Huard c. M.H. |
2011 QCCS 1509 |
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JB 2770
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
BEAUCE |
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N° : |
350-17-000050-099 |
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DATE : |
LE 21 MARS 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DANIELLE BLONDIN, j.c.s. ______________________________________________________________________ |
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ANDRÉ HUARD, résidant et domicilié au [...], Sherbrooke, Québec (Qc) [...] |
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Demandeur |
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c. |
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M… H…, résidant et domiciliée au [...], Sartigan, Saint-Georges (Qc) [...] |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] Le demandeur poursuit sa sœur pour procédures abusives et diffamatoires et exige d'elle un dédommagement de 175 000 $. Après avoir tout nié, la défenderesse, par demande reconventionnelle, réclame à son frère 100 000 $ en dommages-intérêts pour coups et blessures, préjudice psychologique ainsi que dommages moraux et punitifs.
[2] Cette affaire évoque un autre épisode de la saga fratricide que se livrent une dizaine d'enfants de la famille d'Adélard Huard relativement à l'administration et l'occupation de la terre ou domaine qui était la propriété de leurs parents et ancêtres à Saint-Prosper de Beauce depuis plus de 100 ans.
[3] En 1996, pour éviter que la terre ancestrale ne soit vendue à des étrangers, dix enfants Huard forment la société en nom collectif Deswina, laquelle se porte acquéreur du fond de terre ainsi que de la maison familiale et autres bâtiments afin que les membres de la famille puissent jouir ensemble ou à tour de rôle de ce patrimoine, et ce, surtout que plusieurs vivent à l'extérieur du Québec.
[4] Il apparaît que tout se passe assez bien jusqu'au décès de leur mère, le 1 er mai 2005.
[5] Un peu avant, Hélène Huard, arrivée à la retraite, quitte Calgary pour revenir s'établir en Beauce. Elle propose aux autres sociétaires de rénover et d'agrandir la maison familiale pour vivre auprès de sa mère.
[6] Au fil des discussions, il y a eu désaccord entre les membres du groupe sur le choix de l'entrepreneur, la façon de réaliser le projet ou la disposition de la partie d'Hélène au décès de celle-ci. Deux clans se sont formés et ont fini par s'affronter dans une guerre visant à prendre le contrôle du domaine et à en acquérir la propriété à l'exclusion de l'autre. À tour de rôle, chacun réclamait l'expulsion des membres de l'autre groupe pour avoir agi contre l'intérêt de la société, ce qui était un motif d'exclusion selon leur règlement. Certains ont même demandé la dissolution de la société.
[7] Au printemps 2006, M… H… a changé de clan, laissant minoritaire celui où se trouvaient Hélène, la présidente Louise ainsi que Martine. Dans ce groupe, il y avait aussi leur frère André, encore amer de son expulsion de la société Deswina en 2001 parce qu'il avait fait faillite. Il était près de sa sœur Hélène qui lui avait déjà prêté de l'argent et qu'il considérait comme sa seconde mère en raison de son rang dans la famille. Entrepreneur de métier dans le domaine de la construction, il avait déjà exécuté en 2006 certains travaux pour Hélène à la maison familiale relativement à l'aqueduc et la fosse septique.
[8] Le 27 août 2006, alors que Louise et M… rencontraient l'entrepreneur qui devait exécuter les travaux de la maison, une altercation est survenue entre André et M….
[9] Celle-ci a porté plainte à la police et à cette occasion, elle a notamment rédigé la déclaration P-3 où elle relate sa version des événements survenus le 27 août. Le demandeur se plaint que M… fait circuler ce texte.
[10] Le 30 octobre 2006, le substitut du Procureur général écrivait à M… pour l'informer qu'après étude du dossier, la preuve était suffisante pour intenter contre André une poursuite criminelle pour voies de fait et pour avoir proférer des menaces de causer la mort ou des lésions corporelles. Cependant, en raison de l'ensemble des circonstances, il jugeait qu'André était admissible au « Programme de traitement non judiciaire de certaines infractions criminelles commises par des adultes » et conséquemment, aucune accusation ne serait portée contre lui.
[11] Cette lettre a été placée dans un cadre qui s'est retrouvé bien en vue dans la maison familiale de Saint-Prosper alors qu'accroché au mur près de la porte donnant vers l'extérieur dans la cuisine.
I. LE RECOURS DU DEMANDEUR
[12] En rapport avec l'incident du 27 août 2006 et des événements survenus par la suite, le demandeur prétend que sa sœur M… a porté contre lui une plainte criminelle dans le seul but de lui nuire et de lui causer du tort et aussi elle a fait circuler des textes ou colporté sur lui des accusations fausses malveillantes et diffamatoires dans le seul but de lui occasionner le plus grand tort possible.
[13] Il lui réclame en conséquence un dédommagement de 175 000$ se répartissant comme suit:
a) |
Troubles, tracas et inconvénients |
50 000$ |
b) |
Dommages exemplaires et moraux |
100 000$ |
c) |
Frais extrajudiciaires |
25 000$ |
En matière d'atteinte à la réputation, on peut lire dans le volume sur La responsabilité civile :
«1-293. Nécessité d'une faute - Pour que la diffamation donne ouverture à une action en dommages-intérêts son auteur doit avoir commis une faute. Cette faute peut résulter de deux genres de conduite. La première est celle où le défendeur, sciemment, de mauvaise foi, avec intention de nuire, s'attaque à la réputation de la victime et cherche à la ridiculiser, à l'humilier, à l'exposer à la haine ou au mépris du public ou d'un groupe. La seconde résulte d'un comportement dont la volonté de nuire est absente, mais où le défendeur a malgré tout porté atteinte à la réputation de la victime par sa témérité, sa négligence, son impertinence ou son incurie. Les deux conduites donnent ouverture à la responsabilité et droit à réparation, sans qu'il existe de différences entre elles sur le plan du droit [1] .»
[14]
Ainsi, il s'agit d'appliquer les règles ordinaires de la responsabilité
civile tel que prévu à l'article
[15]
Le droit à la réputation est aussi protégé par les articles
[16] Dans un premier temps, le demandeur doit donc établir que la personne qui a porté atteinte à sa réputation a commis une faute.
[17] Dans sa poursuite, le demandeur reproche d'abord à sa sœur M… d'avoir porté une plainte criminelle contre lui dans le seul et unique but de lui nuire et de lui causer du tort. Comme nous le verrons dans le cadre de la demande reconventionnelle, même si nous ne sommes pas convaincus que tous les coups relatés par M… ont vraiment été portés, il demeure qu'André l'a au moins attrapée par un bras, selon son aveu, et qu'il la menaçait en criant et fonçant sur elle, ce qui l'a amenée à reculer et tomber. Dès lors, il y avait matière à plainte et la défenderesse déclare l'avoir fait par crainte de son frère, lequel invoque avoir agi ainsi le 27 août 2006 dans le but de faire peur à M… qui contrariait une autre fois le projet de construction d'Hélène et parlait contre lui dans son dos.
[18] Au surplus, il n'est pas en preuve que M… ait répandu cette nouvelle dans la famille. Elle est restée discrète par rapport aux gestes qu'elle a posés après les événements du 27 août et c'est même le demandeur qui l'a appris à deux neveux, dont le fils de M….
[19] Selon la preuve administrée, le dépôt d'une plainte criminelle contre André était justifié. Il a attaqué physiquement et verbalement sa sœur pour lui faire peur, elle a eu peur et s'est protégée contre d'autres attaques de sa part par un geste légal, soit en déposant une plainte criminelle. Le Tribunal ne peut voir comment il pourrait conclure que M… a agi ainsi par pure vengeance et pour nuire à son frère. Conséquemment, aucune faute ne peut être retenue contre elle et, de toute façon, la réclamation sur ce point est prescrite vu le délai d'un an écoulé entre la plainte et la signification du présent recours le 23 décembre 2008.
[20] De même en est-il pour le cadre accroché dans la maison familiale et qui contient la lettre du substitut du Procureur général à l'effet qu'il ne porterait pas plainte contre André en raison d'un programme de déjudiciarisation d'événements.
[21] De tous les témoins entendus, personne n'a vu au mur le fameux cadre dont parle André, sauf Hélène. Aucune preuve ne relie la présence du cadre à M… si ce n'est qu'il contient la lettre que lui a adressée le substitut du Procureur général. Il n'a pas été démontré que M… était retournée à la maison de Saint-Prosper à l'époque pertinente ou qu'elle ait demandé à une de ses sœurs d'agir pour elle. Les soupçons du demandeur ne suffisent pas et la preuve ne permet pas de conclure à une présomption de fait grave, précise et concordante amenant à telle conclusion.
[22] Il y a donc absence de preuve reliant la défenderesse à la présence du cadre faisant état des ennuis d'André avec la justice.
[23] Troisièmement, selon le demandeur, M… aurait poursuivi sa campagne de dénigrement contre lui en faisant circuler un texte sur les incidents du 27 août 2006.
[24] Il appert que le texte en question est une copie de la déclaration que M… a faite aux policiers le 8 septembre 2006 et qui est à la source de la plainte criminelle contre André. Elle y décrit, notamment, comment il s'est attaqué à elle, l'a menacée de mort, l'a frappée à plusieurs reprises à coups de poing et de pied avec ses bottes de travail sans que Louise, Hélène ou Julie, qui étaient sur place, ne lui portent secours.
[25] Or, selon ce que révèle la preuve, M… a remis copie de sa déclaration (P-3) à sa sœur France qui était inquiète et craignait la présence de violence dans la famille en raison de leurs dissensions et des agissements violents d'André.
[26] Après avoir refusé une première fois, M… déclare qu'elle a consenti à donner copie du document P-3 à France vu l'engagement de celle-ci de le garder confidentiel. Elle considérait France comme une personne fiable et de fait, le document n'a pas circulé avant que leur sœur Julie n'en prenne connaissance, en août 2008, alors que France a apporté son cahier à anneaux sur la table de la cuisine pour montrer des documents comptables à Julie. À l'insu et sans l'autorisation de France, Julie a jeté un coup d'œil dans le cahier et a vu P-3 dont elle aurait lu le début seulement.
[27] Le lendemain, Louise arrive à la maison et Julie va dans la chambre de France chercher le document P-3 pour lui montrer. Elle laisse Louise en prendre copie. Hélène a eu P-3 à l'été 2008 et André au mois d'octobre suivant.
[28] Par la suite, irritée et même exaspérée par toutes les disputes entourant le projet de construction et pour clarifier ce qui s'était passé, Louise transmet par courriel à tous les sociétaires copie de la déclaration P-3, le 22 décembre 2008. André l'a acheminée au fils de M… le 28 décembre 2008.
[29] Cette preuve écarte la prétention du demandeur voulant que M… ait fait circuler sa déclaration à l'intérieur de la famille pour lui nuire de façon constante et systématique. M… n'a pas commis de faute en remettant copie de P-3 à sa sœur France. Elle s'était assurée auparavant de sa discrétion et de fait l'existence du document n'a pas été connue des autres avant l'indiscrétion de Julie en août 2008, soit près de 2 ans après les incidents. La diffusion peut donc être imputable à Julie et Louise.
[30] Finalement, le demandeur prétend qu'en décembre 2008, il venait d'apprendre que M… avait sali sa réputation lors de diverses réunions publiques rassemblant quantité de gens bien vus faisant en sorte de l'attaquer non seulement à l'intérieur de la famille, mais d'étendre son rayon d'action au grand public, auprès des gens qui le connaissent comme entrepreneur dans le domaine de la construction.
[31] À cet effet, le demandeur déclare qu'un de ses anciens employeurs Roch Lessard lui a mentionné avoir entendu M… dire dans un restaurant de Saint-Georges qu'André avait battu l'une de ses sœurs.
[32] Or, quand Roch Lessard a été entendu comme témoin, il a plutôt déclaré que M…, qu'il connaît bien, l'a appelé à la fin de 2006 pour lui demander si André travaillait encore pour lui et lui dire qu'il l'avait battue.
[33] Ce monsieur Lessard n'est pas crédible et est venu à la Cour pour rendre service à son bon ami André Huard qui avait récemment témoigné en sa faveur devant une instance dans le domaine de la construction.
[34] C'est la seule preuve que le demandeur peut relier à sa dernière prétention outre le fait que M… se soit confiée au médecin qui l'a examinée le 29 août 2006 et la travailleuse sociale qui l'a accueillie à la CAVAC, deux personnes liées par le secret professionnel. Point n'est besoin d'écrire plus longuement pour conclure que l'allégation voulant que M… étale au grand public ses accusations contre son frère est sans fondement.
[35] Comme dernier chef de réclamation, le demandeur voudrait que ses frais extrajudiciaires lui soient remboursés en raison d'abus de procédures de la défenderesse.
«Art.
L'abus peut résulter d'une demande en justice ou d'un acte de procédure manifestement mal fondé, frivole ou dilatoire ou d'un comportement vexatoire ou quérulent. Il peut aussi résulter de la mauvaise foi, de l'utilisation de la procédure de manière excessive ou déraisonnable ou de manière à nuire à autrui ou encore du détournement des fins de la justice, notamment si cela a pour effet de limiter la liberté d'expression d'autrui dans le contexte de débats publics.»
[36] À notre avis, cette prétention ne peut trouver application en l'espèce. Ce serait plutôt le contraire car le contexte factuel de la requête introductive d'instance ne représente pas ce qui s'est déroulé le 27 août 2006 à la maison de Saint-Prosper alors qu'on a complètement exclu le rôle déclencheur d'André dans l'altercation, ce qui en fait un tout autre débat à la lecture de la demande reconventionnelle et de la réponse ainsi qu'après les témoignages des parties.
[37] C'est le demandeur qui a enclenché des procédures judiciaires en décembre 2008 alors que la défenderesse n'avait réclamé aucun dédommagement à son frère avant qu'il ne la poursuive. Il n'en était pas question auparavant.
[38] Après appréciation de toute la preuve, le Tribunal conclut que la défenderesse n'a commis aucune faute pouvant entraîner sa responsabilité civile, et ce, à l'égard de tous les reproches soulevés par le demandeur.
[39] La requête introductive d'instance du demandeur est donc rejetée avec dépens.
II. LA DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE LA DÉFENDERESSE
[40] M… allègue avoir subi des dommages importants à la suite des voies de fait et menaces que lui a fait subir son frère André, lors d'événements survenus le 27 août 2006. Elle s'estime en droit de lui réclamer 100 000 $, le tout se répartissant comme suit:
1. 30 000 $ pour blessures corporelles et atteinte à son intégrité;
2. 30 000 $ pour préjudice psychologique, séquelles et dommages moraux résultant de cet événement;
3. 10 000 $ pour troubles, tracas, inconvénients et déboursés divers dont médicaments;
4. 30 000 $ pour dommages punitifs ou exemplaires;
[41] André oppose que la demande est mal fondée en fait et en droit invoquant que c'est M… qui a perdu le contrôle le 27 août 2006 et qu'il n'a rien fait d'autre que d'essayer de la calmer et lui demander de partir pour aider à rétablir un climat plus serein. Il ne l'a jamais frappée insiste-t-il.
[42] S'agissant d'un recours extra-contractuel en même temps qu'une atteinte à l'intégrité de sa personne, M… doit établir dans un premier temps la faute de l'auteur du dommage avant de quantifier celui-ci et démontrer le lien entre la faute et le dommage.
[43]
Commet une faute génératrice de responsabilité civile la personne qui
manque à son «devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances,
les usages ou la loi s'imposent à elle de manière à ne pas causer de préjudice
à autrui» (art. 1457 et 1. C.c.Q.). En cas de manquement, la personne fautive
doit réparer le préjudice causé qu'il soit corporel, moral ou matériel (art.
[44] Utiliser la violence physique ou verbale en portant des coups ou en menaçant une autre personne est certainement contraire aux règles de conduite qui imposent de ne pas agir de manière à causer un préjudice à autrui. Responsabilité cependant qui peut être mitigée lorsqu'il y a provocation de la part de la victime. [3]
[45] Relativement à la faute alléguée, des documents ont été déposés et plusieurs témoins ont été entendus. Pour la demanderesse reconventionnelle, M… elle-même, son mari J… D…, ses sœurs Lucie et Julie, les policiers Genest et Claveau, l'entrepreneur Alain Maheux et la docteure Sylvie Fournier. Pour sa part, le défendeur a témoigné et fait entendre ses trois sœurs Louise, Hélène et Martine, son épouse Diane Roy et Roch Lessard.
[46] Commençons par la version de la demanderesse reconventionnelle sur qui repose le fardeau d'établir la faute ayant causé le préjudice qu'elle a subi.
[47] M… s'est exprimée sur les événements du 27 août 2006 et ses suites à trois occasions. Nous les reprenons, car chaque texte comporte des différences qui, avec le temps, se rapprochent des versions des autres personnes présentes. Nous examinerons d'abord la déclaration écrite aux policiers en date du 8 septembre 2006, la demande reconventionnelle en date du 10 juillet 2009 et son témoignage au procès en janvier 2010.
1) La déclaration aux policiers (septembre 2006)
[48] M… a fait deux déclarations écrites aux policiers: une le 2 août 2006 et l'autre le 8 septembre 2006. Nous nous attarderons à cette dernière puisque c'est elle qui a été considérée par les parties au procès. Elle est produite sous D-2 [4] .
[49] M…réfère d'abord à la journée du 25 août où Louise, présidente de Deswina, la convoque à une réunion le 27 août avec le contracteur Maheux qui viendra donner des explications sur le plan d'agrandissement de la maison familiale.
[50] Selon M…, la réunion est demandée par leur sœur France et d'autres sociétaires parce que des rumeurs circulaient qu'André s'apprêtait à creuser les fondations à l'automne. Aussi, Louise devait retourner chez elle à Calgary le 31 août.
[51] Alors, M… déclare avoir insisté et obligé Louise à convoquer les autres membres de la société qui demeurent à Québec. À plusieurs reprises, elle a vérifié auprès de Louise la présence des autres membres car elle ne voulait pas se retrouver seule à cette rencontre.
[52] Ensuite, M… commence son récit de la journée du 27 août 2006.
[53] Vers 8h30, elle téléphone à Louise pour confirmer la tenue de la réunion prévue pour 9h30, mais cette dernière refuse de lui dire qui serait présent à part Hélène et elles-mêmes.
[54] À 9h00, elle appelle Alain Maheux pour qu'il apporte des revues sur l'aménagement extérieur de la maison. Cinq minutes plus tard, celui-ci la rappelle pour savoir si André serait là car il n'était pas d'accord avec lui sur le travail fait sur la maquette et il avait des inquiétudes en rapport avec le respect du budget. Elle lui répond qu'elle ignorait si André serait là mais lui dit de venir et que tout irait bien.
[55] À 9h06, M… rappelle Louise pour l'informer du téléphone de Maheux. Louise lui demande d'appeler Hélène pour plus de précisions. Celle-ci confirme qu'André travaillait ce jour-là à la fosse septique derrière la maison et ensuite, sur un ton agressif, elle demande à M… pourquoi elle avait parlé à Maheux, qu'elle n'avait pas le droit. Alors que M… lui donne des explications, Hélène coupe la conversation rapidement.
[56] M… précise dans sa déclaration qu'il lui importait de savoir si André serait à la réunion car, depuis avril 2006, le niveau de confiance avec Hélène et André était au plus bas. «Le mandat de contacter un architecte et de faire exécuter les travaux par un contracteur était de plus en plus douteux. Plusieurs membres s'inquiétaient de la maquette non à l'échelle et on s'interrogeaient (sic) sur l'absence de plan» (P-2). De plus, on pensait qu'André allait entreprendre les travaux d'excavation des fondations à l'automne.
[57] M… part de chez elle à 9h10 pour arriver à Saint-Prosper à 9h30. Louise et Hélène sont dans la maison mais, sans la saluer, Hélène sort à l'extérieur. Sur ce, Maheux arrive. Elle et Louise vont l'accueillir dehors et M… les invite tous à poursuivre la rencontre à l'intérieur. Hélène reste dehors au coin de la maison.
[58] La réunion débute vers 9h40 et Louise pose des questions à Maheux sur la maquette, le budget et les travaux. Maheux aurait donné plusieurs explications sur les menaces d'André, la maquette que ce dernier a modifiée, le dépassement du budget et les travaux non conformes aux normes.
[59] Stupéfaite de ce négatif, M… exige que Louise oblige Hélène à entrer pour entendre tout ça. À l'extérieur, leur conversation dure de 5 à 10 minutes. Louise revient seule et dit que Deswina serait dissoute, qu'il n'y aurait plus de construction et que tout était fini.
[60] Tout à coup, André surgit dans la maison en criant très fort et en avançant d'un pas précipité vers M…. Il la pointe du doigt et est fou de rage, il crie «je vais te tuer aujourd'hui, je règle ça pour de bon, je vais te tuer».
[61] Il importe ensuite de rapporter comment M… décrit l'altercation et ses réactions par la suite.
«Et il s'approchait de moi et commence à me frapper à coups de poing . Stupéfaite, je me lève debout et je porte mes bras vers ma tête pour me protéger, car il me frappe très fort . Alain Maheux, effrayé, ramasse ses documents et quitte en toute vitesse la table et sort de la résidence en courant.
Je me trouvais coincée entre la table et le comptoir de la cuisine. Les yeux d'André étaient vitreux et son visage blanc de colère. Il me frappe sans arrêt avec ses poings au visage, sur les bras et dans le dos . Pour fuir, je me suis dirigée vers la porte extérieure et j'ai pris la chaise pour la placer entre lui et moi afin de me protéger. Il me pousse dans la porte, j'accroche le tapis et tombe sur la galerie. André commence à me frapper à coups de pieds avec ses bottes de travail . Je me retrouve sur la galerie sans rien pour me protéger et il continue à me rouer de coups de pieds et de poings en me criant que j'était une traître et que je les avais trahi au printemps. Il criait encore: «Je vais te tuer, tu mérites de mourir». J'ai vu Hélène s'asseoir sur une chaise sur la galerie à ce moment-là. Elle disait que André avait raison, car j'étais une traître et que je l'avais trahie, elle aussi.
Louise est alors intervenue pour me dire que c'était dangereux pour moi et que je devais partir.
Fou de rage, André me frappe encore et crie sans arrêt:«Je vais te tuer». Il me pousse de la galerie et je tombe sur l'asphalte et il se couche sur moi en me frappant le bras gauche et la tête contre l'asphalte . Il était pesant et trop fort pour moi physiquement. Tout à coup son cellulaire sonne, c'est à ce moment qu'il arrête de me frapper, c'était Gaston Robert.
J'entends à ce moment-là : «ma tante, ma tante», c'était Langis Larochelle, le fils d'Hélène. Il m'aida à me relever debout et il me dit: «Il faut que tu partes». Tremblante, je me croise les bras et Langis, mon neveu, se fait protecteur en me répétant: «part ma tante». Je suis près de mon auto qui est verrouillée et les clés sont dans mon sac à main dans la maison.
Pendant qu'André criait et menaçait Gaston Robert au téléphone, je rentre en courant dans la maison pour me cacher dans la salle de bain. Il me crie alors: «Si tu ne pars pas je vais te tuer».
Tous quittent sauf Louise et moi, qui restons dans la maison. Je tremblais et j'étais humiliée. Je me prends un café et je m'assois près de la fenêtre. Tout à coup, vers 11.30 hres. André passe avec son camion vis-à-vis de la fenêtre où je bois mon café, il m'aperçoit et il devient fou de rage encore une fois. Il arrête son camion devant la résidence et se dirige vers la porte de la cuisine. Il me pointe encore du doigt et crie encore qu'il va me tuer. Il crie: «Tu n'as pas entendu, tu dois partir, je vais te tuer».
Rapidement, je verrouille la porte avec l'aide de Louise et elle me dit d'aller me cacher.
André frappe pour défoncer la porte encore et encore. Louise lui dit: «Je vais appeler la police, si tu ne t'arrêtes pas, va t'en as-tu compris!».
Moi j'ai pris mon cellulaire et j'ai retourné l'appel que J…, mon conjoint, avait tenté de me faire vers les 9.30hres. J… m'a dit qu'André me cherchait pour régler quelque chose et André a demandé si il serait avec moi à la réunion à Saint-Prosper.
Stupéfaite, je me suis sentie piégée à cette réunion, car André savait que j'y serais sans mon mari.
Louise et moi sommes restées ensemble cachées dans la maison verrouillée. J'ai demandé à Louise, pourquoi comme membre de la société Deswina, on accepterait une telle violence physique? Pourquoi le rapport du contracteur Alain Maheux n'avait pas été transmis à chaque membre de façon transparente au printemps 2006.
Louise me dit: «Il est vrai que les membres auraient dû être informés de ce qui se préparait avec la maquette de André.» Celle-ci ajoute qu'«André a fait un fou de lui ce matin.»
Vers 13.30 hres, Diane Roy, l'épouse d'André, est venue à la maison du [...] pour m'avertir que si je ne partais pas, il m'arriverait quelque chose de grave. Elle me dit: «Je t'aurais avertie.»
Je lui ai répondu, fait lui le message que s'il s'approche encore pour me frapper, je tiens mon cellulaire dans la main et je signalerais le 911. C'est à ce moment que j'ai pensé qu'André avait un fusil de calibre 22.
À 15.00hres, je quitte la résidence familiale du [...] Saint-Prosper, pour St-Georges, car je travaillais à 17h00hres, comme infirmière en obstétrique à l'hôpital.
Pendant mon travail à
l'hôpital, j'avais des tremblements, beaucoup de douleur au corps, des
saignements au coude et la larme à l'œil. Je n'arrivais pas à me concentrer à
travailler. J'ai dû aller à l'urgence pour consulter, dimanche soir, car ma
tension artérielle était très élevée. Mardi soir, le 29 août 06, je suis
retournée à l'urgence, car
j'avais des marques sur les bras et beaucoup de
douleurs musculaires, partout sur le corps
. Le médecin m'a fait une
évaluation et un examen physique. Le médecin m'a prescrit des
anti-inflammatoires et des relaxants musculaires. Je ressens de l'angoisse et
beaucoup d'humiliation. (Voir rapport
médical)»
(D-2 p-4 et 5)
(Notre soulignement)
2) La demande reconventionnelle (juillet 2009)
[62] Passons à ce que M… expose dans sa demande reconventionnelle du mois de juillet 2009 relativement à la journée du 27 août 2006 et ses suites.
[63] Le 27 août, M… se rend à l'ancienne résidence de ses parents pour rencontrer l'entrepreneur Alain Maheux qui devait effectuer les rénovations de la maison. La rencontre devait réunir plusieurs membres de la famille.
[64] Alors qu'elle était en route, son frère André appelle à sa résidence et parle à son mari J… D…. Fâché et sur un ton très agressif, André dit à celui-ci: «Où est ta crisse de folle, je vais lui régler son cas ce matin.» M. D… tente d'aviser son épouse de cet appel sur son cellulaire, mais il est fermé.
[65] Une fois sur place M… constate l'absence des autres membres de la famille, mais s'assoit autour de la table de la cuisine avec Louise et Maheux pour la présentation du projet de construction. Hélène reste à l'extérieur de la maison même si M… et Louise l'invitent à entrer tandis qu'André est à exécuter des travaux sur la fosse septique à quelque 200 pieds de la maison.
[66] Soudainement, André fait irruption dans la cuisine et se dirige d'un pas précipité vers M… en la pointant du doigt et criant «je vais te tuer aujourd'hui, je règle cela pour de bon, je vais te tuer».
[67] Il s'approche de M… et commence à la frapper sans arrêt au visage, sur les bras et dans le dos. M… se dirige alors vers la porte extérieure pour fuir son frère qui est en colère. Dans sa fuite, elle est poussée par André et tombe sur la galerie. Là, André la frappe à coups de pied avec ses bottes de travail.
[68] Alors que Louise suggère à M… de partir, Hélène s'abstient d'intervenir et encourage en fait André en traitant M… de traître.
[69] Ensuite, André pousse M… de la galerie sur le sol et continue de la frapper en criant «je vais te tuer». Il vient alors se coucher sur elle son bras sur sa gorge et il tenait le bras gauche de M… avec sa main droite.
[70] Puis, le cellulaire d'André sonna et M… put se libérer pour aller se cacher dans la maison familiale.
[71] Humiliée, tremblante et effrayée écrit-elle, M… tente de se calmer et prend un café dans la cuisine avec sa sœur Louise.
[72] Par la suite, voyant sa sœur dans la maison, André devient fou de rage et menace M… en lui criant: «Tu n'as pas entendu, tu dois partir, je vais te tuer». Il tenta même d'entrer dans la maison et de défoncer la porte qui était verrouillée.
[73] Un peu plus tard, l'épouse d'André se présente pour avertir Louise que si elle ne partait pas il lui arriverait quelque chose de grave.
[74] Finalement vers 15h00, M… quitte Saint-Prosper car elle commençait à travailler à 17h00 à l'hôpital de St-Georges.
[75] Ce même jour, M… tente d'aller à l'urgence subir des examens, mais il y avait trop de monde, elle y retourne le 29 août. Le rapport de la docteure Fournier est déposé au dossier.
[76] Se décrivant comme angoissée et totalement humiliée, M… affirme qu'elle avait aussi des marques sur son corps et énormément de douleurs musculaires, ce qui l'amena à prendre des médicaments.
[77] Le 29 août 2006, M… se décide et se rend au bureau de la Sûreté du Québec pour déposer une plainte contre son frère André.
[78] Le 13 septembre 2006, André est inculpé de voies de fait et menaces de mort et souscrit un engagement de ne pas communiquer avec M…, promesse à laquelle il aurait manqué selon M… par l'envoi de 2 courriels. [5]
[79] Le 30 octobre 2006, M… reçoit une lettre du substitut du Procureur général l'avisant qu'aucune accusation criminelle ne serait portée contre André en raison du programme de traitement non judiciaire, et ce, malgré le fait que la preuve avait été jugée suffisante pour intenter une poursuite.
[80] Depuis l'agression du 27 août 2006, M… prétend qu'elle se sent traquée et évite de parler et de rencontrer son frère André qu'elle craint énormément vu les nombreuses menaces de mort proférées à son endroit.
[81] Pour confirmer sa crainte, elle invoque que deux mandats de paix ont été émis contre André par le jugement de la Cour du Québec en date du 9 avril 2009 concernant ses sœurs France et Lucie qui en avaient également peur.
[82] D'où sa demande d'un montant de 100 000 $ pour couvrir tout le préjudice subi depuis l'agression du 27 août 2006.
3) Le témoignage de M… au procès (janvier 2010)
[83] M… reprend notamment les circonstances de l'altercation.
[84] Dans les instants suivant le retour de Louise dans la maison et sa conversation avec Hélène à l'extérieur, André surgit près de la table de la cuisine avec les yeux vitreux, en perte de contrôle et crie «c'est à matin que je te tue, ma crisse de folle. Tu vas partir d'ici».
[85] Alors, elle reçoit les premiers coups d'André dans le dos. Elle place les bras près de son visage parce que les coups venaient de la gauche. Il continue de la frapper sur les épaules et dans le dos en criant qu'il allait la tuer.
[86] Reculant, elle saisit la petite chaise en métal près de la table et la place devant elle pour se protéger. Louise lui crie de se sauver dehors. Elle recule alors vers la porte en montant et descendant la chaise qui lui sert de bouclier. En se retournant pour ouvrir la porte, elle reçoit un coup dans le dos, s'accroche les pieds dans le tapis et tombe sur la galerie avec la chaise. Quand elle est par terre, André la frappe à coups de pieds en criant «Tu mérites de mourir, tu nous as trahis ». Elle roule d'un côté et de l'autre pour se protéger. Hélène arrive et dit à André de la frapper parce que c'est une traître.
[87] M… se relève et tente de saisir à nouveau la chaise. Alors, André prend sa sœur par les bras, la secoue comme une poupée et la pousse sur l'asphalte où elle tombe sur le dos. André se jette ensuite sur elle en criant encore «Je vais te tuer, tu vas partir d'icitte» et elle répond «je ne partirai pas».
[88] Quand elle est au sol, André appuie son bras gauche sur sa gorge de sorte que son corps et sa tête sont immobilisés et avec sa main droite, André prend le bras gauche de sa sœur et le relève vers le haut.
[89] M… réagit en levant une jambe pour frapper André «aux parties». Au même moment, le cellulaire d'André sonne et il se relève pour répondre. Son neveu Langis, arrivé en courant, l'aide à se relever et lui dit de partir parce que c'est dangereux. M… entre dans la maison car elle n'avait pas ses clés d'auto et elle s'enferme dans la salle de bain où elle appelle son mari et lui dit qu'elle croyait avoir été piégée.
[90] Finalement, elle sort de là, s'assoit dans la cuisine et pleure. Elle prend un café en compagnie de Louise à qui elle demande, entre autres, pourquoi les membres n'ont pas été avertis de ce que Maheux venait de leur dire.
[91] Elle dit qu'elle n'est pas partie avant 15h00 parce qu'elle était en état de choc et qu'elle était avec Louise.
[92] Louise, Hélène, Martine et Langis n'ont pas donné leur version des événements aux policiers qui enquêtaient à la suite de la plainte de M…. Louise avait dit aux autres qu'elle ne le ferait pas. Pour elle, il n'y avait pas eu d'échanges de coups et elle ne voulait pas protéger l'un plus que l'autre parce que les deux n'avaient pas agi intelligemment.
[93] Au procès, même si Louise reconnaît qu'André a été «rough» avec M… le 27 août 2006 et qu'en fonçant vers elle pour tenter de l'attraper afin de la faire sortir de la maison il lui a peut-être touché les poignets, elle est formelle, André ne l'a jamais frappée, poussée ou menacée de la tuer. Il voulait qu'elle parte, qu'elle ne se mêle plus des travaux de construction parce qu'elle parlait contre lui dans son dos: incompétent, failli, bon à rien, besoin de Ritalin… alors qu'il avait déjà investi plusieurs heures dans les travaux de rénovation et d'agrandissement de la maison. L'attitude de M… décourageait Hélène et l'amenait à renoncer à son projet, ce qui enrageait André.
[94] Louise est outrée par le récit de M… car pour elle, il est absolument faux qu'André a frappé M… à coups de poing et de pied avec ses bottes de travail. Elle n'a jamais vu non plus qu'André frappait la tête et le bras de M… sur l'asphalte.
[95] Pour elle, M… a pris une chaise sur la galerie, l'a tenue à bout de bras en disant à André «Ce n'est pas moi qui va partir d'ici c'est toi», et ce, tout en le défiant et bougeant les pattes de la chaise devant André.
[96] Louise, Hélène et son fils Langis leur disent d'arrêter ça. M… dépose la chaise et André tente encore de l'attraper. C'est alors que M… perd pied en reculant (il y a de 3 à 5 pouces de distance entre la galerie et l'asphalte tel qu'il apparaît à D-12).
[97] Selon Louise, André ne s'est pas couché sur elle, il a plutôt tenté de la prendre par les bras pour la mettre dans son auto. Quand elle revient dans la maison avec M…, elle fait la vaisselle et M… se promène, s'assoit dans la berçante et prend un café avec elle. M… ne pleure pas ou ne tremble pas, elle constate qu'elle a plutôt un sourire de satisfaction au visage et pas de marques de coups.
[98] Louise confirme le second épisode d'accès de colère d'André à l'heure du midi quand il remonte en auto pour aller manger chez lui. Alors, Louise a vu que M… faisait des grimaces à André par la fenêtre donnant sur l'arrière de la maison.
[99] Après cet incident, Louise aurait dit à M… qu'encore à cause d'elle le projet de Deswina ne fonctionnait pas. Louise ajoute qu'elle était fatiguée des chicanes, surtout que M… était toujours à la source des chicanes. Pour elle, M… a le don d'utiliser des «mots qui tuent.»
[100] Louise reconnaît qu'il y avait un climat de tension avant l'arrivée impromptue d'André car Hélène lui avait fait part qu'avant la réunion M… lui avait dit des bêtises et déjà le climat était tendu entre ces deux-là ainsi qu'entre M… et André. Sans oublier que tout ça se déroule dans un contexte où les sociétaires de Deswina sont en guerre et se menacent mutuellement d'expulsion ou de provoquer la dissolution de la société.
[101] Le 31 août 2006, M… et son mari ont accompagné Louise qui agissait comme avocate de Deswina devant la Régie du logement. M… prenait des notes pour elle. Alors, M… semblait calme et Louise n'a remarqué aucune marque de coups sur elle et M… ne s'est pas plainte de douleurs. Louise relate que le régisseur l'a expulsée de la salle ainsi que son mari parce que celui-ci faisait des doigts d'honneur au représentant du locataire qui était leur frère.
[102] L'entrepreneur Maheux confirme l'existence d'un climat de tension quand il arrive à Saint-Prosper. Ils font un survol du projet. M… demande qu'Hélène entre dans la maison et quelques instants après il se souvient qu'André arrive rapidement. Il n'est pas de bonne humeur, le ton monte et il traite M… de «maudite folle…» et part après elle. Sur ce, il décide de quitter «quand il a vu que la tornade montait». Lui n'a pas vu de coups échangés et il ne mentionne pas avoir entendu André menacer M… de la tuer ainsi qu'il l'a déclaré à l'enquêteur Genest.
[103] La version d'André au procès ressemble à ce qui est allégué dans sa défense reconventionnelle où il ressort qu'il était plutôt la victime et que M… avait perdu la tête. Toutefois, Louise, le seul témoin à avoir tout vu, n'a pas la même perception des événements et n'en fait pas le même exposé qu'André car c'est lui qui est fâché et qui provoque et poursuit M….
[104] D'autre part, André raconte qu'il n'était pas au courant de la réunion du 27 août et que ce dimanche-là, il travaillait déjà à la pose des conduites du champ d'épuration depuis 7h30 quand, vers 8h30 ou 9h00, Hélène est descendue le voir en pleurant pour lui dire qu'elle voulait arrêter les travaux parce que M… venait de lui dire des bêtises et qu'elle ne pouvait plus supporter ça.
[105] Il n'était pas content parce qu'il voyait sa deuxième mère en larmes et parce qu'il avait mis beaucoup de travail bénévole dans le projet d'agrandissement depuis un an pour que ça se termine ainsi surtout que M… ne cessait de le dénigrer dans son dos.
[106] Première réaction, il appelle le mari de M… pour lui demander de venir chercher «sa crisse de folle» car selon lui, elle est plus tranquille en sa présence. Il nie avoir ajouté «je vais lui régler son cas ce matin».
[107] Ensuite, il monte vers la maison en courant avec l'intention de faire peur à M…. Il y pénètre et s'adresse à M… en lui criant «je vais te la fermer ta grande gueule sale. Vas-t-en chez vous. Sors dehors on va se parler». M… est derrière Louise puis fait le tour du comptoir en riant et lui, il avance vers elle. Les deux se retrouvent sur la galerie. Il l'invite à lui dire en face ce qu'elle racontait dans son dos. Puis lui dit de partir, elle ne veut pas et réplique que c'était plutôt à lui de quitter parce qu'il n'était plus membre de Deswina.
[108] Là, André a tenté de prendre la main de M… quand elle s'est relevée pour l'amener à son auto. Celle-ci a reculé, a perdu pied et est tombée sur l'asphalte près de son auto. Son neveu Langis a relevé sa tante. Aussitôt, M… s'est dirigée vers la galerie et s'est emparée d'une chaise pour la lancer vers lui. Là, Louise et Hélène se sont interposées. Sur ce, son téléphone a sonné, il a répondu et quitté pour aller travailler.
[109] André affirme qu'il n'a jamais frappé sa sœur à coups de poing et de pied.
[110] André explique sa deuxième intervention à l'heure du midi par le sourire narguant de M… qui est toujours là et le regarde monter par la fenêtre. Il veut encore lui faire peur pour qu'elle arrête de rire de lui.
[111] André déclare n'avoir rien dit le 13 septembre 2006, aux 2 policiers qui venaient de l'inculper de voies de fait et menaces de mort. Or, l'enquêteur Genest a déclaré que ce jour-là, après la mise en garde habituelle, André a signé une déclaration où il relate les événements et reconnaît avoir pris M… par les bras mais qu'il ne l'a pas poussée.
[112] Quant à Martine, elle était aussi dans la maison le 27 août, mais elle restait en retrait des discussions avec Maheux. Même si André était fâché et en colère ce matin-là après M… et lui criait de partir, pour elle, son frère est un homme calme, pas agressif et ni violent. Son témoignage est complaisant et n'ajoute rien d'utile au débat.
[113] Hélène confirme la version d'André quand elle va lui parler le matin. Alors qu'elle revient à la hauteur de la galerie, elle entend M… et André crier. Ce dernier disait «tu vas te la fermer la gueule, ça fait longtemps que tu parles contre nous». Puis M… prend la chaise sur la galerie et fonce sur André. Après elle recule et fait possiblement un faux pas sur le bord de la galerie et tombe sur l'asphalte. Son fils Langis l'aide à se relever et il dit aux deux d'arrêter de se chicaner.
[114] Il est faux, selon Hélène, qu'André frappait M… quand elle était au sol et il ne l'a pas poussée ni frappée à coups de poing et de pied, car elle n'aurait pas toléré ça.
[115] Finalement, il y a lieu de rapporter aussi ce qu'écrit le juge Hubert Couture dans son jugement du 9 avril 2009 alors qu'il fait droit aux mandats de paix requis par France et Lucie Huard. Il note que Langis Larochelle lui a déclaré au sujet des événements du 27 août 2006:
«Ils sont sur la galerie et tout en l'invitant fortement à quitter, il la saisit pour la maîtriser et la diriger vers son véhicule.
Il précise qu'il la pousse légèrement et qu'elle chute. Il précise également que la seule violence, c'est lorsqu'il la pousse vers son véhicule.
…
Monsieur Larochelle emploiera le terme "pompé" en parlant de l'état d'esprit de monsieur Huard à ce moment.» [6]
III. ANALYSE
[116] La preuve fait état de contradictions importantes sur le déroulement ou l'existence de certains faits et gestes.
[117] Chose certaine, le 27 août 2006, André était en colère et fâché contre M… quand il est entré dans la maison familiale. Il reconnaît qu'il criait et avait l'intention de faire assez peur à M… pour qu'elle cesse de parler contre lui. Louise a aussi déclaré à plusieurs de ses sœurs qu'il avait fait un fou de lui ce matin-là.
[118] Maheux et Louise rapportent qu'il s'est aussitôt dirigé vers M… et est parti après elle, avançait vers elle ou tentait de l'attraper.
[119] La suite des événements comporte plusieurs versions avec ou sans prise d'une chaise par M…, chute sur la galerie ou non avant que M… ne tombe sur l'asphalte à la suite d'un faux pas ou d'une poussée par André. Lui a-t-il agrippé les bras en la relevant? André l'a-t-il frappée à coups de poing et de pied avec ses bottes de travail ou c'est entièrement faux comme l'affirment Louise, Hélène et André?
[120] Lors de son témoignage et dans ses déclarations, M… a d'abord dénoncé des coups de poing au visage, aux bras et dans le dos au début de l'altercation puis des coups de poing et de pied avec bottes de travail quand elle était tombée sur la galerie et l'asphalte et après il serait venu s'étendre sur elle en plaçant son bras gauche sur sa gorge et en tenant le bras gauche de M… vers le haut avec son autre main alors qu'il lui frappait la tête et le bras au sol.
[121] Le rapport médical rédigé par la docteure Sylvie Fournier le 29 août 2006 peut constituer une preuve objective relativement aux coups qui ont été portés et s'ils sont aussi importants que le déclare M….
[122] Le médecin note d'abord le contexte de l'examen où elle écrit notamment que M… a été frappée et menacée par son frère «…tirée au sol et en bas d'un escalier de la galerie».
[123] Après examen, la docteure Fournier fait les constatations suivantes:
- Tête et visage normaux;
- Colonne cervicale: douleur dans le cou quand tourne la tête et douleur à la palpation des 2 e , 3 e et 4 e vertèbres
- Le bassin: douleur à la face latérale des deux hanches - pas d'œdème ni d'ecchymose
- Membres inférieurs: douleurs derrière les genoux et aux 2 mollets. Pas d'œdème ni d'ecchymose
- Membres supérieurs:
a) Côté gauche: Bras: douleur au niveau du biceps
Avant-bras : douleur à la palpation
Coude : éraflures légères et palpation douloureuse
Main : rougeur et œdème léger - éraflures légères au-dessus de l'index;
b) Côté droit: Bras : douleur à la palpation et ecchymoses importantes;
Main : rougeur et œdème léger - éraflures légères au-dessus de l'index.
- Thorax: douleur costale sous le sein droit - pas d'œdème ni d'ecchymose.
[124] Elle conclut à des contusions multiples, prescrit des médicaments, du repos et «consultation avec psychologue sans faute».
[125] En réponse à une question du procureur d'André, elle répond qu'à la suite d'une chute, elle aurait aussi écrit que le patient avait des contusions multiples.
[126] De ce rapport et témoignage, on peut conclure que M… porte quelques marques et endure de la douleur à la suite de coups ou comme résultat d'une chute. Aucun signe de coups importants avec des bottes de travail ou quelqu'un qui lui frappe la tête sur l'asphalte. De toute façon, coups importants ou non, le préjudice subi résulte des gestes et de la conduite fautive d'André.
[127]
Qu'en
est-il maintenant de l'appréciation des dommages? À l'article
[128] Le préjudice matériel est limité aux déboursés relatifs aux blessures et en l'espèce M… a encouru un montant de 79,55 $ pour des médicaments.
[129] Le préjudice corporel couvre les pertes non pécuniaires que nous distinguerons du dommage moral comme le propose le professeur Daniel Gardner dans son traité sur Le préjudice corporel.
[130] Dans les pertes de nature non pécuniaire nous considérons le choc post-traumatique ainsi que les douleurs et souffrances incluant celles d'ordre psychologique.
[131] M… expose dans sa déclaration de septembre 2006 que le soir du 27 août 2006 durant son travail à l'hôpital, elle avait des tremblements, beaucoup de douleurs au corps, des saignements au coude et la larme à l'œil. Elle n'arrivait pas à se concentrer.
[132] Elle craint beaucoup le comportement incendiaire d'André.
[133] Lors de son témoignage, elle déclare qu'elle était en état de choc après l'attaque d'André. Elle s'est cachée un bout de temps dans la toilette est ensuite sortie pour s'asseoir dans la berçante près de la fenêtre et pleurait. Elle ne quitte pas parce qu'elle ne se sent pas en état et veut se ressaisir et parce que Louise est là. Elle se sent assommée, ajoute-t-elle.
[134] Comme elle doit travailler à 17h00, elle repart chez elle vers 15h00 et pleure dans l'auto. Elle ne dit rien à son mari en arrivant parce qu'elle trouve que c'est humiliant. Elle se rend au travail parce qu'elle avait besoin de se changer les idées. Là, elle pleure encore et sa tension est élevée. Quand elle quitte l'hôpital vers 3h00 de la nuit, elle se souvient d'avoir paniqué dans le stationnement à la noirceur, réaction qui persiste, car elle considère qu'André est impulsif et instable et elle ne veut plus se faire surprendre.
[135] Le lendemain matin, elle raconte tout à son mari. Celui-ci lui suggère d'aller à la police mais elle ne veut pas que son frère soit emprisonné. Elle pleure et ne dort pas.
[136] Le 29 août en avant-midi M… se rend aux locaux de la Sûreté du Québec et relate d'abord avoir été très humiliée d'avoir à raconter son histoire aux policiers. L'enquêteur Claveau déclare que M… était un peu troublée et en pleurs à son arrivée. Elle parlait beaucoup. Il lui a demandé d'écrire ce qui était arrivé et il voit qu'elle avait des irritations aux coudes. Le policier lui suggère de rencontrer un médecin ce qui la gêne parce qu'elle les connaît tous à St-Georges.
[137] À nouveau, elle se sent humiliée de raconter que son frère l'avait battue à la docteure Sylvie Fournier à l'urgence de l'hôpital. Après l'examen, le médecin lui prescrit des médicaments et note que «la patiente est très anxieuse, se sent particulièrement humiliée et vit une peine intense. Elle a les larmes aux yeux.» Elle suggère conséquemment «une consultation en psychologie sans faute» (D-1).
[138] M… ne va pas voir de psychologue et choisit plutôt de parler à son mari qu'elle considère de bon conseil.
[139] M… souligne qu'elle n'a jamais raconté cette histoire à ses enfants, mais André a mis le cadet au courant par un courriel en septembre 2008 (D-14).
[140] Elle exprime que pour elle, l'altercation avec André est un événement qui ne s'oublie pas, que la blessure ne partira pas et qu'elle a encore des «flash-back ».
[141] J… D…, l'époux de M… déclare qu'elle lui a raconté le lendemain qu'André l'avait battue et a dit qu'il voulait la tuer. Il sent que sa femme ne veut pas trop parler parce qu'elle trouvait l'incident honteux et elle était en détresse.
[142] Pour lui, André est un homme de plus en plus agressif avec ses sœurs depuis sa deuxième faillite personnelle.
[143] Monsieur D… décrit comme suit l'état de sa femme depuis le 27 août 2006: «elle est complètement détruite, elle est perturbée et honteuse de ce qui lui est arrivé, elle sanglote souvent, a des cauchemars fréquents et elle a encore peur ce qui l'amène à laisser le chien dans la maison et à garder les portes barrées.»
[144] Ils parlent de ça depuis plus de trois ans même en vacances ou en randonnée. Il ajoute que l'action d'André leur est tombée dessus comme une bombe en décembre 2008 alors qu'ils essayaient d'oublier.
[145] Enfin, Rachel Pratte, travailleuse sociale à la CAVAC, a fait une intervention psychologique post-traumatique auprès de M….
[146] Après sa lettre du 2 novembre 2006 à M…, elle lui a parlé à quelques reprises au téléphone.
[147] Au téléphone M… était en crise, nerveuse, exprimait craindre pour sa sécurité et avait honte de ce qui s'était passé avec son frère et vivait beaucoup de «flash-back ».
[148] Le 20 octobre 2006, pour madame Pratte, M… est en état post-traumatique quand elle se présente à son bureau en disant qu'elle ne peut plus retourner à Saint-Prosper parce qu'elle avait honte et elle ne voulait pas que ça se sache. Elle ne veut pas arrêter de travailler malgré des difficultés à manger, à dormir et à se concentrer. Madame Pratte lui suggère alors de consulter un médecin et un psychologue.
[149] Selon cette dernière lors des rencontres, M… lui relate souvent les faits et elle est vraiment traumatisée, a honte et ressent de la peine en raison des chicanes de famille.
[150] Le 11 septembre 2007 marque la fin de ses interventions auprès de M….
[151] En contre-interrogatoire, madame Pratte dit que normalement le genre de choc vécu par M… se digère en 3 ou 4 semaines et après un mois ça se cristallise avec le temps. Elle émet l'hypothèse que ce fut plus long avec M…, entre autres, en raison du conflit familial persistant.
[152] L'examen de la docteure Fournier et l'expérience de la travailleuse sociale Rachelle Pratte qui fait ce genre de travail depuis 9 ans à la CAVAC nous convainquent que M… a vécu un certain traumatisme ainsi que douleurs et souffrances à la suite de l'altercation du 27 août 2006.
[153] Cependant, la durée nous cause problème surtout que monsieur D… l'a dit «en majorité, les femmes Huard ont beaucoup de caractère» et l'attitude de M… à l'audience a démontré que c'était le cas. Elle était prête à partir un débat pour que Louise change de place ou qu'elle cesse de la regarder d'une certaine façon. Le témoignage de son conjoint J… D… doit être apprécié avec un bémol car il en veut à André et a coupé tout lien avec lui depuis 2003 parce qu'il ne l'a pas aidé lors de l'inondation de sa maison et il est au courant de toutes les chicanes dans la société Deswina.
[154] Pour ces raisons, le Tribunal évalue le préjudice non pécuniaire à 2 000 $.
[155]
L'agression
physique et verbale dont M… a été victime donne ouverture à une réparation de
nature morale puisqu'il y a eu atteinte à l'intégrité de sa personne
contrairement aux prescriptions de l'article
[156] Il reste à traiter de la réclamation pour dommages punitifs.
[157] La victime d'une atteinte à un droit fondamental a droit à des dommages de nature punitive lorsque l'auteur de la faute avait l'intention d'agir illégalement et la mesure se veut préventive pour éviter la répétition de tels gestes.
«La Cour suprême, dans un souci de compromis, a adopté une interprétation de la notion d'atteinte intentionnelle qui peut être qualifiée d'intermédiaire. Si, d'une part, la cour favorise une interprétation libérale de la Charte, en revanche, elle considère que ni la faute lourde, et a fortiori , ni la simple négligence ne constituent une atteinte intentionnelle. Pour la cour, il y a atteinte intentionnelle lorsque l'auteur a un état d'esprit qui dénote un désir, une volonté de causer les conséquences de sa conduite fautive ou encore s'il agit en toute connaissance des conséquences négatives, immédiates et naturelles, ou au moins extrêmement probables.» [7]
[158] Compte tenu de la gravité des gestes commis par André en s'attaquant ainsi à sa sœur et de sa situation financière alors qu'on a déclaré qu'il relève d'une deuxième faillite personnelle, la condamnation à des dommages punitifs de 1 500 $ est suffisante pour assurer leur fonction préventive.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:
[159] REJETTE la requête introductive d'instance du demandeur André Huard avec dépens;
[160] ACCUEILLE en partie la demande reconventionnelle;
[161]
CONDAMNE
André Huard à payer à M… H… la somme de
5 079,55$ avec intérêts et l'indemnité additionnelle à compter de
l'assignation;
[162] LE TOUT avec dépens contre André Huard.
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________________________________ DANIELLE BLONDIN, J.C.S. |
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Me Ghislain Richer |
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Richer & Associés avocats |
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Procureurs du demandeur |
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Me Bernard Vachon et Me Lisa Fourrnier |
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Langlois, Kronstrom, Desjardins |
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Procureurs de la défenderesse |
[1] Jean-Louis BAUDOUIN et Patrice DESLAURIERS, La responsabilité civile , 7 e éd., Cowansville, les Éditions Yvon Blais, vol. 1, p. 262 à 268
[2]
Prud'homme c. Prud'homme
[3] Art. 1478 al 2 C.c.Q.;Jean-Louis BAUDOIN et Patrice DESLAURIERS La responsabilité civile , 7 e éd Cowansville, Ed. Yvon Blais inc., 2007 Vol. 1 p.178-179 par I-200
[4] Le même document porte la cote P-3 en demande principale.
[5] D-6 Les bris de conditions n'ont pas été retenus.
[6] D-7 p.9
[7] Jean-Louis BAUDOIN et Patrice DESLAURIERS précité, note 1, Vol 1 p. 396-397 par. I-375