Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 29 mars 2011

Référence neutre : 2011 QCTAQ 03562

Dossier  : SAS-Q-163501-1004

Devant les juges administratifs :

YVAN LE MOYNE

MICHÈLE RANDOIN

 

H… M…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION




[1]               Le Tribunal est saisi d’un recours à l’encontre d’une décision rendue par l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec, le 17 février 2010, ayant pour effet d’exiger de la requérante qu’elle se soumette à une évaluation complète auprès de l’Association A (A).

[2]               Par cette décision, la Société avise la requérante que le rapport d’évaluation transmis par l’Association A démontre que son comportement face à la consommation d’alcool représente encore un risque pour la sécurité routière. Par conséquent, elle doit s’inscrire auprès de l’Association pour une évaluation complète et débuter un plan d’encadrement comme condition préalable à l’obtention d’un permis de conduire.

[3]               De l’ensemble de la preuve soumise, le Tribunal retient les éléments pertinents suivants.

[4]               En 1987 et en 1991, la requérante a été reconnue coupable à deux reprises de conduite avec facultés affaiblies.

[5]               En 2009, la requérante demande un nouveau permis de conduire. À la demande de la Société, la requérante fait parvenir un rapport médical complété par son médecin traitant le 16 novembre 2009. Dans ce rapport, le médecin fait notamment état d’un diagnostic d’éthylisme ancien, abus d’une substance (alcool) avec abstinence depuis 1998 [1] .

[6]               Le 22 janvier 2010, la requérante est rencontrée pour une évaluation initiale, conformément à l’article 73 du Code de la sécurité routière [2] . La conclusion de cette évaluation a été de recommander que la requérante se soumette à une évaluation complète, afin de s’assurer que ses habitudes de consommation d’alcool ne soient plus incompatibles avec la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[7]               On peut notamment y lire :

«[…]

Le dossier de conduite de madame fait état de 2 condamnations pour conduite avec facultés affaiblies, dont elle a été reconnue coupable en 1987 et 1991. Il n’y a aucun point d’inaptitude présentement d’inscrit à son dossier. Au cours des deux dernières années, elle n’a pas eu d’autre sanction importante relative à son permis de conduire.

En ce qui a trait à sa consommation, madame M... mentionne avoir débuté une consommation d’alcool quotidienne vers l’âge de 21 ans. Elle consommait habituellement six consommations standards alcoolisées par jour. Il en fut ainsi pendant deux ans. Par la suite, madame a maintenu une consommation quotidienne, toutefois la quantité journalière a augmentée à douze bières par jour. Au cours de cette période (1980), elle a participé à des réunions des Alcooliques Anonymes de façon régulière pendant cinq mois. De plus, en 1981, elle a été traitée pour abus d’alcool au Centre A. Ce séjour à l’interne fut d’une durée de 21 jours. Elle a, par la suite, maintenue l’abstinence de consommation d’alcool pendant six mois. Lorsqu’elle a repris la consommation d’alcool, ce fut à la même fréquence et quantité que lorsqu’elle avait cessé, soit qu’elle consommait quotidiennement douze bières. Vers l’âge de 32 ans, et ce, jusqu’à l’âge de 37 ans, elle consommait quotidiennement de dix-huit à vingt bières par jour. À l’âge de 37 ans, elle a diminué la quantité journalière à quatre bières par jour. Elle a maintenu cette consommation jusqu’à l’âge de 44 ans. Elle est abstinente depuis (1998). Au niveau de la drogue, madame rapporte n’en avoir jamais fait usage au cours de sa vie. En 2002, elle a fait usage, tel que prescrit, d’antidépresseurs pendant une période de six mois.

Selon l’ensemble de l’évaluation, madame M... ne présente pas de symptômes de dépendance ou d’abus à l’alcool dans la dernière année. Par contre, les résultats à d’autres questionnaires nous révèlent qu’elle a eu de nombreuses conséquences négatives importantes associées à sa consommation d’alcool au cours de sa vie tel que : il lui est arrivé, au réveil, après avoir bu la nuit précédente, de ne plus se souvenir d’une partie de la soirée, son conjoint ou ses parents se sont inquiétés ou plaints de sa consommation d’alcool, elle a assisté à une réunion des Alcooliques Anonymes, la boisson a causé des problèmes entre elle et son conjoint, ses parents ou un autre membre de sa famille, il lui est arrivé de perdre des amis ou de rompre avec son «chum» à cause de la boisson, elle a demandé de l’aide à quelqu’un à cause de la boisson, elle a déjà été en centre de réadaptation pour l’aider à résoudre un problème d’alcool et elle a perdu son permis de conduire.

[…]»

[8]               Témoignant à l’audience, la requérante déclare être sans permis de conduire depuis 1991. Elle a été en mesure de s’en passer pendant 17 ans, mais dit maintenant en avoir besoin pour vaquer à ses occupations. Elle affirme être sobre depuis 1998, elle souligne que son médecin traitant l’a aidée à se libérer de l’emprise de l’alcool. Elle ne comprend pas pourquoi une évaluation complète serait nécessaire dans les circonstances, d’autant plus qu’étant prestataire de l’assistance emploi, elle ne dispose pas des ressources financières pour s’inscrire. Elle termine en signalant que l’évaluation avec l’évaluatrice accréditée le 22 janvier 2010 a été satisfaisante.

[9]               Madame J.. .P..., évaluatrice accréditée par l’Association depuis avril 2008, témoigne à son tour. Elle explique avoir procédé à une évaluation initiale servant à évaluer les facteurs de risque de récidive. Elle décrit le processus de l’évaluation, qui se veut un protocole standardisé, consistant à une entrevue structurée suivie de quatre questionnaires que la requérante doit compléter. Une tierce personne est également rencontrée : dans ce cas-ci, il s’est agi d’un ami de la requérante. Le témoin déclare avoir suivi le protocole établi et souligne que l’évaluation s’est bien déroulée. Elle explique que la recommandation finale est essentiellement reliée aux résultats obtenus au questionnaire MAST qui concerne les habitudes de consommation à vie. La requérante a obtenu un score de 21 points à ce test, ce qui, selon l’arbre décisionnel, entraîne nécessairement la recommandation d’une évaluation complète assortie d’un plan d’encadrement.

[10]            Le Tribunal est appelé à statuer sur le bien-fondé de la décision de l’intimée d’exiger de la requérante qu’elle se soumette à une évaluation complète.

[11]            Le litige met en cause l’application des articles 73 et 81 du Code de la sécurité routière  :

« 73. La Société peut exiger d'une personne qui demande l'obtention ou le renouvellement d'un permis, d'en faire changer la classe ou de lui en ajouter une autre ou de faire supprimer une condition y apparaissant, qu'elle se soumette à un examen médical ou à une évaluation sur sa santé fait par un médecin spécialiste ou un autre professionnel de la santé que la Société peut désigner nommément. Cette personne doit, à la demande de la Société, lui remettre le rapport de cet examen ou de cette évaluation dans le délai qu'elle lui indique et qui ne peut excéder 90 jours.

En outre, la Société peut requérir que l'examen ou l'évaluation soit fait dans le centre hospitalier ou dans le centre de réadaptation qu'elle désigne nommément ou dont elle détermine la classe parmi celles établies à l'article 86 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (chapitre S-4.2).

[…]»

 «81.   La Société peut refuser de délivrer un permis, d'en changer la classe ou de lui en ajouter une autre, si la personne qui en fait la demande:

[…]

2° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation qui, suivant les normes concernant la santé établies par règlement, sont relativement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;

 3° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4 ou un rapport visé à l'article 603, est atteinte d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée;

[…]»

[12]            C’est en considérant l’ensemble des réponses de la requérante lors de l’évaluation initiale ainsi que son dossier de conduite que l’évaluatrice a estimé qu’une évaluation complète était nécessaire. Le témoignage de la requérante à l’audience n’a pas été de nature à contrer l’évaluation objective qui a été réalisée à l’aide des réponses qu’elle a données spontanément, dans le cadre d’un protocole standardisé que la requérante ne remet pas en cause.

[13]            Le Tribunal comprend la frustration de la requérante, qui affirme avoir répondu honnêtement aux questionnaires et est convaincue d’avoir un rapport à l’alcool qui ne compromet pas la conduite sécuritaire d’un véhicule routier. Il n’en demeure pas moins qu’en l’espèce, la conclusion de l’évaluation initiale n’a pas été favorable alors que la preuve révèle que cette évaluation a été administrée et complétée selon les normes. Aussi, la requérante doit-elle se conformer aux exigences posées par la décision de l’intimée du 17 février 2010.

[14]            Le Tribunal rappelle qu’il s’agit d’appliquer des dispositions d’ordre public destinées à assurer la protection du public comme du conducteur lui-même, dispositions qui, comme l’a décidé à maintes reprises le Tribunal, doivent être interprétées de façon restrictive. L’obtention d’un permis de conduire demeure un privilège et non un droit.

[15]            POUR CES MOTIFS ,  le Tribunal:

-         REJETTE le recours.


 

YVAN LE MOYNE, j.a.t.a.q.

 

 

MICHÈLE RANDOIN, j.a.t.a.q.


 

Me Sébastien Jobin-Vermette

Procureur de la partie intimée


 



[1] Page 6 du dossier TAQ.

[2] L.R.Q., c. C-24.2.