COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossiers :

AQ-1003-4604, AQ-1004-2952

Cas :

CQ-2010-2794

 

Référence :

2011 QCCRT 0194

 

Québec, le

20 avril 2011

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DEVANT LE COMMISSAIRE :

Louis Garant, juge administratif

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Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles

 

Requérant

c.

 

Syndicat des employés du Centre jeunesse Gaspésie Les Îles (CSN)

Intimé de première part

 

Syndicat du personnel de réadaptation du Centre jeunesse Gaspésie

Les Îles (CSQ) 

 

Intimé de deuxième part

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 22 juin 2010, le Centre Jeunesse Gaspésie/Les Îles (le Centre), dépose une requête en vertu de l’article 39 du Code du travail , L.R.Q., c. C-27 (le Code) afin que la Commission déclare que le poste détenu par madame Cathy Cassivi est couvert par l’unité de négociation du Syndicat des employés du Centre jeunesse Gaspésie Les Îles (CSN), ci-après Syndicat CSN, et non pas par le Syndicat du personnel de réadaptation du Centre jeunesse Gaspésie Les Îles (CSQ), ci-après Syndicat CSQ.

[2]            Comme il n’y a que trois syndicats au Centre, l’exception de l’article 70 de la Loi concernant les unités de négociation dans le secteur des Affaires sociales , L.R.Q., c. U-0.1, s’applique et les unités de négociation peuvent regrouper des postes qui sont parfois similaires.

[3]            En 1998, le Centre affiche un poste d’agent de relations humaines responsable de l’intégration du système clientèle jeunesse. Personne ne pose sa candidature.

[4]            Après coup, madame Élise Allard, éducatrice visée par l’unité du Syndicat CSQ, se montre intéressée et on lui octroie le poste de façon temporaire. En mars 2003, une entente est signée entre le Centre et le Syndicat CSQ pour régulariser, en quelque sorte, la situation de madame Allard, et on prolonge la durée de son travail pour encore quelques mois.

[5]            En septembre 2003, l’employeur affiche ce poste dans l’unité CSQ et madame Allard l’obtient.

[6]            Quelques années plus tard, madame Allard prend sa retraite. Il y a alors des discussions entre l’employeur et les deux syndicats pour l’affichage de ce poste. Les parties en viennent à une entente et, au mois d’avril 2009, le poste est affiché dans les deux unités. Aucune candidature ne répond aux exigences de l’employeur. Il affiche donc à nouveau le 14 mai suivant, mais cette fois uniquement pour les salariés visés par l’accréditation CSN.

[7]            Le 2 juin, l’employeur avise les salariés que madame Cathy Cassivi obtient le poste.

[8]            Le 8 juin suivant, le Syndicat CSQ dépose un grief contestant les exigences particulières mentionnées à cet affichage. Il demande aussi à l’arbitre d’ordonner à l’employeur de reprendre le processus de sélection uniquement dans l’unité d’accréditation CSQ.

[9]            Le Syndicat CSQ dépose un autre grief le 26 juin 2009 dans lequel on peut y lire notamment :

Le ou vers le 3 avril 2009, l’Employeur a affiché un poste dont la description sommaire est, entre autres : « sous l’autorité de la direction de la protection de la jeunesse, la personne effectue toute démarche d’organisation et de coordination reliée à l’application du Projet d’intégration jeunesse (PIJ) » affichage portant le numéro 796;

À la suite d’une entente entre les syndicats CSQ et CSN et l’Employeur, l’affichage s’adressait aux détenteurs des titres d’emploi d’agent ou agente de planification, de programmation et de recherche, de technicien ou technicienne en assistance sociale et de technicien ou technicienne en éducation spécialisée représentés par les deux syndicats;

L’employeur a reçu quatre candidatures de salariés provenant du syndicat et une candidature provenant du syndicat CSN;

À la suite du processus de sélection, l’employeur n’a retenu aucune de ces candidatures sous prétexte qu’aucune ne répondait aux exigences;

À cet effet, le syndicat a déposé un grief contestant les exigences particulières de l’employeur;

Le ou vers le 14 mai 2009, l’employeur a procédé à un second affichage (numéro 800) pour le même poste, adressé uniquement aux titres d’emploi d’agent ou agente de planification, de programmation et de recherche et de technicien ou technicienne en assistance sociale;

L’employeur a diminué ses exigences particulières dans ce deuxième affichage, ce qui a permis à Cathy Cassivi, technicienne en assistance sociale, candidate au premier affichage qui n’avait pas été retenue, d’obtenir le poste;

Depuis que ce poste existe, il a toujours été occupé par Elise Allard, technicienne en éducation spécialisée, salariée membre du Syndicat qui quittera pour la retraite;

L’Employeur a contrevenu à la convention collective et a fait preuve de mauvaise foi et d’abus de pouvoir en ne procédant pas à l’affichage de ce poste dans l’unité de négociation du Syndicat des employés du Centre jeunesse Gaspésie / Les Îles - CSQ (FPSSS-CSQ) et en octroyant ledit poste à une technicienne en assistance sociale, après avoir modifié les exigences particulières de manière à ce qu’elle les rencontre.

(Reproduit tel quel)

[10]         Le Syndicat CSQ réclame donc l’annulation de cet affichage et le processus de sélection qui s’en est suivi et demande à ce que l’employeur reprenne le tout conformément à la convention collective CSQ seulement.

[11]         Les salariés visés par l’unité du Syndicat CSQ se retrouvent surtout dans les unités de réadaptation de la direction des services d’hébergement. La Loi sur les services de santé et services sociaux , S-4.2, prévoit à son article 84 ce qu’est un centre de réadaptation :

Centre de réadaptation.

84.   La mission d’un centre de réadaptation est d’offrir des services d’adaptation ou de réadaptation et d’intégration sociale à des personnes qui, en raison de leurs déficiences physiques ou intellectuelles, de leurs difficultés d’ordre comportemental, psychosocial ou familial ou à cause de leur alcoolisme ou autre toxicomanie, requièrent de tels services de même que des services d’accompagnement et de support à l’entourage de ces personnes.

[12]         Quant aux salariés visés par l’accréditation CSN, ils se retrouvent majoritairement à la Direction de la protection de la jeunesse et la Loi sur les services de santé et services sociaux , S-4.2, prévoit ce qui suit :

Centre de protection de l’enfance et de la jeunesse.

82 .   La mission d’un centre de protection de l’enfance et de la jeunesse est d’offrir dans la région des services de nature psychosociale, y compris des services d’urgence sociale, requis par la situation d’un jeune en vertu de la Loi sur la protection de la jeunesse (L.R.Q., chapitre P-34.1) et de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (L.C. 2002, ch. 1) ainsi qu’en matière de placement d’enfants, de médiation familiale, d’expertise à la Cour supérieure sur la garde d’enfants, d’adoption et de recherche des antécédents biologiques.

[13]         La personne qui occupe le poste litigieux est responsable du Projet intégration jeunesse, le PIJ. Un document de l’employeur le définit de la façon suivante :

Projet intégration jeunesse; acronyme : PIJ

Cet outil intègre trois systèmes informatiques relatifs à la clientèle des centres jeunesse (l’enfant et ses parents). PIJ gère les informations relatives aux usagers, les services qu’ils reçoivent, le processus d’intervention dans lequel ils sont engagés, les ressources d’hébergement qu’ils utilisent et les mesures légales qui les concernent. PIJ permet aussi de gérer la contribution financière relative au placement des jeunes mineurs (famille d’accueil).

Il contient l’ensemble de l’information disponible sur l’enfant et ses parents pour que tous les intervenants (travailleurs sociaux, éducateurs, etc.) et les gestionnaires aient accès, en tout temps, à des données fiables. Ils peuvent ainsi consulter rapidement le portrait détaillé des services utilisés par les jeunes et des mesures utilisées pour eux, qu’ils soient en processus d’adoption, en besoin de protection ou jeunes contrevenants.

[14]         Selon le témoignage de monsieur Stanley Smith, conseiller en ressources humaines au Centre, 90 % des tâches du processus PIJ sont faites par des employés visés par l’accréditation CSN. C’est pour cette raison que la direction en est venue à conclure que ce poste devait être rattaché à cette accréditation.

[15]         Tous les Centres jeunesse du Québec utilisent le système PIJ.

[16]         Ce système met en place un dossier unique pour l’enfant qui est vu par un des intervenants du Centre. La porte d’entrée du système PIJ est le volet protection de la jeunesse et par la suite, il peut arriver que la situation de l’enfant nécessite aussi une intervention de la direction des services d’hébergement, le volet réadaptation. Les principaux utilisateurs du système sont les intervenants psychosociaux, donc des salariés CSN. Cependant, madame Cassivi forme tous les utilisateurs, y compris ceux visés par l’accréditation CSQ.

[17]         Dans son témoignage, le président du Syndicat CSQ, monsieur Serge Curadeau, dont la candidature n’a pas été retenue, déclare que malgré ce qui est mentionné dans le grief de son syndicat, il n’y a pas eu de véritable entente sur le fait que le poste pouvait être affiché dans les deux unités. Il est d’avis que son syndicat n’a jamais renoncé à une éventuelle contestation si ce n’était pas un candidat CSQ qui était choisi.

[18]         À une question lui demandant pourquoi son syndicat n’avait pas déposé une requête en vertu de l’article 39 du Code en 2009, lors de l’attribution du poste, il a répondu qu’il ne croyait pas que cette mesure aurait apporté une réponse au problème.

Les motifs

[19]         L’unité de négociation du Syndicat CSN, accordée en 1976 pour le Centre de services sociaux de la Gaspésie et des Îles-de-la-Madeleine, se lit comme suit :

« Tous les salariés au sens du Code du travail à l’exclusion de la secrétaire du directeur général, du technicien en personnel et des étudiants qui viennent travailler au cours de leurs vacances d’été, des stagiaires envoyés par les écoles et pour des périodes limitées. »

[20]         Quant au Syndicat CSQ, l’unité se décrit comme suit pour son accréditation du 17 mars 1995 :

« Toutes les salariées et tous les salariés, au sens du Code du travail, du Centre de réadaptation Les Amets, à l’exception de la secrétaire de direction générale et de la secrétaire de direction des services administratifs. »

[21]         L’employeur visé à cette époque était le Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles-de-la-Madeleine.

[22]         Nous sommes en présence de deux accréditations dites générales. Lors de la création d’un nouveau poste, comme c’est le cas ici, cela pose problème puisqu’il faut identifier à quelle accréditation il est rattaché.

[23]         Lors de sa création, le poste litigieux n’a appartenu à aucune des deux unités. Puis, il a été attribué à l’unité CSQ, la preuve révélant que cette décision a été prise parce que la titulaire provenait de ce groupe de salariés.

[24]         Après le départ à la retraite de sa titulaire, le poste est affiché dans les deux unités de négociation, en avril 2009. Cet affichage est un échec. L’employeur révise ses exigences et affiche de nouveau le poste, mais cette fois dans l’unité CSN uniquement.

[25]         C’est à la suite de l’affichage dans les deux unités de négociation que le premier grief est déposé. Le Syndicat CSQ se plaint des exigences demandées pour le poste et réclame qu’il soit affiché dorénavant uniquement dans son unité de négociation.

[26]         L’employeur révise ses exigences et affiche de nouveau, mais cette fois-ci, seuls les salariés CSN peuvent soumettre leur candidature.

[27]         De nouveaux griefs sont déposés à la suite de cette décision de l’employeur. Jamais, cependant, les syndicats ne déposent de requête en interprétation à la Commission pendant cette période. Seul l’employeur le fait, compte tenu des conclusions recherchées par les griefs.

[28]         Qu’en est-il du poste occupé par madame Cassivi? Doit-on penser qu’il est visé par l’accréditation CSQ parce que les parties en ont ainsi convenu? Ce « comportement des parties » a-t-il force de chose jugée? Établit-il la portée intentionnelle de l’accréditation? Que faut-il conclure de l’inaction des syndicats à déposer une requête selon l’article 39 du Code? Quel argument peut-on tirer de l’affichage dans les deux unités en 2009?

[29]         Dans l’affaire Comité conjoint de Montréal de l’Union Internationale des ouvriers du vêtement pour dames c . Pantel inc. , T.T., Montréal, 500-28-000652-818, 17 septembre 1981, le juge Lesage du Tribunal du travail écrit :

En tout respect pour l’opinion contraire, il m’apparaît fondamental qu’un droit de négocier émanant d’une accréditation émise par l’autorité compétente, ne puisse être abandonné par l’effet d’une décision, consciente ou inconsciente, de l’association investie de ce droit d’ordre public.

Il s’ensuit que l’accréditation ne peut non plus être automatiquement modifiée par le comportement subséquent des parties. (…)

[30]         Puis, quelques années plus tard, le juge Morin, dans l’affaire Coopérative étudiante Laval c. Syndicat des travailleurs et travailleuses de la Coopérative étudiante Laval , 29 mars 1988, AZ-88147060 , s’exprime ainsi :

Il faut bien comprendre que ce n’est pas simplement parce qu’une des parties, voire même les deux, n’ont pas considéré telle personne couverte par le certificat d’accréditation, que cette dernière ne l’était pas.   Il peut fort bien arriver que sans raison juridique on considère une personne non incluse alors qu’elle l’est.   C’est évidemment avec beaucoup de prudence devant un texte d’accréditation à caractère général que l’on doit conclure à l’exclusion de certains types de fonctions. (…)

La décision du juge Lesage ( Union des chauffeurs de camions d’entrepôts et autres ouvriers, local 106 c. Syndicat des salariés de l’Entreposage Rougemont ltée (CSN) et Entreposage Rousemont ltée , 12 septembre 1984, AZ-505-64304) ne va pas, à mon avis, à l’encontre des principes qui se dégagent des autres décisions quant à la portée intentionnelle.  Il met, avec raison, l’accent sur le fait que l’accréditation est d’ordre public, que les oublis et les erreurs ne font pas droit (…).

Reste le comportement ultérieur des parties. Il est vrai que le syndicat aurait pu ou dû être beaucoup plus vigilant. Il est vrai que son comportement peut laisser croire qu’il n’entendait pas représenter les secrétaires à cette époque, mais cela n’est pas suffisant, dans le cadre précis de cette affaire, pour dire qu’une ambiguité valable se dégage du libellé de l’accréditation. Il s’agit ici, comme le souligne le juge LESAGE, bien que les faits ne soient pas du tout identiques, d’oublis et d’erreurs qui ne font pas droit. (…)

[31]         Ces principes sont repris dans Alliance du personnel professionnel et administratif de Ville de Laval c. Syndicat des employés de bureau en service technique et professionnel de Ville de Laval ( D.T.E. 97T-1357 ) où le Tribunal écrit :

(…) La conduite et singulièrement le comportement des parties ne peuvent en effet venir modifier la portée d’une telle accréditation car celle-ci possède un caractère d’ordre public, de sorte qu’une association ne peut renoncer à ses effets ni s’y soustraire par son comportement, fut-il négligent.

[32]         Puis, plus récemment, la Commission se prononce sur l’impact d’une entente entre les parties et l’argument de la chose jugée dans Syndicat national de l’automobile, de l’aérospatiale, du transport et des autres travailleurs(euses) du Canada (TCA-Canada) c. Les agences Kyoto ltée (St-Eustache Toyota) , 2006 QCCRT 0372  :

[15]      L’entente intervenue entre les parties en juin 2004 ne constitue pas chose jugée. Les tâches de Renaud Babin peuvent avoir évolué depuis la conclusion de cette entente. De plus, la Commission peut exclure de l’unité de négociation un salarié, et ce, même si les parties se sont entendues pour l’inclure dans l’unité. La détermination du statut de salarié est une question d’ordre public et l’accord des parties ne peut être prépondérant sur la loi. [Syndicat des professionnelles et les professionnels des affaires sociales du Québec (C.S.N.) c. Centre de réadaptation Montérégie inc., D.T.E. 92T-482 (T.T.); Syndicat des employés de l’Hôtel-Dieu de Lévis (C.S.N.) c. Hôpital Hôtel-Dieu de Lévis (1974) T.T. 67].

[33]         De tout cela, il faut conclure qu’une accréditation est d’ordre public et que les parties ne peuvent en modifier la portée. De plus, une association ne peut, même par un comportement négligent, renoncer à ses effets.

[34]         Seule la Commission peut déterminer si une personne est salariée au sens du Code et décider à quelle unité de négociation elle appartient.

[35]         La preuve démontre que les tâches effectuées par madame Cassivi relèvent davantage de l’accréditation détenue par le Syndicat CSN.

[36]         En effet, lorsque le Centre procède à sa première intervention avec un enfant, c’est la Direction de la protection de la jeunesse qui s’en charge, et qui, règle générale, fournit au système PIJ la majorité des données qui y sont contenues. Or, la Direction de la protection de la jeunesse est majoritairement représentée par le Syndicat CSN.

[37]         Comme la tâche de responsable implique une certaine proximité avec les administrateurs des systèmes informatisés et que ces derniers sont visés par l’accréditation du Syndicat CSN, il s’agit d’un élément supplémentaire à considérer.

[38]         Quant aux libellés eux-mêmes, rappelons que celui du Syndicat CSQ vise en tout premier lieu, un centre de réadaptation. Pour conclure que le poste occupé par madame Cassivi se rattache à cette accréditation, il faut que la raison d’être de celui-ci s’inscrive dans la prolongation de la mission originale du volet réadaptation. Ce qui n’a pas été démontré.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   la requête du Centre jeunesse Gaspésie/Les Îles ;

DÉCLARE                     que le poste de responsable du Projet intégration jeunesse détenu par Cathy Cassivi est inclus dans l’unité de négociation pour laquelle le Syndicat des employés du Centre jeunesse Gaspésie Les Îles (CSN) est accrédité.

 

 

 

 

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Louis Garant

 

M e Jean-Jacques Ouellet

Représentant du requérant

 

M me Claudine Desrosiers

Représentante de l’intimé de première part

 

M e Amélie Bélanger Wilson

BARABÉ CASAVANT

Représentante de l’intimé de deuxième part

 

Date de la dernière audience :

12 janvier 2011

 

/jb