Service d'entretien Distinction inc. c. Lefebvre |
2011 QCCS 1197 |
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JR
1492
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-054119-097 |
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DATE : |
Le 21 mars 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Service d'entretien distinction inc. |
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demanderesse |
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c. |
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Bernard Lefebvre |
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défendeur |
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et |
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Union des employés et employées de service, section locale 800 |
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Mise en cause |
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JUGEMENT |
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[1] La demanderesse Service d'entretien distinction ( Distinction ) présente une requête en révision judiciaire à l'encontre d'une décision de l'arbitre Bernard Lefebvre. Par cette décision, l'arbitre tranche le moyen du syndicat mis en cause, à l'effet que le congédiement de l'employée Virgina Pavez Cornejo ( Cornejo ) est nul, non valide et illégal en raison du non-respect de la procédure d'imposition des mesures disciplinaires prévue aux articles 10.01 et 10.07. On y prévoit que la décision d'imposer une mesure disciplinaire après 25 jours de la connaissance par l'employeur de l'incident qui en donne lieu est nulle.
[2] La norme de contrôle ne fait pas l'objet de contestation, les parties s'entendent à l'effet que la norme applicable est celle de l'erreur déraisonnable.
[3] Afin de bien comprendre les faits propres à ce dossier, il convient de référer à la requête introductive d'instance et d'en faire un résumé.
« A . Les parties
1. La demanderesse, Service d’entretien Distinction inc. (« Distinction »), est une entreprise œuvrant principalement dans l’entretien ménager et hôtelier.
2. Afin de desservir ses clients dans le secteur de l’entretien ménager, Distinction compte sur une équipe de quatre directeurs des opérations, de quatre directeurs adjoints, de onze superviseurs et de vingt contremaîtres et, ensemble, ils supervisent 2 300 salariés.
3. Avant de procéder à un congédiement, un directeur des opérations doit obtenir l’accord de la direction des ressources humaines, laquelle est composée d’un conseiller aux relations du travail et d’une conseillère juridique.
4. La mise en cause, Union des employés et employées de service, section locale 800 (« Union »), est l’association accréditée représentant les salariés de Distinction.
5. L’Association des entrepreneurs de services d’édifices Québec inc., dont fait partie Distinction, a conclu une convention collective de travail avec l’Union (pièce P-2), laquelle est applicable en l’espèce.
6. Le défendeur, l’arbitre de grief Bernard Lefebvre (« arbitre »), a été désigné afin d’entendre le grief de Virginia Pavez Cornejo (« salariée ») du 5 décembre 2008 (pièce P-5) par lequel elle contestait son congédiement imposé par Distinction le 24 novembre 2008 (pièce P-4).
7. Après avoir entendu les parties, l’arbitre a rendu, le 5 octobre 2009, une décision (pièce P-1) accueillant une objection préliminaire de l’Union selon laquelle Distinction n’avait pas respecté le délai de 25 jours de la connaissance de l’incident pour imposer le congédiement.
b. Les faits
8. Distinction effectue des travaux d'entretien ménager au 1000, rue de La Gauchetière Ouest (« client ») et la salariée exerce ses fonctions à l’établissement de ce client depuis novembre 2007.
9. Le Guide de l'employé de Distinction énonce ce qui suit à son paragraphe 24, lequel se retrouve dans la partie intitulée : « Règlements et responsabilités » (pièce P-3) :
« Il est strictement défendu de prendre des choses telles que :
- Nourriture et boissons (café, boissons gazeuses, eau, jus, buffet, etc.) et de se promener dans l'édifice avec de la nourriture;
- Cannettes vides;
- Argent, monnaie;
- Toute autre chose appartenant aux locataires. »
10. Par ailleurs, le Guide de l’employé stipule qu’un manquement aux règles y étant énoncées pourrait être sanctionné sévèrement et même entraîner la perte de l’emploi et non, contrairement à l’affirmation de l’arbitre, qu’un vol de nourriture mène à un congédiement automatique.
11. Le 30 septembre 2008, à la suite de la disparition de nourriture appartenant au client, Distinction a fait installer des caméras par la compagnie Secur Plus.
12. Le 3 octobre 2008, M. Carlos Gomez, l’un des directeurs des opérations de Distinction, a visionné la vidéo du 30 septembre 2008 et a constaté que la salariée avait consommé de la nourriture appartenant au client.
13. À cette même date, la salariée est rencontrée au début de son quart de travail par le directeur des opérations afin de l’informer de sa suspension administrative pour fins d’enquête.
14. Le 9 octobre 2008, le directeur des opérations a demandé à un représentant de Secur Plus de lui transmettre une copie des extraits de la vidéo du 30 septembre 2008.
15 Le 20 octobre 2008, n’ayant toujours pas reçu les extraits de la vidéo pour permettre à Distinction de mener son enquête, le directeur des opérations a fait un suivi auprès de Secur Plus.
16. Le 29 octobre 2008, en raison des difficultés rencontrées afin d’obtenir les extraits de la vidéo, Distinction a informé la salariée de la poursuite de son enquête et jamais l’Union ne s’est opposée à cette prolongation.
17. À défaut d’avoir en main les extraits pertinents de la vidéo, le directeur des opérations a été diligent en rencontrant Serge Valade, conseiller aux relations du travail, et M e Emmanuelle Dubé, conseillère juridique, afin de faire avancer les aspects de l’enquête qui pouvaient l’être.
18. Au terme de cette rencontre, la conseillère juridique a demandé au directeur des opérations d’obtenir certaines informations auprès de la contremaître, Isabelle Larkin.
19. Au début du mois de novembre 2008, le directeur des opérations a reçu les extraits de la vidéo et il a enfin pu les transmettre au conseiller aux relations du travail et à la conseillère juridique.
20. Au retour de ses vacances, le 10 novembre 2008, la contremaître a rencontré le conseiller aux relations du travail, la conseillère juridique et le directeur des opérations afin de leur fournir les informations demandées.
21. Ayant en main l’ensemble des informations nécessaires, le conseiller aux relations du travail n’a pas tardé et a communiqué, dès le 12 novembre 2008, avec la salariée pour convenir d’une rencontre.
22. Dès le lendemain, le 13 novembre 2008, le conseiller aux relations du travail a transmis à la salariée un avis de convocation pour une rencontre le 19 novembre 2008.
23. Le 19 novembre 2008, le conseiller aux relations du travail et la conseillère juridique ont rencontré la salariée en compagnie de son représentant syndical, François Rollet.
24. Le 24 novembre 2008, Distinction a transmis une lettre à la salariée pour l’informer de son congédiement (pièce P-4).
25. Le 5 décembre 2008, l’Union a déposé un grief (pièce P-5) par lequel elle a contesté le congédiement imposé à la salariée le 24 novembre 2008, mais jamais, à ce moment, elle n’a prétendu que Distinction n’avait pas respecté le délai prévu à l’article 10.01 de la convention collective de travail (pièce P-2) :
« 10.01 La décision d'imposer une mesure disciplinaire, après vingt-cinq ( 25 ) jours de la connaissance par l’employeur de l'incident qui en donne lieu est nulle, non valide et illégale. »
26. Ce n’est que lors de la seconde séance de l’audience que le représentant de l’Union a soulevé une objection préliminaire selon laquelle Distinction n’avait pas respecté ce délai et qu’il a demandé une décision sur cette objection uniquement.
27. Le 5 octobre 2009, l’arbitre a rendu une décision sur l’objection de l’Union, laquelle est entachée d’erreurs révisables comme il appert des motifs ci-après détaillés. »
[4] Distinction prétend que l'arbitre a rendu une décision déraisonnable en interprétant l'article 10.01 de la convention et en décidant que l'enquête n'était pas nécessaire en raison des résultats obtenus.
[5] Distinction plaide que l'arbitre a erré en ne reconnaissant pas la nécessité de la tenue de l'enquête afin d'établir l'existence même de la faute et de l'acte reproché à la salariée.
[6] Distinction plaide que l'arbitre a erré en ne reconnaissant pas la nécessité de la tenue d'une enquête afin d'établir la sanction à être imposée.
[7] L'arbitre a erré en interprétant l'article 10.01 de la convention collective de travail comme imposant à Distinction un délai de 25 jours pour faire enquête.
[8] Selon Distinction, elle devait faire enquête afin de s'assurer que la salariée a réellement commis la faute qui lui est reprochée, soit le vol de nourriture, et ce, afin de déterminer si le congédiement était la sanction appropriée.
[9] Pour en arriver à déterminer si la décision rendue est déraisonnable, il faut considérer la jurisprudence sur la question en cause. Il faut noter que dans l'étude de chacune des décisions, le texte de la convention collective est primordial, lorsqu'elle traite du délai et de la date à partir de laquelle la mesure disciplinaire peut être imposée.
[10] L'affaire Syndicat des employées et employés du C.E.V. c. Pavillon du Parc inc. [1] a été analysée par chacun des avocats présents à l'audition .
[11] Dans un premier temps, il faut noter que la disposition de la convention collective indiquait que la décision d'imposer un congédiement ou suspension est communiquée dans les 30 jours, non pas de la « connaissance par l'employeur de l'incident qui en donne lieu » ( comme dans notre dossier ), mais dans les 30 jours de « la connaissance par l'employeur de tous les faits pertinents liés à cet incident. »
[12] Cette distinction est fort importante, puisqu'elle a permis à la Cour d'appel de considérer que si tous les éléments pertinents nécessaires à la décision de l'employeur ne sont pas connus, l'employeur a le droit de faire une enquête et, par la suite du résultat de celle-ci, la sanction doit être infligée dans les 30 jours « de la connaissance par l'employeur des faits révélés par l'enquête. »
[13] Le congédiement d'un salarié est un acte important qui peut avoir des conséquences considérables tant pour l'employé que pour l'employeur et comme le dit la Cour d'appel, « cet acte ne peut pas être posé à la légère à partir de simples allégations, sans que l'employeur sache exactement la nature de la conduite reprochée au salarié, toutes les circonstances qui ont entouré l'acte, l'état d'esprit du salarié lorsqu'il a posé son acte, etc. »
[14] Ce passage de la décision de la Cour d'appel, indique bien que l'employeur ne doit pas agir à la légère et qu'il peut, s'il le désire et si cela est nécessaire, rencontrer l'employé et avoir sa version des faits.
[15] Le tribunal considère qu'il faut apprécier et se demander si l'enquête avait un minimum de sérieux et si ses objectifs étaient raisonnables.
[16] Il faut faire attention de juger de la nécessité de l'enquête, au seul résultat qu'elle a donné. Or, ici on le sait, l'enquête n'a rien donné, mais ce n'est pas en examinant le résultat de l'enquête qu'on peut juger de sa nécessité. Comme le rappelle la c our d'appel :
« Or, le fait que l'enquête du comité a établi que la plupart des allégations faites contre le salarié en avril étaient fondées n'établit pas que l'intimée devait agir dans les 30 jours du 29 avril et qu'elle n'était pas justifiée d'ouvrir une enquête à cette date . »
[17] Le tribunal considère qu'il faut apprécier les objectifs de l'enquête au moment où la décision a été prise de la tenir. S'il n'y a pas d'abus et si les objectifs sont utiles et raisonnables aux fins de l'appréciation d'imposer une sanction, le tribunal ne voit pas comment on peut ne pas permettre cette enquête.
[18] Pour soutenir le droit de faire enquête de la part de l'employeur, la c our d'appel indique que « la décision de l'employeur doit être prise à partir d'autant d'informations que cette décision est révisable par un arbitre. »
[19] Ici cependant, le texte de la convention est différent et le tribunal ne voit pas comment on pourrait ne pas imposer à l'employeur de respecter le délai de 30 jours « de la connaissance de l'incident ». Le texte de la clause est clair et ne requiert pas d'interprétation. Les faits propres à ce dossier favorisent l'application de la clause et le respect du délai de 25 jours.
[20] Le tribunal est d'avis que le passage suivant de la décision de la c our d'appel dans l'affaire en titre n'est pas applicable en l'espèce.
« L'erreur fondamentale de l'arbitre fut d'interpréter le premier alinéa de l'article 5.09 comme imposant à l'intimé un délai de 30 jours pour vérifier les allégations contre son salarié; or, le délai de 30 jours prévu à cet alinéa est un délai à l'intérieur duquel l'employeur doit agir une fois qu'il est en possession de tous les faits pertinents , mais non pas un délai pour faire enquête . »
(Nos soulignements)
[21] On comprend que la Cour d'appel utilise l'expression « de tous les faits pertinents » parce que la clause applicable dans ce dossier utilisait ces termes, ce qui n'est pas le cas en l'espèce qui ne réfère « qu'à la connaissance de l'incident. »
[22] Le simple libellé de la clause applicable en l'espèce permettait à l'arbitre de s'éloigner des conclusions de la décision de la Cour d'appel.
[23] L'employeur a aussi référé à la décision Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal ( C.S.N. ) c . Hôpital général de Montréal [2] . Dans cette affaire, il est vrai que la Cour d'appel a reconnu l'importance de rencontrer le salarié, mais la clause en question était semblable à celle que l'on avait dans la décision Syndicat des employées et employés du C.E.V. d'Aylmer c. Pavillon du Parc inc. [3] , c'est-à-dire qu'on référait à la « connaissance par l'employeur de tous les faits pertinents liés à cet incident. »
[24] L'employeur plaide l'application de l'affaire Syndicat du personnel du centre de réadaptation les Amets ( CEQ ) c. Gilles Lavoie et Centre de la jeunesse de la Gaspésie/les Îles [4] . Il réfère plus particulièrement à la page 53 et aux deux dispositions des clauses 42.03 et 42,05 de la convention collective qui seraient similaires aux dispositions des clauses 10.01 et 10.07 de la convention collective en cause.
« 42.03
Un avis disciplinaire, une suspension ou un congédiement doit être signifié à la salariée ou au salarié concerné dans les trente (30) jours de l'incident le plus récent donnant lieu à la mesure disciplinaire, ou, au plus tard, dans les trente (30) jours de la connaissance par l'employeur de tous les faits pertinents reliés à cet incident.
42.05
Seuls les motifs ou les faits contenus dans l'avis disciplinaire, l'avis de suspension ou l'avis de congédiement sont admissibles en preuve lors d'un arbitrage. »
[25] Avec respect, tout comme la décision de la Cour d'appel dans Syndicat des employées et employés du C.E.V. d'Aylmer c. Pavillon du Parc inc. [5] , l'article 42.03 réfère à « la connaissance de l'employeur de tous les faits pertinents reliés à cet incident », ce qui est différent du libellé de la clause en vigueur dans le présent dossier.
[26] L'employeur plaide que malgré cette distinction dans le libellé de la clause 10.01 et celle étudiée dans Syndicat des employées et employés du C.E.V. d'Aylmer, dans les faits c'est la même chose. Pour soutenir cette affirmation, l'employeur se réfère à la doctrine « Les mesures disciplinaires et non disciplinaires, dans les rapports collectifs du travail [6] » , où on écrit :
« Les litiges entourant le respect par l'employeur du délai d'imposition d'une mesure disciplinaire portent la plupart du temps sur la date de départ du délai, puisqu'il est facile de constater la date d'imposition de la mesure. Les tribunaux d'arbitrage s'entendent généralement pour dire que ce délai doit commencer à courir uniquement au moment où l'employeur connaît tous les faits pertinents. La notion de la connaissance des faits nécessaires pour imposer une mesure disciplinaire peut exiger une enquête de la part de l'employeur. Dans ce cas, la date de départ du calcul va se situer à la fin de l'enquête. L'expression «connaissance des faits» utilisée dans la convention collective doit recevoir une interprétation large permettant à l'employeur d'avoir un portrait complet de la situation avant d'agir. Malgré la nécessité de tenir une enquête, les tribunaux d'arbitrage exigent que l'employeur agisse avec diligence et uniquement dans le but de connaître les faits pertinents à son action envers le salarié fautif.
Le syndicat ne peut pas reprocher à l'employeur la durée de l'enquête lorsque cette dernière a été prolongée au motif que l'employeur a dû rencontrer le plaignant pour connaître sa version des faits ou alors parce que le plaignant a avancé des explications que l'employeur avait le devoir de vérifier. L'employeur peut confier son enquête à un tiers et sa connaissance des faits ne peut être présumée au même moment que celle de son mandataire . »
[27] Il est difficile de concevoir que deux clauses rédigées différemment auraient le même effet.
[28] Le tribunal préfère considérer comme non déraisonnable l'approche qui soutient que si les parties avaient voulu se référer à la connaissance par l'employeur de tous les faits pertinents, cela aurait été écrit comme tel dans la convention.
[29] Aussi, toujours dans le texte de la doctrine citée, on indique que « la notion de la connaissance des faits nécessaire pour imposer une mesure disciplinaire peut exiger une enquête de la part de l'employeur. »
[30] Autrement dit, si le délai n'est pas respecté, il faut une justification. Certes on peut facilement concevoir que le délai de 25 jours ne soit pas suffisant dans certaines circonstances. Il faut cependant que la nécessité de l'enquête au-delà des 25 jours soit démontrée par l'employeur, ce qui n'a pas été le cas ici. En d'autres mots, il faut établir que c'était nécessaire à l'enquête et que ce qui a été fait après les 25 jours ne pouvait être raisonnablement fait avant. Il semble raisonnable de soutenir que le droit de faire enquête lorsque nécessaire ne donne pas l'autorisation à l'employeur de laisser traîner le dossier d'enquête, sous prétexte que l'employé est en congé chez lui, avec solde. L'article 10.01 doit avoir un sens et une application possible.
[31] Dans l'affaire S. Huot inc. c. Fillion [7] , le juge Barakett écrit sur ce type de délai :
« L’Arbitre n’a pas à décider du délai raisonnable pour faire une enquête et ce n’est pas ce qu’il a fait.
Le caractère véritable de sa décision est d’avoir décidé, selon la preuve, de la date où cette enquête s’est terminée. Il a démontré et considéré que les actes dits « d’enquête » après le 6 février 2006 étaient inutiles et l’Arbitre devait le faire, à défaut, un employeur pourrait toujours manipuler le délai de dix jours (de rigueur) en posant un ou des gestes inutiles sous prétexte que l’enquête était toujours en cours.
Or, dans une telle hypothèse, si un employeur pose une série de gestes supposément utiles, le délai de dix jours commencera à courir seulement au bon plaisir de l’employeur, ce qui enlèvera tout sens à la clause de « dix jours ».
Il était donc raisonnable pour l’Arbitre de déterminer, selon la preuve, à quelle date l’enquête utile s’est vraiment terminée.
L’Arbitre a décidé de la date à laquelle l’Employeur était en possession de suffisamment de faits pour prendre une décision afin de pouvoir faire le calcul du délai de dix jours.
Le tribunal conclut que la décision de l’Arbitre n’est pas manifestement déraisonnable eu égard à la preuve. »
[32] Le tribunal partage ce point de vue.
[33] Il est opportun de reproduire ce que les parties ont énoncé devant l'arbitre comme trame factuelle et qui a été reproduite au paragraphe 24 de la décision arbitrale. Cela permettra de mieux comprendre certains aspects de la décision de l'arbitre :
« [24] Les parties énoncent cette trame uniquement aux fins de trancher le moyen du syndicat :
« Trame factuelle entre la visualisation du vidéo et l'avis de congédiement transmis par Mme Cornejo :
Para. A) 30 septembre 2008, Installation de la caméra par la compagnie Secur Plus ;
Para. B) 3 octobre 2008: Visualisation par M. Gomes et Mme Larkin de la vidéo filmant Mme Cornejo en train de prendre de la nourriture dans les plats appartenant au client ;
Para. C) 3 octobre 2008: M. Gomes rencontre Mme Cornejo et la suspend aux fins d'enquête ;
Para. D) 6 octobre 2008: Conversation entre M. Mario Pino et M. Serge Valade concernant l'enquête effectuée auprès de Mme Cornejo; si monsieur Pino témoignait à l'audience, il nierait avoir eu une conversation avec monsieur Valade le 6 octobre 2008 concernant la plaignante, madame Virginia Cornejo.
Para. E) Entre le 3 octobre et le 24 novembre: diverses discussions entre M. Carlos Gomes et les ressources humaines;
Para. F) 9 octobre 2008: La compagnie Secur Plus enlève la caméra au 1000 de la Gauchetière;
Para. G) Le ou vers le 9 octobre 2008: M. Gomes demande à M. Vince Rossi de lui transmettre les passages pertinents du vidéo filmant Mme Cornejo;
Para. H) En date du 20 octobre 2008, l'employeur n'a pas reçu copie de la vidéo et un suivi est fait le ou vers le 20 octobre auprès de la compagnie Secur Plus afin d'obtenir copie du vidéo;
Para. I) Vers la fin octobre rencontre avec Carlos Gomes, Serge Valade et Me Dubé;
Para. J) 29 octobre 2008: lettre transmise à Mme Cornejo confirmant la poursuite de l'enquête par l'employeur;
Para. K) Suite à la rencontre entre M. Gomes, M. Valade et Me Dubé: demandes de vérifications de certaines informations à M. Gomes par Me Dubé;
Para. L) Délai afin d'obtenir certaines informations puisque Mme Isabelle Larkin est en congé entre le 27 et 31 octobre 2008;
Para. M) Début novembre, réception de la vidéo par Secur Plus et visualisation de ladite vidéo;
Para. N) Rencontre avec Mme Larkin le 10 novembre, soit à son retour de vacances, par M. Serge Valade, M. Carlos Gomes et Me Dubé;
Para. O 12 novembre 2008 l'employeur tente de rejoindre Mme Cornejo afin de prendre un rendez-vous: en attente de son retour d'appel;
Para. P) 12 novembre 2008 l'employeur discute avec Mme Cornejo, cette dernière désire parler au syndicat avant de prendre un rendez-vous;
Para. Q) 13 novembre 2008: avis de convocation transmis à Mme Cornejo;
Para. R) 19 novembre 2008: Rencontre avec l'employeur, le représentant syndical et Mme Cornejo; (Monsieur Serge Valade)
Para. S) 24 novembre 2008: Avis de congédiement transmis à Mme Cornejo;
(para. D , le syndicat souligne en caractère gras; para R, parenthèse de l'employeur) »
[34] Conséquemment, c'est le 3 octobre 2008 que monsieur Gomes et madame Larkin visualisent la vidéo, ils voient clairement madame Cornejo en train de prendre de la nourriture dans les plats appartenant au client. Il ne semble pas déraisonnable de soutenir que dès cet instant, il y a prise de connaissance par l'employeur de l'incident à la base de sa décision.
[35] Le même jour, madame Cornejo est suspendue aux fins d'enquête qui débute à cette même date.
[36] La demanderesse allègue que les 9 et 20 octobre 2008, suite au visionnement du 3 octobre, le directeur des opérations demande à un représentant de Secur Plus de lui transmettre une copie de la vidéo du 30 septembre. L'employeur plaide qu'il a eu des problèmes à récupérer la vidéo dont des tentatives ont été faites les 9 et 20 octobre 2008. Il faut noter que la compagnie Secur Plus avait permis le visionnement de la vidéo. Vu la permission de Secur Plus de visionner la vidéo le 3 octobre, était-il nécessaire à ce stade du dossier d'en avoir la possession pour prétendre que l'employeur avait « connaissance de l'incident » ? Cela n'était pas nécessaire. Évidemment au procès ou devant l'arbitre, il faudra faire la preuve de l'existence de la vidéo, mais pour analyser le caractère raisonnable de la décision arbitrale, il faut se placer au moment des évènements en octobre 2008.
[37] C'est le 12 novembre que le conseiller aux relations du travail de Distinction communique avec la salariée pour la convier à une rencontre. La rencontre a finalement lieu le 19 novembre 2008 et la salariée est congédiée le 24 novembre 2008 ( P-4 ).
[38] L'employeur propose qu'en plus de la lecture de l'article 10.01 de la convention, il faut également lire l'article 10.07 qui indique :
« 10.07 Suspension - Congédiement
1. L'employeur remet au salarié par écrit avec copie au syndicat les motifs ayant provoqué la mesure disciplinaire dans les cinq (5) jours du début de la mesure disciplinaire et seules les allégations de faits inscrites au dossier seront considérées en arbitrage.
2. À la demande de l'une ou l'autre des parties, l'employeur et le syndicat doivent se rencontrer à un moment mutuellement convenu dans le but de trouver une solution satisfaisante au grief. »
[39] Ce que dit 10.07, c'est que l'employeur doit donner au salarié les motifs ayant provoqué la mesure disciplinaire et seules les allégations de faits inscrites au dossier seront considérées en arbitrage. On ne dit pas que l'employeur doit transmettre à l'employé le contenu de son enquête, les noms des témoins et un compte rendu de leur témoignage, on réfère aux allégations et aux motifs qui, dès le 3 octobre, date de la commission des actes en cause, sont connus de l'employeur.
[40] Les prétentions de l'employeur ont par la suite porté sur le fait qu'outre la faute ou l'acte reproché, il faut considérer la sanction et l'ensemble des facteurs atténuants et aggravants que l'enquête peut permettre de cerner.
[41] Il est vrai que dans bien des cas, la prise de connaissance de l'incident peut référer aux différents paramètres de l'infraction commise et dans certains cas, une enquête est nécessaire, mais voyons dans le présent cas, si ce qui était à la connaissance de l'employeur le 3 octobre remplit ce fardeau de connaissance à partir duquel le délai de 25 jours se compute. Un fait demeure, il y a eu 52 jours entre le moment de la commission de l'infraction ou des actes reprochés et la décision de congédier, soit deux fois plus que le délai prévu dans la convention collective. Il ne semble pas déraisonnable de soutenir que l'employeur a le fardeau de démontrer qu'il a agi raisonnablement pour respecter le délai.
[42] Si on examine l'énumération des faits contenus dans la trame factuelle au paragraphe 24 de la décision arbitrale, on comprend mal la longueur du délai. Le 9 octobre 2008, la compagnie Secur Plus enlève la caméra. M. Gomes demande à M. Rossi de lui transmettre les passages pertinents de la vidéo filmant Mme Cornejo. Le 10 novembre au retour de vacances de madame Larkin, on la rencontre.
[43] Il faut donc conclure qu'entre le 3 octobre et le 10 novembre, il ne se passe presque rien, sauf les demandes pour obtenir la vidéo qui avait déjà été visionnée de toute façon. L'employeur qui connaît la convention savait ou aurait dû savoir que le délai de 25 jours continuait à s'écouler. Il est vrai que dans certaines circonstances l'enquête est nécessaire et on peut computer le délai à la fin de l'enquête, encore faut-il qu'il y ait enquête.
[44] Dans tous les cas, il faut tenir compte du libellé de la clause : la « connaissance par l'employeur de l'incident » se distingue de la « connaissance par l'employeur de tous les faits pertinents liés à cet incident. »
[45] Pour expliquer le délai, on plaide qu'il fallait évaluer la gravité de l'acte pour savoir si cela méritait un congédiement. L'arbitre répond qu'il s'agit d'un vol et que selon la politique de la compagnie, cela entraîne un congédiement. En tenant compte des faits connus, l'arbitre ne voit pas comment l'employeur pouvait imposer autre chose qu'un congédiement. Comme l'arbitre l'écrit au paragraphe 73 de sa décision, « L'absence de certitudes due à l'insuffisance d'informations ne doit pas empêcher l'employeur de prendre une décision concernant la sanction applicable au cas en l'espèce avant de poursuivre l'enquête et de discipliner Mme Cornejo. »
[46] Et il ajoute :
« [76] Le principe du pouvoir de gestion raisonnable est soumis aux bornes de la convention collective.
[77] Conformément à un droit jurisprudentiel auquel le tribunal adhère, le contrôle de la raisonnabilité de l'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur porte autant sur le mérite de l'acte contrôlé que sur la manière dont le pouvoir a été exercé.
[78] À notre avis, selon les circonstances particulières du cas en l'espèce, l'employeur n'a pas démontré qu'il existait des doutes le 3 octobre 2008 et qu'il fallait s'abstenir d'agir dans le délai imparti à la clause 10.01. »
[47] L'arbitre ne dit pas qu'il ne faut jamais faire d'enquête, il ne dit pas non plus que le délai ne peut jamais être computé à la fin de l'enquête. Il dit simplement que les faits en l'espèce le justifient d'imposer le délai imparti à la clause 10.01. De l'avis du tribunal cela n'est pas déraisonnable.
[48] L'arbitre a rédigé sa décision en se basant sur le fait que le 3 octobre 2008, l'employeur avait en main tout ce qu'il fallait pour prendre sa décision. On comprend que l'enquête telle qu'elle a été faite ne justifiait pas de computer le délai après celle-ci, comme le réclame l'employeur. Que l'enquête ait été inutile ou faite de façon négligente, de l'avis du tribunal la conclusion de l'arbitre est raisonnable.
[49] Une photo vaut mille mots. La vidéo est révélatrice des paramètres de l'infraction. On est loin du dossier de harcèlement psychologique où il est important, voire essentiel, de faire une enquête minutieuse avant d'imposer une mesure disciplinaire importante. Ici, l'employé a pris de la nourriture sur une table. Cela est interdit. Une vidéo le démontre clairement.
[50] Il ne semble pas déraisonnable de conclure que l'employeur a pris connaissance des faits justifiant la sanction imposée. Ils sont deux à visionner la vidéo : madame Larkin, la contremaîtresse et monsieur Gomez, le directeur des opérations, qui est également son supérieur. Ceux qui ont constaté l'infraction ont un rang hiérarchique suffisant pour juger de l'existence ou non de l'incident.
[51] Si, l'article 10.01 ne s'applique pas dans un cas comme celui-ci, on peut se demander quand pourrait-il s'appliquer.
[52] L'employeur a insisté sur le fait qu'il y a deux fardeaux, en l'occurrence un sur la faute et l'autre sur la sanction pour laquelle il est essentiel de déterminer par l'enquête s'il n'y aurait pas de facteurs atténuants ou aggravants. À cette fin, il est important de rencontrer le salarié. Selon l'employeur, il était important de savoir si le salarié avait reçu une autorisation spéciale de prendre de la nourriture. Il y avait déjà eu des exceptions pour cet employé dans le passé ( paragraphe 66 de la décision ). Comme l'écrit l'arbitre au paragraphe 67, cela confirme que le principe est l'interdiction et que s'il y a une exception, l'employé doit avoir une autorisation, laquelle autorisation serait de toute évidence à la connaissance de l'employeur. Lors du visionnement de la vidéo le 3 octobre, madame Larkin savait qu'elle n'avait pas donné l'autorisation de prendre de la nourriture. Nul besoin de rencontrer l'employée pour se faire confirmer cela.
[53] Qui plus est, le 3 octobre, sachant que madame Larkin n'avait pas donné d'autorisation, en quoi était-il nécessaire d'attendre son retour des vacances pour avoir son point de vue ? D'ailleurs, pendant environ 20 jours, on aurait pu rencontrer madame Larkin à son travail. Ses vacances avaient sûrement été planifiées. Rien n'indique qu'elle a décidé de partir en vacances à la dernière minute et sans avertissement.
[54] Si l'employée nie le fait, comme en l'espère, cela peut être un facteur aggravant. Il serait donc essentiel de la rencontrer. Cependant, l'arbitre considère que pour l'employeur, la sanction était le congédiement.
[55] Il est vrai que la sanction décidée par l'employeur ne lie pas l'arbitre et que l'arbitre peut substituer son jugement à celui de l'employeur. Mais ce dont on parle n'est pas le procès ou l'arbitrage comme tel, mais l'application de l'article de la convention qui impose à l'employeur d'agir dans un délai de 25 jours à partir de la « connaissance de l'incident. » C'est au stade de la commission de l'infraction qu'il faut se placer pour évaluer l'application de l'article 10.01 et non au moment de l'arbitrage. Au stade de la commission de l'infraction, l'employeur considère que la sanction est le congédiement.
[56] Ce que l'arbitre a écrit aux paragraphes 72 à 78 de sa décision résume bien l'essence de la décision rendue :
« [72] En l'espèce, il existait suffisamment d'informations le 3 octobre 2008 pour ne pas attendre le retour de vacances de Mme Larkin ni la recherche d'éléments supplémentaires.
[73] L'absence de certitudes due à l'insuffisance d'informations ne doit pas empêcher l'employeur de prendre une décision concernant la sanction applicable au cas en l'espèce avant de poursuivre l'enquête et de discipliner Mme Cornejo.
[74] Si l'objectif recherché est parfaitement louable, il n'empêche que la mise en œuvre du principe de l'exercice raisonnable du pouvoir disciplinaire dépend de toutes les circonstances d'une affaire.
[75] ce principe sert de guide mais ne peut renverser la lettre et l'esprit des clauses 10.01 et 10.07 cc comme c'aurait été le cas en l'espèce si l'arbitre rejetait l'effet juridique de la bande vidéo; le témoignage de M. Gomes; la présence de Mme Larkin à la séance de visionnement de la bande vidéo le 3 octobre 2008 et à l'automatisme de la sanction en cas de dérogation aix prescriptions du guide des employés.
[76] Le principe du pouvoir de gestion raisonnable est soumis aux bornes de la convention collective.
[77] Conformément à un droit jurisprudentiel auquel le tribunal adhère, le contrôle de la raisonnabilité de l'exercice du pouvoir disciplinaire de l'employeur porte autant sur le mérite de l'acte contrôlé que sur la manière dont le pouvoir a été exercé.
[78] À notre avis, selon les circonstances particulières du cas en l'espèce, l'employeur n'a pas démontré qu'il existait des doutes le 3 octobre 2008 et qu'il fallait s'abstenir d'agir dans le délai imparti à la clause 10.01. »
[57] De l'avis du tribunal et suite à l'analyse faite, il n'y a pas qu'une solution possible à ce litige. Il existe un certain nombre de conclusions raisonnables. Celle de l'arbitre en fait partie. Le processus décisionnel est intelligible. Il s'agit d'une issue possible acceptable au regard des faits et du droit.
[58] REJETTE la requête en révision judiciaire ;
[59] LE TOUT avec dépens.
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__________________________________ STEVE J. REIMNITZ, J.C.S. |
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Me Jean-François Cloutier |
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Fasken Martineau DuMoulin, S.E.N.C.R.L. |
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Pour la demanderesse |
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Me Clément Groleau |
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Trudel Nadeau |
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Pour la mise en cause Union des employés et employées de service, section locale 800 |
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Date d’audience : |
Le 29 novembre 2010 |
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[1]
Syndicat des employées et employés du C.E.V.
d'Aylmer
c.
Pavillon du Parc inc.,
(1999)
[2]
Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal
( C.S.N. )
c
. Hôpital général de
Montréal,
(1984)
[3] Supra , note 1.
[4]
Syndicat du personnel du centre de réadaptation les Amets
( CEQ )
c.
Gilles Lavoie et Centre de la
jeunesse de la Gaspésie/les Îles ),
(1997)
[5] Supra note 1.
[6] Linda BERNIER, Guy BLANCHET, Lukasz Granosik , Éric Séguin , Les mesures disciplinaires et non disciplinaires, dans les rapports collectifs du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, 3.183.
[7]
S.
Huot inc.
c.
Fillion,