Promutuel Les Prairies, société mutuelle d'assurances générales c. Selmay

2011 QCCA 524

 

COUR D'APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE MONTRÉAL

 

N o :

500-09-019954-098

 

( 505-17-003133-073 )

 

 

PROCÈS-VERBAL D'AUDIENCE

 

 

DATE:

16 mars 2011

 

CORAM:   LES HONORABLES

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

JACQUES A. LÉGER , J.C.A.

RICHARD WAGNER, J.C.A.

 

APPELANTE

AVOCAT(S)

PROMUTUEL LES PRAIRIES,

SOCIÉTÉ MUTUELLE D'ASSURANCE GÉNÉRALE

Me Marie Legault

RANCOURT, LEGAULT & ST-ONGE

 

 

 

INTIMÉ

AVOCAT(S)

ANTONY SELMAY

Personnellement

 

 

 

 

En appel d'un jugement rendu le 24 juillet 2009 par l'honorable Robert Castiglio de la Cour supérieure, district de Longueuil.

 

NATURE DE L'APPEL :

Assurance

 

Greffière: Marcelle Desmarais

Salle: Antonio-Lamer

 


 

 

AUDITION

 

 

9 h 33 Argumentation par Me Marie Legault.

10 h 12 Fin de l'argumentation de Me Marie Legault.

10 h 12 Suspension de la séance.

10 h 33 Reprise de la séance.

La Cour désire entendre monsieur Antony Selmay quant à la date de départ du calcul des intérêts.

10 h 33 Représentations par monsieur Antony Selmay.

10 h 35 PAR LA COUR:

Arrêt - voir page 3.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Marcelle Desmarais

Greffière d'audience

 


PAR LA COUR

 

 

ARRÊT

 

 

[1]           L'appelante, Promutuel Les Prairies, se pourvoit contre le jugement rendu le 24 juillet 2009 par la Cour supérieure (l'honorable Robert Castiglio), qui lui ordonne de payer à l'intimé la somme de 54 998,91 $ avec intérêts, plus l'indemnité additionnelle, depuis le 7 décembre 2004. L'appelante demande le rejet de la réclamation de son assuré, Antony Selmay, pour les dommages causés par un incendie qui a ravagé le garage de sa résidence.

[2]           La résidence de l'intimée, épargnée par le feu, subit, néanmoins, des dommages en raison de la fumée, comme le juge le note dans son récit des faits.

[3]           L'existence du contrat d'assurance est acquise, mais l'assureur soutient que l'intimé a perdu son droit à l'indemnisation en raison de son absence de collaboration (art.  2471   C.c.Q. ) et de ses déclarations mensongères (art.  2472   C.c.Q. ).

[4]           Le juge de première instance s’inspire de l'interprétation jurisprudentielle bien établie des articles  2471 et 2472   C.c.Q . Son application de ces principes aux faits de l'espèce ne souffre pas d'erreur qui justifierait la réformation du jugement dont appel.

[5]           Le juge est conscient que la conduite de l'intimé pour le traitement de sa réclamation à l'assureur n’a pas été sans causer des difficultés. L'assuré a parfois fait preuve d'une «  attitude intransigeante  ». Il a rendu la tâche plus compliquée aux différents intervenants dépêchés sur les lieux par l'assureur. Si exigeant ou intraitable qu'ait été, à l'occasion, l'intimé, le juge est, toutefois, d’avis que « […] la conduite de Selmay n'a pas empêché l'assureur de compléter les vérifications nécessaires afin de lui permettre d'effectuer son travail d'évaluation ». Le juge conclut donc à l'absence de préjudice à l'assureur, conclusion qui résulte de son appréciation de l’ensemble de la preuve. L’intimé n'a donc pas perdu, selon le juge, son droit à l'indemnisation en raison d'un manque de collaboration.

[6]           Par ailleurs, le juge est d'avis qu’il n’a pas été démontré d’intention frauduleuse de la part de l'intimé de tromper son assureur et de s'avantager [1] .  La preuve de déclarations mensongères au sens de l'article  2472   C.c.Q. n’a donc pas été établie. Le juge y voit plutôt un différend portant sur l'étendue des dommages et l'application de la clause de garantie « valeur à neuf » dont bénéficie l’intimé. Ce dernier a droit, en conséquence, d'être indemnisé pour les dommages subis à la suite de l'incendie.

[7]           Ces déterminations du juge sur le fond du litige dont il était saisi ne comportent pas d’erreur qui puisse justifier l’intervention de la Cour.

[8]           Quant à l’évaluation des dommages, le juge fait vraiment la part des choses lorsqu'il apprécie la preuve et octroie en partie seulement la réclamation de l'intimé. Il ne revient pas à la Cour de reprendre cet exercice, en l'absence d'une erreur manifeste et dominante. Le juge fait preuve ici de pondération, en soupesant tous les éléments de la preuve avant d’octroyer ou non un poste de dommages. Il n’y a donc pas matière à révision de l’évaluation des dommages faite par le juge de première instance.

[9]           Reste donc la question de la date de départ du calcul des intérêts et de l'indemnité additionnelle.

[10]        L'appelante soutient, comme elle l’a plaidée en première instance, que le juge aurait dû retenir la date du dépôt des procédures, soit le 20 février 2007, pour la date de départ du calcul des intérêts et de l’indemnité additionnelle. Elle s'appuie sur l'article 1618 C.c.Q. qui prévoit que la demeure est le point de départ des intérêts.

[11]        Le juge accorde plutôt les intérêts à partir de la date où l'appelante était, selon son évaluation de la preuve, en possession de toutes les pièces justificatives, soit le 7 décembre 2004. Il s’agit là d’une détermination de fait.

[12]        À défaut d’une mise en demeure par voie d’avis écrit préalable à la signification des procédures, il peut être tenu pour acquis que la demeure a eu lieu 60 jours après la réception de l'ensemble des pièces justificatives.

[13]        En effet, en vertu de la clause 18 de la police d'assurance, l'appelante doit payer l'indemnité dans les soixante jours suivant la réception des pièces justificatives :

18. PAIEMENT (Articles 2469 et 2473)

L'Assureur paiera l'indemnité dans les soixante (60) jours suivant la réception de la déclaration de sinistre ou de la réception des renseignements pertinents et des pièces justificatives requises par lui. [2]

[14]        Cette clause est d’ailleurs conforme à l'article 2473 C.c.Q. ainsi libellé :

2473. L'assureur est tenu de payer l'indemnité dans les 60 jours suivant la réception de la déclaration de sinistre ou, s'il en a fait la demande, des renseignements pertinents et des pièces justificatives.

[15]        L'expiration de ce délai constitue donc une demeure par l'effet de la loi au sens de l'article 1594 , al. 2 C.c.Q. Dans Précis des assurances terrestres , l'auteur Didier Lluelles est de cet avis :

Il est possible de considérer l'expiration de ce délai comme une demeure par l'effet de la loi ( cf. C.c.Q., art. 1594, al. 2) : aussi les intérêts moratoires (C.c.Q., art. 1600 et 1617, al. 2), de même que l'indemnité additionnelle (C.c.Q., art. 1619), devraient-ils courir à compter de ce moment [référence omise]. [3]

[16]        À propos du même sujet, l'auteur Jean-Guy Bergeron s’exprime ainsi :

En assurance de dommages , l’assureur doit payer l’indemnité dans les soixante jours de l’avis de sinistre ou de la réception des renseignements ou pièces requis par l’assureur. Le délai pour la demande et la réception des renseignements ou des pièces peut être plus ou moins long selon l’importance et la complexité de l’affaire. Il n’est pas question de reporter l’échéance après l’obtention de la sentence arbitrale.

[…]

L’assureur est tenu de payer les intérêts, à titre de dommages moratoires, sur la somme due à son assuré à compter de l’échéance de ces délais. Il est vrai que ces dommages sont dus en principe à compter de la demeure. Cependant, nous pensons que l’assureur est constitué en demeure par la réclamation de l’assuré, celle-ci constituant une demande extrajudiciaire au sens de l’article 1594 C.c.Q. Toutefois, tant que le délai pertinent n’est pas écoulé, l’exécution de l’obligation n’est pas en retard et ne justifie donc pas de dommages moratoires. Par ailleurs, il faut aussi noter que l’assureur est automatiquement en demeure, selon l’article 1597 C.c.Q., lorsqu’il manifeste clairement au créancier son intention de ne pas exécuter l’obligation. [4]

[17]        Les intérêts et l'indemnité additionnelle doivent, en conséquence, être calculés à partir du 5 février 2005, soit 60 jours après le 7 décembre 2004, date retenue par le juge comme étant celle où l'appelante avait les renseignements pertinents et les pièces justificatives en sa possession.

POUR CES MOTIFS, LA COUR:

[18]        ACCUEILLE l'appel, sans frais, à la seule fin de substituer au paragraphe 144 du jugement dont appel la date du 5 février 2005 à celle du 7 décembre 2004 pour le calcul des intérêts et de l'indemnité additionnelle, de sorte que ledit paragraphe se lit comme suit :

[144] CONDAMNE Promutuel les Prairies, Société mutuelle d'assurance générale, à payer à Antony Selmay, la somme de 54 998,91 $ avec intérêts, plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec, depuis le 5 février 2005.

 

 

JACQUES DUFRESNE, J.C.A.

 

 

JACQUES A. LÉGER, J.C.A.

 

 

RICHARD WAGNER, J.C.A.

 



[1]           Boiler Inspection and Insurance Company of Canada c. Moody Industries Inc. , J.E. 2006-1358 (C.A.), 2006 QCCA 887 .

[2]           Pièce P-3.

[3]           Didier Lluelles, Précis des assurances terrestres, 5 e éd., Montréal, Éd. Thémis, 2009, p. 365-366.

[4]           Jean-Guy Bergeron, « Les obligations des parties après sinistre », dans Service de la formation continue, Barreau du Québec, Développements récents en droit des assurances , vol. 322, Cowansville, Éd. Yvon Blais, 2010, p. 112-113 [références omises].