause d’une pénurie générale de main-d’oeuvre à l’époque et qu’en raison par-dessus le marché du long congé de Pâques, l’employeur avait été placé pratiquement dans l’impossibilité d’affecter des coéquipières à ces deux (2) infirmières, ce qui fait que deux (2) infirmières donc pour s’occuper de quatre-vingt-seize (96) patients, c’était déjà une situation critique, une situation de crise que Madame Bernier, par ses agissements, « a doublement aggravée » , pour reprendre l’expression de cette directrice.

[99]         Le soussigné fait siens les propos suivants de l’arbitre Jean-Louis Dubé dans l’affaire J.L. De Ball Canada Inc. ci-dessus citée (page 16) :

« Il ne faut pas d’ailleurs trop minimiser l’importance de la présence au travail en temps supplémentaire et donc de la faute d’un salarié qui ne respecterait pas son obligation à cet égard.  En effet, c’est tout le processus de production qui peut être perturbé par une telle absence.  Il n’est d’ailleurs pas toujours nécessaire pour apprécier la gravité de la faute que l’on tienne compte d’un préjudice réel subi par l’employeur dans un cas précis.  En effet, un salarié doit savoir que son comportement dans de telles circonstances peut causer des préjudices et qu’il est possible que l’on ne soit pas toujours dans une situation comme celle apparaissant dans le présent cas où on a eu la chance d’avoir au travail sur le quart de jour un salarié qui était formé comme peseur de teinture. »

[100]      La faute de la plaignante à l’époque constituait donc une occasion adéquate de sanction, elle méritait à son auteure une sanction disciplinaire, c’est évident, quelle qu’elle soit, compte tenu de la gravité objective du manquement et de toutes les circonstances de l’affaire, tout cela a été évoqué ci-haut.  L’employeur ne s’est certes pas montré trop sévère sur la discipline en imposant à la plaignante une simple réprimande, la sanction qui dans l’arsenal des mesures disciplinaires est la moins sévère.

DISPOSITIF

[101]      Donc, pour toutes les raisons et motifs ci-dessus indiqués, le grief est rejeté.

 

 

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Me Gabriel-M. Côté, arbitre

 

 

Pour le syndicat :

Me Francis Bélanger

 

Pour l’employeur :

Me Bruno Lepage

 

 

Date(s) d’audience :

14 janvier 2011 et 17 février 2011

 

Date(s) de délibéré :