R. c. Matador Convertisseurs Cie ltée
Loi sur la santé sécurité - art. 237 - responsabilité stricte - obligation première de la K - prouver l'actus reus HTDR - acquittement. |
2011 QCCQ 1827 |
||||||
COUR DU QUÉBEC |
|||||||
|
|||||||
CANADA |
|||||||
PROVINCE DE QUÉBEC |
|||||||
DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
||||||
LOCALITÉ DE |
MONTRÉAL |
||||||
« Chambre criminelle et pénale » |
|||||||
N° : |
500-63-002509-070 |
||||||
|
|
||||||
|
|||||||
DATE : |
Le 14 mars 2011. |
||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
ROBERT MARCHI J.C.Q. |
|||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
LA REINE |
|||||||
Poursuivante |
|||||||
c. |
|||||||
|
|||||||
MATADOR CONVERTISSEURS CIE LTÉE |
|||||||
Accusée |
|||||||
|
|||||||
|
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
JUGEMENT |
|||||||
______________________________________________________________________ |
|||||||
|
|||||||
[1] La société Matador convertisseurs cie ltée (Matador) est accusée par la Commission de la santé et de la sécurité au travail (CSST) d'avoir:
Le ou vers le 8 août 2006, en tant qu'employeur sur
un lieu de travail situé au 270 rue Louvain ouest à Montréal, [a] compromis
directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un
travailleur lors de l'exécution de travaux d'assistant opérateur, commettant
ainsi une infraction à l'article
Le contexte factuel
[2] Matador est une société spécialisée dans le traitement de la fibre textile. Elle emploie une centaine de travailleurs qui opèrent sur 3 quarts de travail, ce qui en fait l'une des plus importantes entreprises de ce type dans la région de Montréal.
[3] Pour traiter la fibre textile, Matador utilise divers types de machines, souvent d'immenses machines.
[4] Le 8 août 2006, un travailleur chez Matador, monsieur Augusto Alvaro (Alvaro), a subi un accident de travail en opérant l'une de ces machines, la machine 8G. C'est en voulant nettoyer la machine de résidus de textile avec ses mains qu'Alvaro a subi son accident Il a perdu l'index de la main droite.
La preuve de la poursuite
[5] La poursuite a d'abord fait entendre monsieur Jean Villeneuve (Villeneuve), inspecteur à la CSST. Villeneuve intervient chez Matador suite à l'accident subi par Alvaro. Plus précisément, il se rend chez Matador en date du 15 novembre 2006. Il rédige un rapport d'infraction général (P-1), dont copie est remise à l'employeur et qui n'a pas été contesté par ce dernier.
[6] On retrouve aussi dans P-1 l' Avis de l'employeur et demande de remboursement dans lequel l'employeur énonce ainsi les circonstances de l'accident:
En nettoyant la machine 8G, il s'est fait écraser l'index de la main droite (amputation […]).
[7] Lors de son intervention chez Matador, Villeneuve rencontre aussi des représentants de l'employeur, un représentant du syndicat - prévention, et le travailleur accidenté.
[8] Il prend aussi des photos de la machine 8G, qui font aussi partie de P-1, notamment:
La photo 1 qui représente l'arrière de la machine, où le travailleur intervient pour enlever le surplus de matériel, particulièrement le surplus de mousse.
La photo 2 qui montre un grillage, qui n'était pas
installé au moment de l'accident, mais qui l'a été 3 jours plus tard. On y
aperçoit l'engrenage qui a causé la perte d'Alvaro. Il s'agit, selon
Villeneuve, d'une zone dangereuse puisqu'il y a une pièce mobile en mouvement.
Selon Villeneuve, il appartient à l'employeur d'y installer le type de
protecteur le plus approprié. Dans le cas actuel, l'employeur a installé le
grillage apparaissant sur la photo après l'accident, rendant ainsi impossible
au travailleur l'accès à la zone dangereuse, tel que le prescrit par l'article
[9] Villeneuve explique ensuite que chez Matador, les travailleurs peuvent utiliser une perche pour nettoyer les machines, ce qui leur évite de s'approcher des machines, mais ce qui, au plan de la prévention, est insuffisant selon Villeneuve. Pour Villeneuve, un protecteur doit être installé pour empêcher l'accès à la zone dangereuse. Il explique aussi que lorsque le protecteur est enlevé, soit pour nettoyer ou entretenir la machine, les travailleurs doivent appliquer une procédure de cadenassage.
[10] Cette procédure de cadenassage consiste à éliminer la source d'énergie de la machine, en cadenassant le disjoncteur par exemple, pour éviter que la machine ne soit remise en marche, même accidentellement. Lors de sa visite chez Matador le 15 novembre, des représentants de Matador ont d'ailleurs remis à Villeneuve un document énonçant la procédure de cadenassage appliquée chez Matador (P-3), procédure dont il se dit satisfait. La pièce P-3 contient aussi un ordre du jour préparé suite à une rencontre tenue le 7 novembre 2005 avec le personnel travaillant sur les machines. Il est à noter que le travailleur accidenté Alvaro n'était pas à l'emploi de Matador à cette date.
[11] Pour Villeneuve, la machine 8G représentait, le 8 août 2006, un danger potentiel, car on y retrouvait une pièce en mouvement. Le danger était aussi prévisible, puisque le fait d'aller retirer la mousse faisait partie du travail de Alvaro, ce qui n'est pas ce que la preuve démontrera.
[12] Villeneuve fait aussi état dans son témoignage d'autres dérogations de la part de Matador à l'égard de machines dans le passé. Il explique que lorsqu'il a constaté un problème avec une machine, il a demandé à la compagnie de le corriger.
[13] En contre-interrogatoire, Villeneuve reconnait que la machine 8G n'est pas nouvelle, qu'elle n'a pas été altérée ou modifiée. Il dit aussi être au courant que Matador est associée à la firme Préventex, une association sectorielle paritaire qui agit à titre de conseiller en santé et sécurité.
[14] Il dépose ensuite un rapport d'intervention daté du 7 avril 2006 suite à une visite qu'il a effectuée chez Matador le 6 avril (D-1). Il s'agit d'une liste de dérogations qui avaient préalablement été constatées par Villeneuve sur les différentes machines chez Matador, notamment sur la machine 8G, et des corrections apportées par Matador à l'égard de ces dérogations.
[15] On peut y lire que relativement à la machine 8G, Villeneuve avait constaté que:
L'employeur ne s'assure pas d'installer des protecteurs fixes grillagés tout autour de la machine 8G présentant des zones d'accès dangereuses pour les travailleurs.
[16] En effet, c'est en date du 28 octobre 2005 que Villeneuve avait accordé à Matador un délai pour corriger certaines dérogations qu'il avait constatées, notamment sur la machine 8G. En date du 6 avril 2006, il note dans la marge droite du document le mot "effectuée", ce qui signifie que les dérogations constatées préalablement, notamment sur la machine 8G, avaient été corrigées.
[17] Par ailleurs, dans un rapport d'intervention daté du 12 avril 2006 préparé par Villeneuve, celui-ci énonce une dérogation relativement à la machine 8G constatée lors de sa visite et donne à l'employeur un délai de 60 jours pour la corriger. Il est à noter que cette dérogation n'a rien à voir avec l'absence de protecteur, mais vise plutôt l'installation d'une lisse:
L'employeur ne s'assure pas d'installer une lisse intermédiaire sur le garde-corps de la machine 8G.
[18] Finalement, dans un autre rapport d'intervention daté du 8 juin 2006 préparé suite à une visite effectuée le même jour par Villeneuve chez Matador, il note que la correction à la machine 8G a été effectuée.
[19] Villeneuve précise par ailleurs qu'il est possible que lors d'une visite chez un employeur, il ne constate pas toutes les zones dangereuses à protéger, et que s'il avait vu la zone dangereuse sur la machine 8G, il aurait demandé à Matador de la corriger. Ses rapports ont été rédigés en fonction de ce qu'il avait pu constater.
[20] Le travailleur accidenté Alvaro témoigne ensuite pour la poursuite. Il travaille comme assistant machiniste ou assistant opérateur chez Matador depuis janvier ou février 2006.
[21] Le jour de l'accident, le 8 août 2006, il travaille sur le quart de soir sur la machine 8G avec un certain Dorséus (ph). Il explique qu'à titre d'assistant opérateur, il procède quotidiennement au nettoyage de la machine avant de commencer les opérations de production.
[22] Il ajoute qu'il ne pas avoir reçu de formation "formelle" chez Matador en ce qui a trait à l'opération de la machine, mais "que ça vient avec l'expérience". En fait, c'est le " foreman " qui lui a donné une formation générale sur les machines. Depuis, il apprend en observant et en posant des questions.
[23] Il n'a pas non plus reçu de formation en santé et sécurité. On lui a plutôt expliqué de façon générale la marche à suivre, ce dont il ne se souvient pas vraiment. On lui a peut-être donné des petits trucs de sécurité, par exemple, de ne pas nettoyer la machine en mouvement et de la nettoyer seulement après l'avoir cadenassée, des instructions qui étaient d'ailleurs affichées un peu partout dans l'usine.
[24] Il explique aussi qu'au moment de son accident, certaines zones dangereuses étaient dans une cage alors que d'autres ne l'étaient pas mais que dorénavant, toutes les machines sont dans des cages.
[25] Avant son témoignage, Alvaro a préparé un croquis de la machine 8G (P-2) qu'il a ainsi décrite: environ 25 mètres de longueur, et formée des éléments suivants: un "peigne", par où entre le matériel, un "condensateur", la carde, et un étaleur, qui sert à ajuster l'épaisseur du matériel.
[26] Le croquis P-2 situe aussi l'endroit où s'est produit l'accident de Alvaro: en haut à droite de la machine, où le témoin a fait un "X" juste au-dessus du mot "étaleur".
[27] Quant au terme "cadenassage", il explique qu'il a appris le terme de la bouche de Villeneuve quand celui-ci lui a demandé s'il "cadenassait" la machine. Alvaro ne savait pas de quoi parlait Villeneuve. Il précise par ailleurs que la politique de cadenassage existait avant son accident, mais qu'il n'avait jamais vu une machine cadenassée, qu'il n'a jamais vu des travailleurs cadenasser une machine, à tout le moins pour ce qui est de la machine sur laquelle il travaillait. Il dit qu'il n'avait pas de moraillon ou de cadenas pour procéder au cadenassage. Il a bien vu des travailleurs se servir de ces instruments, mais seulement après son accident. Le témoin explique ensuite les circonstances de son accident.
[28] D'entrée, Alvaro précise qu'il prend lui-même la décision d'aller à l'endroit où il s'est blessé et qu'il pensait pouvoir nettoyer la machine sans l'arrêter, sans arrêter la production, parce selon lui, en tant que travailleur, il est là pour produire.
[29] Il travaille sur le quart de soir devant la machine 8G. L'opérateur se trouve quant à lui derrière la machine, près du "peigne", puisque c'est là que l'opérateur charge le matériel. C'est alors qu'il voit le matériel sortir "coupé à moitié", que la machine est "sale". Il prend alors la décision d'aller la nettoyer "en faisant attention à tout ce qui était en mouvement". Mais il ne s'est pas "aperçu de l'engrenage" qui est derrière lui.
[30] Il entre alors littéralement de tout son corps dans la machine pour aller nettoyer l'étaleur avec ses mains. Pour ce faire, il doit passer à travers la croix [1] (P-2, le "X" en haut à droite) "pour aller nettoyer à l'intérieur". Il est donc littéralement à l'intérieur de la machine, entre la croix et la partie de l'étaleur d'où sort le matériel.
[31] Après avoir effectivement retiré avec ses mains le surplus de mousse, au moment de sortir de l'intérieur de la machine "avec toutes les précautions", il veut agripper avec sa main la croix qui est située derrière lui. Il ne pense pas à l'engrenage et il sent quelque chose lui "attraper " le doigt. C'est l'engrenage.
[32] Le témoin reconnaît évidemment que s'il y avait eu un grillage à la place du "X", il n'aurait pu avoir accès à l'endroit. Il explique aussi qu'il a pris la mauvaise décision, qu'il aurait du prendre une perche ou un bâton, mais qu'il n'y a pas pensé. Bref, que c'est son erreur.
[33] Il termine son témoignage en disant avoir été influencé par la façon de travailler des plus vieux en ce qui à trait à la santé et la sécurité.
[34] En contre-interrogatoire, le témoin précise qu'il ne s'est pas blessé en nettoyant la machine mais en tentant d'en sortir.
[35] On lui montre ensuite un document intitulé " Plan spécifique de formation " (D-4), Il reconnaît sa signature mais il ajoute qu'il ne travaillait pas chez Matador aux dates mentionnées sur le document. Il ne se rappelle plus du document.
[36] On le réfère ensuite à une " Liste de contrôle des nouveaux employés " (D-5). Il reconnaît le document ainsi que sa signature. Il reconnaît qu'on lui a lu et expliqué.
[37] En défense, l'accusée fait entendre monsieur Alain Fleurant (Fleurant), responsable de la gestion et de la production de l'usine, notamment de la santé et sécurité, et du bon fonctionnement des équipements. Il connaît bien la machine 8G.
[38] Il connaît aussi le travailleur accidenté Alvaro. Il le décrit comme un excellent travailleur, assidu au travail, mais qui a de la difficulté à saisir l'importance de la sécurité et le danger des équipements. Un contremaitre a d'ailleurs avisé Alvaro à une ou deux reprises pour avoir omis de cadenasser la machine au moment du nettoyage. Il a aussi lui-même remis à Alvaro un avis disciplinaire le 13 avril 2007 pour ne pas avoir respecté la procédure de cadenassage (D-6). Matador appliquait alors vivement (c'est le mot employé par le témoin) la procédure de cadenassage, une procédure qui avait été introduite en 2006, mais vraiment implantée en 2007.
[39] Fleurant explique ensuite la procédure d'accueil d'un nouvel employé. Il s'assure notamment qu'il reçoit la formation appropriée au niveau de la santé sécurité, mais ajoute que ce sont ses assistants qui rencontrent l'employé.
[40] Le témoin énonce ainsi plus précisément les directives données relativement à l'opération des machines.
Ces directives s'adressent autant à l'opérateur qu'à l'assistant opérateur.
L'opérateur est la seule personne ressource sur la machine. Il est la seule personne qui décide ce qui se passe avec la machine. Il est le seul juge pour arrêter, cadenasser, nettoyer ou dégager la machine.
Aucune marge de manœuvre n'est laissée aux autres employés, y compris les assistants opérateurs.
Personne ne doit s'approcher d'un équipement en opération.
[41] Fleurant ajoute ne pas faire affaire directement avec la CSST, mais qu'il s'agit là de la responsabilité du Comité de santé et de sécurité (le Comité). Par contre lorsque l'inspecteur de la CSST leur remet un rapport, les dirigeants de l'usine se réunissent pour en discuter. Les dirigeants de l'usine tiennent aussi une rencontre hebdomadaire sur la santé et la sécurité.
[42] Il qualifie le Comité de très actif. Il en est "en quelque sorte" le président et il est responsable d'appliquer ses décisions. Le rôle du Comité est d'étudier les méthodes de travail des travailleurs, et de s'assurer qu'ils travaillent de façon sécuritaire, et ce en collaboration avec la firme Préventex. L'usine possède aussi un programme de prévention dont l'application est sous la responsabilité du témoin Fleurant.
[43] Le témoin dépose ensuite la pièce D-7, un document relatif à la santé et à la sécurité, qui s'adresse à tous les employés. On y précise notamment, mais de façon très générale, que l'employé doit suivre les procédures et règlements de santé et de sécurité, à défaut de quoi il sera passible de mesures disciplinaires. Ce document est affiché dans l'usine depuis l'an 2000 et a été révisé depuis.
[44] Par contre, en contre-interrogatoire, le témoin a dû admettre que:
Il n'y a pas chez Matador un directeur santé sécurité. C'est lui qui agit "en quelque sorte" comme directeur en santé et sécurité.
Le programme de prévention n'est pas affiché dans l'usine. Ce programme est en fait le résultat des discussions du Comité, qui décide ponctuellement ce sur quoi les employés devront porter une attention particulière. Les employés ne reçoivent donc pas ce programme de prévention.
L'usine n'a pas non plus de plan de formation écrit. Selon Fleurant, les dirigeants de l'usine préfèrent travailler de façon active avec les travailleurs et non par écrit avec des choses bébètes . Ils préfèrent travailler de façon pratique. Il explique aussi que l'usine emploie beaucoup d'immigrants, dont certains ont de la difficulté à comprendre, à lire et à écrire.
[45] Relativement à la machine 8G, il reconnaît que le grillage apparaissant sur les photos (P-1) n'était pas installé lors de l'accident.
[46] Il n'y avait pas de grillage car cette zone est située dans un coin de l'usine, et à l'arrière de la machine. Aucun travailleur ne doit s'y trouver à part l'opérateur. L'assistant opérateur doit travailler à l'avant de la machine, jamais à l'arrière. Au surplus, seul l'opérateur peut utiliser la "baguette".
[47] Au surplus, le témoin ajoute que l'on peut difficilement circuler derrière la machine et qu'il s'agit en conséquence d'un endroit très difficile d'accès. À ce propos, selon le témoin, le plan dessiné par Alvaro (P-2) est inexact, notamment parce qu'à l'endroit où le "X" est indiqué, et où Alvaro s'est introduit dans la machine, lui-même ne peut y passer. Il y aurait, selon le témoin, 16 pouces tout au plus entre la machine et le mur, ce qui rendrait effectivement l'endroit très difficile d'accès.
[48] Toujours selon Fleurant, le "X", la croix dont parlait Alvaro, empêchait l'accès. Selon lui, pour s'introduire dans la machine et accéder au rouleau, Alvaro a dû ramper sous la machine. Alvaro aurait dû aviser l'opérateur et non s'introduire dans la machine comme il l'a fait. Il savait très bien qu'il lui était interdit de s'approcher de la machine.
[49] Relativement à la procédure de cadenassage, le témoin admet que certains travailleurs l'appliquent, d'autres non et qu'il n'est pas au courant de la formation qu'aurait reçue Alvaro.
[50] Finalement, il précise que les corrections qui avaient été demandées par l'inspecteur Villeneuve lors de sa visite à l'usine en avril, notamment sur la machine 8G, ont toutes été faites.
[51] Monsieur Serge Landry (Landry) est le second témoin de la défense. Il occupe le poste d'assistant directeur de la production chez Matador depuis l'an 2000. Il est aussi responsable du Comité santé et sécurité depuis l'an 2000. Auparavant, il a été agent de prévention, mais du côté syndical.
[52] Il réfère d'abord à la visite de l'inspecteur Villeneuve au début d'avril 2006. Il précise que Villeneuve a vu les machines et qu'il a transmis à Matador plusieurs avis de dérogation, accompagnés de délais pour les corriger
[53] La machine 8G était notamment visée lors de la visite de Villeneuve en avril. Landry dit que Villeneuve a vu la machine, et qu'il l'a vérifiée. Il a également avisé la compagnie qu'il devait y installer des gardes. Villeneuve a plus tard confirmé que les dérogations constatées lors de sa visite du mois d'avril, notamment celles relatives à la machine 8G, avaient toutes été corrigées. C'est donc dire que lors de l'accident subi par Alvaro, toutes les dérogations constatées par Villeneuve avaient été corrigées.
[54] Notons que le témoin Landry a précisé que les machines peuvent avoir jusqu'à 50 ou 60 protecteurs.
[55] Landry rappelle que l'opérateur est le seul responsable de la machine, qu'il ne peut s'approcher de la machine et que pour s'en assurer, il y a des perches à toutes les machines. Quant à l'assistant opérateur, il n'est pas autorisé à travailler sur la machine.
[56] Il ajoute qu'entre chaque quart de travail, la machine est arrêtée, cadenassée et nettoyée et que pour appliquer la procédure de cadenassage, les travailleurs ont chacun un moraillon et un cadenas.
[57] II explique ensuite son implication face aux nouveaux employés, particulièrement sur les règles à suivre relativement aux machines. Il informe le nouvel employé que s'il voit quelque chose d'anormal sur la machine, il doit "mettre ses mains dans ses poches" et aviser l'opérateur.
[58] L'inspecteur Villeneuve a finalement été appelé à témoigner en contre-preuve. Selon lui, le "X" n'est pas un protecteur au sens du Règlement, notamment parce qu'il n'empêche pas l'accès et qu'il est possible d'accéder à la zone facilement. Il ajoute ensuite que le plan dessiné par Alvaro, notamment l'espace entre le mur et la machine, représente bien la réalité.
Le cadre légal, réglementaire et jurisprudentiel
[59] D'entrée, il convient de citer certains articles de la Loi:
2 . La présente loi a pour objet l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs.
Elle établit les mécanismes de participation des travailleurs et de leurs associations, ainsi que des employeurs et de leurs associations à la réalisation de cet objet.
9. Le travailleur a droit à des conditions de travail qui respectent sa santé, sa sécurité et son intégrité physique.
10. Le travailleur a notamment le droit conformément à la présente loi et aux règlements:
1° à des services de formation, d'information et de conseil en matière de santé et de sécurité du travail, particulièrement en relation avec son travail et son milieu de travail, et de recevoir la formation, l'entraînement et la supervision appropriés;
2° de bénéficier de services de santé préventifs et curatifs en fonction des risques auxquels il peut être exposé et de recevoir son salaire pendant qu'il se soumet à un examen de santé en cours d'emploi exigé pour l'application de la présente loi et des règlements.
51. L'employeur doit prendre les mesures nécessaires pour protéger la santé et assurer la sécurité et l'intégrité physique du travailleur. Il doit notamment:
1° s'assurer que les établissements sur lesquels il a autorité sont équipés et aménagés de façon à assurer la protection du travailleur; […]
3° s'assurer que l'organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l'accomplir sont sécuritaires et ne portent pas atteinte à la santé du travailleur; […]
5° utiliser les méthodes et techniques visant à identifier, contrôler et éliminer les risques pouvant affecter la santé et la sécurité du travailleur; […]
7° fournir un matériel sécuritaire et assurer son maintien en bon état; […]
237. Quiconque, par action ou par omission, agit de manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un travailleur commet une infraction […].
[60] Le Règlement prévoit quant à lui à l'article 182 comment contrôler une zone dangereuse:
Contrôle de la zone dangereuse : Sous réserve de l'article 183, une machine doit être conçue et construite de manière à rendre sa zone dangereuse inaccessible, à défaut de quoi celle-ci doit être munie d'au moins un des protecteurs ou des dispositifs de protection suivants :
1° dans le cas où aucune personne n'a accès à la zone dangereuse de la machine durant son fonctionnement :
a) un protecteur fixe ;
b) un protecteur muni d'un dispositif d'interverrouillage ;
c) un protecteur à enclenchement muni d'un dispositif d'interverrouillage ;
d) un dispositif sensible ;
2° dans le cas où au moins une personne a accès à la zone dangereuse de la machine durant son fonctionnement :
a) un protecteur muni d'un dispositif d'interverrouillage ;
b) un protecteur à enclenchement muni d'un dispositif d'interverrouillage ;
c) un protecteur à fermeture automatique ;
d) un protecteur réglable ;
e) un dispositif sensible ;
f) une commande bimanuelle.
[61] Au cours des ans, les tribunaux ont produit une importante jurisprudence relativement aux questions soulevées dans la présente affaire. Cette jurisprudence n'est pas controversée et certains grands principes s'y sont développés.
[62]
D'abord,
dans l'affaire
CSST c. Marc Filiatreault Couvreur Inc.,
L’objectif de la Loi sur la santé et la sécurité du travail est de prévenir les accidents de travail en protégeant les travailleurs qui peuvent potentiellement être victimes d'accidents en commettant des erreurs humaines. C'est ainsi qu'il faut les protéger contre leurs propres erreurs. Et celui qui détient ce pouvoir de protection, c'est l'employeur. C’est ce dernier qui contrôle la gestion et l’encadrement des employés ainsi que l’équipement et les méthodes de travail. Il a alors l’obligation de prendre tous les moyens raisonnables afin de s’assurer que ses employés travaillent en sécurité.
[63]
Dans
CSST c. Canada Mayer Inc.
,
[ 60 ] Le Tribunal souscrit au courant jurisprudentiel établi selon lequel les manquements d'un travailleur ne peuvent servir d'échappatoire aux manquements de l'employeur [13] .
[64]
Par
contre, dans
CSST c. Services Minéraux Industriels Inc. (Mine
Niobec)
,
Le but de la Loi sur la santé et la sécurité du travail n'est pas d'imposer à l'employeur de tout prévoir, mais d'agir en homme raisonnable.
[65]
Par ailleurs,
quant à la classification et aux exigences de
l'article
[
16
]
La décision de la
Cour supérieure dans l'affaire
C.S.S.T. c. Alclaurey Aluminium inc.
[2005] J.Q. no 299, partagée encore récemment
dans la décision
R. Garrett électrique inc. c. C.S.S.T.
,
12. Selon l'interprétation unanime des tribunaux, il faut comprendre de cette disposition que :
1) il s'agit d'une infraction de stricte responsabilité;
2) l'acte ou l'omission doit être imputable au prévenu et, s'il s'agit d'un employeur, l'article 239 peut jouer sauf que sa responsabilité ne peut découler du simple fait du travailleur mis en péril;
3) le danger doit être de blessures graves;
4) le danger doit pouvoir se réaliser immédiatement, à court terme;
5) l'acte ou l'omission peuvent être des fautes légères en soi, ou même des faits non délictueux, comme ce sont les caractéristiques de leur conséquence qui comptent;
6) le danger doit être prévisible en tenant compte de la nature des choses et de l'erreur humaine de moyenne gravité, excluant l'erreur grossière du travailleur;
7) la preuve de contravention au Code de sécurité pour les travailleurs de construction ou à d'autres règles de conduite ne signifie pas automatiquement qu'il y a danger pour les travailleurs, ni à plus forte raison que ce danger est grave et immédiat, mais cela peut fort bien être le cas, suivant les circonstances;
8) la diligence raisonnable ne consiste pas à compter de bonne foi sur l'expérience et le bon sens des travailleurs, mais il faut s'assurer positivement, de façon attentive et constante, que l'organisation du travail et les méthodes et techniques utilisées pour l'accomplir sont sécuritaires;
9) le pur danger suffit, il n'est pas besoin d'établir qu'il y a eu des conséquences. »
[ 17 ] Cela dépend de toutes les circonstances pertinentes, tout en se rappelant que :
Une lecture de l'ensemble de la jurisprudence émanant des tribunaux judiciaires permet de définir la notion de danger prévue à la L.S.S.T. de la manière suivante :
Une situation inadéquate ou allant au-delà de ce qui est normal ou inhérent à la situation concernée; situation inadéquate en ce qu'elle va à l'encontre d'une règle de l'art, d'une norme, d'un règlement (même non applicable), de la loi, ou même du simple bon sens ; situation créant ou menant à une simple éventualité de lésion sans égard à sa matérialisation; éventualité qui tient compte de l'erreur humaine susceptible de se commettre et/ou de la nature des choses. [1]
[
18
]
Comme l'a rappelé
mon collègue Denys Noël, dans sa décision
C.S.S.T. c. R. Garrett
Électrique inc
.
[44]
À cet égard, il est
opportun de citer un passage de l’affaire
Roireau c. Les produits chimiques
Expro inc. T.T.
, (
« Ce que vise l’article 237, ce n’est pas le risque infime d’accident mineur. C’est le risque sérieux, celui dont la possibilité de réalisation est grande et dont les conséquences sont susceptibles d’être graves. C’est d’ailleurs en fonction de l’importance du risque que devra s’apprécier la diligence requise pour le contrer.»
Voir
également,
CSST c. Les Contenants Industriels
, T.T., district de
Montréal, No. 500-29-000605-863;
CSST c. Revêtement Nor Lag Ltée
,
[66] L'Honorable Vauclair rappelait aussi ce qu'avait décidé la Cour d'appel du Québec dans Constructions Zanetti Inc . c. CSST, 1995 CanLII 5382 (QCCA):
CONSIDÉRANT que l'infraction reprochée
en est une de responsabilité stricte au sens de l'arrêt
R.
c.
Sault
Ste-Marie
,
1978
CanLII 11 (C.S.C.)
,
CONSIDÉRANT que pour compromettre la santé ou la sécurité des travailleurs, au sens de la loi précitée, il n'est pas nécessaire comme élément matériel de l'infraction que la compromission ait effectivement eu lieu, mais qu'il suffit de constater l'existence de certains gestes ou de certaines conduites mettant éventuellement en péril cette sécurité;
Également,
3009416 Canada Inc. c. CSST
,
[67]
Sur la notion même d danger visé à l'article 237, le Tribunal se
contentera de reprendre les propos la juge Louise Villemure dans
CSST c.
Plastipro
,
La notion de danger
[ 45 ] Quant au premier élément, en référant à une décision du juge Robert Burns dans l’affaire CSST c. Corporation des Tapis Peerless, division carpette [1] :
« l’infraction prévue à l’article
[ 46 ] Le danger naît lorsque les conditions d’exécution d’une tâche ou fonction sont inadéquates [2] .
[ 47 ] Le juge Denis Noël dans la décision Richard Garrett Électrique [3] conclut :
« Selon la jurisprudence, il faut faire une appréciation objective et subjective des conditions de travail selon le temps, le lieu et les moyens pour effectuer le travail, de sorte qu’il en résulte de façon probable et imminente une atteinte à la santé et à l’intégrité physique du travailleur. L’appréciation d’une situation dangereuse se déduit généralement du bon sens. Par contre, la jurisprudence nous enseigne que le non-respect des lois ou des règlements ou encore des normes de l’industrie, peut permettre de conclure à une situation dangereuse. »
[48] Dans la présente, l’analyse de toute la preuve établit hors de tout doute raisonnable la présence d’un danger. Par la zone au-dessus de la machine, le travailleur qui accède à la zone de coincement s’expose à un redémarrage accidentel de la machine le système d’interverrouillage n’étant pas adéquat. Existe un risque réel de lésion pouvant résulter d’une simple erreur ou distraction du travailleur.
[68] Quant au caractère prévisible du danger, le Tribunal réfère à la décision de CSST c. Premier Horticulture Ltée. ( précitée ), dans laquelle ma collègue la juge Dionne référait elle-même à l'affaire Garrett Électrique Inc ., ( précitée ):
[ 48 ] À ce sujet, le Tribunal se réfère à la décision C.S.S.T. c. Richard Garett électrique inc. [4] , où le juge Denis Noël dit ceci :
« [43] L’appréciation d’une situation dangereuse se déduit généralement du bon sens. Par contre, la jurisprudence nous enseigne que le non-respect des lois et des règlements ou encore des normes de l’industrie, peuvent permettre de conclure à une situation dangereuse. »
[
49
]
C’est bien le cas
en l’espèce puisque la défenderesse était tenue de respecter l’article
[ 50 ] Toujours sur le caractère prévisible, le juge Noël reprend un passage de l’affaire Roireau c. Les produits chimiques Expro inc. [5] :
« Ce que vise l’article 237, ce n’est pas le risque infime d’accident mineur. C’est le risque sérieux, celui dont la possibilité de réalisation est grande et dont les conséquences sont susceptibles d’être graves. C’est d’ailleurs en fonction de l’importance du risque que devra s’apprécier la diligence requise pour le contrer. »
[ 51 ] Et plus loin, à la page 25 de la même décision :
« Examinons d’abord le caractère plus ou moins probable de l’éventuelle réalisation du risque. S’agit-il de mesurer mathématiquement quelles sont les chances de perdre à une sorte de loterie du malheur ? Une chance sur 1 000, sur 100, sur 10, sur 2 ? Ce serait là un exercice assez artificiel et possiblement odieux que d’exiger une mesure mathématique de l’importance du risque. Il suffit que la preuve soit faite de l’existence d’un risque sérieux, qui soit plus qu’une simple possibilité, mais sans nécessairement que sa réalisation soit plus probable qu’improbable. Il s’agit d’un risque dont la réalisation pouvait raisonnablement être prévue, était suffisamment prévisible pour constituer un risque réel, non négligeable, dont la réalisation ne dépend pas d’un simple hasard mais qui peut normalement résulter des facteurs en présence : un risque tel, en définitive, qu’il entraîne l’obligation de ne pas laisser au hasard le soin d’en éviter la réalisation ; un risque tel qu’une personne raisonnable verrait normalement à s'en prémunir et auquel elle ne devait pas exposer autrui.
[69]
Toujours à propos de la prévisibilité du risque, les écrits du
professeur Jean-Pierre Villagi sont repris dans
CSST c. Les Bardeaux Lajoie
,
La défense de diligence raisonnable donne la possibilité à l’employeur de faire valoir que le danger était imprévisible et improbable. Cette preuve de l’employeur devra chercher à démontrer, en soulevant un doute raisonnable, non seulement que l’événement qui s’est produit ou dont on prétend qu’il peut se produire échappe à son contrôle, mais que les moyens connus de prévention rendaient l’événement totalement imprévisible. Par exemple, un employeur ne peut se prémunir contre le geste d’un travailleur qui décide spontanément de mettre sa main dans un engrenage. Cet événement est imprévisible. Par contre, la négligence d’un travailleur est un événement prévisible. L’employeur doit donc voir à protéger les engrenages d’une machine d’une façon à ce que le travailleur négligent ne puisse y glisser les mains par inadvertance. Le fait qu’un événement puisse se produire rarement ou exceptionnellement ne lui enlève pas son caractère prévisible. […]
L’événement imprévisible est donc l’événement qui ne peut être connu même lorsque l’employeur agit avec diligence raisonnable. » [7]
La position des parties
[70] Les faits entourant l'accident subi par Alvaro n'ont pas vraiment fait l'objet de contestation de la part de l'accusée, et tous s'entendent sur le fait que l'infraction portée contre Matador en est une de responsabilité stricte, à laquelle s'applique notamment la défense de diligence raisonnable.
[71]
La
position de l'accusée peut se résumer de la façon suivante. D'abord, l'accusée
soumet que la poursuite n'a pas fait la preuve hors de tout doute raisonnable
de l'infraction, soit qu'elle a compromis directement et sérieusement la santé,
la sécurité ou l'intégrité physique d'un travailleur, au sens de l'article
[72] Quant à la poursuite, elle rappelle d'abord l'objet et l'esprit de la Loi, et les obligations de l'employeur. Elle soumet qu'elle a fait la preuve hors de tout doute raisonnable de l'infraction alléguée et qu'aucune des défenses soulevées par l'accusée ne devrait être retenue.
Analyse
[73] En début d'analyse, il apparaît important de rappeler les éléments suivants.
[74]
Premièrement,
Matador n'est pas accusée d'avoir contrevenu à l'infraction spécifique prévue à
l'article
[75]
Or, si le
défaut de respecter une obligation spécifique, peut, dans certaines
circonstances, contribuer à compromettre directement et sérieusement la santé
et la sécurité d'un travailleur, et entrainer une condamnation pour
l'infraction prévue à l'article
[76] Deuxièmement, il faut rappeler qu'avant d'examiner la défense de diligence raisonnable, le Tribunal doit d'abord décider si la poursuite a satisfait son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable l' actus reus de l'infraction. Même dans un cas d'infraction de responsabilité stricte, l'accusé est présumé innocent, il ne supporte aucun fardeau et il appartient à la poursuite de prouver sa culpabilité hors de tout doute raisonnable.
[77]
En effet, même s'il s'agit d'une infraction de responsabilité stricte,
à l'égard de laquelle une défense de diligence raisonnable peut être soulevée,
la commission matérielle de l'infraction […] doit être prouvée hors de tout
doute raisonnable (
Alex Couture Inc., c. CSST
,
[78] Le professeur Hughes Parent, dans son Traité de droit criminel , tome second, Les Éditions Thémis, 2 ième édition, 2007, relativement aux infractions de responsabilité stricte, écrit:
540. Si la commission de l'acte matériel fait présumer la négligence, encore faut-il que la poursuite fasse la preuve de l' actus reus de l'infraction. Aussi, comme l'accusé n'assume pas de fardeau de preuve à cet égard, il n'a qu'à soulever un doute raisonnable sur la présence de cette partie essentielle de l'infraction pour se disculper .
541. […] l'accusé n'a pas à convaincre le tribunal pour échapper à la culpabilité, mais uniquement à soulever un doute raisonnable sur l' actus reus de l'infraction (la charge de persuasion incombe au ministère public).
[79] Pour décider si la poursuite a satisfait son fardeau de prouver hors de tout doute raisonnable l' actus reus de l'infraction, le Tribunal doit tenir compte de l'ensemble de la preuve, notamment, les éléments apportés par la preuve en défense. C'est seulement si la poursuite a effectivement satisfait son fardeau de preuve que le Tribunal examinera la défense de diligence raisonnable, le cas échéant.
[80] Dans son évaluation de la preuve, le Tribunal retient les éléments suivants.
[81] L'inspection et les visites chez Matador de l'inspecteur Villeneuve : les machines, notamment la machine 8G, ont fait l'objet d'une inspection en octobre 2005, et en avril 2006 par Villeneuve. En octobre 2005, il a noté des dérogations sur certaines de ces machines, notamment la machine 8G, et il a en conséquence émis des avis de dérogation. En avril 2006, il a à nouveau visité l'usine et a confirmé que les dérogations qu'il avait notées lors de sa précédente visite avaient été corrigées, notamment celles qu'il avait constatées sur la machine 8G.
[82] Il a alors constaté une autre dérogation sur la machine 8G, non pas en ce qui a trait à une zone dangereuse, mais relativement à l'absence d'une lisse. En juin 2006, il a à nouveau visité l'usine, a vu la machine 8G, et a noté que la dérogation avait été corrigée.
[83] C'est donc dire qu'à au moins trois reprises, l'inspecteur s'est rendu chez Matador, et qu'il a vu la machine 8G à chacune de ses visites, suffisamment pour émettre, à deux reprises, des avis de dérogation. Or, jamais il n'a émis d'avis de dérogation pour la zone en litige.
[84] Cela ne veut pas dire que parce que Villeneuve n'a pas émis d'avis de dérogation, la zone ne peut pas être dangereuse. Rappelons qu'il appartient à l'employeur d'assurer la santé et la sécurité de ses employés, et à décider des mesures en conséquence. Il n'est pas suffisant pour ce faire de simplement se fier à l'inspecteur de la CSST. Il n'appartient pas à cet inspecteur de décider quelles sont les mesures à prendre pour assurer la sécurité des employés. Cette obligation appartient à l'employeur.
[85] Par contre, dans l'évaluation de la preuve, notamment du caractère immédiat et prévisible du risque, le fait que l'inspecteur Villeneuve ait émis des avis de dérogation au sujet de la machine 8G, mais qu'il n'en ait pas émis pour l'endroit spécifique où s'est produit l'accident est un élément qui peut être pris en compte par le Tribunal, parmi d'autres.
[86] On peut certainement au moins dire qu'il ne sautait pas aux yeux, même aux yeux avertis d'un inspecteur de la CSST, que le danger était imminent et prévisible.
[87] La localisation de la machine 8G et plus particulièrement de l'endroit par lequel Alvaro s'est introduit dans la machine : la machine 8G se trouve dans un coin de l'usine, difficilement accessible, notamment parce que l'espace entre le mur et l'endroit par lequel Alvaro s'est introduit dans la machine est d'environ 16 pouces, rendant effectivement pour le moins difficile pour quiconque de s'y faufiler.
[88] Au surplus, sans être rendu totalement impossible par l'installation d'un protecteur, l'accès à la zone où se trouvait l'engrenage en cause était tout de même restreint par un "X".
[89] Les agissements de Alvaro: la preuve révèle que contre toute attente, à l'encontre et au mépris de toutes les directives qui lui avaient été données, Alvaro s'est non seulement rendu derrière la machine, s'est non seulement approché de la machine, a non seulement procédé au nettoyage de la machine, mais il s'est littéralement introduit de tout son corps à l'intérieur de la machine, en passant "à travers" la croix qui restreignait l'accès à l'endroit, et, selon le témoin Fleurant, en devant ramper sous la machine.
[90] Le nettoyage de la machine ne fait pas partie du travail de l'assistant opérateur: dans son témoignage, le témoin Villeneuve a mentionné que le danger était prévisible car le nettoyage de la machine fait partie des tâches de l'assistant opérateur. Or, la preuve révèle que le nettoyage de la machine en cours de travail (par opposition au nettoyage en début de quart de travail) ne fait pas partie du travail de l'assistant opérateur. Au contraire, les instructions qu'il reçoit sont de ne pas s'approcher de la machine. Selon les deux témoins de la défense, l'assistant opérateur ne peut même pas utiliser les perches pour nettoyer la machine.
[91] Les instructions données aux travailleurs: il est clair de la preuve que l'opérateur de la machine est la seule personne ressource sur la machine, qu'il est le seul juge pour arrêter, nettoyer la machine, ou dégager des débris, ou décider d'utiliser une baguette pour en nettoyer certaines parties. Aucune marge de manœuvre n'est laissée aux autres employés, notamment aux assistants opérateurs comme Alvaro. Au contraire, selon le témoin Landry, si l'employé voit quelque chose d'anormal sur la machine, il doit "mettre ses mains dans ses poches".
[92]
Le
Tribunal comprend tout à fait qu'en principe, il ne faut pas prendre en compte
la faute contributive de l'employé pour évaluer l'état de compromission au sens
de l'article
[93] Or, personne chez Matador ne pouvait imaginer que l'assistant opérateur Alvaro, non seulement ne respecte pas les instructions claires qui lui avaient été données, mais qu'il s'approche de la machine, qu'il se faufile, qu'il rampe sous la machine, et qu'il passe à travers la croix en se contorsionnant, pour littéralement entrer à l'intérieur de la machine pour aller nettoyer la machine avec ses mains, alors que cela ne fait même pas partie de son travail.
[94] Nous sommes loin d'être en présence d'un cas où la pièce en mouvement est facilement accessible, constituant ainsi un risque immédiat et prévisible pour la santé ou la sécurité du travailleur, ne serait-ce qu'en cas de distraction ou d'erreur de jugement de sa part.
[95] En terminant, le Tribunal est d'opinion que la présence d'un directeur santé et sécurité chez Matador, qu'un plan plus formel de formation en santé et en sécurité au travail et qu'un meilleur plan de prévention n'auraient rien changé à la situation, tellement l'erreur de jugement, et c'est un euphémisme, de monsieur Alvaro est grossière.
[96]
Dans ces
circonstances, le Tribunal est d'opinion que la preuve n'établit pas hors de
tout doute raisonnable que Matador a compromis directement et sérieusement la
santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un travailleur lors de l'exécution
de travaux d'assistant opérateur au sens de l'article
[97] Matador est en conséquence acquittée.
|
||
|
__________________________________ JUGE ROBERT MARCHI, J.C.Q. |
|
|
||
Me Gaétanne Beaulieu |
||
Procureur de la poursuivante |
||
|
||
Me Robert Delorme |
||
Avocat de l’accusée |
||
|
||
Date d’audience : |
22 octobre 2009, 8 avril 2010 et 1 er septembre 2010. |
|
[1] Dans les notes sténographiques, le mot "courroie" apparaît à quelques reprises au lieu du mot "croix". (p. 143 et suivantes et p. 156). Il s'agit d'une erreur. On devrait plutôt lire "croix", étant donné le contexte.