Currie c. Mayette

2011 QCCQ 4565

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

Sherbrooke

« Chambre civile »

N° :

450-32-014072-094

 

 

 

DATE :

11 mai 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

 RAOUL P. BARBE, J.C.Q.

 

 

 

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DOREEN CURRIE et ROBERT MERCIER, […], Drummondville (Québec)

[…]

demandeurs

c.

RAYMOND MAYETTE, […], Sherbrooke (Québec) […]

défendeur

 

 

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JUGEMENT

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[1]            Par une demande judiciaire signifiée le 23 juillet 2009, les demandeurs réclament 5 331 $ pour vice caché. L'audition a lieu le 15 mars 2011.

LES FAITS

[2]            En 2008, le défendeur est propriétaire d'une ferme située au 142, chemin St-Georges Nord, à Danville. La propriété est située en face d'un cimetière. Selon le rôle d'évaluation municipale, la valeur marchande de cette propriété au 1 er juillet 2005 était de 107 600 $ ( T : 22 600 $ + B : 85 000 $ ). La propriété comprend un terrain et une maison construite vers 1990, un garage détaché de 6.10 m X 7.32 m, une remise à machineries de 6.4 m X 9.45 m et une grange-étable de 237 m 2 .

[3]            En mai 2008, le défendeur décide de vendre cette propriété. Il donne mandat à un évaluateur agréé de lui dire quelle en serait la valeur marchande en mai 2008. L'évaluateur agréé Dugré analyse cette question selon la méthode de parité et selon la méthode du coût pour conclure qu'en mai 2008, cette propriété aurait une valeur marchande de l'ordre de 256 300 $ ( P-8 ).

[4]            Le défendeur met donc sa propriété en vente. Les demandeurs s'intéressent à cette propriété, la visitent  et, le 24 mai, les parties s'entendent sur un avant-contrat au prix de 256 000 $.

[5]            Le contrat de vente est notarié le 7 juillet 2008 et la prise de possession a lieu le même jour ( P-1 ).

[6]            Au printemps 2009, les demandeurs constatent des infiltrations d'eau par la toiture de la grange.

[7]            Le 19 juin 2009, les demandeurs font examiner la toiture par Satisfait Toit Inc.     ( P-4 ).

[8]            Le 23 juin 2009, les demandeurs envoient au défendeur une mise en demeure dénonçant cette déficience et demandent une indemnité de 3 499 $ pour la toiture de la maison et de la grange ( P-3 ):

« Vous avez vendu une propriété avec garantie légale sise au 142 ch. St-Georges Nord, Danville à M. Robert Mercier et Mme Doreen Currie par contrat passé le 2008-07-07 devant le notaire M. Serge Chagnon.

Hors, il appert que cette propriété a des problèmes de fuites d'eau avec deux toitures.

1-  L'eau s'infiltre entre le toit de la descente du sous-sol et la maison.                                                2-     Le toit de la grange coule à plusieurs endroits.

Nous avons fait faire une évaluation pour effectuer les réparations nécessaires pour corriger ces problèmes. Copie de l'évaluation jointe.

À défaut pour vous de prendre contact avec nous dans les 10 jours de la réception de la présente, pour prendre arrangement, nous n'aurons d'autre choix que de prendre les procédures qui s'imposent dans les circonstances contre vous, dont entre autre, demande à la cour pour dommages et intérêts, frais judiciaires encourus, troubles inconvénients, dérangement. »   

[9]            Le défendeur demande à Rénovation Grimard d'aller voir le problème et de lui faire une soumission pour le corriger. Cette entreprise fait, le 2 juillet 2009, une soumission de 300 $ ( P-6 ):

« Pour la réparation arrière de la couverture, pour la pose de goudron Bitumineux entre la jointure de la tôle neuve et la vieille tôle.

Pour la vérification des clous sur la vieille partie de la grange (changer les clous sortis pour mettre des vis). Matériaux et salaire taxes incluses : 300 $, sans aucune garantie. »

[10]         Le défendeur consulte un avocat, qui envoie aux demandeurs une réponse en offrant 300 $ ( P-5 ):

Nous représentons les intérêts de monsieur Raymond Mayette qui nous a transmis la mise en demeure que vous lui avez acheminée en juin 2009 concernant une réclamation pour la réparation d'une grange située sur la ferme que vous a vendue notre client.

Comme vous le savez, la grange en question est une construction plus que centenaire, de sorte que vous ne pouviez vous attendre à ce que celle-ci soit en parfait état lors de l'achat. Malgré tout, notre client n'a jamais connu les problématiques d'écoulement d'eau mentionnées dans votre lettre.

Quoi qu'il ne soit et tel que vous le savez, monsieur Stéphane Grimard, de l'entreprise Rénovation Grimard, s'est rendu sur place le 2 juillet dernier afin d'évaluer la valeur des travaux de réparation de la couverture de cette grange. Celui-ci évalue les travaux (incluant les matériaux, le salaire et les taxes), à un montant de 300$. Évidemment, ces travaux ne peuvent être garantis, vu l'âge de la grange et des matériaux qui la constituent.

Dans ces circonstances, vous comprendrez que notre client n'est pas disposé à vous offrir quelque montant que ce soit au-delà de la somme de 300 $ pour les réparations en question. Notre client propose donc de vous payer ce montant ou de mandater Rénovation Grimard pour faire les travaux mais, tel que mentionné précédemment, aucune garantie ne pourra être applicable à ces rénovations.

Tous travaux que vous pourriez faire effectuer, autres que ceux mentionnés précédemment, ne seront aucunement payés par notre client.

Nous attendons de vos nouvelles concernant cette offre et vous prions d'agréer, Madame, Monsieur, l'expression de nos sentiments les meilleurs.

[11]         Insatisfaits de cette offre, les demandeurs intentent leur action le 23 juillet 2009, réclamant 5 331 $.

[12]         Le défendeur conteste cette réclamation aux motifs suivants:

« Le défendeur a fait procéder aux réparations appropriées pour régler la problématique alléguée d'infiltration d'eau entre la maison et la descente du sous-sol. Quant à la grange, il s'agit d'une grange plus que centenaire que les demandeurs n'ont pas fait inspecter avant l'achat. Le défendeur n'a connu aucun problème d'infiltration d'eau au cours des dernières années à la grange (ni entre maison et descente).

La réclamation des demandeurs est clairement exagérée puisque les travaux correcteurs pourraient être faits pour un montant d'environ 300 $. »

[13]         À l'audition, Rénovation Grimard déclare qu'on ne peut garantir une couverture de tôle sur une étable et un hangar à machineries, notamment lorsqu'il n'y a pas de solage, à cause de l'instabilité du sol; la structure travaille et fait travailler la tôle de la couverture et agrandit les trous. La seule chose à faire est de changer les clous pour des vis à tôle.

[14]         Les demandeurs déclarent que depuis l'introduction de l'action, la maison est passée au feu et qu'en conséquence le litige ne concerne que la grange.

ANALYSE ET MOTIFS

[15]         Notons d'abord que le litige ne concerne que la toiture de la grange-étable. À cet égard, les demandeurs réclament l'application de l'article 1726 du Code civil du Québec , qui édicte ce qui suit:

« 1726 . Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

[16]         Pour réussir dans leur action, les demandeurs doivent établir que le vice existait lors de la vente, que ce vice découvert rend le bien vendu impropre à l'usage auquel il est destiné ou en diminue sérieusement l'utilité, qu'ils ignoraient ce vice qui ne pouvait être découvert par un acheteur prudent et diligent et qu'il n'était pas apparent.

[17]         Ce vice, infiltration d'eau par la toiture, existait-il lors de la vente? Il faut rappeler que le fardeau de la preuve repose sur l'acheteur, les demandeurs en l'instance. L'acheteur a le fardeau de prouver que le vice était antérieur à la vente. Il bénéficie toutefois d'une présomption de faits, notamment s'il dénonce le vice tôt après la délivrance du bien ou s'il prouve que le vice s'est manifesté peu après son acquisition. En l'espèce, les demandeurs ont pris possession de l'immeuble le 7 juillet 2008 et ont dénoncé ce problème au vendeur en juin 2009, donc, peu de temps après la vente, mais après le passage d'un hiver. Le problème était au moins latent.

[18]         Ce problème empêche-t-il la grange-étable de servir à l'usage auquel les acheteurs la destinaient. La preuve est faible à cet égard: elle indique que l'acheteur Mercier est orthothérapeute et que l'acheteuse Currie est secrétaire. La preuve n'établit pas que cette grange-étable était très importante pour les acheteurs, tout en admettant qu'objectivement il n'est pas souhaitable qu'il y ait des infiltrations d'eau dans une grange. Par ailleurs, la preuve établit que ces infiltrations n'étaient pas démesurées.

[19]         Ce problème d'infiltration était-il caché? Le vendeur assume une obligation de loyauté envers l'acquéreur, il ne doit pas l'induire en erreur. En l'espèce, la preuve n'a pas établi que le vendeur savait qu'il y avait des infiltrations d'eau. La preuve a plutôt établi que le vendeur avait prêté l'usage de sa grange à un voisin pour entreposer des meubles et ce dernier a témoigné que ses effets personnels n'avaient subi aucune détérioration. Constituerait un vice caché, l'infiltration d'eau découlant d'une conception déficiente d'une toiture. En l'espèce, cette preuve n'a pas été faite.

[20]         Le vice était-il connu de l'acheteur? Pour déterminer si le vice est caché, il faut déterminer si l'acheteur connaissait ou aurait dû connaître le défaut lors de la vente. Il faut rappeler que le régime juridique des garanties légales du vendeur ne constitue pas un système de protection pour l'acheteur imprudent ou incompétent. L'acheteur a une obligation de prudence et de diligence lors de l'achat et il doit inspecter le bien, comme le ferait toute personne raisonnable. Il a l'obligation de constater le vice apparent et doit apporter une attention particulière à tout indice pouvant présager un vice quelconque. Si l'acheteur néglige d'exécuter son devoir d'inspection, le vice est alors considéré apparent, puisqu'un acheteur raisonnable aurait pu le découvrir; dans un tel cas, la garantie ne s'applique pas. Un défaut n'est pas caché du seul fait que l'acheteur n'ait pas su en apprécier la gravité. L'acheteur, qui n'a pas les connaissances requises pour juger de l'état d'un bien qu'il veut acquérir, doit s'assurer le concours d'une personne capable de le renseigner.

[21]         Enfin, il faut rappeler que la vétusté d'un bien ne constitue pas un vice caché. L'âge d'un immeuble est un élément très important, car non seulement doit-on considérer la vétusté et les effets de l'âge, mais aussi les méthodes de construction. L'acheteur a une obligation accrue de prudence lorsqu'il acquiert un vieil immeuble, cette vigilance devait s'appliquer particulièrement en ce qui a trait à la vieille partie de la grange. En l'espèce, la grange est une construction plus que centenaire, les acheteurs ne pouvaient pas s'attendre automatiquement à ce qu'elle soit en parfait état, d'autant plus qu'il s'agit d'une grange qui n'a pas de solage et il en résulte une instabilité, de telle sorte que la structure travaille et fait travailler les tôles de la couverture.

[22]         Pour toutes ces raisons, il faut rejeter la réclamation.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[23]         REJETTE la réclamation, chaque partie assumant ses frais judiciaires.

 

 

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RAOUL P. BARBE, J.C.Q.

 

 

 

Date d’audience :

15 mars 2011