A. Lacroix et Fils granit ltée c. Groupe Dubé & Associés inc. |
2011 QCCQ 3575 |
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COUR DU QUÉBEC |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MÉGANTIC |
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LOCALITÉ DE |
LAC-MÉGANTIC |
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« Chambre civile » |
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N° : |
480-22-000002-103 |
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DATE : |
7 avril 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
PAUL DUNNIGAN, J.C.Q. |
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A. LACROIX ET FILS GRANIT LTÉE
Demanderesse |
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c.
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GROUPE DUBÉ & ASSOCIÉS INC.
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1] À la suite de son dernier amendement, A. Lacroix et fils Granit ltée réclame 33 989,44 $ à Groupe Dubé & associés inc. pour marchandises vendues et services rendus.
[2] Groupe Dubé conteste la réclamation plaidant qu'outre la somme de 1 628,69 $ qu'elle admet devoir à titre de « solde contractuel », la demande de Granit ltée correspond à des « extras » qui n'ont jamais été convenus ni acceptés.
[3] Les avocats des parties ont convenu des questions à trancher par le tribunal :
1. Déterminer s'il s'agit d'un contrat à forfait ou d'un contrat sur estimation?
2. La demanderesse a-t-elle le droit de réclamer des extras dans le cadre dudit contrat et/ou un prix supplémentaire?
3. Les parties se sont-elles entendues sur la valeur des extras et/ou du prix supplémentaire?
4. La demanderesse a-t-elle été informée préalablement des extras et/ou du prix supplémentaire avant que les travaux ne soient effectués?
(Reproduction intégrale)
LES FAITS RETENUS COMME PERTINENTS
[4] Le 20 mars 2007, Sylvain Desmarais, représentant de Groupe Dubé , transmet par télécopieur à Jacques Drouin , préposé de Granit ltée , une « demande de prix » pour la « fourniture de bordures et dallages tel que décrits aux documents ci-joint [ sic ] » [1] .
[5] Le projet y est décrit comme correspondant à un réaménagement du boulevard Saint-Laurent à Montréal et précise le matériel requis et l'échéance :
Bordures : Type Calédonia 200mm x 350mm avec fruit (pente 1/10 en façade)
Quantités : bordures Droite: 265 m.lin., Rayon = 105 m.lin. prévoir la construction de 16 « coins de rue »
Donc 32 bordures de transition, le tout selon les détails fournis
Dallage : Type Calédonia x 100mm d'épaisseur selon détails et indications fournis : qtée 250 m 2
Ouverture pour les généraux, demain à 14h00, svp fournir prix demain matin
(Reproduction intégrale)
[6] Ces documents, incluant des plans [2] précis, sont ensuite remis à M. Claude Lacroix , un des propriétaires de Granit ltée , qui est notamment affecté à la préparation des soumissions.
[7] Dans les heures qui suivent, Lacroix fait ses calculs qui apparaissent aux deux premières pages [3] des plans fournis par Groupe Dubé :
BORDURES : DROITE TEL QUE DÉTAIL CI-DESSUS= 265 M/LIN
= $ 44 255
BORDURES COURBES = 105 M/LIN
= $ 21,000
BATEAUX PAVÉS = $75 600
14 COINS ____________
TOTAL = $ 140 855. + TAXES
[…]
BATEAUX PAVÉS SUIVANT CE DÉTAIL
14 UNITÉS COMPLÉTÉS = $75 600
(Reproduction intégrale)
[8] Le lendemain, Drouin transmet à Groupe Dubé la soumission de Granit ltée en inscrivant les mentions suivantes sous forme manuscrite directement sur la « demande de prix » [4] :
Bordures : […]
Droite = $ 167 00 / m. lin = 44,255 00
Rayon = $ 200 00 / m.lin = 21 000 00
Dallage : […] (2700 pi 2)
ð $ 28. 00 /pi 2 = $ 75,600 00
Total = $ 140,855. 00
F.O.B. Mtl + Taxes
(Reproduction intégrale)
[9] À la suite de discussions avec Georges Handfield qui est son interlocuteur de Groupe Dubé , Lacroix réduit une première fois, le prix total de sa proposition considérant des précisions quant aux quantités requises et lui transmet une seconde soumission [5] le 8 juin 2007, aux conditions suivantes :
Bonjour Georges,
Tel que discuté au téléphone, voici notre prix suivant les quantités suivantes :
Bordures et transitions droites : 239 M/LN x $ 167. = $ 39 913
Bordures courbes : 83 M/LN x $ 200 = $ 16 600
14 coins : Bateaux pavés ± 250 M 2 = $ 75 600
TOTAL = $ 132,113
PRIX F.O.B. MONTRÉAL TAXES EXTRA
(Reproduction intégrale)
[10] Le 15 juin 2007, Groupe Dubé expédie un bon de commande [6] à Granit ltée à de nouvelles conditions convenues entre Lacroix et Handfield , soit pour des prix révisés à la baisse.
[11] Ce document indique en outre que les conditions sont acceptées « le tout selon les plans et devis et à la satisfaction du client » et est signé par Lacroix et Handfield .
[12] Lacroix mentionne au jour du procès que cela était facile pour les bordures parce qu'il « connaissait ses limites et qu'il n'y avait aucun risque », mais que tel n'était pas le cas pour les « bateaux pavés », pour lesquels il ne savait pas encore si ceux-ci auraient à être « twistés », soit une opération de mise à niveau tributaire du rayon du coin de rue et de la pente du pavé de granit vers elle.
[13] Les prix unitaires des bordures droites sont ainsi réduits à 156,44 $ du mètre linéaire et à 192 $ du mètre linéaire quant aux bordures courbées, alors que le coût des pavés demeure inchangé à 75 600 $, soit 302,40 $ du mètre carré, le tout pour un total de 129 501,16 $, taxes en sus.
[14] Référant à la facture 025205 du 13 mai 2008 [7] de Granit ltée à Groupe Dubé , où il est indiqué que « Le montant du contrat était de 129 501,16 $ », Lacroix convient en contre-interrogatoire que tel était le prix « sans les extras » peu importe les quantités qui seraient effectivement livrées.
[15] Dans les premiers jours de juillet 2007, Jean Lacroix, l'ingénieur affecté à la supervision de la « mise en plans » et à la production chez Granit ltée , prend connaissance des plans [8] que Lacroix avait reçus et communique avec Handfield pour convenir d'un « ordre de travail », soit une séquence de livraison.
[16] Granit ltée débute d'abord ses travaux liés à la production des bordures droites.
[17] C'est lorsqu'il prépare ses dessins d'atelier pour les « bateaux-pavés » que l'ingénieur a un doute quant à la nécessité d'un « twistage ».
[18] L'ingénieur convient en contre-interrogatoire qu'il n'avait jamais dessiné de « bateaux-pavés » avec dénivellation, qu'il aurait été « important » que Granit ltée connaisse les rayons avant de soumissionner et que quant à lui, il « pensait bien que ça pencherait ».
[19] C'est parce que plus le rayon est « petit » pour le même pavé, plus il y aura nécessité de « twister » que cette information était nécessaire parce qu'elle pouvait impliquer des travaux supplémentaires et une épaisseur de dalles de granit augmentée.
[20] L'ingénieur vérifie ensuite auprès de Handfield si les bateaux-pavés devaient être « twistés » comme il le pense.
[21] Après vérification, Handfield confirme par écrit [9] le 2 août 2007, que tel est le cas :
[…]
En ce qui concerne les dallages, j'ai vérifié ce qu'il s'est fait sur le projet de l'an dernier et certaines pièces sont « pliées ».
Tu pourras vérifier avec votre nouvelle recrue comment ils ont procédé.
[…]
[22] Granit ltée avait alors déjà transmis une première facture [10] qui sera suivie de quatre autres pour la fourniture des bordures au prix convenu.
[23] Ce n'est que le 4 octobre 2007 que la mention d'« extras » apparaît pour la première fois sur les factures pour des « mcx avec pente » à un prix fixé unilatéralement par Granit ltée .
[24] Groupe Dubé acquittera les sommes apparaissant à celles-ci, mais en déduisant le prix des extras.
[25] Sur ce constat, Lacroix communique avec Handfield pour s'enquérir de la raison pour laquelle les extras n'étaient pas payés.
[26] Handfield lui répond que le tout dépendra de la position du donneur d'ouvrage, soit la ville de Montréal.
[27] Lacroix affirme au procès que, puisqu'« on a jamais laissé nos clients tomber » et qu'« on fait nos jobs », Granit ltée a continué la production notamment parce qu'il avait confiance en Handfield .
ANALYSE
[28] Les articles, 2098, 2106, 2107 et 2109 du Code civil du Québec sont ici pertinents :
Art. 2098. Le contrat d'entreprise ou de service est celui par lequel une personne, selon le cas l'entrepreneur ou le prestataire de services, s'engage envers une autre personne, le client, à réaliser un ouvrage matériel ou intellectuel ou à fournir un service moyennant un prix que le client s'oblige à lui payer.
Art. 2106. Le prix de l'ouvrage ou du service est déterminé par le contrat, les usages ou la loi, ou encore d'après la valeur des travaux effectués ou des services rendus.
Art. 2107. Si, lors de la conclusion du contrat, le prix des travaux ou des services a fait l'objet d'une estimation, l'entrepreneur ou le prestataire de services doit justifier toute augmentation du prix.
Le client n'est tenu de payer cette augmentation que dans la mesure où elle résulte de travaux, de services ou de dépenses qui n'étaient pas prévisibles par l'entrepreneur ou le prestataire de services au moment de la conclusion du contrat.
Art. 2109. Lorsque le contrat est à forfait, le client doit payer le prix convenu et il ne peut prétendre à une diminution du prix en faisant valoir que l'ouvrage ou le service a exigé moins de travail ou a coûté moins cher qu'il n'avait été prévu.
Pareillement, l'entrepreneur ou le prestataire de services ne peut prétendre à une augmentation du prix pour un motif contraire.
Le prix forfaitaire reste le même, bien que des modifications aient été apportées aux conditions d'exécution initialement prévues, à moins que les parties n'en aient convenu autrement.
· Un contrat à forfait ou à soumission
[29]
Il y a d'abord lieu de traiter de l'application de l'article
[30]
Avec respect pour l'opinion contraire, le tribunal ne souscrit pas à
l'argument voulant qu'un tel contrat n'est pas soumis à l'article
[31]
Tel était le cas à l'époque où l'article
[32]
Or, l'article
[33]
Pour cette raison et celles mentionnées à la décision
Ameublements
Zakaria inc.
c.
Devenco Contracting Inc.
[13]
,
le tribunal est d'avis que l'article
[34]
Le tribunal conclut que l'entente intervenue entre les parties le 15
juin 2007 en était une correspondant au contrat à forfait auquel réfère l'article
[35] Le témoignage de Lacroix à cet égard est déterminant lorsqu'il mentionne que le prix total demeurait inchangé même si les quantités effectivement livrées n'étaient pas celles estimées au bon de commande.
[36] La dernière facture [14] de Granit ltée confirme cette conclusion puisqu'on déduit du « montant du contrat » de 129 501,16 $, le « montant facturé » de 128 743,91 $ pour réclamer le « restant du contrat » de 757,25 $.
· Les extras
[37] Dans son ouvrage précité, l'auteur Vincent Karim discute des conséquences de la qualification du contrat quant à une révision du prix [15] :
2. Effets de la qualification
[…]
[…] Cependant, à
la différence d'un contrat sur estimation, les circonstances imprévisibles ne
suffisent pas à modifier le prix prévu au contrat à forfait. D'où l'importance
pour l'entrepreneur ou le prestataire de services de déterminer avec prudence,
consciencieusement et le plus justement possible, ses moyens d'exécution (art.
[…]
3. Tempérament
[…]
[…] Les extras sont des travaux qui peuvent dénaturer substantiellement les travaux initialement prévus. Il ne s'agit pas des travaux accessoires à ceux prévus au contrat. […]
[…]
A. Extras
Les travaux substantiels qualifiés d'extras sont des travaux supplémentaires, ordonnés par le client et qui ne visent pas des travaux prévus ou spécifiés au contrat. […]
[…]
B. Modifications
[…]
b) Erreur du client quant aux indications du contrat ou des plans et devis
Lorsque les indications du contrat ou des plans et devis ne sont pas claires ou sont erronées 719 , une clause de révision peut permettre à l'entrepreneur ou au prestataire de services de réclamer une modification du prix en cas de divergence entre les données fournies et réelles. […]
En l'absence, dans le contrat, d'une stipulation permettant une révision du prix, l'entrepreneur ou le prestataire de services assume les risques 721 . […]
(Références omises)
[38] Il appert ici que la nécessité de plier (« twister ») les pavés était tout à fait prévisible et comme l'indique l'ingénieur , qu'il aurait été « important » que Granit ltée vérifie les rayons des coins de rue avant de fixer son prix.
[39] Lacroix a témoigné lui-même du fait que c'est la raison pour laquelle il ne voulait pas prendre le « risque » de diminuer son prix pour les pavés comme il l'a fait pour les bordures.
[40] L'opération de pliage ne constituait pas un travail dénaturant la prestation initialement convenue; le défaut pour Granit ltée d'effectuer les vérifications nécessaires pour évaluer sa complexité lui est en conséquence fatal dans les circonstances [16] .
[41] Granit ltée n'a pas établi que des modifications ont été apportées aux conditions d'exécution initialement prévues ni que les parties en ont convenu autrement [17] .
[42] Il n'y a pas preuve prépondérante d'un consentement même tacite de Groupe Dubé ni de mauvaise foi de la part de Handfield .
[43] Dans les faits, des travaux additionnels ont été demandés par Groupe Dubé et payés par elle puisqu'elle a ultimement déboursé 150 659,30 $ plutôt que 147 566,57 $, soit 129 501,16 $ majoré des taxes applicables.
[44] Considérant cependant l'admission quant au « solde contractuel » de 1 628,59 $, la demande de Granit ltée sera accueillie, mais pour ce montant seulement.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
ACCUEILLE partiellement la réclamation de la demanderesse;
CONDAMNE
la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de
1 628,69
$, plus intérêts au taux légal de 5 %
l'an et l'indemnité additionnelle prévue à l'article
LE TOUT , avec dépens.
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__________________________________ PAUL DUNNIGAN, J.C.Q. |
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M e Jonathan Decherf |
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Avocat de la demanderesse |
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M e Jean-Philippe Asselin |
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Avocat de la défenderesse |
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[1] Pièce P-2.
[2] Pièce P-4-A.
[3] Pièce P-4.
[4] Précitée, note 1.
[5] Pièce P-3; le tribunal note que les prix unitaires sont demeurés les mêmes et que seules les quantités ont été revues à la baisse.
[6] Pièce D-1.
[7] Pièce P-1, en liasse.
[8] Précitée note 2.
[9] Pièce P-5.
[10] Pièce D-3, en liasse.
[11]
Voir notamment Vincent KARIM,
Les contrats d'entreprise, de prestation de
services et l'hypothèque légale
, Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p.
131; Jacques DESLAURIERS,
[12]
Cartier Building Inc.
c.
E. Séguin & Fils Ltée
,
[1985]
C.A. 649
,
J.E. 85-637
,
[13]
[14] Précitée, note 7.
[15] V. KARIM, op.cit., note 11, p.141-153.
[16]
Forage Marathon Cie
c.
Doncar Construction inc.
,
J.E.
2001-848
,
[17] C.c.Q., art. 2109.