Rossdeutscher c. Concordia University

2011 QCCS 1515

 

JN 0326

 
COUR  SUPÉRIEURE

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

montréal

 

N° :500-17-056892-105

 

 

 

 

 

 

DATE :     5  Avril 2011

 

 

_________________________________________________________________________

 

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE:   L’HONORABLE PIERRE NOLLET, J.C.S.

 

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Charles Rossdeutscher

Demandeur

 

 

c.

 

 

CONCORDIA UNIVERSITY

Défenderesse

 

 

 

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JUGEMENT

 

_________________________________________________________________________

 

 

 

I.    INTRODUCTION

[1]            Un étudiant de l'Université Concordia, expulsé pour avoir été reconnu coupable d'une deuxième infraction au Code de conduite académique, demande l'annulation de cette décision aux motifs que le Conseil Académique ayant entendu et décidé de la plainte n'avait pas juridiction pour l'entendre et que les règles de justice naturelle n'ont pas été suivies.  Il demande l'annulation de son expulsion.

II. LES FAITS

[2]            Charles Rossdeutscher est étudiant en génie depuis septembre 2005. 

[3]            Ses notes à l'Université sont, de façon générale, assez faibles et il lui reste encore de nombreux crédits à passer avant de pouvoir obtenir son diplôme d'ingénieur.

[4]            En janvier 2009, Charles Rossdeutscher est l'objet d'une première plainte devant le Conseil Académique pour avoir plagié dans son cahier des solutions, la réponse à un problème posé par ailleurs.  Cette plainte est retenue contre lui et contre plusieurs autres étudiants qui ont commis la même erreur au même moment.

[5]            Le 6 mars 2009, le professeur Rozhdestvenskiy dépose une nouvelle plainte devant le Conseil Académique pour infraction au Code de conduite académique.    Aux fins du présent jugement, nous traiterons de cette plainte comme étant la « plainte pour fraude académique ».

[6]            La plainte dit ceci :

 I'd like to report a case of academic misconduct.  A COEN 390 student Charles Rossdeutscher (5693209) forged my signature on the enclosed material request form.

On February 18, 2009 at around 13h, a technician (J. Landry) reported a suspicious looking signature on the material request form.  He brought the document to my office, where I confirmed that the signature on the document was not mine.  Jeff explained that the abovementioned student tried to get parts using a non-signed form.  The technician declined the request and sent the student to me to get the request approved.  Five minutes later another student from the same team showed up with the form with the forged signature.  Jeff asked the student if he got the signature from me.  The student replied that another team member, who was responsible for getting the signature, gave him the form and asked him to get parts.  At this moment Jeff seized the paper.

According to the enclosed course outline, there are two lab reports. The potential loss of grade if the team gets 0 for this assignment is: 1/7*0.5*35%=2.5%. The actual figure depends on the final report grade, which is 35%.  The submission deadline for the report was February 20, 2009.  I do not accept late submissions, so if a team does not meet the deadline, it loses up to 2.5%.

In order to get the parts for the lab, the team must demonstrate understanding of the operation of the circuit by answering questions related to expected voltage levels, oscillograms, and troubleshooting and debugging procedures.  The teams are supposed to book half-hour time slots for the meetings.  Each team has two attempts.  Failure to demonstrate the required knowledge at the second attempt results in 0 grade for this lab, but the team could come as many times as it wants and I'll help it to get the results anyway and give the feedback on the report.  (references omises).

[7]            Le 10 mars 2009, l'Université initie une enquête.

[8]            Le 22 avril 2009, le même professeur dépose une nouvelle plainte pour le même comportement, cette fois en vertu du Code des droits et responsabilités. Aux fins des présentes, cette plainte sera considérée comme la « plainte pour conduite incorrecte. »

[9]            La plainte pour conduite incorrecte dit ceci:

I'd like to report a case of violation of Code of rights and responsibilities report.  A COEN 390 student Charles Rossdeutscher (5693209) forged my signature on the enclosed material form.  This violates the clause 18.14: "Forging or, without authority, knowingly altering, using, receiving or possessing University supplies or documents (including without limitation, records, keys, electronic devices or identification)."

On February 18, 2009 at around 13h, a technician (J. Landry) reported a suspicious looking signature on the material request form.  He brought the document to my office, where I confirmed that the signature on the document was not mine.  Jeff explained that the abovementioned student tried to get parts using a non-signed form.  The technician declined the request and sent the student to me to get the request approved.  Five minutes later another student from the same team showed up with the form with the forged signature.  Jeff asked the student if he got the signature from me.  The student replied that another team member, who was presonsible for getting the signature, gave him the form and asked him to get parts.  At this moment Jeff seized the paper.

In order to get the parts for the lab, the team must demonstrate understanding of the operation of the circuit by answering questions related to expected voltage levels, oscillograms, and troubleshooting and debugging procedures.  The teams are supposed to book half-hour time slots for the meetings.  Each team has two attempts.  Failure to demonstrate the required knowledge at the second attempt results in 0 grade for the lab, but the team could come as many times as it wants and I'll help it to get the results anyway and give the feedback on the report. 

[10]         La plainte pour conduite incorrecte ne fait pas l'objet d'enquête.  Le 3 juin 2009, le Conseil des étudiants entend la plainte et rend sa décision le 23 juin 2009.  Le Conseil absout Charles Rossdeutscher au motif que le professeur n'a pas réussi à rencontrer son fardeau de preuve.  Selon le Code des droits et responsabilités, le fardeau de preuve imposé au plaignant est que sa version doit être "  significantly more probable  ".

[11]         Le 12 juin 2009, après enquête par l'entremise de la vice-doyenne, l'Université fixe au 26 octobre 2009 l'audition de la plainte pour fraude académique.

[12]         Entre l'avis d'audition donné le 18 septembre 2009 et la tenue de l'audition, les parties débattent de moyens préliminaires et plus particulièrement du fait qu'il y a chose jugée vu la décision sur la plainte pour conduite incorrecte.

[13]         Les parties sont aussi requises de soumettre une liste de tous les témoins devant être entendus et des documents supportant leur point de vue.  Chaque partie est avisée qu’il lui appartient de convoquer les témoins dont elle a besoin. [1]

[14]         Le 26 octobre 2009, l'audition se tient devant le Conseil Académique.  Chaque partie est présente et est accompagnée d'un conseiller.

[15]         Le 9 novembre 2009, le Conseil Académique retient la preuve de la vice-doyenne et rend sa décision recommandant l'expulsion de l'étudiant vu qu'il s'agit de sa deuxième infraction au Code de conduite académique.

[16]         Le 30 novembre 2009, Charles Rossdeutscher demande la permission d'en appeler au Comité des appels.  Cette permission est refusée le 27 janvier 2010. 

[17]         Le 4 février 2010, Charles Rossdeutscher demande au Bureau des gouverneurs la permission d'en appeler. 

[18]         Le 10 février 2010, Charles Rossdeutscher reçoit sa lettre d'expulsion.

[19]         Le 16 février 2010, il demande au Bureau des gouverneurs de suspendre l'expulsion et cette demande est refusée tout comme sa permission d'appel le 22 février 2010.

[20]         La demande en révision judiciaire est déposée 10 mars 2010.

III.       LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

A.    Les prétentions de Charles Rossdeutscher

[21]         À l'audition, les prétentions soumises par l'avocat de Charles Rossdeutscher sont à l'effet suivant:

21.1.     la norme applicable est celle de la décision correcte à l’égard de la juridiction que s’est incorrectement arrogée le Conseil Académique; le Conseil Académique n'avait pas autorité pour se saisir de la plainte;

21.2.     la fraude alléguée ne s'est jamais produite et la preuve de la fraude était purement circonstancielle; Charles Rossdeutscher aurait dû bénéficier du doute raisonnable;

21.3.     la plainte ne portait pas sur un geste qui avait pour but de procurer un gain académique à Charles Rossdeutscher; et

21.4.     le processus suivi par le Conseil Académique est contraire aux règles de justice naturelle en ce que a) la preuve présentée consistait en bonne partie en du ouï-dire et qu'il lui a été impossible de contre-interroger les témoins b) les membres du conseil ont été en quelque sorte préjugés par le fait qu'on les a informés qu'il s'agissait de la deuxième infraction au Code de conduite académique et c) on l'a empêché de faire une preuve d'expertise en écriture.

[22]         À l'audition et aux fins de la révision judiciaire, Charles Rossdeutscher ne soutient plus qu'il y a chose jugée entre la décision du Conseil Académique et le Conseil des étudiants ni que la Charte québécoise doit recevoir application.  De même, ses procédures sont amendées afin d'en retirer les conclusions en dommages sauf à se pourvoir.

B.    Les prétentions de l'Université Concordia.

[23]         Pour Concordia, la norme applicable à cette révision judiciaire est celle de la décision raisonnable.  La question initiale n'en est pas une de juridiction, mais plutôt d'appréciation de la preuve afin d'établir si l'infraction reprochée est prouvée ou non.  Le processus suivi par Concordia est conforme aux règles du processus équitable, car Charles Rossdeutscher a eu en toutes circonstances, l'opportunité de faire valoir son point de vue.   Une très grande déférence doit être accordée aux universités avant de s'immiscer dans les affaires académiques.  Le ouï-dire est acceptable en certaines circonstances, le droit au contre-interrogatoire n'est pas absolu et la preuve d'expert n'a pas été exclue, même si le poids qui lui est donné n'apparaît pas à la décision.

IV.        LA NORME APPLICABLE

[24]         Dans la cause de la Société de transport de Sherbrooke [2] , le juge Dalphond fait l'analyse suivante :

 [19]  Depuis l'arrêt Dunsmuir , deux normes de contrôle s'appliquent au contrôle judiciaire des décisions d'un décideur spécialisé : la décision correcte et la décision raisonnable. Ces normes s'appliquent tant au contrôle effectué dans le cadre d'une révision judiciaire devant une cour supérieure qu'à celui par voie d'un appel à un tribunal judiciaire à vocation élargie ne jouissant pas d'une expertise comparable à celle du décideur par rapport à la question en litige (par exemple, la Cour du Québec).

 

[20]  La norme de la décision raisonnable exprime une attitude de respect à l’égard des décideurs administratifs ayant développé une expertise dans l’organisation et le fonctionnement d’un régime législatif particulier. Puisque plusieurs questions qui leur sont soumises « […] n’appellent pas une seule solution précise, mais peuvent plutôt donner lieu à un certain nombre de conclusions raisonnables » ( Dunsmuir , par. 47 ), la cour de révision doit se limiter à étudier les justifications offertes par le décideur afin de déterminer si sa décision est raisonnable. La Cour suprême résume ainsi cet exercice au paragraphe 47 de l'arrêt Dunsmuir :

 

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. [soulignements du juge Dalphond]

 

[21]  Au contraire, la norme de la décision correcte ne commande aucune déférence.  Le juge appelé à contrôler la décision se livre donc à sa propre analyse et peut «[…] [substituer] sa propre conclusion et [rendre] la décision qui s’impose » ( Dunsmuir , par. 50).

 

[22]  Pour ce qui est du choix de la norme applicable, la Cour suprême enseigne au paragraphe 51 de Dunsmuir que «  [ ] en présence d’une question touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique, et lorsque le droit et les faits ne peuvent être aisément dissociés, la norme de la raisonnabilité s’applique généralement ». C’est en présence de questions de droit que l'exercice de détermination de la norme se complique. La norme de la décision correcte s’applique aux questions constitutionnelles, mais les questions de droit touchant directement le régime confié au décideur sont généralement associées à la norme de la décision raisonnable; à plus forte raison lorsque le législateur a énoncé sa volonté que les décisions du décideur fassent l’objet de déférence par l’adoption d’une clause privative.

 

[23]  Toujours dans Dunsmuir , la Cour suprême résume ainsi les facteurs à considérer pour déterminer la norme de contrôle applicable à une question de droit :

 

55. Les éléments suivants permettent de conclure qu’il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la raisonnabilité :

- Une clause privative  : elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l’objet de déférence.

- Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail ).

- La nature de la question de droit. Celle qui revêt « une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d’expertise » du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte […]. Par contre, la question de droit qui n’a pas cette importance peut justifier l’application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents . » [soulignements du juge Dalphond]

 

[25]         Suite à cette décision, il n'est plus toujours nécessaire de procéder à l’analyse exhaustive des quatre facteurs permettant d’identifier la bonne norme de contrôle lorsqu’une telle analyse a déjà été faite par les tribunaux supérieurs.  La nouvelle analyse relative à la norme de contrôle exige un processus d’examen en deux étapes :

 

62.    Premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier.  En second lieu, lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle. [3]

[26]         Le tribunal ajoute qu'il faut d'abord définir la nature de la question.  En effet, la nature du litige a souvent eu pour effet l'application d'un niveau de déférence moindre.  Dans le présent cas, nous sommes en présence de questions mixtes de droit et de faits. 

[27]         De nombreuses autorités ont été citées par Concordia sur la latitude du processus d'administration de la preuve devant les instances universitaires et en particulier l'arrêt Fekete [4]

Par ailleurs, le droit de surveillance et de réforme accordé à la Cour Supérieure ne l'autorise certes pas à se substituer au législateur en ordonnant à des institutions ne possédant aucun pouvoir judiciaire ou quasi judiciaire de conduire leurs enquêtes in a quasi judicial manner and in public.

[28]         Dans le contexte particulier des universités, les tribunaux ne recherchent pas la présence d'une clause privative. Les instances administratives des universités sont souvent qualifiées de tribunaux domestiques [5] contre qui des procédures en évocation ou en révision judiciaire peuvent être dirigées.

[29]         Il faut un déni de justice, une mauvaise foi ou un abus flagrant pour que le tribunal s'immisce dans les affaires des universités.  De l’avis du tribunal, la jurisprudence démontre qu’en général pour les décisions des universités, le plus grand niveau de déférence est de mise.

V.   Objection préliminaire et nouvelle preuve

[30]         Charles Rossdeutcher veut introduire une nouvelle preuve devant le tribunal.  Il s'agit du témoignage d'un avocat que la demande veut faire qualifier comme expert sur les questions d'interprétation du Code de conduite académique.

[31]         Le tribunal a entendu la preuve sous réserve de l'objection.

[32]         L’Université soutient que l'expertise en droit n'est pas admissible, que l'expert  est en conflit d'intérêts pour avoir été pendant plusieurs années l'avocat-conseil de l'Université Concordia et qu'ultimement cette nouvelle preuve ne devrait pas être admissible au stade de la révision judiciaire.

[33]         Le tribunal considère qu'il s'agit effectivement d'une nouvelle preuve. La jurisprudence est assez constante sur le fait que la révision judiciaire doit se faire sur la base du dossier tel que constitué en première instance. [6]

[34]         Les exceptions au principe sont celles qui permettent à une partie de faire une preuve qu'elle n'a pu faire en en première instance et qu'elle estime nécessaire.

[35]         Il n'y a pas de tels allégués ici.  Les transcriptions de l'audition de première instance n’ont pas été produites au dossier de la Cour.

[36]         Le tribunal accueille l'objection à cette nouvelle preuve et ne la retiendra donc pas.

VI.        APPLICATION DE LA NORME

A.    Le Conseil Académique n’a pas juridiction.

[37]         Suivant Charles Rossdeutcher, “ the alleged incident never was a defined charge against the Academic Code of Conduct ” et partant le Conseil Académique ne pouvait avoir juridiction pour entendre cette plainte.

[38]         Voici comment se lisent  les articles pertinents du Code de conduite académique :

1. The integrity of University academic life and of the degrees, diplomas and certificates the University confers is dependent upon the honesty and soundness of the instructor-student learning relationship and, in particular, that of the evaluation process.  Therefore, for their part, all students are expected to be honest in all of their academic endeavours and relationships with the University.

14. Any form of cheating, plagiarism, personation, falsification of a document as well as any other form of dishonest behaviour related to the obtention of academic gain or the avoidance of evaluative exercises committed by a student is an academic offence under this Code.

16. Without limiting, or restricting, the generality of article 14 above and with the understanding that articles 16a)-i) are to be considered examples only, academic offences include, the carrying out, or attempting to carry out or participating in:

a.  plagiarism - the presentation of the work of another person, in whatever form, as one's own or without proper acknowledgement;

b.  the contribution by one student to another student of work with the knowledge that the latter may submit the work in part or in whole as his or her own;

[...]

k.  the falsification of a document, in particular a document transmitted to the University or a document of the University, whether transmitted or not to a third party, whatever the circumstances.

[39]         Avec tout le respect dû à l’opinion contraire, le tribunal est d’avis que la plainte entre tout à fait dans le cadre de ce Code.  Il appartient ensuite au Conseil Académique de déterminer si l'acte allégué est prouvé.

[40]         Le fait que le Conseil Académique se saisisse de la plainte n’apparaît ni déraisonnable ni incorrect.

B.    La fraude alléguée ne s'est jamais produite et la preuve de la fraude était purement circonstancielle; Charles Rossdeutscher aurait dû bénéficier du doute raisonnable;

[41]         La première prétention de Charles Rossdeutcher contredit purement et simplement une admission que les parties ont faite à l'effet que la signature du professeur Rozhdestvenskiy avait été imitée.  Reste à savoir par qui ?

[42]         Il s'agit de l'essence même de ce que doit décider le Conseil Académique.  Pour le tribunal, c'est avant tout une question d’appréciation de la preuve.  La conclusion du Conseil à l'effet qu'il n'a pas jugé la version de Charles Rossdeutscher crédible est motivée et n'apparaît pas déraisonnable.

[43]         La conclusion du Conseil est basée sur la version du professeur, l'aveu de l'étudiant fait au professeur et la version des autres étudiants membres du groupe de travail de Charles Rossdeutscher telle que recueillie par la vice-doyenne.

[44]         Quant à savoir si le Conseil Académique a appliqué le bon fardeau de preuve, le tribunal se réfère  l’article 49 du Code de conduite académique:

49 . The decision of the AHP shall be signed, dated and reasoned.  The standard of proof to be relied upon by the AHP shall be one of “a preponderance of evidence”.  A “preponderance of evidence” standard means that the Dean must establish that his version of the facts is significantly more probable.

[45]         Le fardeau de preuve n’est donc pas celui du doute raisonnable contrairement à ce que soutient Charles Rossdeutscher.

[46]         Le tribunal doit accorder toute la déférence possible au Conseil Académique, n'ayant pas lui-même bénéficié de l'opportunité d'entendre les témoins ni de juger de leur crédibilité.  La conclusion du Conseil à cet égard est sûrement l'une des conclusions possibles dans les circonstances.

C.    Cette plainte ne portait pas sur un geste qui avait pour but de procurer un gain académique à Charles Rossdeutscher

[47]         La plainte du professeur Rozhdestvenskiy explique la séquence qui devait se dérouler.  Le rapport de laboratoire est dû le 20 février.  Pour faire le rapport, il faut obtenir certaines pièces destinées à mener l'expérience.  Ces pièces peuvent être obtenues seulement après avoir répondu à certaines questions de connaissances académiques posées par le professeur.   Si après deux tentatives, le groupe échoue, dans sa démonstration de « connaissances suffisantes », le groupe obtient une note de zéro. Charles Rossdeutcher admet la séquence.

[48]         Une fois le formulaire dument rempli et signé par le professeur, l’équipe de travail peut alors avoir accès aux pièces nécessaires à la réalisation de leur projet qui compte pour 2,5 % de la note globale.

[49]         Le 18 février, Charles Rossdeutscher n'a pas encore rencontré le professeur Rozhdestvenskiy.  S'il ne produit pas son rapport de laboratoire, il aura assurément la note de 0 %. 

[50]         Concordia soutient que l’obtention du gain académique découle d’une chaîne dans laquelle la signature du material request form s’inscrit. 

[51]         La prétention de Charles Rossdeutcher est à l’effet que la signature du material request form n’est pas rattachée à un gain académique : "  parts don’t make the mark , work on the parts makes the mark ".

[52]         Il ajoute subsidiairement que, de toute manière, la chaîne entre la signature et le gain académique est rompue, puisque c’est un autre membre de son équipe de travail qui a présenté le formulaire falsifié au technicien J. Landry, et donc que c’est cet autre membre qui devrait être accusé.

[53]         Les termes "  related to the obtention of academic gain  " ne sont pas définis au règlement.

[54]         Le Code de conduite académique prévoit, à son article 5, une règle d’interprétation en cas d’ambiguïté:

5. Wherever there is doubt or ambiguity regarding any provision of this Code or the procedure to be followed, that interpretation or procedure which appears to be most equitable and consistent with the general purposes and philosophy of this Code shall be adopted. Except for those terms specifically defined in this Code, the terms used shall have their usual meanings . (Nos soulignements)

 

[55]         Le dictionnaire en ligne Merriam-Webster définit "  relate  " comme signifiant "  to show or establish logical or causal connection between  ".  Les mots "  relate to  " n’impliquent pas une relation immédiate et directe, mais plutôt un rapport avec l’affaire.

[56]         Quant à l’expression "  academic gain  ", qu’il suffise de dire que, de l’avis du tribunal, le simple fait que l’on puisse éventuellement obtenir une évaluation par le biais de cette étape constitue un " academic gain ".  Au surplus, le défaut de démontrer une connaissance suffisante à deux reprises avant d'obtenir les pièces, garantit la note de zéro.

[57]         Il y a un lien entre la signature du formulaire et le rapport de laboratoire qui sera noté bien qu’entre les deux, les membres du groupe doivent mener des tests dans le but d’élaborer les résultats qui feront partie du rapport lequel sera noté.  Sans la signature du formulaire, le groupe aura zéro.  C'est tout ce que semble exiger l'article 14 en utilisant les mots related to the obtention of academic gain . "

[58]         Il ne fait pas de doute que c’est dans le but d’obtenir éventuellement un avantage du point de vue académique, que ce formulaire a été falsifié.

[59]         Il s'agit pour Concordia d’interpréter son propre règlement dans son domaine de spécialité.  Le tribunal lui doit la plus grande déférence. La conclusion du Conseil Académique fait partie des issues possibles.

D.    le processus suivi par le Conseil Académique est contraire aux règles de justice naturelle

1.    la preuve présentée consistait en bonne partie en du ouï-dire et il lui a été impossible de contre-interroger les témoins

[60]         La Cour d'appel dans l'affaire Nguyen [7] rappelle ceci:

[5] Dans un premier temps, le juge de première instance a fait preuve d'une retenue de bon aloi en refusant de s'immiscer dans les affaires académiques et le fonctionnement interne de l'Université de Sherbrooke.  Il a en cela suivi un courant jurisprudentiel bien établi.

[…]

[10] L'évaluation de la légalité du processus suivi s'apprécie à l'échelle de l'obligation d'agir équitablement.  S'agissant ici d'une institution d'enseignement, les propos de Madame la juge L'Heureux-Dubé dans Knight c. Indian Head School Division No.19 trouvent pleine application [8] :

Il ne faut pas oublier que tout organisme administratif est maître de sa propre procédure et n'a pas à se modeler sur les tribunaux judiciaires.  L'idée n'est pas d'importer dans les procédures administratives toute la rigidité des exigences de la justice naturelle auxquelles doit satisfaire un tribunal judiciaire, mais simplement de permettre aux organismes administratifs d'élaborer un système souple, adapté à leurs besoins et équitable.  Comme le fait remarqué de Smith (de Smith's Judicial Review of Administrative Action (4 e édition 1980), à la p.240), on ne vise pas à créer [traduction] «la perfection procédurale», mais bien à établir un certain équilibre entre le besoin d'équité, d'efficacité et de prévisibilité des résultats.  Il s'ensuit que si, en l'espèce, on peut conclure que l'intimé connaissait en fait les motifs de son congédiement et avait eu la possibilité de se faire entendre par le Conseil, les exigences de l'équité procédurale auront été remplies, même s'il n'y a pas eu d'«audition» structurée au sens judiciaire du terme.  Je suis d'accord avec Wade, qui écrit (Administrative Law, précité, aux pp. 482 et 483):

          [Traduction] Une « audition » sera normalement une audition orale.  Il a toutefois été jugé qu'une commission constituée aux termes d'une loi, qui agit à titre administratif, peut décider elle-même si une demande fera l'objet d'une audition orale ou simplement par écrit, pourvu que les demandes soient en fait «entendues»;…

[61]         Dans l’affaire Marouf  la juge Bénard [9] précise les principes applicables:

[33] Il base son argument sur l’arrêt de la Cour suprême [10] qui pose le principe qu’une justice de haute qualité est exigée lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu.

[34] Le Tribunal est d’accord pour appliquer ce principe à une personne qui serait privée de cours pour acquérir les titres nécessaires pour exercer une profession.

[35] Toutefois, cet arrêt ajoute que, pour respecter ce critère, les instances administratives universitaires doivent entendre équitablement les deux parties afin de leur donner la possibilité de rectifier ou de contredire toute déclaration pertinente préjudiciable à leur point de vue.

[36] D’ailleurs, depuis 1968, la Cour suprême [11] reconnaît que l’application de la règle audi alteram partem  n’implique pas nécessairement la tenue d’une audition.

[37] L’obligation imposée par la règle est de fournir à la partie l’occasion de faire valoir son point de vue.

[62]         Charles Rossdeutscher risque de ne jamais pouvoir pratiquer comme ingénieur puisque son expulsion de l’Université a de fortes chances de mettre fin à ses ambitions dans ce domaine.

[63]         Comme le souligne Charles Rossdeutscher, le principal témoin de l'Université témoigne parfois par ouï-dire en particulier lorsqu'il aborde les rencontres qu'il a tenues avec les autres membres du groupe de Charles Rossdeutscher. Le Code de conduite académique lui donne droit au contre-interrogatoire mais il se plaint de ne pas avoir eu l'opportunité de contre-interroger les autres membres du groupe.

[64]         Les règles établies par Concordia permettent ce genre de preuve et la jurisprudence reconnaît que les universités ont une grande latitude en ce sens.  Cela ne signifie pas que le processus est injuste à l'endroit de Charles Rossdeutscher.  Il a eu l'opportunité de contredire la preuve faite et de contre-interroger le témoin.  Il savait d'avance que le rapport du vice-doyen Narayanan référait aux autres membres de son groupe.  Il avait toute l'opportunité de les assigner comme témoins.

[65]         En effet, en septembre 2009 il est avisé de la date de l'audition, de ce qu'il doit fournir en vue de celle-ci et de la possibilité de faire entendre ses propres témoins.  Il choisit de ne pas appeler les collègues membres de son groupe devant le Conseil Académique.  Il ne peut en faire reproche aux règles de procédure.

[66]         Ce processus n’est pas contraire aux règles de justice naturelle.  Le tribunal ne voit pas non plus, en quoi la décision du Conseil Académique de préférer la version du vice-doyen est déraisonnable.

2.     les membres du Conseil ont été en quelque sorte préjugés par le fait qu'on les informent qu'il s'agissait de la deuxième infraction au Code de conduite académique.

[67]         Concordia n'avait pas véritablement le choix d'en informer les membres.  L'article 48 du Code de conduite académique l'exige tout en prohibant la communication d'autre information à cet égard.  Il n'est pas reproché à l'Université d'avoir communiqué d'autre information sur le sujet.

[68]         L'information est pertinente pour le Conseil, car la sanction prévue par le Code dans le cas d'une deuxième infraction est l'expulsion. 

[69]         Charles Rossdeutscher présume que la communication de cette information lui est préjudiciable.  On peut penser qu'elle est aussi utile au Conseil, qui sachant l'importance de la sanction qui attend l'étudiant, portera d'autant plus attention à la preuve.

[70]         Bref, cet argument ne convainc pas le tribunal.

3.     Empêché de faire une preuve d'expertise en écriture.

[71]         La preuve de l’expert en écriture a été déposée et entendue.  Le Conseil Académique s'est contenté de noter que les qualifications de l'expert n'ont pas été établies et que les pièces sur lesquelles il s'est prononcé de même que le raisonnement suivi n'ont pas été mis en preuve.

[72]          Le Conseil Académique n'a pas conclu que la preuve était irrecevable même s'il est loisible de penser que très peu de poids lui a été accordé.  Encore une fois, il s'agit là de la prérogative de celui qui entend l'affaire et en apparence, cette décision n'apparaît pas déraisonnable.

[73]         POUR CEs MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[74]         REJETTE la requête en révision judiciaire;

[75]         AVEC DÉPENS .

 

 

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PIERRE NOLLET, J.C.S.

 

Me Jonathan Foldiak

Procureur du demandeur

 

Me Stéphane Filion

Me Alison Beck

Me Frédéric Masse

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d'audition: 9 et 10 février 2011



[1] Pièce P-14.

[2] Syndicat des chauffeures et chauffeurs de la société de transport de Sherbrooke, section locale 3434 SCFP   c. Société de transport de Sherbrooke, [2010] AZ-50669960 (C.A.).

[3] Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190 , par.62.

[4] Fekete v . Royal Institution for Advancement of learning [1969] B.R. 1 .

[5] Su c. Foster AZ-96021074 .

[6] Volailles Grenville c. Syndicat national de l'automobile, de l'aérospatiale, du transport et des autres travailleuses et travailleurs du Canada (T.C.A.-Canada) J.E. 2004-758 par 35-36 (C.A.)

[7] Ngyuyen c. Université de Sherbrooke , AZ-50108320 (C.A.).

[8] [1990] 1 R.C.S. 653 , 685-686.

[9] Marouf c. Université Concordia [2006] QCCS 3082 .

[10] Kane c. Cons. d’administration de l’U.C.-B., [1980] 1 R.C.S., 1105 .

[11] Komo Construction inc. c. Québec (Commission des relations de travail) , [1968] S.C.R. 172 .