Forand c. Industrielle Alliance valeurs mobilières inc.

2011 QCCS 2368

JD 2315

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-039256-071

 

 

 

DATE :

20 mai 2011

_____________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

_____________________________________________________________________

 

YVES FORAND

et

LISE CHOINIÈRE

Demandeurs

c.

INDUSTRIELLE ALLIANCE VALEURS MOBILIÈRES

Défenderesse

_____________________________________________________________________

 

JUGEMENT RECTIFICATIF

(a. 475 C.p.c. )

_____________________________________________________________________

 

[1]          Le 12 mai 2011, le Tribunal a rendu un jugement au présent dossier.

[2]          Il s'est glissé une erreur d'écriture dans les conclusions conformément au paragraphe 132 du jugement.

[3]          Cette erreur d'écriture en est une que le Tribunal peut rectifier aux termes de l'article 475 C.p.c.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

RECTIFIE le jugement rendu le 12 mai 2011 afin d'y corriger l'erreur se trouvant au paragraphe 3 des conclusions afin qu'il se lise ainsi et cela en conformité du paragraphe 132 dudit jugement:

CONDAMNE la défenderesse Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc. à payer aux demandeurs Yves Forand et Lise Choinière la somme de           293 023,26 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter du 19 septembre 2007.

LE TOUT SANS FRAIS.

 

 

 

                                                                        

 

_________________________________

MICHEL DÉZIEL, j.c.s.

 

Me Isabelle Grégoire

TUTINO EDWARDS JOSEPH

Procureure des Demandeurs

 

Me Georges R. Thibaudeau

Me Sophie Hébert

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureurs de la Défenderesse

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Forand c. Industrielle Alliance valeurs mobilières inc.

2011 QCCS 2368

  JD 2315

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

 

N° :

500-17-039256-071

 

 

 

DATE :

 12 mai 2011

_____________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

MICHEL DÉZIEL, J.C.S.

_____________________________________________________________________

 

YVES FORAND

et

LISE CHOINI ÈRE

Demandeurs

c.

INDUSTRIELLE ALLIANCE VALEURS MOBILI ÈRES INC.

Défenderesse

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

Le Litige

[1]          Les demandeurs Yves Forand (« Forand ») et Lise Choinière (« Choinière ») réclament de la défenderesse Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc. (« IAVM ») une somme de 393 023,26 $ suite à la liquidation de leur portefeuille le 30 janvier 2007.

[2]            En effet, suite au contrat du 15 juillet 2004 [1] , Forand et Choinière achètent et transigent des Bons du Trésor par le biais d'une marge de crédit consentie par IAVM.

[3]            IAVM allègue que cette liquidation s'est faite selon le contrat de courtage et les règles de l'art, de l'équité et de loyauté.

Les faits

[4]            Forand agit pour lui et son épouse Choinière dans les transactions avec IAVM. Le soussigné réfère donc uniquement à Forand.

[5]            Forand commence à investir à la Bourse en 1998 par l'entremise de son courtier André Clément (« Clément ») alors à l'emploi de Lévesque Beaubien. Celui-ci travaille par la suite auprès de Raymond James et depuis 2004, auprès d'IAVM. Forand le suit.

[6]            Forand signe donc un contrat avec IAVM le 15 juillet 2004 par lequel il ouvre une marge de crédit canadienne et une marge de crédit américaine.

[7]            Du 17 août 2006 au 15 septembre 2006, il effectue six (6) achats de US Treasury Bills dans sa marge canadienne détenue auprès d'IAVM pour un total de 20 000 000 $.

[8]            À compter du 27 septembre 2006, il change sa stratégie pour acquérir dorénavant des Bons du Trésor du Canada dans sa marge de crédit américaine. Il vend progressivement ses US Treasury Bills à compter du 27 septembre 2006, et ce, jusqu'au 12 décembre 2006.

[9]            Le 6 octobre 2006, il signe, à la demande d'IAVM, une lettre de reconnaissance de risque. [2]

[10]         À compter du 14 décembre 2006, il effectue quatre (4) achats de Bons du Trésor du Canada dans sa marge de crédit américaine pour un total de 17 500 000 $.

[11]         Le 5 janvier 2007, IAVM décide à l'interne qu'elle ne pouvait accepter de maintenir sur marge un compte client comportant un risque qui l'oblige à cette date du 5 janvier 2007 d'emprunter elle-même 4,5 millions de dollars américains.

[12]         Forand allègue une entente le 15 janvier 2007 détaillée comme suit au paragraphe 9 de la requête introductive d'instance: [3]

« 9.      Durant cette rencontre, la défenderesse, alléguant subitement un risque, a alors convenu avec Monsieur Clément, le courtier en valeurs mobilières des demandeurs, de mettre immédiatement en place les mesures suivantes:

(a)     Le compte des demandeurs a été placé sous surveillance;

(b)     La surveillance du compte devait être maintenue tant et aussi longtemps que le prix de la devise canadienne était supérieur à 0,84 $;

(c)     Dans l'éventualité où le prix de la devise canadienne chutait en deçà de 0,84 $, les demandeurs devaient accepter de vendre; et

(d)     Si le prix de la devise canadienne augmentait au-delà du seuil minimal de 0,86 $, les demandeurs devaient également accepter de vendre;»

[13]         Le vendredi 26 janvier 2007, IAVM demande à Forand de liquider son portefeuille au plus tard le lundi, 29 janvier 2007 ou de le transférer dans une autre maison de courtage.

[14]         Le 29 janvier 2007, Forand se rend à Montréal avec Clément rencontrer un représentant de la firme de courtage spécialisée Man Financial Holdings Canada Ltd. (« MAN ») qui déconseille le transfert.

[15]         Forand refuse dans l'après-midi du 29 janvier 2007 de liquider son portefeuille et de le transférer puisqu'il n'est pas protégé pendant la période de transfert.

[16]         IAVM liquide donc son portefeuille le 30 janvier 2007 à 11:00 à 0,8456 $.

[17]         Le dollar canadien atteint 0,8612 $ le 21 février 2007.

[18]         Forand envoie une mise en demeure le 19 septembre 2007 [4] et réclame une somme de 252 000 $ US, soit 293 023,26 $ CAN représentant la perte de capital subie, calculée selon l'entente alléguée prévoyant la liquidation au prix de 0,86 $.

[19]         Forand réclame aussi une somme de 20 000 $ pour stress, troubles et inconvénients en raison de la conduite abusive et illégale d'IAVM, de même qu'une somme de 50 000 $ à titre de dommages exemplaires.

La preuve pertinente

Les demandeurs

André Clément («Clément»)

[20]         Depuis son arrivée chez IAVM en 2004, Clément dessert Forand qui achète et transige des devises par le biais d'une marge de crédit. Il dessert aussi cinq ou six autres clients dans le même genre de transactions, mais à une moindre échelle.

[21]         Le 5 janvier 2007, Claudia Gourde (« Gourde ») d'IAVM l'informe qu'IAVM n'ouvrira plus de tels nouveaux comptes, qu'elle n'effectuera plus de nouvelles transactions sur devises et qu'il faut mettre le compte de Forand sous surveillance.

[22]         Il en parle avec Gilles Maheux (« Maheux »), le directeur de la succursale de Granby, le lendemain, lequel lui confirme la décision. Il est déboussolé, car, en 20 ans, il n'a jamais vu une firme de courtage demander le retrait d'un client avec une «bonne marge de crédit».

[23]         Voici le contenu d'un courriel que Maheux envoie à Gourde le 10 janvier 2007 à 16:50: [5]

« Bonjour Claudia,

J'ai eu une longue conversation lundi matin avec André Clément et nous avons révisé la situation à savoir, ordre de vente automatique si la devise Can. atteignait 84 cents et transfert du compte du client dans les meilleurs délais.

Revco, un courtier spécialisé en devises et habitués (sic) au trading du FOREX est sensé avoir accepté verbalement le montage financier que nous avons avec les clients.

André Clément transige depuis très longtemps avec cette famille qui sont d'ailleurs des amis de longue date de la famille d'André. Il est intéressé à explorer une façon de desservir ces clients à nouveau. Il a travaillée (sic) en fin de semaine pour voir quelle approche pourrait être envisagée.

Je lui ai proposé mon aide et mon support et je lui ai mentionné que l'on doit avant toute chose trouver une zone de confort pour IAVM et imaginer les processus qui rencontre (sic) les attentes du client et le besoin de sécurité de IAVM et c'est sur cette note positive que nous poursuivons notre réflexion.

Le dossier est suivi au quotidien par André.

Gilles Maheux, G.P.C. M.B.A.
Directeur de succursale
Conseiller en placement

Industrielle Alliance Valeurs mobilières»

[24]         Il rencontre Maheux et Gaétan Plante (« Plante ») le 10 janvier 2007. Ce dernier lui rappelle qu'IAVM surveille le compte et que celui-ci doit être transféré.

[25]         Vient ensuite l'entente du 15 janvier 2007 ci-dessus décrite.

[26]         Il contacte différentes firmes et en retient trois (3), dont MAN.

[27]         Le délai d'ouverture de compte lors d'un transfert est de deux (2) jours et il faut ajouter deux (2) semaines pour le transfert; pendant ce délai aucune transaction ne peut être faite.

[28]         Le 26 janvier 2007, l'entente ne tient plus et IAVM exige la liquidation ou le transfert du compte au plus tard le 29 janvier 2007. On connaît la suite.

[29]         Dans les jours suivant la liquidation, il remet à IAVM, suite à une demande, sa version écrite des faits. Forand lui redemande la même chose quelques jours plus tard et lui remet une copie de cette version.

[30]         Une semaine plus tard, il accepte de signer une version assermentée et la remet à Forand. Cette version se lit comme suit: [6]

«                                               AFFIDAVIT DÉTAILLÉ

Je, soussigné, André Clément , domicilié et résidant au […], à Granby, province de Québec, […], affirme solennellement ce qui suit:

1.      Le ou vers le 15 janvier 2007, lors d'une discussion interne avec Monsieur Gaétan Plante, Monsieur Gilles Maheu et d'autres représentants de Industrielle Alliance Valeurs mobilières Inc. («Industrielle»), ceux-ci m'on fait part qu'Industrielle n'était pas à l'aise avec la position sur la devise de Monsieur Yves Forand et Madame Lise Choinière («Demandeurs») et qu'elle souhaitait que le compte soit transféré;

2.      Après une longue discussion, les représentants d'Industrielle et moi-même avons convenu de ne pas forcer le transfert du compte mais, en contrepartie, le compte des Demandeurs allait être placé sous haute surveillance, c'est-à-dire, qu'il y avait un ordre de vente automatique si la valeur du dollar canadien diminuait à 0,84 $ ou si elle augmentait à 0,86 $. J'ai de plus accepté d'explorer la possibilité de transférer le compte;

3.      J'ai fait part de l'entente ci-haut mentionnée, soit la décision de placer le compte sous haute surveillance (ordre de vente automatique) aux Demandeurs et ceux-ci ont accepté;

4.      Le même jour, j'ai communiqué avec deux autres firmes de courtage, soit FBN et Man Financial Holdings Canada, Ltd. («MAN») afin de m'enquérir des possibilités et modalités de transfert du compte;

5.      Lors de mes discussions avec un représentant de la firme de courtage MAN, j'ai appris que le transfert du compte des Demandeurs comportait un risque important qui pouvait engendrer des pertes énormes pour les Demandeurs;

6.      J'ai fait part de ces risques m'ayant été dénoncés par le représentant de MAN aux Demandeurs;

7.      Le ou vers le 22 janvier 2007, j'ai contacté Monsieur Gilles Maheu afin de lui faire part des démarches exploratrices quant au transfert du compte et afin de lui expliquer mon point de vue sur les risques associés au transfert du compte des Demandeurs;

8.      Lors de cette conversation, Monsieur Maheu a reconnu l'importance des risques associés au transfert du compte et a convenu avec moi que la surveillance de celui-ci était non seulement dans le meilleur intérêt des Demandeurs, mais aussi la mesure la plus appropriée dans les circonstances et qu'elle devait donc être maintenue;

9.      J'ai communiqué ces informations aux Demandeurs;

10.    À ma grande surprise, le vendredi 26 janvier 2007, Monsieur Gaétan Plante et d'autres représentants d'Industrielle m'ont contacté afin de m'informer que le compte des Demandeurs devait être liquidé au plus tard le lundi 29 janvier 2007 en matinée ou transféré au plus tard le 31 janvier 2007;

11.    Lors de cette conversation, j'ai maintenu que l'entente convenue de surveillance du compte et d'ordre de vente automatique étaient dans le meilleur intérêt des Demandeurs et que forcer la liquidation ou le transfert n'était pas nécessaire et engendrerait des pertes substantielles pour les Demandeurs;

12.    Malgré mes représentations, Industrielle a choisit (sic) de maintenir sa décision soudaine;

13.    En toute urgence, le 29 janvier 2007 en matinée, Monsieur Yves Forand et moi avons rencontré un représentant de la firme de courtage MAN (Monsieur Lamoureux) afin de savoir s'il était possible de transférer le compte des Demandeurs, soit en liquidant le compte le jour même chez Industrielle et reprendre la même position le même jour chez MAN ou simplement transférer le compte des Demandeurs au plus tard le 31 janvier 2007;

14.    Le représentant de la firme MAN nous a confirmé qu'il était impossible de reprendre la même position auprès d'elle le jour même en raison du délai associé à l'ouverture du compte, à la vente des titres et au dépôt du chèque auprès de MAN;

15.    Le représentant de MAN nous a de plus indiqué qu'il était impossible et déconseillé de transférer le compte des Demandeurs pour le 31 janvier 2007 en raison des délais qui y sont associés et des risques supplémentaires pour les Demandeurs;

16.    Tous les faits allégués dans le présent affidavit sont vrais.»

[31]         Plus tard, il est convoqué par IAVM qui lui reproche d'avoir signé cet affidavit.

[32]         Il précise que Forand est le seul client à avoir subi une perte puisqu'une solution a été trouvée pour ses autres clients. Certains ont transféré leur portefeuille chez MAN.

[33]         Il reconnaît le contenu d'une transcription d'une conversation téléphonique tenue le 29 janvier 2007 avec Plante et Lise Douville (« Douville »). Plante précise que le portefeuille de Forand sera liquidé dès 9:30 le 30 janvier 2007 si la procédure de transfert n'est pas initiée. [7]

Yves Forand («Forand»)

[34]         Entre le 5 janvier 2007 et le 25 janvier 2007, il demande à Clément de trouver une solution. Il ne comprend pas la position d'IAVM, car elle n'encourt aucun risque avec l'entente du 0,84 $ - 0,86 $, vu les montants détenus dans son compte.

[35]         Le 26 janvier 2007, il offre de déposer 100 000 $ additionnel dans son compte pour éviter la liquidation. Cette offre est refusée et Plante lui demande plutôt 5 millions. [8]

[36]         Il admet qu'il ait pu être informé vers le 5 janvier 2007 de la décision d'IAVM de fermer le compte et qu'IAVM lui accordait un délai pour le transfert chez un autre courtier.

[37]         Le 29 janvier 2007, il se rend chez MAN pour prendre de l'information. Il croit jusqu'à la dernière minute qu'IAVM ne liquidera pas, car il n'est pas en défaut et que son compte couvre entièrement IAVM s'il y a liquidation à 0,84 $.

La défenderesse

Lise Douville («Douville»)

[38]         Elle ouvre, en février 2002, la maison de courtage IAVM et en devient vice-présidente sous la présidence de Plante.

[39]         En 2006, IAVM possède un capital de 2 millions.

[40]         Le 5 janvier 2007, Services financiers Penson Canada Inc. (« Penson »), le chargé de compte, avise IAVM qu'elle lui doit 4,5 millions US. C'est la panique générale. C'est à ce moment qu'IAVM réalise, pour la première fois, que la devise a un impact sur son capital, alors qu'auparavant elle ne voit pas le risque des transactions faites dans le compte de Forand.

[41]         Le débit est causé par la transaction effectuée le 4 janvier 2007 par Forand, soit un achat de 5 000 000 $ de Bons du Trésor canadien à partir de la marge de crédit américaine. [9]

[42]         Le 5 ou le 6 janvier 2007, IAVM décide de transférer le compte de Forand. En fait, IAVM doit emprunter des dollars US pour les reprêter à Forand. IAVM décide aussi de liquider le compte si la devise descend en bas de 0,84 $.

[43]         Claudia Gourde (« Gourde ») est chargée de surveiller le compte à tous les jours.

[44]         IAVM donne une semaine à Clément pour transférer le compte.

[45]         Par la suite, elle attend le formulaire de transfert de MAN contactée par Clément.

[46]         À son retour de vacances le 22 janvier 2007, Plante constate que le transfert n'est pas encore effectué. IAVM s'inquiète, car son capital est à risque et ne peut plus attendre.

[47]         Le 29 janvier 2007, IAVM attend à 11:00 pour liquider le portefeuille, vu le refus de Forand d'effectuer un transfert chez MAN.

[48]         Annuler la seule transaction du 4 janvier 2007 ne règle pas le problème d'IAVM. Que les transactions soient faites en argent US dans la marge canadienne ou en argent CAN dans la marge américaine, le risque pour IAVM est le même pour son capital. Un courtier spécialisé comme MAN peut suivre à la minute près la fluctuation des devises, ce que ne peut faire IAVM.

[49]         IAVM n'envoie pas de lettre à Forand, car le contrat d'agent autonome de Clément stipule qu'elle ne peut communiquer directement avec un client, sauf circonstances exceptionnelles, comme elle le fait le 29 janvier 2007. [10]

Sylvain Perreault («Perreault»)

[50]         Il témoigne sur les règles et pratiques de fonctionnement de l'industrie des valeurs mobilières au Canada. Il est membre du Barreau du Québec depuis 2004 et est détenteur d'un diplôme du Corporate Counsel Management Program 1993 de l'Université McGill. [11]

[51]         Il suit différentes formations de l'Institut canadien des valeurs mobilières depuis 1987.

[52]         Il est actuellement chef de conformité auprès du Mouvement Desjardins depuis 2011 et de Valeurs mobilières Desjardins inc. depuis 2004.

[53]         Il dépose son rapport du 17 juin 2008 [12] dans lequel il explique les normes et la réglementation encadrant l'industrie des valeurs mobilières.

[54]         Il explique la nature d'un compte marge tel qu'accordé à Forand. [13] Ce compte a un effet de levier. Lors de l'achat d'un titre, Forand doit acquitter le prix total de la transaction en partie avec ses propres fonds et la majorité avec un prêt d'IAVM.

[55]         Lors de la vente d'un titre, le client rembourse le montant prêté plus la perte si le titre a perdu de la valeur depuis l'achat.

[56]         Un courtier spécialisé comme MAN peut suivre les fluctuations des devises 24 heures sur 24, alors que les firmes de courtage comme IAVM ne sont pas équipées pour le faire; celles-ci doivent donc le faire manuellement.

[57]         Un courtier doit répondre dans les deux (2) jours ouvrables à une demande de transfert, lequel est habituellement complété dans les vingt (20) jours suivants.

[58]         Un courtier ne peut accepter un transfert d'un compte à découvert ou non pourvu d'une couverture conforme aux exigences supplémentaires, à moins que le client ne verse les fonds ou ne donne une garantie suffisante.

[59]         MAN aurait sans doute exigé une couverture suffisante avant d'accepter le transfert du compte de Forand compte tenu du risque de fluctuation de la devise.

[60]         Il y a lieu de citer les paragraphes suivants de son rapport et ses conclusions: [14]

« [25]   Le compte marge est un privilège accordé au client: le courtier n'a jamais l'obligation de prêter ni de maintenir ledit prêt, une fois accordé. La note 5, intitulé «Marge» au formulaire d'ouverture de compte client de IAVM est à cet effet.

[…]

[45]   Rien dans les règles de l'OCRCVM ne prend en compte le risque de devises couru sur une opération de nature de celles exposées ci-haut.

[46]   Dans le cas présent, les risques de la position de spéculation sur la devise étaient ultimement assumés par la défenderesse IAVM.

[47]   Le suivi de la position étant problématique, il était donc correct pour IAVM de vouloir protéger son propre risque en exigeant du client le dénouement de la position.

[48]   Il y a lieu de souligner, en effet, que les systèmes de suivi d'arrière-guichets des courtiers ne sont pas programmés pour suivre des positions à risque hybride, c'est-à-dire qui suivent à la fois la marge requise et la fluctuation de la devise.

 

 

CONCLUSION

[49]   Je suis d'avis que IAVM était pleinement justifiée de ne pas vouloir maintenir une telle position dans ses registres et par conséquent d'assumer un tel risque sans détenir les garanties satisfaisantes.

[50]   La défenderesse IAVM n'a donc contrevenu à aucune règle professionnelle en refusant de maintenir la position et en exigeant qu'à défaut de le faire, le compte soit transféré à un autre courtier.»

Prétention des parties

Les demandeurs

[61]         IAVM a illégalement liquidé son portefeuille.

[62]         IAVM n'a pas respecté le contrat P-1 ni l'entente convenue.

[63]         IAVM n'a pas donné un préavis écrit raisonnable et a agi de façon abusive.

[64]         Ils ont droit aux dommages réclamés.

[65]         En effectuant les transactions, IAVM accepte le risque et ne peut invoquer sa propre turpitude.

[66]         Les dommages exemplaires de 50 000 $ sont réclamés en vertu des articles 49 et 6 de la Charte.

[67]         IAVM n'ayant pas rappelé la marge et en l'absence de dette, elle ne pouvait liquider le portefeuille.

La défenderesse

[68]         IAVM a agi conformément au contrat et aux règles de l'art, de l'équité et de la loyauté.

[69]         IAVM a donné un préavis raisonnable de vingt-cinq (25) jours avant de liquider le portefeuille.

[70]         Il n'y a pas de preuve de dommages ou de perte résultant de la transaction du 30 janvier 2007.

Questions en litige

[71]         Les questions en litige sont les suivantes:

A-        L'entente de janvier 2007.

B-        La liquidation du portefeuille respecte-t-elle le contrat et l'entente?

C-        Les dommages.

Analyse et décision

A-        L'entente de janvier 2007

[72]         Clément est le représentant d«IAVM au bureau de Granby. Maheux est le directeur de cette succursale.

[73]         Clément est le seul porte-parole d'IAVM face à Forand. Les communications d'IAVM se font exclusivement par l'intermédiaire de Clément.

[74]         Les ententes convenues entre Clément et Forand sont donc déterminantes.

[75]         C'est Clément qui conseille Forand sur la nature des transactions.

[76]         Le compte est ouvert le 15 juillet 2004. Plusieurs transactions se font dès le 28 juillet 2004 dans le compte marge canadienne [15] et dès le 4 août 2004 dans le compte marge américaine [16] .

[77]         L'achat de Bons du Trésor dans le compte canadien commence le 8 septembre 2005.

[78]         L'achat de Bons du Trésor dans le compte américain commence le 14 décembre 2006.

[79]         Dans l'esprit de Forand, il acquiert des devises et non des Bons du Trésor. La mécanique ne l'intéresse pas. Il ne s'attarde pas à la finalité. [17]

[80]         Une transaction chez IAVM est soumise à trois (3) niveaux de surveillance.

[81]         Le premier contrôle se fait par Maheux qui vérifie et approuve la transaction.

[82]         Le deuxième contrôle se fait par le département de conformité situé au bureau de Québec dirigé par Linda Boiteau.

[83]         Le troisième niveau se fait par Douville.

[84]         Il est clair que la nature et le montant des transactions ne peuvent passer inaperçus. Cette façon de transiger se fait depuis le 8 septembre 2005. Il est peu vraisemblable que les dirigeants d'IAVM ne réalisent pas le risque pour la firme. Pendant des années, ils perçoivent des commissions.

[85]         La panique s'installe le 5 janvier 2007 suite à la transaction de 5 millions du 4 janvier 2007 alors que le courtier compensateur, Penson, réclame 4,5 millions US.

[86]         La preuve démontre qu'à l'interne, IAVM décide, entre le 5 et le 7 janvier, de cesser de faire de nouvelles transactions sur les devises et de demander à Forand de transférer son compte.

[87]         Clément est fort désappointé, car il pourra perdre un client important en plus de cinq (5) ou six (6) autres. Il en discute donc avec Forand et avec Maheux.

[88]         Voici les propos de Forand sur cette discussion: [18]

« R   Ce qu'il m'a dit la première fois qu'il m'a parlé de ce problème-là, il m'a dit que Industrielle Alliance souhaitait que je transfère mon compte ailleurs, mais qu'après discussion avec eux, ils avaient une proposition à me suggérer ou à me faire part: c'était que si la devise allait en bas de quatre-vingt-quatre sous (0,84 $) ou en haut ou à quatre-vingt-six sous (0,86 $), qu'à ce moment-là je liquide, je vendais mes devises.

         J'ai dit: «Bon. Bien, j'ai dit, écoutez, j'ai dit, ce n'est pas…» Je trouvais ça spécial un peu, ce n'était pas quelque chose que je souhaitais, mais si on n'a pas le choix… ça fait que j'ai finalement accepté, j'ai finalement acquiescé à cette demande-là du quatre-vingt-quatre (0,84 $) et quatre-vingt-six sous              (0,86 $). C'est comme ça tel quel que ça s'est passé.»

[89]         Clément, dans son affidavit, situe l'entente le 15 janvier 2007. De toute évidence, les courriels internes [19] confirment plutôt que cette entente intervient avant le 15 janvier. Il ne s'agit pas de la bonne date, mais cette erreur n'est pas déterminante.

[90]         IAVM prétend que l'entente comprend aussi un engagement de Forand de transférer.

[91]         La preuve n'appuie pas cette prétention. Clément et Maheux cherchent plutôt une solution pour sortir de la transaction le plus vite possible tout en ne mettant pas en péril l'argent de Forand et en protégeant le risque d'IAVM.

 

 

[92]         Voici le contenu des courriels que Maheux adresse à l'interne le 22 janvier 2007 à 16:29 [20] et le 25 janvier 2007 à 17:19 [21] :

« 22 janvier 2007 16:29

Bonjour Claudia,

Je viens de discuter avec André Clément et il m'assure que la position T-Bill est suivie de très près. Pour l'instant, la devise est trop rapprochée du 84 cents pour initier le transfert et risquer de subir une perte durant l'opération parce que l'on ne pourrait dénouer la position en cours de transfert, ce que le client et IAVM ne souhaite (sic) pas faire: engendrer une perte en ne pouvant réagir à une variation de marché. Donc, on a le contrôle sur le risque car Penson assure nos arrières avec le «Cut off» à 84 cents et on suit le dossier. De plus la relation de confiance établie de longue date avec ces clients et le long historique de transactions nous fait (sic) penser qu'il faut agir avec prudence pour dénouer cette transaction sans mettre l'argent de nos clients en péril pas plus qu'il faut engendrer un risque démesuré pour IAVM on s'entend bien là-dessus.

André me dit qu'il est à mettre la touche finale à une proposition pour assurer un calcul de couverture qui rendrait IAVM confortable avec ce genre de transaction. Comme mentionné dans mon courriel précédent, les enjeux sont très importants pour André dans ce dossier et pour IAVM et on s'efforce de sortir de cette transaction le plus tôt possible bien entendu.

Bonne fin de journée!

Gilles Maheux, G.P.C. M.B.A.
Directeur de succursale
Conseiller en placement

Industrielle Alliance Valeurs mobilières»

« 25 janvier 2007 17:19

Bonjour Claudia,

L'engagement de André Clément avec M. Gaétan Plante et Mme Lise Douville était à l'effet de transférer le compte le plus rapidement possible. Les discussions que j'ai eues ensuite avec André n'étaient pas du tout pour temporiser ou gagner du temps pour éviter de transférer le compte. Il m'a simplement dit que le risque de transférer maintenant et d'être coincé sans pouvoir rien faire avec la devise aussi près du seuil du 84 cents rendait le transfert périlleux pour lui, le client et IAVM.

A 84 cents, le client aurait épuisé le coussin des actifs au compte et devra combler tout écart. Si l'on ne peut limiter la perte en vendant nous-mêmes en cours de transfert, il peut y avoir un risque plus grand de lancer le transfert parce que l'on ne contrôlera plus rien. C'est le point de vue que présente André.

Si on lance le transfert après avoir accepté cette transaction initialement avec le client, et que cela tourne mal, c'est le client qui risque d'écoper et nous aussi indirectement.

Donc, on en reparle demain.

Gilles Maheux, G.P.C. M.B.A.
Directeur de succursale
Conseiller en placement

Industrielle Alliance Valeurs mobilières»

[93]         Ces courriels confirment donc la version de Clément et de Forand que la décision du transfert n'est pas arrêtée.

[94]         La prépondérance de la preuve démontre qu'il n'y a jamais eu accord de volonté entre Clément et Forand quant au transfert. Clément est le représentant d'IAVM et il a l'appui de Maheux, son directeur de succursale, comme on peut le constater à la lecture des courriels.

[95]         IAVM a beau souhaiter le transfert, elle est liée par les faits et gestes de ses représentants.

[96]         Forand a donc prouvé l'entente alléguée au paragraphe 9 de sa requête introductive d'instance. Cette entente est toujours en vigueur le 29 janvier 2007.

[97]         Le Tribunal retient la version de Clément lorsqu'il déclare n'avoir jamais pris l'engagement de transférer le compte.

B-        La liquidation du portefeuille respecte-t-elle le contrat et l'entente?

[98]         La convention sur marge signée par Forand établit avec le courtier IAVM un lien juridique de prêt ou de gage, comme on peut le lire dans l'arrêt Beatty toujours d'actualité: [22]

«       Quelle est donc la nature du contrat entre le client et le courtier? Il est aujourd'hui de doctrine consacrée que le courtier agit comme mandataire pour les fins de l'achat de valeurs qu'on lui demande d'effectuer. Mais dès qu'il a rempli cette mission, il faut tenir le mandat pour terminé. Quel que soit le nombre ou la pluralité des opérations d'achat ou de vente qu'un client confie à un courtier, le caractère du contrat n'est pas par là modifié, il s'agit toujours d'un mandat de même nature, la seule différence étant qu'il se renouvelle avec chaque opération de négoce.

         Si, par ailleurs, le client se sert de son courtier comme prêteur, là se forme un autre contrat qui établit un lien juridique de prêt ou de gage selon la modalité particulière que les parties pourraient avoir choisie ou déterminée; et parmi ces modalités, celle qui est d'usage courant c'est l'achat de valeurs sur marge. (…)»

[99]         Le législateur permet à un courtier de vendre les valeurs, notamment si la convention qui le lie avec le client le permet. Voici le texte en vigueur au 1 er janvier 1994 et la version du 1 er janvier 2009 de l'article 2759 C.c.Q. :

1 er janvier 1994

2759.     Les courtiers en valeurs mobilières qui, à titre de créanciers, ont une hypothèque sur les valeurs qu'ils détiennent pour leur débiteur peuvent, dans l'exercice de leurs fonctions et si les règles et les usages qui s'appliquent  au lieu où ils transigent, ainsi que la convention qu'ils ont avec leur débiteur le permettent, vendre ces valeurs ou les prendre en paiement, sans être tenus de donner un préavis ou de respecter les délais prescrits par le présent titre.

1991, c. 64, a. 2759

1 er janvier 2009

2759.    Les créanciers titulaires d'une hypothèque grevant des valeurs mobilières ou des titres intermédiés visés par la Loi sur le transfert de valeurs mobilières et l'obtention de titres intermédiés (chapitre T-11.002) peuvent, si la convention qu'ils ont avec le constituant le permet et si, lorsqu'ils n'ont pas la maîtrise des valeurs ou titres, ceux-ci sont négociables sur une bourse ou sur les marchés de capitaux, vendre ces valeurs ou titres ou autrement en disposer sans être tenus de donner un préavis, d'obtenir un délaissement ou de respecter les délais prescrits par le présent titre.

Le créancier qui dispose ainsi d'une valeur ou d'un titre agit au nom du constituant et il n'est pas tenu de dénoncer sa qualité à l'acquéreur. Il impute le produit de la disposition au paiement des frais qu'il a engagés pour y procéder, au paiement des créances primant ses droits, puis à celui de sa créance; il remet ensuite au constituant le surplus, s'il en existe. La disposition purge les droits réels grevant la valeur ou le titre dans la mesure prévue au Code de procédure civile (chapitre C-25) quant à l'effet de l'adjudication.

Les règles du présent titre relatives à la vente par le créancier sont, pour le reste, applicables à la disposition d'une valeur ou d'un titre par le créancier, compte tenu des adaptations nécessaires.

1991, c. 64, a. 2759; 2008, c. 20, a. 138.

[100]      La version de 1994 réfère aussi aux règles et usages qui s'appliquent au commerce en valeurs mobilières. Comme le dit l'expert Perreault, un courtier n'a jamais l'obligation de prêter ou de maintenir un prêt existant; cependant, les dispositions du contrat ont préséance.

[101]      Voici les dispositions pertinentes du contrat: [23]

« 4.  PAIEMENT DES DETTES

Le Client paiera promptement toute Dette à bonne date et dans la monnaie où elle est couverte par une marge. Aux fins du présent Contrat, le terme «Dette» s'entend en tout temps de toute dette du client envers les courtiers tel qu'il en appert d'un relevé de compte ou d'une autre communication que lui envoient les courtiers et comprend les intérêts sur tout crédit consenti au client et les frais raisonnables de perception d'un paiement dû aux courtiers, ainsi que les frais d'actes et de contentieux afférents. Le Client paiera promptement toute Dette due aux courtiers qui découle d'une réduction ou de l'annulation d'une marge. Le Client convient de payer au jour du règlement tous les titres achetés.

5.  MARGE

Si le Client demande une marge, les courtiers ont toute latitude pour la lui accorder et pourront, sans avis, de temps à autre: a) réduire ou annuler une marge mise à la disposition du client ou refuser de lui consentir un supplément de marge; ou b) exiger du Client qu'il fournisse un dépôt de garantie supplémentaire à celui qui est requis par les Lois et Réglementations. Le Client fournira aux courtiers tout dépôt de garantie qu'ils demandent et paiera promptement ladite Dette résultant d'une réduction ou d'une annulation de marge. Les courtiers ont pour politique de diriger leurs activités en ce qui concerne les marges selon la date de transaction.

[…]

7.  ÉLIMINATION OU RÉDUCTION DE DETTE

SI: (a) le Client fait défaut de payer une Dette à bonne date; (b) les courtiers considèrent que le dépôt de garantie ne suffit pas à les protéger; (c) à ou avant une date de règlement, le Client omet de se conformer à une obligation énoncée dans le présent contrat, alors, outre tout autre droit ou toute autre mesure de redressement que les courtiers peuvent invoquer, ils peuvent en tout temps et de temps à autre, sans avis ni demande au Client: (A) affecter les sommes détenues au crédit du Client dans tout autre compte auprès des courtiers afin d'éliminer ou de réduire la Dette; (B) vendre, s'engager à vendre ou autrement  (…) tout ou partie des Titres que les courtiers détiennent pour le Client et en affecter le produit à la diminution ou à la réduction de la Dette; (…)»

[102]      Forand s'engage à payer promptement toute Dette apparaissant à un relevé de compte.

[103]      La preuve démontre que Forand n'est pas en dette envers IAVM; les relevés de compte démontrent un solde positif, même après la liquidation du 30 janvier 2007.

[104]      Certes, Forand emprunte d'IAVM pour acheter les Bons du Trésor. Cependant, ceux-ci sont détenus en gage par IAVM. Il s'agit de valeurs qui peuvent être encaissées en tout temps à leur pleine valeur, moins les frais d'au plus 1%.

[105]      Forand n'est donc pas en défaut envers IAVM aux termes de l'article 4 du contrat. IAVM ne peut donc se prévaloir des dispositions de l'article 7 du contrat.

[106]      L'article 5 du contrat permet à IAVM de réduire ou d'annuler une marge ou d'exiger un dépôt de garantie supplémentaire. Ainsi, un client doit payer promptement toute Dette résultant d'une réduction ou d'une annulation de marge. Le terme Dette avec une majuscule réfère à l'article 4 du contrat.

[107]      On comprend donc que l'annulation d'une marge est un outil donné à IAVM lorsqu'un client est en défaut. Forand n'est pas en défaut.

[108]      Voici un extrait des propos de Plante lorsqu'il téléphone à Forand le 29 janvier 2007: [24]

« GP:   Non, c'est pas… J'ai ce droit-là, j'ai ce droit-là, et je vais le prendre. Je veux avoir du canadien contre du canadien et du US contre du US, et je continuerai pas avec un prêt US en canadien, je fais la conversion. Je fais le transfert dans la devise, où est ma garantie. Et ça, je le fais demain matin. À défaut de s'entendre, soyez assuré d'une chose…

[…]

GP:   Monsieur Forand, je vous le dis là, le prêt il va être converti en canadien demain. Je ne continue pas en US. Je suis prêt à vous le prêter l'argent, mais je vous le prête en canadien. Moi je ne continue pas avec le prêt en US, je le prête en canadien. Donc demain, je le convertis en canadien.

[…]

GP:   9h30 demain matin… 9h30 demain matin, je convertis. Parce que vous me dites que non je ne peux pas le faire, je vous assure… Je vous assure que je peux le faire, je vous assure, que si vous lisez vos contrats, vous allez vous rendre compte qu'on a le droit de le faire, puis je vous le garantis que je le fais. Je n'ai pas à continuer sur du US. Ça me fait plaisir de vous faire le prêt de 15 millions, mais je vais vous le faire en canadien. Mais ça me fait plaisir de vous le faire. Je peux vous les financer vos t-bills, j'ai aucun problème. Mais les t-bills canadiens je les finance avec du canadien, les t-bills US avec du US…»

La conversation se termine comme suit:

« GP:  Mais, vous savez là… Vous savez que là-dedans, vous, vous avez le droit de revendre quand vous voulez, puis moi aussi. Les deux, on a le droit de sortir de cette transaction-là quand on veut.

YF:   Non, je ne savais pas que vous aviez le droit de faire ça.

GP:  Ah bin… Ah bin là là, si vous pensiez, si vous ne pensiez pas ça, bien vous venez de découvrir quelque chose. Relisez le contrat de convention sur marge, que vous avez signé. On a… Oui on a le droit de le faire puis oui, c'est maintenant là. Puis déjà que je n'ai même pas à vous donner un avis là aussi long que ça. Je peux vous donner un avis de… de… de 15 minutes et je peux le faire sans avis.

YF:   Pouvez-vous me laisser le temps de vérifier ça?

GP:  Ah bin absolument. Regardez, je vous donne jusqu'à demain matin 9h30. Moi je vais la défaire la transaction. Demain matin à 9h30 là, je vais… Moi je vais de toute façon, à moins d'avoir de vos nouvelles que je fais un transfert ailleurs, je défais la transaction. Après ça, vous vérifierez tout ce que vous voulez, je suis très à l'aise avec ça. Maintenant, ce que je vous dis, et je suis très sérieux. Parce que là, ça fait déjà… heu… une semaine et demie que ça, c'est en discussion, pis je pense qu'on me prend pas au sérieux là, donc là je vous le dis très sérieusement là, c'est demain matin 9h30. C'est là qu'est mon échéance moi.

YF:   Ouin… Ouin… Ouin je vais vérifier ça entre temps là…

GP:  Parfait!

YF:   Okay, bonjour!

GP:  Merci, au revoir.»

[109]      IAVM transfère donc le 30 janvier 2007 les Bons du Trésor dans la marge de crédit canadienne et les vend.

[110]      IAVM ne se conforme pas au contrat. D'une part, elle n'effectue pas un rappel de marge aux termes de l'article 5. D'autre part, elle ne peut vendre aux termes de l'article 7 puisque Forand n'est pas en Dette au sens de l'article 4 du contrat.

[111]      Même si on devait considérer la décision de défaire la transaction communiquée par Plante lors de l'appel effectué en fin d'après-midi du 29 janvier 2007 comme étant un rappel de marge, tel que le plaide Me Thibaudeau, IAVM ne donne pas un avis raisonnable à Forand.

[112]      Pour éviter la liquidation du lendemain, Forand doit verser 5 millions à IAVM. Cela est exorbitant.

[113]      Cette absence de délai raisonnable constitue un abus de droit contractuel comme on peut le lire dans l'arrêt Banque Nationale du Canada c. Houle : [25]

«       À mon avis, la banque a agi d'une façon soudaine, impulsive et dommageable, compte tenu en particulier du fait qu'elle n'ait jamais donné d'avertissement quant aux inquiétudes qu'elle pouvait entretenir à propos de son prêt. La décision de la banque a eu pour résultat de réduire à néant en trois heures plus de cinquante ans de relations d'affaires. Vu le faible risque, du moins dans l'immédiat, de perte de la créance ou des garanties, on se perd en conjectures sur les motifs, le dossier étant silencieux à cet égard, qui ont pu inciter la banque à ne pas attendre à tout le moins la fin des négociations entamées avec Weddel Ltd. avant d'exercer ses garanties. Il y a donc eu abus flagrant du droit contractuel de la banque de réaliser ses garanties après l'échec de sa demande de paiement.

          Je dois ouvrir ici une parenthèse pour souligner que le contrat relatif aux droits de la banque de réaliser ses garanties stipulait, en son paragraphe 4, qu'elle pouvait agir sans avis. Cependant, ce droit apparemment absolu doit être tempéré par le principe du délai raisonnable, et ce qui constitue un abus des droits contractuels en l'espèce, c'est précisément l'absence d'un tel délai raisonnable susceptible de permettre à la compagnie de payer après avoir été mise en demeure.»

[114]      Selon Baudoin et Deslauriers, l'appréciation du caractère raisonnable du délai se fait en tenant compte des facteurs suivants: [26]

« (…) Dans l'appréciation du caractère raisonnable du délai, référence est souvent faite aux critères établis en common law dans l'affaire Mister Broadloom Corp. , soit: (1) le montant du prêt; (2) le risque de perte de la créance ou de la garantie; (3) la durée des relations entre le débiteur et le créancier; (4) les habitudes et la réputation du débiteur; (5) la capacité de trouver les fonds requis à brève échéance; (6) les circonstances entourant la demande de paiement; et (7) tout autre facteur pertinent. (…)»

[115]      Le montant des transactions est important: 17,5 millions. Plante lui demande de déposer 5 millions. Il est impossible pour lui de rencontrer cette exigence en 18 heures.

[116]      En liquidant, Forand risque de perdre des sommes importantes en raison des fluctuations de la devise.

[117]      Client depuis le 15 juillet 2004, Forand, sur les conseils du représentant d'IAVM, transige sur devises depuis le 8 septembre 2005. Ce facteur est important: de façon abrupte, IAVM décide de mettre fin à une relation d'affaires parce qu'elle réalise soudainement qu'elle est à risque. IAVM ne peut en faire porter le blâme à Forand ni le qualifier d'investisseur sophistiqué, pour utiliser les mots de leur expert Perreault.

[118]      IAVM outrepasse donc l'entente intervenue et ne respecte pas les efforts de Maheux et de Clément pour minimiser les pertes des deux parties. En respectant l'entente, avec une vente à 0,84 $, IAVM ne perd rien puisqu'il reste encore 125 000 $ dans le compte.

[119]      Me Thibaudeau soumet que Forand est avisé de cette décision depuis le 5 janvier 2007. Cet argument ne tient pas compte des événements et des tractations survenus entre les parties, ni de l'entente qui tient toujours en date du 29 janvier 2007.

[120]      L'opinion de Perreault ne peut également être retenue pour les mêmes raisons.

[121]      Le Tribunal est donc d'avis qu'IAVM ne respecte pas le contrat ni l'entente. Elle ne se conforme pas aux règles de l'art, de l'équité et de la loyauté.

C-        Les dommages

i)          La somme de 293 023,26 $

[122]      Le calcul et les taux de la devise ne sont pas contestés.

[123]      IAVM liquide le portefeuille à 0,8456 $. L'entente stipule clairement qu'elle ne peut vendre avant que le prix de la devise canadienne sur le marché ne tombe sous le seuil de 0,84 $. Forand s'engage aussi à vendre si la devise atteint 0,86 $.

[124]      Forand refuse de vendre lorsque Plante le lui demande le 29 janvier 2007.

[125]      En vendant à 0,8456 $, IAVM rompt cette entente, causant ainsi une perte directe à Forand.

[126]      En effet, en respectant l'entente, Forand aurait dû liquider le 21 février 2007 lorsque la devise atteint 0,8612 $. [27] La perte est donc établie à la somme de 293 023,26 $.

[127]      Le Tribunal ne peut retenir l'argument d'IAVM que Forand aurait pu se rendre chez un autre courtier et faire les mêmes transactions.

[128]      D'autre part, MAN déconseille à Clément et à Forand de faire le transfert le 29 janvier 2007.

[129]      D'autre part, la preuve ne démontre pas quand IAVM a décaissé le solde restant dans le portefeuille de Forand après la transaction du 30 janvier 2007, soit une somme de 233 265,14 $. [28]

[130]      En transférant chez MAN, Forand risque de perdre; c'est ce qui le convainc de ne pas transférer son compte. Le risque est corroboré par l'expert Perreault lorsque celui-ci se dit d'avis que MAN n'aurait pas accepté tel quel le transfert et aurait imposé des conditions comme des garanties additionnelles ou un gros dépôt.

[131]      Clément a donc raison de refuser de liquider le portefeuille de Forand comme le lui demande Plante. Il répond clairement: « Moi, je ne vendrai pas; vous allez le faire ».

[132]      La réclamation de 293 023,26 $ est accordée.

ii)         La réclamation de 20 000 $ pour stress, trouves et inconvénients

[133]      La preuve sur ce chef est plutôt sommaire.

[134]      Forand dit avoir été assommé, déboussolé par la décision d'IAVM. Il ne comprend toujours pas pourquoi IAVM brise l'entente puisqu'elle ne perdait rien en respectant les barèmes de protection 0,84 $ - 0,86 $.

[135]      Il dit avoir vécu un stress.

[136]      La preuve ne justifie pas l'octroi de cette réclamation.

[137]      Forand est un homme d'affaires averti. Il est courtier immobilier. Il vit donc quotidiennement le stress relié au monde des affaires.

[138]      Cette réclamation est rejetée.

iii)        La réclamation de 50 000 $ pour dommages exemplaires

[139]      Les articles 49 et 6 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne [29] se lisent comme suit:

49. Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d'obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

6. Toute personne a droit à la jouissance paisible et à la libre disposition de ses biens, sauf dans la mesure prévue par la loi.

[140]      Forand n'a pas démontré une atteinte illicite.

[141]      L'indemnisation accordée compense la faute commise par IAVM.

[142]      Cette réclamation est rejetée.

IV)        La somme de 30 000 $ à titre d'honoraires extrajudiciaires

[143]      Forand n'a pas démontré un abus de procédure et ne rencontre pas les critères de l'arrêt Viel . [30]

[144]      Cette réclamation est rejetée.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

ACCUEILLE en partie la Requête introductive d'instance des demandeurs Yves Forand et Lise Choinière;

REJETTE la défense de la défenderesse Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc.;

CONDAMNE la défenderesse Industrielle Alliance Valeurs mobilières inc. à payer aux demandeurs Yves Forand et Lise Choinière la somme de 273 023,26 $ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle à compter du 19 septembre 2007;

LE TOUT AVEC DÉPENS .

 

 

 

 

_________________________________

michel déziel, J.C.S.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Me Isabelle Grégoire

TUTINO EDWARDS JOSEPH

Procureure des demandeurs

 

Me Georges R. Thibaudeau

Me Sophie Hébert

BORDEN LADNER GERVAIS

Procureur de la défenderesse

 

Dates d'audience : 18, 19 et 20 avril 2011

 

 

 

 

 

 



[1] Pièce P-1.

[2] Pièce P-2.

[3] Requête introductive d'instance datée du 17 juillet 2008.

[4] Pièce P-9.

[5] Pièce P-7.

[6] Affidavit détaillé d'André Clément, 6 décembre 2007. Avis selon 294.1 C.p.c. en date du 19 juin 2008.

[7] Pièce D-6.

[8] Pièce P-6 -Transcription d'une conversation téléphonique tenue le 29 janvier 2007.

[9] Pièce P-8.

[10] Pièce P-6 - Transcription de la conversation téléphonique tenue en après-midi du 29 janvier 2007 entre Plante, Douville et Forand.

[11] Pièce D-7 A - curriculum vitae.

[12] Pièce D-7.

[13] Pièce P-1.

[14] Pièce D-7, paras. 25, 45 à 50.

[15] Pièce D-1 - Rapport des transactions du 28 juillet 2004 au 16 février 2007.

[16] Pièce D-2 - Rapport des transactions du 4 août 2004 au 16 février 2007.

[17] Interrogatoire au préalable du 12 mars 2008, pp. 9 et 10.

[18] Supra , note 17, p. 28, l. 11 à 25 et p. 29, l. 1 et 2.

[19] Pièces P-7 et D-5.

[20] Pièce P-7.

[21] Pièce D-5.

[22] Beatty c. Inns , [1953] B.R. 349 , pp. 352 et 353.

[23] Pièce P-1, art. 4, 5 et 7.

[24] Pièce P-6, pp. 3, 4 et 6.

[25] [1990] 3 R.C.S. 122 , p. 55 de 68.

[26] BAUDOIN, Jean-Louis et Patrice Deslauriers, La responsabilité civile , 7 e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2007, p. 402.

[27] Pièce P-5 - Relevé de la Banque du Canada quant au taux de change du dollar canadien du 18 décembre 2006 au 19 octobre 2007.

[28] Pièce D-3 - Relevé de compte d'IAVM de décembre 2006 et janvier 2007.

[29] L.R.Q., Chapitre C-12.

[30] Viel c. Les entreprises immobilières du terroir ltée , [2002] R.J.Q. 1262 (C.A.).