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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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ARBITRAGE FORMEL |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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Date : |
8 avril 2011 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
ANDRÉ BERGERON |
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Société canadienne des postes, |
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ci-après appelée « la Société »
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Et
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Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, |
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ci-après appelé « le syndicat » |
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Grief n o 360-03-00783 de M. Jean Leduc Nature du litige : Sommes dues au plaignant à la suite de la décision du 11 juin 2008 |
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Convention collective : 2003-2007
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Procureur de la Société : Représentant de la Société : |
M e Richard Pageau M. Patrick Martel
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Procureur du syndicat : Représentant du syndicat : |
M e Claude Leblanc M. Carl Girouard |
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Audience : 17 janvier 2011, à Gatineau Décision : 8 avril 2011 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code canadien du travail) |
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[1] La présente décision porte sur les sommes dues à M. Jean Leduc [ci-après désigné « le plaignant »] à la suite de la décision que j’ai rendue le 11 juin 2008 et où j’ai substitué une suspension sans solde de deux mois au congédiement que lui avait imposé la Société le 16 juin 2006.
[2] L’audience de la présente affaire s’est tenue à Gatineau le 17 janvier 2011; M e Richard Pageau y représentait la Société et M e Claude Leblanc, le syndicat.
[3] Le 10 décembre 2008, j’ai rendu une décision portant sur une objection soulevée par le syndicat lors d’une audience portant sur d’autres griefs du plaignant que ceux qui ont fait l’objet de la décision du 11 juin 2008. J’y rapportais alors comme suit les faits qui sont pertinents à la présente affaire :
Le 9 juin 2006, l’employeur a suspendu M. Jean Leduc, le plaignant, « pour fin d’enquête concernant votre présence au 505 Boul. de la Gappe, Gatineau le 7 juin 2006 ».
Le 17 juillet 2006, le syndicat contestera cette mesure en déposant le grief n o 360-03-00824.
Le 16 juin 2006, l’employeur a congédié le plaignant pour le motif suivant, énoncé dans l’avis de congédiement :
Le 7 juin 2006 vous êtes allé au 505 de la Gappe et avez accédé à l’édifice en vous servant de vos clefs de la Société durant vos heures de travail et hors de votre itinéraire. Vous avez retiré du courrier sans permission et ceci en uniforme des Postes.
Le 20 juin 2006, le syndicat a contesté cette décision en déposant le grief n o 360-03-00783.
Le 26 juin 2006, l’employeur a transmis la lettre suivante au plaignant :
Cette lettre a pour but de vous aviser que la société canadienne des postes a reçu récemment d’autres informations à votre égard face à votre comportement sur vos heures de travail pour ce qui est de votre utilisation des clefs de la corporation pour avoir accès au 505 de la Gappe dans les jours précédent à votre congédiement. Je vous avise donc qu’à la lumière de cette nouvelle information, la Société Canadienne des Postes se réserve le droit de vous congédier de nouveau si après l’Arbitrage formel (Grief 360-03-00783) vous avez gain de cause.
[ Sic ]
Le 28 juin suivant, il lui a fait parvenir une nouvelle lettre, libellée en ces termes :
Mr. Leduc. Ceci fait suite à ma lettre du 26 juin 2008. Soyer aviser que les dates référer dans la lettre (mentionnée ci haut) sont le ou a peut près les 1, 2, 5, 6 et 7 juin 2006. À ces dates, vous avez accéder au 505 de la Gappe a Gatineau en utilisant vos clefs de Postes Canada sans autorisation et ce hors de votre parcoure.
Une copie de cette lettre sera déposée à votre dossier personnel.
[ Sic ]
Le 29 juin 2006, le syndicat a contesté ces deux lettres en déposant les deux griefs suivants :
Grief n o 360-03-00814
Énoncé : Par une lettre datée du 26 juin 2006 et signée par Patrick Martel, la société-employeur informe l’employé susnommé qu’il est congédié à compter du (sous réserve du congédiement du 16 juin 2006). Cette mesure est imposée sans cause juste, raisonnable et suffisante; de plus, elle est contraire à la convention collective.
Redressement
:
Conformément
à la convention collective, le Syndicat demande l’annulation de cette mesure et
la réinstallation immédiate de cet employé dans son poste et ses fonctions avec
le remboursement de son salaire et des autres sommes d’argent dont il a été
privé, y incluant tous les droits, privilèges et bénéfices monétaires que cela
comporte, ainsi que la réparation de tout préjudice subi par l’employé
susnommé. Le Syndicat demande de plus le paiement d’intérêts pour tout
redressement monétaire au taux prescrit par l’article
Grief n o 360-03-00815
Énoncé : La Société-employeur fait parvenir et consigne au dossier personnel de l’employé susnommé une lettre datée du 28 juin 2006 et signée par Patrick Martel, lui reprochant un présumé incident qui serait survenu le ou vers les 1, 2, 5, 6 et 7 juin 2006. Cette mesure est arbitraire et sans cause juste, raisonnable et suffisante. Elle est contraire à la convention collective.
Redressement : Conformément à la convention collective, le Syndicat demande que la société-employeur retirer la lettre susmentionnée du dossier personnel de l’employé susnommé et ce, sans préjudice. Le Syndicat se réserve le droit de demander tout autre redressement approprié selon les circonstances et sans limiter ce qui précède, tout autre redressement approprié suite à l’application abusive de cette sanction.
Le 8 septembre 2006, les parties m’ont désigné pour entendre les griefs susmentionnés et le 21 novembre suivant, la première journée d’audience relative à cette affaire s’est tenue à Gatineau.
Dès le début de cette journée d’audience, le procureur syndical a reconnu ma compétence pour entendre les griefs n os 360-03-00783 et 360-03-00824, contestant respectivement le congédiement du 16 juin 2006 et la suspension pour fins d’enquête du 9 juin 2006, mais s’est opposé à l’arbitrabilité des griefs n os 360-03-00814 et 360-03-00815 en faisant valoir que les avis qu’ils contestaient ne respectaient pas les termes de la convention collective et ne constituaient pas des avis de congédiement.
Les parties ont alors convenu de ne pas débattre immédiatement de cette question et de mettre en suspens ces deux griefs jusqu’à ce que je rende ma décision à l’égard des deux premiers griefs (n os 360-03-00783 et 00824).
Le 11 juin 2008, au terme de cinq journées d’audience, j’ai rendu une décision où, à la page 39, j’écrivais ce qui suit :
Dans son témoignage, le plaignant a quant à lui expliqué que le 7 juin 2006, il s’était rendu au 505, boulevard de la Gappe afin d’y laisser une lettre qu’il avait reçue chez lui et qui était destinée à M me Brunelle. Même si, dans l’ensemble, j’estime peu crédible le témoignage du plaignant - en raison des nombreuses contradictions et invraisemblances qu’il contenait - et même si je doute de cette explication qu’il a fournie, je dois néanmoins la retenir puisqu’aucune preuve à l’effet contraire ne la contredit.
Autrement dit, l’employeur n’a pas su démontrer que la version du plaignant était fausse et qu’il était animé d’une intention malveillante en utilisant sa clé de facteur pour pénétrer, le 7 juin 2006, dans le hall d’entrée de l’immeuble situé au 505, boulevard de la Gappe.
Ne reste donc finalement que le fait que le plaignant a utilisé sa clé de facteur pour pénétrer dans le hall d’entrée du 505, boulevard de la Gappe à des fins personnelles, soit d’y laisser une lettre appartenant à M me Brunelle.
Même si, comme je l’ai dit précédemment, un tel geste est répréhensible, puisque la Société ne remet pas ces clés à ses facteurs pour qu’ils les utilisent à de telles fins, il ne saurait, dans les seules circonstances révélées par la preuve, constituer une faute qui mérite le congédiement.
Dans les faits, j’estime qu’une suspension de deux mois aurait suffi pour faire comprendre au plaignant la gravité de sa faute et à l’amener à réaliser que toute récidive risquerait de mener au congédiement.
Pour tous ces motifs,
- JE REJETTE le grief n o 360-03-00824;
- J’ACCUEILLE partiellement le grief n o 360-03-00783;
- J’ANNULE le congédiement imposé au plaignant et y substitue une suspension sans solde de deux mois;
- J’ORDONNE à l’employeur de rembourser au plaignant toutes les sommes et autres avantages dont il a été privé, en y ajoutant les intérêts prévus par la loi, sous réserve des autres griefs dont je suis saisi et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un arbitrage;
- JE CONSERVE ma compétence sur l’application de la présente décision, en cas de mésentente entre les parties.
Le 20 juin 2008, à la suite de la réception de cette décision, l’employeur a fait parvenir la lettre suivante au plaignant :
La présente fait suite à la décision de l’Arbitre André Bergeron relativement à votre grief (360-03-0783), décision reçue à nos bureaux le 18 juin dernier et par laquelle celui-ci décidait de vous imposer une suspension de deux mois pour vos actions du 7 juin 2006.
Tel que mentionné dans la lettre que monsieur Patrick Martel vous expédiait le 26 juin 2006, la Société canadienne des postes se réservait le droit de vous congédier à nouveau pour votre comportement sur vos heures de travail pour ce qui est de votre utilisation des clefs de la corporation pour avoir accès au 505 de la Gappe dans les jours précédent votre congédiement, information portée à notre connaissance le 17 juin 2006.
Lors de ces événements vous avez utilisé les clefs de la Société canadienne des postes afin d’accéder au 505 de la Gappe pour un motif ne relevant pas de vos fonctions et avez été vu quittant les lieux avec du courrier à au moins une occasion alors que cette adresse ne fait pas partie de votre itinéraire ni de votre secteur.
Vu ce qui précède, nous avons décidé de procéder à votre congédiement et ce à compter du 17 août 2006, date à laquelle s’est terminée la condition suspensive prévue dans la lettre que vous adressait monsieur Patrick Martel, puisque par ces gestes vous avez irrémédiablement rompu le lien de confiance nécessaire au maintien de votre emploi de facteur à la Société canadienne des postes.
Une copie de cette lettre sera déposée à votre dossier personnel.
Le 25 juin suivant, le syndicat a contesté cette lettre en déposant le grief n o 360-07-00580 qui se lit comme suit :
Énoncé : Par une lettre datée du 20 juin 2008 et signée par Jean-Marc Chrétien, la société-employeur informe l’employé(e) susnommé(e) qu’il(elle) est congédié(e) à compter du 17 août 2006. Cette mesure est imposée sans cause juste, raisonnable et suffisante; de plus, elle est contraire à la convention collective.
Redressement
:
Conformément
à la convention collective, le Syndicat demande l’annulation de cette mesure et
la réinstallation immédiate de cet(te) employé(e) dans son poste et ses
fonctions avec le remboursement de son salaire et des autres sommes d’argent
dont il(elle) a été privé(e), y incluant tous les droits, privilèges et
bénéfices monétaires que cela comporte, ainsi que la réparation de tout
préjudice subi par l’employé(e) susnommé(e). Le Syndicat demande de plus le
paiement d’intérêts pour tout redressement monétaire au taux prescrit par
l’article
Le 9 juillet 2008, les parties m’ont informé de leur intention de soumettre à l’arbitrage les deux griefs jusque là en suspens (n os 360-03-00814 et 00815) et d’ajouter à mon mandat le grief qu’avait déposé le syndicat le 25 juin précédent.
Une première journée d’audience s’est tenue le 8 octobre 2008, au début de laquelle le procureur syndical a formulé plus précisément l’objection qu’il avait annoncée le 21 novembre 2006, lors de l’arbitrage des griefs n os 360-03-00783 et 00824.
II- L’OBJECTION SYNDICALE
L’objection syndicale s’appuie sur les paragraphes 10.02 a) et b) de la convention collective, qui se lisent comme suit :
10.02 Dossier personnel
a) La société convient qu’il ne doit exister qu’un seul dossier personnel pour chaque employée et employé et qu’aucun rapport relatif à la conduite ou au rendement de celle-ci ou de celui-ci ne pourra être invoqué contre elle ou lui, ni dans la procédure de règlement des griefs, ni à l’arbitrage, si ledit rapport ne fait pas partie du dossier.
b) Aucun rapport ne peut être versé au dossier ni en faire partie à moins qu’un exemplaire de ce document n’ait été transmis à l’employée ou l’employé en question dans les dix (10) jours civils suivant la date de la présumée infraction, de la date à laquelle la Société en a pris connaissance ou de la présumée source de mécontentement de la Société à son sujet.
Le procureur syndical soutient plus précisément que les lettres des 26 et 28 juin 2006 ne constituent pas des avis de congédiement, que seule la lettre du 20 juin 2008 constitue l’avis de congédiement, mais qu’en vertu du paragraphe 10.02 b) de la convention collective, cet avis est tardif, les fautes reprochées étant prescrites.
Les parties ont convenu de demander à l’arbitre de rendre une décision sur cette objection avant de procéder au fond.
[4] Après avoir étudié les prétentions des parties et la jurisprudence déposée par les procureurs à leur soutien, je concluais :
Pour les fins du présent dossier, je retiens tout particulièrement l’affirmation du président suppléant Mitchell selon laquelle « l’employeur doit agir dans un délai raisonnable, eu égard aux circonstances de chaque affaire ».
Plus récemment, dans une décision rendue à l’égard de l’affaire Collins & Aikman Canada inc. [1] , l’arbitre Faucher a sensiblement tenu les mêmes propos, cette fois-ci à l’égard d’une mesure administrative. À la page 30 de sa décision, elle écrivait :
La convention collective n’impose aucun délai pour appliquer une mesure administrative. Dans ces circonstances, l’employeur se devait d’imposer cette mesure dans un délai raisonnable. Il n’y a pas véritablement de barème de ce qui constitue ou non un délai raisonnable. Chaque cas est un cas d’espèce qui doit être évalué à son mérite. […]
En l’espèce, la contestation syndicale ne porte pas sur le délai qui s’est écoulé entre le moment où l’employeur a eu connaissance des incidents reprochés et celui où il en a informé le plaignant, mais plutôt sur le délai qui a suivi avant que l’employeur ne lui fasse connaître sa décision de le congédier.
Si les prescriptions du paragraphe 10.02 b) ont été respectées, les droits du plaignant à une défense pleine et entière ont été protégés, puisque l’employeur a énoncé de manière suffisamment claire les faits qui avaient été portés à sa connaissance et qui lui semblaient répréhensibles.
Si cela n’était pas le cas, le procureur syndical pouvait toujours présenter une requête pour détails, comme l’écrivait le président suppléant Mitchell dans l’affaire Williams citée par l’arbitre Swan dans l’affaire Société canadienne des postes .
Pour répondre à l’objection syndicale, il ne me reste donc qu’à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, le délai de deux ans qui s’est écoulé avant que l’employeur fasse savoir au plaignant qu’il le congédiait pour les agissements qu’il lui avait reprochés dans ses lettres des 26 et 28 juin 2006, est déraisonnable.
J’insiste sur l’importance de tenir compte de toutes les circonstances de l’affaire, parce qu’en l’espèce, les circonstances sont particulières, tellement particulières qu’on n’en retrouve de semblables dans aucune des décisions déposées par les parties.
En effet, aucune des affaires soumises par les parties ne soulève le cas d’un salarié que l’employeur aurait voulu congédier alors qu’il était déjà congédié.
À mon avis, cette circonstance particulière revêt une grande importance pour bien juger de la raisonnabilité du délai qui s’est écoulé entre le 28 juin 2006 et le 20 juin 2008, date où l’employeur a informé le plaignant qu’il le congédiait de nouveau.
Il est vrai, comme l’a fait valoir le procureur syndical, que dès le 26 juin 2006, l’employeur aurait pu informer le plaignant que les fautes qu’il venait de découvrir et dont il l’informait l’amenaient à le congédier de nouveau pour de nouveaux motifs.
À cet égard, il est intéressant de rappeler que dans le grief qui conteste la lettre du 26 juin 2006, le syndicat écrit : « par une lettre datée du 26 juin 2006 et signée par Patrick Martel, la société-employeur informe l’employé susnommé qu’il est congédié à compter du (sous réserve du congédiement du 16 juin 2006) ».
Le syndicat avait donc bien compris que si l’arbitre annulait le premier congédiement, l’employeur avait l’intention de congédier de nouveau le plaignant et dans les circonstances, je ne vois pas comment il pourrait maintenant prétendre que le délai occasionné par le premier arbitrage a créé quelque préjudice que ce soit à ce dernier.
Dans toute autre circonstance que celles de la présente affaire, j’aurais aisément conclu qu’un délai de deux ans entre le moment où l’employeur a informé son salarié des fautes qu’il lui reprochait et le moment où il l’a sanctionné pour ces fautes était largement déraisonnable.
En l’espèce, toutefois, comme je viens de l’expliquer, les circonstances m’empêchent d’en venir à cette conclusion.
Pour tous ces motifs, je rejette l’objection syndicale et je demeure à la disposition des parties pour entendre le fond du litige.
[5] Le 13 août 2009, à la suite de cette décision et des deux journées d’audience sur le fond qui ont suivi, j’ai rendu une décision où - après avoir refusé de faire droit à un moyen préliminaire du syndicat fondé sur la prescription - j’ai rejeté en ces termes les griefs du plaignant et maintenu son congédiement :
La preuve a démontré que les 1 er , 2, 5 et 6 juin 2006, le plaignant a utilisé ses clés de facteur pour pénétrer dans l’immeuble situé au 505, boulevard de la Gappe, alors que cet immeuble ne se trouve pas sur son parcours et que ce n’est pas pour le travail qu’il s’y est rendu.
Dès lors, il appartenait au plaignant de fournir une explication plausible de sa présence dans cet immeuble et de l’utilisation de ses clés de facteur pour y entrer.
En l’espèce, le plaignant a expliqué qu’il voulait récupérer la mise en demeure adressée à M me Brunelle - son ex-conjointe habitant au 505, boulevard de la Gappe - et mise à la poste le 31 mai, geste qu’il avait regretté dès le lendemain, 1 er juin.
Il a ajouté s’être une première fois présenté au 505, boulevard de la Gappe le 1 er juin, afin de s’assurer que sa clé de facteur lui permettait d’ouvrir le panneau donnant accès aux cases postales des résidents, puis les 2 et 5 afin de tenter, vainement, de récupérer sa mise en demeure, et finalement le 6 juin, à 13 h 33 - soit pendant ses heures de travail -, alors qu’il a finalement pu reprendre sa mise en demeure.
L’employeur n’a pas cru l’explication du plaignant et l’a congédié. Ce dernier a déposé un grief pour contester cette décision et, à la lumière de la preuve présentée, je ne peux que donner raison à l’employeur.
Que l’intention de récupérer la mise en demeure qu’il avait adressée à M me Brunelle ait été le véritable motif du plaignant ou non importe peu, puisqu’en agissant comme il l’a fait, ce dernier s’est rendu coupable de vol de courrier, délit qui justifie pleinement la Société de congédier le facteur qui le commet.
À partir du moment où la lettre qu’il avait mise à la poste s’est retrouvée dans la boîte aux lettres de M me Brunelle, elle appartenait à cette dernière.
Ouvrir le panneau donnant accès aux cases postales des résidents d’un immeuble pour prendre une lettre appartenant à M me Brunelle ou ouvrir la porte de l’appartement de cette dernière pour y prendre une lettre revient à la même chose et doit entraîner les mêmes conséquences.
Si le plaignant voulait récupérer cette lettre, il devait s’adresser à M me Brunelle. Il ne pouvait pas se rendre chez elle, entrer dans l’immeuble en utilisant la clé que la Société met à sa disposition pour accomplir son travail, ouvrir le panneau donnant accès aux cases postales des résidents en utilisant une autre clé appartenant à la Société, prendre la lettre qui se trouvait dans le casier de M me Brunelle et quitter l’immeuble avec cette lettre.
Or, c’est précisément ce que le plaignant a expliqué avoir fait et cela constitue indéniablement un vol au sens usuel du terme.
Sur la question, je me permets de rapporter les propos suivants, tenus par l’arbitre Morency à la page 21 de la décision qu’il a rendue à l’égard de l’affaire Chicoutimi Chrysler Plymouth (1990) inc. :
Les tribunaux d’arbitrage, face à de semblables situations, n’ont pas hésité à reconnaître que toute action faite de mauvaise foi et dans le but de tromper, tels le vol et la fraude, associée à la préméditation et au mensonge, représente des fautes exceptionnelles qui méritent une sanction exceptionnelle. .On a jugé d’emblée qu’un tel comportement sape la base des relations contractuelles, soit la confiance mutuelle qui doit prévaloir entre l’employeur et le salarié. […]
Dans la présente affaire, le plaignant a affirmé avoir vainement tenté à trois reprises de récupérer sa lettre avant d’y parvenir, le 6 juin 2006. Il serait difficile de prétendre qu’il n’y a pas eu préméditation!
Par ailleurs, il a commis ce vol de courrier vêtu de son uniforme de facteur, mettant en péril la réputation des services postaux offerts par son employeur, ce qui aggrave d’autant la gravité de la faute qu’il a commise.
Dans sa plaidoirie, le procureur syndical a invoqué l’affaire Société canadienne des postes (grief Leblanc) pour soutenir que le vol de courrier n’entraînait pas automatiquement le congédiement du salarié qui s’en rend coupable.
Au paragraphe 26 de la décision se rapportant à cette affaire, l’arbitre Morin écrit :
Toutefois, ce cas n’en est pas un de vol au sens ordinaire des termes. Il a pris un bien qui ne lui était pas destiné et l’a remis à son destinataire mais en insistant pour se faire rembourser une partie de l’argent que lui devait Michel Gogue.
En l’espèce, les faits sont donc bien différents, puisque le plaignant n’a jamais eu l’intention de remettre à M me Brunelle la lettre qui lui était destinée et qui lui appartenait, puisqu’elle se trouvait dans sa case postale.
Bien au contraire, toutes les démarches que le plaignant a effectuées étaient destinées à empêcher M me Brunelle de prendre possession d’une lettre qui lui était destinée et le fait que ce dernier ait été l’expéditeur de cette lettre n’atténue aucunement la gravité du geste qu’il a posé.
J’estime donc que l’employeur était pleinement justifié de considérer qu’il ne pouvait plus faire confiance au plaignant et de le congédier.
Pour tous ces motifs, les griefs n os 360-03-00814, 00815 et 360-07-00580 sont rejetés.
[6] C’est à la suite de cette décision, rendue le 13 août 2009, que les parties m’ont informé, le 10 novembre 2010, qu’un litige subsistait à l’endroit de la décision que j’avais rendue, le 11 juin 2008 et où j’avais substitué une suspension sans solde de deux mois au congédiement qui avait été imposé au plaignant le 16 juin 2006 : les parties ne parvenaient pas à s’entendre sur les sommes dues au plaignant à la suite de cette décision, le syndicat prétendant que la Société devait rembourser au plaignant « les sommes qu’auraient reçues [ce dernier] pour la période comprise entre le 17 août 2006 et le 20 juin 2008, le tout avec intérêts » et la Société soumettant qu’aucune somme ne lui était due, puisqu’il avait de nouveau fait l’objet d’un congédiement, cette fois maintenu par l’arbitre, et ce, dès la fin de sa suspension sans solde le 17 août 2006.
[7] Le procureur syndical a d’abord rappelé que le désaccord entre les parties découle de la décision arbitrale du 11 juin 2008 où j’ai substitué au congédiement initial du plaignant, une suspension sans solde de deux mois, entre le 16 juin et le 16 août 2006.
[8] Le procureur syndical a ensuite admis que pour cette période, la Société ne devait aucune somme au plaignant, mais a soutenu qu’elle devait lui rembourser le salaire et les autres avantages auxquels il aurait eu droit s’il avait été au travail entre le 17 août 2006, date de la fin de sa suspension sans solde, et le 20 juin 2008, date à laquelle la Société l’a congédié de nouveau.
[9] Le procureur syndical a reconnu qu’en l’espèce, « c’était tout ou rien » : selon lui, l’arbitre devait soit conclure que la Société ne doit rien au plaignant, soit conclure que ce dernier a droit au salaire et à tous les avantages dont il a été privé entre le 17 août 2006 et le 20 juin 2008.
[10] Au soutien de ses prétentions, le procureur syndical a invoqué la décision partielle que j’ai rendue le 10 décembre 2008 à l’égard des griefs n os 360-03-00814 et 00815 et au sujet desquels j’écrivais, dans ma première décision : « j’ordonne à l’employeur de rembourser au plaignant toutes les sommes et autres avantages dont il a été privé en y ajoutant les intérêts prévus par la loi, sous réserve des autres griefs dont je suis saisi et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un arbitrage ».
[11] Rappelant que c’est à la suite de cette première décision que la Société a de nouveau congédié le plaignant, le 20 juin 2008, « et ce à compter du 17 août 2006, date à laquelle s’est terminée la condition suspensive prévue dans la lettre que vous adressait monsieur Patrick Martel […] », le procureur syndical a fait valoir que je ne pouvais donc pas, dans ma première décision, avoir tenu compte de cette lettre que le plaignant a d’ailleurs contestée par grief, grief que j’ai finalement rejeté le 13 août 2009.
[12] Dès lors, selon lui, les sommes dues au plaignant à la suite de ma décision du 11 juin 2006, ne doivent être calculées qu’en tenant compte des seules lettres de la Société qui ont donné lieu aux griefs n os 360-03-00814 et 00815 ce qui exclut la lettre du 20 juin 2008.
[13] Or, de rappeler le procureur, jamais la Société n’a-t-elle écrit, dans ses lettres des 26 et 28 juin 2006, qu’elle congédiait de nouveau le plaignant, se contentant de préciser qu’elle « se réserv[ait] le droit de [le congédier de nouveau si après l’arbitrage formel (grief 360-03-00783) [il avait] gain de cause ».
[14] Dans les faits, d’indiquer le procureur, la Société n’informera le plaignant que le 20 juin 2008 qu’elle le congédie de nouveau, ce que cette dernière a d’ailleurs reconnu, comme en fait foi l’extrait suivant de la décision que j’ai rendue le 10 décembre 2008 :
Par ailleurs, a ajouté le procureur, la convention collective n’impose aucun délai à l’employeur pour imposer une mesure disciplinaire et, en pareil cas, c’est donc la notion de délai « raisonnable » qui doit trouver application. Dans les circonstances, à son dire, la seule question qui se pose est celle de savoir si l’avis de congédiement du 20 juin 2008 respecte cette notion de délai « raisonnable », compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
En l’espèce, a fait valoir le procureur, l’employeur a fait connaître en temps opportun au plaignant les nouvelles infractions qu’il lui reprochait, mais il n’était pas pertinent de le congédier une seconde fois avant de connaître le sort du grief contestant le congédiement du 16 juin 2006.
Au dire du procureur patronal, ce n’est qu’après que l’arbitre eut accueilli ce grief et que le plaignant eut réintégré ses fonctions qu’il devenait utile de l’informer qu’eu égard aux infractions qu’il lui avait reprochées les 26 et 28 juin 2006, l’employeur avait décidé de le congédier de nouveau. Selon lui, il était inutile de le faire plus tôt, puisque le plaignant était déjà congédié.
[…]
Au dire du procureur patronal, la première occasion à laquelle l’employeur pouvait congédier de nouveau le plaignant s’est présentée lorsque ce dernier a réintégré ses fonctions, puisqu’avant la sentence arbitrale du 11 juin 2008, il n’était plus à son emploi.
[15] Le procureur syndical a d’autre part fait valoir, en s’appuyant sur les extraits suivants de la décision du 10 décembre 2008, qu’il existe un constat judiciaire selon lequel la Société a de nouveau congédié le plaignant le 20 juin 2008, et non, comme cette dernière le prétend, le 17 août 2006.
Après avoir ainsi protégé le droit du salarié à une défense pleine et entière, l’employeur peut réfléchir à la sanction qu’il entend imposer à ce dernier et, comme la convention collective ne lui impose aucun délai à ce sujet, il bénéficie, selon un courant jurisprudentiel majoritaire, d’un délai « raisonnable » pour ce faire, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
[…]
En l’espèce, la contestation syndicale ne porte pas sur le délai qui s’est écoulé entre le moment où l’employeur a eu connaissance des incidents reprochés et celui où il en a informé le plaignant, mais plutôt sur le délai qui a suivi avant que l’employeur ne lui fasse connaître sa décision de le congédier.
[…]
Pour répondre à l’objection syndicale, il ne me reste donc qu’à déterminer si, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, le délai de deux ans qui s’est écoulé avant que l’employeur fasse savoir au plaignant qu’il le congédiait pour les agissements qu’il lui avait reprochés dans ses lettres des 26 et 28 juin 2006, est déraisonnable.
[…]
À mon avis, cette circonstance particulière revêt une grande importance pour bien juger de la raisonnabilité du délai qui s’est écoulé entre le 28 juin 2006 et le 20 juin 2008, date où l’employeur a informé le plaignant qu’il le congédiait de nouveau.
Il est vrai, comme l’a fait valoir le procureur syndical, que dès le 26 juin 2006, l’employeur aurait pu informer le plaignant que les fautes qu’il venait de découvrir et dont il l’informait l’amenaient à le congédier de nouveau pour de nouveaux motifs.
[…]
Dans toute autre circonstance que celles de la présente affaire, j’aurais aisément conclu qu’un délai de deux ans entre le moment où l’employeur a informé son salarié des fautes qu’il lui reprochait et le moment où il l’a sanctionné pour ces fautes était largement déraisonnable.
[16] Le 20 juin 2008, d’ajouter le procureur, la Société a décidé d’invoquer une condition suspensive inexistante dans la lettre du 26 juin 2006 de M. Martel, pour imposer au plaignant un congédiement rétroactif au 17 août 2006. Or, a-t-il soutenu, tant l’article 10 de la convention collective que la jurisprudence interdisent une telle pratique.
[17] Au soutien de ses prétentions, le procureur syndical a déposé les autorités rapportées à l’annexe « A » de la présente décision.
[18] Comme on l’a vu, la Société soutient qu’elle n’a aucune somme à rembourser au plaignant, en vertu de ma décision du 11 juin 2008, et ce, tout simplement parce qu’elle l’a de nouveau congédié à l’expiration de la suspension sans solde de deux mois, le 16 août 2006.
[19] Dans sa plaidoirie, le procureur a rappelé les circonstances très particulières de cette affaire que j’ai résumées dans ma décision du 10 décembre 2008
[20] Selon le procureur, la Société ne pouvait congédier de nouveau le plaignant le 26 juin 2006, puisque ce dernier n’était plus à son emploi depuis le 16 juin précédent. C’est pour ce motif, a-t-il ajouté, que la Société a invoqué une condition suspensive pour justifier le fait qu’il ait dû attendre la décision de l’arbitre sur le grief contestant le premier congédiement du plaignant, avant de pouvoir congédier de nouveau ce dernier.
[21] Le syndicat l’a d’ailleurs lui-même reconnu, a ajouté le procureur, comme en fait foi l’extrait suivant de la décision que j’ai rendue le 10 décembre 2008 :
À cet égard, il est intéressant de rappeler que dans le grief qui conteste la lettre du 26 juin 2006, le syndicat écrit : « par une lettre datée du 26 juin 2006 et signée par Patrick Martel, la société-employeur informe l’employé susnommé qu’il est congédié à compter du (sous réserve du congédiement du 16 juin 2006) ».
Le syndicat avait donc bien compris que si l’arbitre annulait le premier congédiement, l’employeur avait l’intention de congédier de nouveau le plaignant et dans les circonstances, je ne vois pas comment il pourrait maintenant prétendre que le délai occasionné par le premier arbitrage a créé quelque préjudice que ce soit à ce dernier. [p. 13]
[22] Le 26 juin 2008, au dire du procureur, la Société a donc congédié le plaignant rétroactivement au 17 août 2006, et ce, en raison du caractère particulier de la présente affaire.
[23] Subsidiairement, le procureur patronal a soutenu que l’arbitre avait l’obligation de replacer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées le 17 août 2006, si la Société n’avait pas initialement congédié le plaignant, mais lui avait uniquement imposé une suspension sans solde de deux mois.
[24] Or, au dire du procureur, la situation aurait été telle - lors du retour au travail du plaignant, le 17 août 2006 - que la Société l’aurait aussitôt congédié, ce qu’elle n’a pu faire en l’espèce avant de recevoir la décision de l’arbitre, le 18 juin 2008, puisque le 17 août 2006, le plaignant n’était déjà plus à son emploi.
[25] Invoquant la décision rendue par la Cour d’appel à l’égard de l’affaire Lapointe c. Morin [2] , le procureur de la Société a affirmé que le caractère particulier de la présente affaire autorisait l’arbitre à faire preuve de créativité pour conclure que la décision prise par la Société le 20 juin 2008 devait avoir un effet rétroactif au 17 août 2006.
[26] Relativement à la prétention de la Société selon laquelle elle ne pouvait congédier de nouveau le plaignant avant juin de 2008 parce que ce dernier n’était alors plus à son emploi, le procureur syndical a rappelé que les 26 et 28 juin 2006, le plaignant n’était pas davantage à l’emploi de la Société, puisque celle-ci l’avait congédié le 16 juin précédent.
[27] Si l’on suit le raisonnement de la Société, les lettres des 26 et 28 juin 2006 seraient donc sans valeur, de soutenir le procureur syndical, avant d’ajouter qu’il est impossible de plaider une chose et son contraire.
[28] Quant à la prétention patronale selon laquelle l’arbitre a le devoir de remettre les parties dans l’état où elles se seraient trouvées si la Société n’avait pas initialement congédié le plaignant, le procureur du syndicat soutient que c’est exactement ce qu’il a fait en l’espèce, en réintégrant ce dernier au travail à compter du 17 août 2006.
[29] Le procureur syndical a finalement affirmé qu’il était faux de prétendre que la Société ne pouvait pas congédier de nouveau le plaignant le 26 juin 2006, après l’avoir déjà congédié le 16 juin.
[30] Dans la décision que j’ai rendue le 11 juin 2008, j’ai partiellement accueilli le grief contestant le premier congédiement du plaignant, en y substituant une suspension sans solde de deux mois et en ordonnant à la Société « de rembourser au plaignant toutes les sommes et autres avantages dont il a été privé, en y ajoutant les intérêts prévus par la loi, sous réserve des autres griefs dont je suis saisi et qui n’ont pas encore fait l’objet d’un arbitrage ». Ces derniers griefs, rappelons-le, contestaient les lettres des 26 et 28 juin 2006.
[31] L’arbitrage de ces deux derniers griefs n’ayant alors pas encore eu lieu, je ne pouvais présumer de la portée des lettres contestées, ni du sort des griefs qui les contestaient.
[32] À la suite de leur arbitrage et de la décision que j’ai rendue le 11 juin 2008, la Société a décidé, le 20 juin suivant, de congédier de nouveau le plaignant en lui écrivant que cette décision prenait effet le « 17 août 2006, date à laquelle s’est terminée la condition suspensive prévue dans la lettre que [lui] adressait Monsieur Patrick Martel », le 26 juin 2006.
[33] Le 25 juin 2008, le syndicat a contesté ce deuxième avis de congédiement en déposant le grief numéro 360-07-00580.
[34] Le 9 juillet 2008, les parties m’ont informé de leur intention de soumettre à l’arbitrage les deux griefs jusque-là en suspens (360-03-00814 et 00815) et d’ajouter à mon mandat le grief qu’avait déposé le syndicat le 25 juin précédent et contestant l’avis de congédiement du 20 juin 2008.
[35] Lors de la première journée d’audience, tenue le 6 novembre 2008, le procureur syndical a soutenu « que les lettres du 26 et 28 juin 2006 ne constitu[ai]ent pas des avis de congédiement , que seule la lettre du 20 juin 2008 constitu[ait] l’avis de congédiement, mais qu’en vertu du paragraphe 10.02 b) de la convention collective, cet avis [était] tardif, les fautes reprochées étant prescrites ».
[36] Le 10 décembre suivant, j’ai rendu ma décision sur ce moyen préliminaire en concluant que les lettres des 26 et 28 juin 2006 ne constituaient pas des avis de congédiement et que seule la lettre du 20 juin 2008 constituait le second avis de congédiement du plaignant.
[37] J’ai par ailleurs conclu - puisque la Société avait affirmé, dans sa lettre du 26 juin 2006, qu’elle se réservait le droit de congédier de nouveau le plaignant si l’arbitre accueillait le grief contestant le premier congédiement - que les lettres des 26 et 28 juin 2006 se trouvaient à énoncer les motifs de cet éventuel nouveau congédiement. De ce fait, la Société respectait les prescriptions du paragraphe 10.02 de la convention collective, puisque je concluais également que le délai écoulé entre le 26 juin 2006 et le 20 juin 2008 n’était pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
[38] Bref, il était évident que seule la lettre du 20 juin 2008 constituait le second avis de congédiement du plaignant.
[39] Aux fins du débat qui nous occupe maintenant, la seule question véritable qui se pose est donc celle de la rétroactivité de l’avis de congédiement du 20 juin 2008. Autrement dit, la Société pouvait-elle, le 20 juin 2008, congédier le plaignant rétroactivement au 17 août 2006?
[40] Selon la Société, les circonstances particulières de la présente affaire permettent de répondre par l’affirmative à la question. Sur le sujet, le procureur patronal a expliqué que le 26 juin 2006, la Société ne pouvait congédier de nouveau le plaignant, puisque ce dernier ne travaillait plus pour elle depuis le 16 août précédent, date de son premier congédiement.
[41] Pour ma part, je désire d’abord signaler que la jurisprudence portant sur des affaires opposant les mêmes parties qu’en l’espèce révèle que le droit de congédier rétroactivement un salarié n’existe pas.
[42] Ainsi, dans la décision qu’il a rendue le 9 janvier 1992 relativement à l’affaire Finn [3] , l’arbitre Swan écrivait:
Le procureur de la Société a fait remarquer que si la Société avait tenté, après que la convention collective ait été [ sic ] remise en vigueur, de congédier un employé rétroactivement à une date à laquelle la convention collective ne s’appliquait plus, aucun arbitre ne lui aurait permis d’échapper ainsi à ses obligations en vertu de la convention collective. Par conséquent, le procureur a soutenu que je ne devais pas prendre au sérieux le caractère rétroactif de la lettre de congédiement et que je devais tenir pour acquis que le congédiement avait pris effet à la date à laquelle la lettre a été rédigée et expédiée.
Voilà une question difficile à trancher mais j’en suis finalement venu à la conclusion qu’il y a une différence entre les faits survenus dans notre affaire et l’exemple donné par le procureur de la Société. Il est tout à fait possible que cette tentative de rendre rétroactif un congédiement , ce qui selon mon expérience est relativement fréquent dans les relations que la Société entretient avec ses employés, soit en fait contraire aux dispositions de la convention collective. Sans rendre de décision sur cette question, je constate simplement que la clause 10.01 a) stipule qu’aucune mesure disciplinaire ne peut être imposée à un employé « sans que lui soit remis au préalable ou en même temps » un avis écrit des motifs à la source des mesures disciplinaires. Ainsi, dans l’exemple donné par le procureur de la Société, le fait de tenter de congédier rétroactivement un employé violerait clairement la convention collective qui serait alors en vigueur et constituerait une mesure dissuasive suffisante.
[Soulignements ajoutés]
[p. 14 et 15]
[43] Deux mois plus tard, le 20 mars, l’arbitre Edward N. Joliffe écrivait pour sa part ce qui suit dans la décision concernant l’affaire Tcherniavsky [4] :
Le procureur soutient encore une fois qu’un congédiement prend effet au moment où le texte du congédiement est rédigé, ce jour même, à une date antérieure ou à une date ultérieure selon ce qui y est spécifié. À mon avis, les termes de la clause 10.01 a) sont très clairs et non ambigus. La mesure disciplinaire ne peut avoir d’effet avant qu’elle ait été communiquée et reçue par l’employé . Les termes de la clause 10.01 a) exigent que l’employé reçoive « au préalable ou en même temps un avis écrit indiquant les motifs pour lesquels une mesure disciplinaire est imposée ».
[…]
L’arbitre Swan dans Finn a dit qu’il ne tranchait pas la question mais a observé ce qui suit : « Il est tout à fait possible que cette tentative de rendre rétroactif un congédiement… soit en fait contraire aux dispositions de la convention collective ».
Je n’hésite nullement à dire que selon moi les tentatives faites pour rendre les congédiements rétroactifs sont des violations de la clause 10.01 a) de la convention collective.
[Soulignements ajoutés]
[p. 10 à 12]
[44] Si, le 9 janvier 1992, l’arbitre Swan hésitait à affirmer qu’un congédiement ne pouvait être rétroactif, en revanche, le 20 mars de la même année, après avoir pris connaissance de la décision de l’arbitre Swan, l’arbitre Joliffe tranchait définitivement la question, en affirmant qu’« aucune mesure disciplinaire ne peut avoir d’effet avant qu’elle ait été communiquée et reçue par l’employé ». Pour ma part, je souscris sans réserve aux propos de l’arbitre Joliffe.
[45] Par ailleurs, je ne partage pas l’opinion du procureur de la Société selon laquelle cette dernière ne peut congédier un salarié qui a déjà été congédié.
[46] Non seulement la Société pouvait-elle signifier au plaignant un nouvel avis de congédiement même s’il était déjà congédié - tout comme elle n’a pas hésité à lui écrire les 26 et 28 juin 2006, après son congédiement - mais en l’espèce, elle n’avait même pas à le faire, puisqu’elle n’invoquait pas de nouveaux motifs de congédiement, mais souhaitait seulement ajouter des faits similaires et contemporains à ceux déjà invoqués dans le premier avis de congédiement.
[47] Pour se conformer aux dispositions du paragraphe 10.02 b) de la convention collective, il devait toutefois informer le plaignant que ces nouveaux faits s’ajoutaient à ceux déjà invoqués dans l’avis de congédiement, et ce, dans les dix jours suivant la date où il avait pris connaissance de ces nouveaux faits.
[48] Au lieu de procéder ainsi, la Société a choisi de congédier de nouveau le plaignant : c’était son droit.
[49] Mais comme je l’ai souligné plus tôt, une telle décision ne pouvait être rétroactive; elle ne pouvait être exécutoire qu’à compter de la date à laquelle elle était portée à la connaissance du salarié, soit en l’espèce, à compter du 20 juin 2008.
[50] Lorsqu’un employeur - qui a congédié un salarié pour des motifs qu’il estime raisonnables - apprend l’existence d’autres motifs justifiant également un congédiement, il est de son devoir d’informer le salarié de sa décision de le congédier de nouveau à l’intérieur des délais prévus à la convention collective, s’il ne veut pas faire face à une objection fondée sur la prescription dans le cas où le premier congédiement serait annulé par l’arbitre.
[51] En l’espèce, il est vrai que la convention collective ne prévoit aucun délai pour congédier un salarié. C’est donc la notion de « délai raisonnable » qui s’applique, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire, et c’est cette notion qui a permis à la Société de contrer le moyen préliminaire fondé sur la prescription soulevé par le syndicat relativement au grief contestant l’avis de congédiement du 20 juin 2008.
[52] N’eut été cette notion de « délai raisonnable » applicable en l’espèce, l’avis de congédiement du 20 juin 2008 aurait sans doute été prescrit, puisqu’il est probable de croire que si la convention collective avait prévu un délai précis pour transmettre un avis de congédiement, ce délai aurait été inférieur à deux ans. Dans un tel cas, le plaignant aurait alors retrouvé son emploi conformément au dispositif de la décision que j’ai rendue à l’égard du grief contestant son premier congédiement, auquel j’ai substitué une suspension sans solde de deux mois.
[53] Dès lors, les sommes et autres avantages auxquels il aurait eu droit auraient été calculés à compter du 17 août 2006, et ce, jusqu’à la date de sa réintégration.
[54] En l’espèce, comme j’ai rejeté l’objection fondée sur la prescription de l’avis de congédiement soulevée par le syndicat ainsi que le grief contestant le second congédiement du plaignant, je dois conclure que le plaignant a droit au salaire et autres avantages dont il a été privé au cours de la période débutant le 17 août 2006 et prenant fin le 20 juin 2008, date de son second congédiement.
[55] Pour tous ces motifs,
- J’ORDONNE à la Société de rembourser au plaignant toutes les sommes dont il a été privé entre le 17 août 2006 et le 20 juin 2008, déduction faite des sommes qu’il a pu gagner dans un autre emploi pendant ce temps, le tout portant intérêt au taux prévu par la loi;
- JE CONSERVE ma compétence sur le calcul de ces sommes, en cas de mésentente entre les parties.
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__________________________________ André Bergeron, arbitre |
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Pour le syndicat : Pour la Société : |
M e Claude Leblanc M e Richard Pageau |
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G.06.3479 a
ANNEXE « A »
AUTORITÉS SOUMISES PAR LA PARTIE SYNDICALE
- Syndicat des postiers du Canada -et- Société canadienne des postes , (Grief de D. Tcherniavsky), Edward B. Joliffe, arbitre, 24 janvier 1992
- Société canadienne des postes -et- Syndicat des postiers du Canada (grief de R. Finn), Kenneth P. Swan, arbitre, 9 janvier 1992
- Syndicat des postiers du Canada -et- Société canadienne des postes (Grief de Sherry Jones), Clive McKee, arbitre, 27 janvier 1992
- Société canadienne des postes -et- Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (Grief de Georges Little), Robert B. Blasina, arbitre, 11 avril 2000
- Société canadienne des postes -et- Syndicat des postiers du Canada (Grief de E. Bordush ), Ken Norman, arbitre, 4 mai 1992
- REID, Hubert. Dictionnaire de droit québécois et canadien , 3 e édition
- Code civil du Québec
ANNEXE « B »
AUTORITÉS SOUMISES PAR LA PARTIE PATRONALE
-
Lapointe c. Morin
, Cour d’appel du Québec,
[1]
Syndicat de Collins & Aikman Canada inc. (C.S.D.) -et-
Collins & Aikman Canada inc. (Usine de Farnham)
, M
e
Nathalie Faucher, arbitre, 28 octobre 2004,
[2] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[3] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.
[4] Voir l’annexe « B » pour la référence exacte.