Fatouros c. Agence du revenu du Québec |
2011 QCCQ 4601 |
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JD2273
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« Division administrative et d’appel » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
Montréal |
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« Chambre civile » |
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N° : |
500-80-011896-082 |
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DATE : |
17 mai 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE DANIEL DORTÉLUS |
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PANAGIOTIS FATOUROS |
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Demandeur |
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c. |
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L’AGENCE DU REVENU DU québec |
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Défenderesse |
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JUGEMENT |
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[1]
Il s'agit d'un appel logé le 28 août 2008 en vertu de l'article
1. objet de l'appel
[2] L'objet de l'appel porte sur un montant de 394 715 $ que le MR considère comme un revenu du demandeur pour l’année 2005. Il l’a, en conséquence, cotisé pour un montant de 156 923,68 $ en impôt, pénalités et intérêts.
[3] Le demandeur soulève que c’est à tort que le MR a ajouté à ses revenus, pour l’année 2005, le montant de 394 715 $, qu’il a reçu de son père afin de lui permettre d’acquérir une franchise de la chaîne de restaurants Casa Grecque.
[4] Le demandeur s’est déchargé de son fardeau de preuve, il a réussi à renverser la présomption de validité dont bénéficie la cotisation [2] en démontrant que c’est son père qui a déposé, dans son compte de banque en Grèce, le montant en question qui a été transféré dans son compte à Montréal, pour être investi dans l’achat d’une franchise de la chaîne de restaurants Casa Grecque en 2005.
[5] La prémisse sur laquelle le MR s’est basé pour émettre, le 30 janvier 2008, la nouvelle cotisation contestée, étant erronée, l’appel doit être accueilli.
2. contexte factuel
[6] Le demandeur a immigré au Canada en 1999 à l’âge de 21 ans.
[7] Antérieurement, il vivait en Grèce chez ses parents. Il était étudiant. Son expérience d’emploi se limite à des travaux occasionnels durant les fins de semaine et les vacances d’été dans l’entreprise de son père.
[8] Il est hébergé chez son oncle à Montréal jusqu’à ce qu’il commence à travailler en 2003.
[9] Il a débuté comme serveur, par la suite, il est devenu gérant de service au restaurant Casa Grecque à Dollar-des-Ormeaux, poste qu’il continue d’occuper.
[10] L’oncle du demandeur est propriétaire de la chaîne de restaurants Casa Grecque. En 2005, le demandeur est intéressé à acheter une franchise de Casa Grecque. Le prix demandé est de l’ordre de 350 000 $.
[11] En mai, le demandeur se rend en Grèce pour solliciter l’aide financière de son père pour l’aider à se lancer en affaire dans le secteur de la restauration.
[12] Le 4 mai 2005, il ouvre un compte auprès d’une institution bancaire en Grèce. Il revient à Montréal le 5 mai 2005.
[13] Le 17 mai 2005, un montant de 250 000 euros, représentant 394 715 $ en dollars canadiens, est déposé au compte du demandeur en Grèce par son père, M. Georgios Fatouros. Vers la fin de mai 2005, ce montant est transféré au compte bancaire du demandeur au Canada. (pièces P-4 et P-5).
[14] Le demandeur a investi la somme de 250 000 $ dans l’achat d’une franchise de Casa Grecque à Laval par l’intermédiaire de la société 4277597 Canada inc. dont il est le seul actionnaire.
[15] Le demandeur produit les états de revenus et dépenses de la société dans lesquels figure le montant de 250 000 $ à titre de montant dû aux directeurs de la société.
[16] Le demandeur a laissé la somme de 144 715 $ en fidéicommis auprès de Casa Grecque, en vue de l’achat d’une deuxième franchise. Par la suite, il a remboursé ce montant à son père car l’achat du deuxième restaurant n’a pas eu lieu.
[17] Le restaurant acquis par le demandeur est ouvert en 2005. Il a confié le démarrage du restaurant à son oncle qui possède plus d’expérience dans le domaine. Le demandeur travaille en collaboration avec son oncle pour la gestion du restaurant qui est rentable.
[18] M. George Fatouros corrobore la version du demandeur. Il possède une entreprise œuvrant en Grèce, dans le secteur de la préparation de fenêtres et de cadres de fenêtres pour des constructions résidentielles et autres. Son entreprise compte douze (12) employés.
[19] Le témoin explique que le montant déposé en argent comptant au compte de son fils provenait, en partie, d’une somme de 150 000 euros qui lui appartenait et des revenus générés par son entreprise suite à des travaux exécutés lors des olympiques.
[20] Questionné en contre-interrogatoire sur la raison pour laquelle il garde en sa possession des montants substantiels en argent comptant, M. George Fatouros explique qu’en raison de la situation économique en Grèce, il est plus sûre de garder l’argent comptant à la maison que de le déposer dans une institution financière.
[21] Il a obtenu auprès de National Bank of Greece, les documents qu’il a transmis à son fils (pièces P-6 et P-8) qui confirment le dépôt effectué au mois de mai 2005 au compte du demandeur.
[22] En 2008, son fils lui a remboursé un montant de 85 000 euros.
[23] M. Gilles Dansereau est vérificateur à l'Agence du revenue Québec depuis 20 ans.
[24] Il a procédé à la vérification dans le dossier en litige qui lui a été attribué en juin 2006, suite à une vérification pour des taxes dont a fait l’objet le restaurant Casa Grecque de Laval.
[25] La somme de 394 715 $ investie par le demandeur soulevait des soupçons vu ses revenus peu élevés.
[26] Après avoir obtenu une réponse laconique du demandeur sur la provenance de cette somme, Monsieur Dansereau a demandé des documents pour prouver la provenance des fonds.
[27] Bien qu’un affidavit signé par le père du demandeur et des documents émis par la banque nationale de la Grèce lui aient été fournis, Monsieur Dansereau estime que le demandeur n’a pas fourni une preuve satisfaisante, en conséquence, la nouvelle cotisation a été émise. Des pénalités sont appliquées en raison du montant élevé.
[28] Monsieur Dansereau reconnaît que le demandeur n’a pas fait de déclaration mensongère et qu’il a bien collaboré dans le cadre de la vérification. Il soulève que la preuve n’a pas été faite des revenus du père du demandeur.
[29] Suite à un avis d’opposition produit dans les délais par le demandeur, le 29 mai 2008, la direction des oppositions du MR rend une décision maintenant la nouvelle cotisation au motif que le montant de 394 715 $ a été validement inclus dans les revenus du demandeur pour l’année 2005.
[30] Le demandeur interjette appel devant cette Cour de la décision du MR, il demande l’annulation de la nouvelle cotisation.
3. prétentions des parties
[31] Initialement, le sous-ministre du revenu agissait à titre de défendeur en l’instance. Il a été substitué par l’Agence de revenu du Québec (ARQ) [3] .
[32] Le demandeur soumet que la décision du MR est entachée d’erreur, car le montant de 394 715 $ n’est pas un revenu. Il s’agit de donation. Quant au montant que le demandeur a remboursé à son père, il peut être considéré comme un prêt.
[33] Selon le demandeur, la prétention de l’ARQ à l'effet qu’il n’a réussi à renverser la présomption de validité de la nouvelle cotisation, n’est pas fondée.
[34] L’ARQ prétend que le demandeur n'a pas fait la preuve que le montant de 394 715 $ appartenait à son père.
[35] L’ARQ prétend que le demandeur n'a pas fait la preuve des revenus du père du demandeur. La preuve testimoniale est insuffisante pour établir la provenance des fonds selon l’ARQ.
4. analyse et motifs
4.1 Questions en litige
[36] Essentiellement, l'appel est circonscrit aux questions suivantes :
·
Le montant de 394 715 $ déposé dans le compte du demandeur par
son père constitue-t-il un revenu au sens de l’article 28 de la
Loi sur
l’impôt
et de l’article
· Le demandeur avait-il l’obligation de faire la preuve des revenus de son père qui réside en Grèce où il opère son entreprise ?
4.2 Principes de droit applicable
[37]
La cotisation contestée est présumée
valide, et ce, en vertu des dispositions de l’article
1014. Sous réserve des modifications ou de l'annulation résultant d'une opposition, d'un appel ou d'un appel sommaire et sous réserve d'une nouvelle cotisation, une cotisation est réputée valide et tenante nonobstant toute erreur, vice de forme ou omission qui s'y trouve ou qui se trouve dans toute procédure s'y rattachant.
[38] Sur la question de la présomption de validité des cotisations fiscales et du fardeau de preuve du contribuable, dans l'arrêt Jean-Guy St-Georges et St-Georges Hébert Inc. c. le Sous-ministre du Revenu [5] , la Cour d'appel enseigne :
[8] L'article
[9] Dans
9027-5967 Québec Inc. (Sous-Ministre
du Revenu
),
[13] Dans l'arrêt Durand c . Québec (sous-ministre du Revenu) , la Cour a réitéré les règles relatives à la présomption de validité de la cotisation fiscale et des fardeaux de preuve qui en découlent. Reprenant les principes énoncés par la Cour suprême dans Hickman Motors Ltd. c . Canada , la Cour dit :
-
La cotisation fiscale jouit d'une présomption de validité (art.
- Le fardeau initial du contribuable consiste à « démolir » l'exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie .
- Lorsque le contribuable présente une telle preuve, il y a renversement du fardeau de la preuve.
- Le fisc doit alors réfuter la preuve prima facie et prouver la cotisation établie par présomption.
[14] Règle générale, la preuve prima facie se définit comme une preuve suffisante pour établir un fait jusqu'à preuve du contraire. Dans Stewart c . M.R.N. , le juge Cain mentionne qu'«une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé.
{Références omises}
[39] Dans l’arrêt Durand c. Québec (sous-ministre du Revenu) [6] , cité par le demandeur, la Cour d’appel, sous la plume de l’honorable Thibault, résume ces mêmes principes en ces termes :
·
La cotisation fiscale jouit d’une présomption de validité (art.
· Le fardeau initial du contribuable consiste à « démolir » l’exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie .
· Lorsque le contribuable présente une telle preuve, il y a renversement du fardeau de la preuve.
· Le fisc doit alors réfuter la preuve prima facie et prouver la cotisation établie par présomption. »
{Références omises}
[40] Suivant ces principes qui s’appliquent en l’espèce, il appartient au demandeur, à « démolir » l’exactitude de la présomption en présentant une preuve prima facie que le montant de 394 715 $ ajouté à son revenu en 2005 ne constitue pas un revenu.
[41] Si la présomption de validité est repoussée, il appartient au MR de réfuter la preuve prima facie et de démontrer que la cotisation établie est fondée.
[42] En appliquant ces principes à la preuve, le Tribunal estime que le demandeur a réussi à démolir les faits sur lesquels s'appuie la cotisation en démontrant, par une preuve prima facie , qu'elle est inexacte, ce pour les motifs qui suivent.
[43] Il ressort du témoignage du père du demandeur que, d’une part, c’est lui qui a effectué le dépôt de 250 000 euros le 17 mai 2005 au compte bancaire de son fils, d’autre part, ce montant était destiné afin de l’aider à se lancer en affaire dans le secteur de la restauration au Canada où réside son fils.
[44] La preuve documentaire produite au dossier démontre que le dépôt effectué auprès d’une institution financière en Grèce est transféré au compte du demandeur au Canada et que le montant de 250 000 $ est effectivement investi en 2005 par le demandeur dans le cadre de l’acquisition d’une franchise d’un restaurant Casa Grecque à Laval.
[45] Le Tribunal suit le raisonnement du juge Cain dans Stewart c . M.R.N. , cité précédemment, voulant qu’une preuve prima facie est celle qui est étayée par des éléments de preuve qui créent un tel degré de probabilité en sa faveur que la cour doit l'accepter si elle y ajoute foi, à moins qu'elle ne soit contredite ou que le contraire ne soit prouvé.
[46] La preuve présentée par le demandeur n’est pas contredite, l’ARQ n’a apporté aucun élément pour prouver le contraire ni pour affecter la crédibilité du demandeur et de celle de son père.
[47] Il y a donc renversement du fardeau de la preuve. Il appartient à l’ARQ de réfuter la preuve prima facie et prouver la cotisation établie par présomption.
[48] La preuve présentée par l’ARQ qui se limite à des soupçons qui ne sont étayés par aucune preuve concrète est insuffisante pour prouver la cotisation établie par présomption.
[49] La suggestion de l’ARQ que la preuve du demandeur serait insuffisante vu l’absence de preuve documentaire des revenus de son père, n’est pas retenue. Il n’existe aucune assise légale pour exiger de fournir les déclarations de revenus du père du demandeur qui réside en Grèce. La non-production de ces déclarations de revenus n’a pas d’incidence sur le fardeau respectif de preuve de chacune des parties en l’instance.
[50] La preuve d'un fait pertinent au litige peut être faite par tous les moyens, c'est ce que prévoit l'article 2857 C.c.Q. [7] . L’ARQ n'a produit aucune autorité ni article de loi pour supporter sa prétention voulant que l'écrit soit nécessaire afin de rencontrer le fardeau de preuve du demandeur.
[51] À l'article 2811 C.c.Q. [8] , sont énumérés les cinq moyens de preuve connus, soit : témoignage, écrit, aveu, production d'un élément matériel et présomption. L'écrit n'est pas privilégié par rapport aux autres moyens de preuve.
[52] Dans l’arrêt Valentini [9] , la Cour d’appel enseigne qu'il n'existe aucune règle interdisant de considérer comme prépondérant un témoignage non appuyé d'éléments d'information indépendants susceptibles de le confirmer.
[53] Pour les motifs exprimés précédemment, le Tribunal conclut que la décision du MR d’ajouter au revenu du demandeur en 2005 le montant de 394 715 $ qu’il a reçu de son père, n'est pas fondée, en conséquence, la nouvelle cotisation attaquée doit être annulée.
[54] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[55] Accueille l'appel;
[56] Annule la nouvelle cotisation portant le numéro ML867827C01 pour l'année d'imposition 2005 émise le 30 janvier 2008;
[57] Défère au Ministre du Revenu le nouvel avis de cotisation visant l'année d'imposition 2005 du demandeur, portant le numéro ML867827C01, pour la mise en application du présent jugement.
[58] Le tout, chaque partie payant ses propres frais.
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__________________________________ DANIEL DORTÉLUS, J.C.Q. |
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M e Basile Angelopoulos |
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Angelopoulos Kiriazis |
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Avocats du demandeur |
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M e Éric Labbé |
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Larivière Meunier (Revenu Québec) |
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Avocats de la défenderesse |
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Date d’audience : |
29 avril 2011 |
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[1] L.R.Q., c. M-31, art. 93.1.10 .
[2]
Impôts (Loi sur les)
, (L.R.Q., c. I-3), art.
1014
;
St-Georges
c.
Québec (Sous-ministre du Revenu)
,
[3] Loi sur l’administration fiscale, L.R.Q. c. A-6.002 art 72.
[4] L.R.Q., c. I-3, art. 1014 .
[5]
CAM
[6]
C.A.Q.
[7] 1991, c. 64, art. 2857.
[8] Id ., art. 2811.
[9]
Québec (Sous-ministre du Revenu)
c.
Valentini
,