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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2011-3313 |
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Date : |
Le 3 mai 2011 |
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DEVANT L’ARBITRE : |
ANDRÉ DUBOIS, M.Sc., LL.M. |
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Transdev-Limocar (Limocar Basses Laurentides),
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Ci-après appelé « l’employeur » |
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-et-
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L’Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, Teamsters Québec, section locale 106 (FTQ),
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Ci-après appelée « le syndicat » |
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N o du grief : 11130 du 16 mars 2010 Plaignant : M. Jacques Bordeleau Nature du grief : congédiement
Convention collective : 2006-2015
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Représentant l’Employeur : M e Marc-André Laroche Représentant le Syndicat : M e Marie-Ève Crevier
Audiences : 16 décembre 2010, 12 janvier et 3 mars 2011 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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(Code du travail, art. 100 et ss) |
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[1] Le 8 avril 2010, les parties m’informaient qu’elles m’avaient désigné, en qualité d’arbitre, pour entendre et disposer du grief déposé par M. Jacques Bordeleau, par lequel celui-ci conteste son congédiement.
[2] Après que la procureure syndicale eut déposé la convention collective applicable (S-1), elle a produit le grief n o 11130 (S-2) déposé par M. Jacques Bordeleau, le 16 mars 2010.
[3] Ce grief se lit comme suit :
Je conteste la décision de mon employeur de m’avoir congédié le 15 mars 2010.
Je réclame que ce congédiement soit annulé, (de) réintégrer mon poste régulier ainsi que toutes les sommes d’argent perdues avec avantage et intérêt.
[4] La procureure syndicale a ensuite déposé la lettre de congédiement (S-3) que MM. Jean Thibodeau, directeur des ressources humaines et Daniel Rivet, gérant de division, avaient remis en mains propres à M. Jacques Bordeleau, le 15 mars 2010 et dont copie a été remise, à l’époque, au syndicat.
[5] Elle énonce ce qui suit :
Monsieur Jacques Bordeleau
[…]
Objet : Congédiement______________________________________________
Monsieur,
Le 26 février dernier, à la suite de votre circuit du matin, monsieur Daniel Rivet vous a demandé de venir à son bureau afin de savoir pourquoi la veille vous n’aviez pas utilisé un code radio malgré nos directives à cet effet. Nonobstant votre refus d’entrer dans le bureau de monsieur Rivet, celui-ci vous a rappelé une fois de plus la directive relative à l’utilisation des codes radio.
À la suite de cette discussion, vous vous êtes dirigé à la salle de toilette. À votre sortie, alors que monsieur Rivet se trouvait dans la salle des chauffeurs, vous l’avez interpellé en le qualifiant de «débile» et de «fanfaron, et ce, en présence d’autres employés». Il vous a alors demandé de répéter ce que vous veniez tout juste de dire et vous avez réitéré en le qualifiant à nouveau de «fanfaron», en lui indiquant au surplus de regarder la définition de ce terme dans le dictionnaire.
Ce genre de propos, comportement et attitude est inacceptable vis-à-vis un supérieur et va à l’encontre de votre obligation de respect et de courtoisie, en plus de nuire à la bonne marche de l’entreprise.
L’analyse de votre dossier démontre que vous avez été discipliné à plusieurs reprises pour des manquements de même nature. Ainsi, on retrouve notamment :
- Un avis de suspension sans solde de dix (10) jours, daté du 28 octobre 2009, pour avoir fait preuve d’attitude négative et insubordonnée, d’insubordination et avoir quitté les lieux de travail sans autorisation ;
- Un avis de suspension sans solde de trois (3) jours, daté du 15 juin 2009, pour avoir affiché une attitude insubordonnée face à un supérieur ;
- Un avis de suspension sans solde d’une (1) journée, daté du 13 novembre 2008 concernant votre absence injustifiée à une formation qui était pourtant obligatoire ;
- Une note de service en date du 13 septembre 2007 vous demandant d’amender votre attitude envers vos supérieurs ;
- Un avis de sensibilisation du 30 octobre 2006 ayant trait à des comportements négatifs ou à votre attitude ;
- Un avis de sensibilisation du 11 juin 2006 vous demandant d’amender votre attitude négative.
Nous en venons à la conclusion que malgré les nombreuses mesures disciplinaires et les avis de sensibilisation qui vous ont été communiqués, vous ne saisissez pas l’importance de modifier vos comportements et attitudes.
Compte tenu de ces derniers événements et de votre dossier, nous avons pris la décision de mettre fin à votre emploi, et ce, dès aujourd’hui, le 15 mars 2010.
Nous vous demandons de bien vouloir nous remettre l’ensemble des équipements et documents appartenant à la compagnie et qui vous ont été prêtés dans le cadre de vos fonctions, et ce, sans délai. Ces éléments comprennent notamment :
- L’uniforme
- La puce électronique d’accès
- Le limoguide
- La carte d’employé
- La carte OPUS
- La billetterie
[…]
[6] Les procureurs ont ensuite procédé aux admissions d’usage, à savoir que les procédures de grief et d’arbitrage avaient été suivies, que l'arbitre était validement saisi du litige et avait compétence pour en disposer.
[7] Ils ont également demandé à l'arbitre de garder compétence, le cas échéant, sur le quantum advenant le cas où le grief du plaignant était accueilli en totalité ou en partie.
[8] Enfin l’exclusion des témoins a été accordée par l'arbitre.
[9] M. Jacques Bordeleau , le plaignant, a été le premier témoin entendu.
[10] Il travaille pour la Commission scolaire des Mille-Îles depuis 2003, en qualité d’ouvrier d’entretien.
[11] À l’époque, a-t-il dit, il occupait deux emplois.
[12] Il est entré à l’emploi de Limocar en février 1998, en qualité de chauffeur d’autobus. Bien qu’il ait été laveur d’autobus pendant un certain temps, son emploi principal a toujours été celui de chauffeur d’autobus intermédiaire.
[13] Appelé à préciser ce qu’il entendait par « autobus intermédiaire », M. Bordeleau a indiqué qu’il s’agissait du type de véhicule qui dessert une clientèle scolaire mais à la différence que le véhicule est de couleur blanche. Il travaillait selon un régime d’heures brisées, à raison de vingt-cinq (25) heures par semaine.
[14] Il y a, a-t-il dit, un contrat de transport avec le Conseil Intermunicipal des Laurentides (CITL) et les Commissions scolaires. Ce contrat est assumé par Limocar Basses Laurentides.
[15] Pour sa part, M. Bordeleau effectuait du transport scolaire, pendant dix mois, de septembre à juin. La clientèle est principalement composée d’étudiants de secondaire I à V ainsi que des certains clients civils.
[16] Au cours des sept dernières années, M. Bordeleau a travaillé à raison de 5 jours par semaine.
[17] À l’aide d’un feuillet intitulé « Assignation 124 » (E-1), M. Bordeleau a précisé son horaire, soit de 7h25 à 9h35 et de 15h15 à 18h05. C’était l’horaire applicable en mars 2010. M. Bordeleau a expliqué que, dans ses fonctions, il relevait de deux personnes.
[18] Il relevait d’un répartiteur en ce qui concerne les affectations et les horaires et d’un gérant de division, M. Eric Laroche. C’est toutefois M. Daniel Rivet qui était son gérant de division au moment où il a été congédié.
[19] Interrogé sur la lettre de congédiement (S-3), M. Bordeleau a affirmé que cette lettre lui avait été remise en mains propres, par M. Rivet, lors d’une rencontre tenue au siège social, le 15 mars 2010, en présence de Mme Sonia Gagnon, laquelle était déléguée syndicale.
[20] Assistaient également à cette rencontre, MM. Pierre-Luc Bélanger, chef répartiteur et François Bédard, représentant syndical.
[21] La rencontre, a-t-il dit, a duré à peine 10 minutes. M. Rivet a déposé la lettre sur le bureau et lui a dit « qu’avec tout ce qui s’était passé, il le congédiait ». Il lui a alors remis la lettre.
[22] Le procureur patronal a ensuite abordé le contenu de la lettre avec le plaignant.
[23] Interrogé sur un incident survenu le 26 février 2010, M. Bordeleau a raconté qu’au retour de sa ronde du matin, vers les 9h35, il est entré dans le local des chauffeurs après avoir emprunté le corridor.
[24] C’est à ce moment, a-t-il dit, que M. Rivet, « l’a apostrophé », en criant, pour lui dire de venir à son bureau. Il a alors ajouté, toujours en criant, avoir corrigé une erreur à son rapport.
[25] Il s’agit, a-t-il précisé, du rapport journalier de vérification du véhicule (V.A.D. : vérification avant départ).
[26] Selon M. Bordeleau, M. Rivet lui reprochait de ne pas avoir utilisé les codes-radio, la veille, alors qu’il conduisait le véhicule n o 981.
[27] Le témoin a poursuivi en disant que chez Limocar Basses Laurentides, tous les chauffeurs communiquaient avec la répartition en utilisant une radio C.B . lors d’une urgence ou pour toute autre raison, telle un bris mécanique.
[28] En 1998, lorsqu’il a débuté comme chauffeur, M. Bordeleau se souvient que dans le cadre de sa formation d’intégration, il avait reçu un cours sur le C.B.
[29] En 2003, avec Limocar, M. Bordeleau se souvient avoir reçu un Limoguide , sorte de document de formation dont un chapitre traitait de l’utilisation de la radio CB .
[30] Après lui avoir exhibé un extrait (E-2) du Limoguide , intitulé « Module 2 - Limogestion », M. Bordeleau a affirmé qu’il connaissait la série de codes énumérés à la page 10 du guide, applicables aux radiocommunications.
[31] Interrogé sur le contenu de la page 6 du guide, traitant de « l’utilisation du système de radio communication avec la répartition », M. Bordeleau a affirmé qu’il était appelé à y avoir recours quotidiennement.
[32] Interrogé sur une liste amendée des codes-radio (E-3), émise en 2003, M. Bordeleau a affirmé n’avoir jamais vu cette liste.
[33] Le témoin a poursuivi en disant que les codes-radio étaient affichés « en gros » dans certains véhicules. Dans d’autres, a-t-il ajouté, les codes étaient inscrits en très petits caractères, si bien qu’il fallait se lever pour être en mesure de les lire.
[34] Selon M. Bordeleau, l’incident qui était survenu le 25 février 2010, n’entrait pas dans aucun des codes figurant sur la liste des codes-radio.
[35] M. Bordeleau a également affirmé que l’intensité de la lumière dans la cabine du véhicule 981 était minime.
[36] Interrogé quant à savoir s’il portait des lunettes lorsqu’il conduisait un véhicule, M. Bordeleau a répondu négativement.
[37] Le procureur patronal a alors demandé à M. Bordeleau de lui raconter ce qui s’était produit le 25 février 2010.
[38] Le témoin a raconté que ce matin là, il avait fait son circuit avec un autre véhicule. Il faisait beau, a-t-il dit. Dans l’après-midi, on lui a assigné le véhicule n o 981. Il se souvient qu’il faisait très mauvais au cours de cet après-midi.
[39] Il est possible, de dire le témoin, que le véhicule qui lui avait été assigné, le matin même, était le n o 922.
[40] Le document attestant de l’assignation des chauffeurs et de l’attribution des véhicules (E-4) confirme que le véhicule qui avait été assigné à M. Bordeleau, le 25 février au matin, portait le n o 922210.
[41] Le témoin a poursuivi en disant que dans l’après-midi, vers 14h50, on lui avait confié un autre véhicule et qu’il s’était alors rendu à l’École St-Gabriel. C’était alors un début de tempête et les routes étaient en partie couvertes de neige.
[42] M. Bordeleau a complété tout son circuit sur le boulevard des Mille-Îles, ce qui requiert environ 8 minutes, et son véhicule se comportait correctement.
[43] Il s’est, par la suite, rendu à la Polyvalente Ste-Thérèse. L’autobus était rempli à pleine capacité.
[44] La circulation était intense et il faisait très mauvais. Alors qu’il était rendu au boulevard Celeron, M. Bordeleau a commencé à éprouver des problèmes avec son véhicule Aussitôt qu’il appuyait sur l’accélérateur, a-t-il dit, l’autobus s’emballait. Dès qu’il appuyait sur les freins, l’arrière de l’autobus « se mettait à se tasser ».
[45] La première fois qu’il a éprouvé cette difficulté, il se trouvait à proximité du poste de police de Blainville. Il a eu de la misère, a-t-il ajouté, à effectuer son arrêt.
[46] Lorsqu’il est arrivé dans la zone de l’école, il roulait à 30 km/heure. En voulant arrêter et en appuyant sur les freins, l’autobus s’est alors mis à glisser, « l’arrière du véhicule voulant passer vers l’avant ».
[47] M. Bordeleau a affirmé avoir tenté de contacter la répartition au moyen de sa radio CB , mais la communication était mauvaise et entrecoupée. Il a finalement rejoint M. Martel ou Bélanger et, évoquant son problème de freins, il a alors demandé s’il pouvait obtenir un autre véhicule. On lui a répondu qu’il n’y avait pas de véhicule en réserve (« no spare »).
[48] M. Bordeleau dit avoir tenté de rejoindre l’inspecteur, M. Michel Perron, au 704, mais la communication était mauvaise. Il l’a rejoint et lui a alors demandé quelle était son « 10-10 » (sa localisation). M. Bordeleau voulait que ce dernier vienne à sa rencontre pour constater l’état du véhicule. M. Perron ne pouvait s’y rendre, se trouvant à l’autre extrémité du territoire.
[49] Le répartiteur lui a alors dit « de faire du mieux qu’il le pouvait ».
[50] M. Bordeleau dit avoir continué de faire son circuit de peine et de misère, lentement, et il est finalement revenu au garage de Boisbriand.
[51] Lorsqu’il a rejoint le répartiteur, vers 16h45, M. Bordeleau lui a indiqué qu’il éprouvait des problèmes avec les freins du véhicule, sans toutefois utiliser le code prévu à cet effet. Il ne connaissait pas celui-ci par cœur.
[52] Rendu au garage, il a complété un rapport (E-5), intitulé « Vérification avant départ ». Malgré son appellation, il a complété ce rapport à son retour, vers les 16h50.
[53] Essentiellement, les mentions suivantes sont rapportées : « Danger, pas bons freins » - « Siège du chauffeur très instable » - « Les 4 barres de côté droit instables, danger passage ». M. Bordeleau a signé ce rapport.
[54] M. Bordeleau a affirmé que le répartiteur lui avait fait une copie du rapport E-5 qu’il lui avait remise. M. Bordeleau dit avoir alors ajouté des commentaires, sur la feuille, au bas du formulaire, ce qui a donné la pièce E-6, dont il a remis copie à son répartiteur, un « petit nouveau », du nom de Pierre-Yves. Il a même invité ce dernier, a-t-il dit, à venir examiner son véhicule. Par la suite, M. Bordeleau dit s’en être retourné chez lui.
[55] Le lendemain matin, 26 février 2010, M. Bordeleau dit avoir pris le véhicule n o 922210, avoir effectué sa ronde du matin et être revenu au bureau vers les 9h40. Il a alors stationné son véhicule, est entré au bureau et s’est dirigé en direction du local des chauffeurs en empruntant le corridor.
[56] C’est à ce moment que M. Rivet « l’a apostrophé ». Tout en criant, ce dernier lui a reproché d’avoir corrigé son rapport et de ne pas avoir utilisé les codes-radio. M. Bordeleau dit lui avoir répondu « Si vous voulez me rencontrer, mettez mon nom sur le tableau de la salle des chauffeurs »! Il s’est ensuite dirigé vers la salle de bain.
[57] M. Bordeleau a précisé que lorsque la direction désire rencontrer un chauffeur, c’est la façon usuelle de lui faire le message que d’inscrire son nom sur ce tableau.
[58] Selon M. Bordeleau, durant l’échange avec M. Rivet, il a toujours « vouvoyé » ce dernier.
[59] M. Bordeleau a poursuivi en disant au moment où il était dans la salle de bain, seul, il « ruminait ». Il se disait « c’est tu assez débile, c’est tu assez fanfaron .»
[60] M. Bordeleau dit avoir prononcé à nouveau ces paroles, en sortant de la salle de bain.
[61] Après avoir effectué quelques pas, il s’est retrouvé dans la salle des chauffeurs. M. Rivet s’est dirigé vers lui, au pas de course, et lui a demandé de répéter ce qu’il venait de dire.
[62] M. Bordeleau dit lui avoir répondu : « Fanfaron, regarde dans le dictionnaire ce que ça veut dire » et il a alors quitté.
[63] Un croquis des lieux (E-8) a été déposé pour bien situer l’endroit où eut lieu l’échange entre MM. Rivet et Bordeleau.
[64] Interrogé sur le sujet, M. Bordeleau a affirmé qu’il n’avait aucunement souvenance que M. Rivet lui ait demandé d’entrer dans son bureau. Il ne se souvient pas davantage s’être arrêté et être demeuré quelques temps dans le cadre de porte du bureau de ce dernier.
[65] M. Bordeleau a poursuivi en disant qu’il ne se souvenait pas que M. Rivet lui ait dit qu’il l’avait entendu à la radio, la veille, rapporter qu’il éprouvait un problème de freins avec son véhicule.
[66] Il ne se souvient pas, non plus, que M. Rivet lui ait demandé pourquoi il n’avait pas utilisé les codes-radio et pas davantage lui avoir répondu « qu’il n’y avait pas de tels codes dans l’autobus qu’il conduisait, le 922 ».
[67] Questionné de nouveau afin de savoir s’il ne conduisait pas plutôt le véhicule n o 981, M. Bordeleau a répondu qu’il ne se souvenait pas que M. Rivet lui ait demandé pourquoi il n’avait pas utilisé les codes radio se trouvant à bord de ce dernier véhicule.
[68] Selon M. Bordeleau, ce que M. Rivet lui a essentiellement reproché c’était d’avoir fait une faute d’orthographe sur son rapport VAD (vérification avant départ).
[69] Interrogé à nouveau sur les propos adressés à M. Rivet, M. Bordeleau a répété qu’il avait dit « Fanfaron, regarde dans le dictionnaire ce que ça veut dire ».
[70] M. Bordeleau a rajouté que comme M. Rivet l’avait entretenu d’une faute d’orthographe mais qu’il ne lui avait jamais parlé des problèmes de freins rencontrés, il trouvait la situation « débile ».
[71] Interrogé sur la rencontre du 15 mars 2010 au cours de laquelle on lui aurait lu la lettre de congédiement (S-3) - ce dont M. Bordeleau n’est pas certain - ce dernier ne se souvient pas si d’autres personnes avaient assisté à cette rencontre.
[72] Interrogé sur le deuxième paragraphe de la lettre, où on lui reproche notamment d’avoir traité M. Rivet de « débile » et de « fanfaron », M. Bordeleau a affirmé que ce n’était pas du tout comme ça que les choses s’étaient passées.
[73] Selon M. Bordeleau, M. Rivet lui a sûrement lu la lettre en présence de ses délégués syndicaux mais pour sa part, il n’a pas dit un mot et est demeuré bouche bée.
[74] Le procureur patronal a ensuite interrogé M. Bordeleau sur une série de mesures disciplinaires antérieures qui lui ont déjà été administrées.
[75] Le témoin s’est souvenu d’un avis de suspension de 10 jours (E-9) qu’il avait reçu le 28 octobre 2009. Il n’avait pas contesté cette dernière par voie de grief.
[76] Il se souvient avoir également reçu un avis de suspension pour fins d’enquête (E-10), le 21 octobre 2009.
[77]
Interrogé ensuite sur une plainte déposée en vertu de l’article
[78] Revenant aux mesures disciplinaires antérieures rapportées dans la lettre de congédiement qui lui a été remise, M. Bordeleau a reconnu avoir reçu un avis de suspension de 3 jours (E-13), le 15 juin 2009.
[79] Il avait toutefois contesté cet avis par voie de grief, lequel a, subséquemment, été retiré par le syndicat en raison de la clause « d’amnistie » prévue dans la convention collective.
[80] À ce stade, la procureure syndicale a également soulevé une objection, en faisant valoir que le reproche formulé à M. Bordeleau dans ce dernier document était d’une toute autre nature que l’offense qui lui est aujourd’hui reprochée. Cette objection a également été prise sous réserve.
[81] Interrogé ensuite sur un avis de suspension (E-14) qui lui a été servi le 13 septembre 2008, M. Bordeleau a affirmé avoir, à l’époque, déposé un grief et l’avoir retiré par la suite.
[82] M. Bordeleau a également reconnu avoir reçu l’avis disciplinaire du 20 mai 2008 (E-15) lui reprochant une attitude irrespectueuse envers un supérieur immédiat, l’avis de sensibilisation du 14 avril 2008 (E-16) - lequel ne constitue pas une mesure disciplinaire - traitant de la nécessité d’améliorer ses relations avec ses supérieurs et a ajouté qu’il avait rédigé une réponse à l’intention de la direction (E-17) le 18 avril 2008.
[83] Interrogé sur l’avis de sensibilisation (E-18) que lui avait remis M. Eric Laroche, gérant, le 13 septembre 2007, dans lequel il invitait M. Bordeleau à adopter une conduite polie et respectueuse envers lui, M. Bordeleau a précisé l’avoir reçu et avoir répondu par écrit (E-19) à M. Laroche, le 13 septembre 2007. Dans cette lettre, M. Bordeleau expliquait pourquoi il avait adopté un ton sec ce matin là, qu’il attribuait à des échanges qu’il avait eus avec un dénommé St-Cyr et qui l’avaient irrité.
[84] M. Bordeleau a poursuivi en reconnaissant avoir reçu les avis de sensibilisation du 30 octobre 2006 (E-20) et du 11 juin 2006 (E-21), le premier traitant de ses relations avec le chef répartiteur, le second portant sur ses relations avec un collègue du nom de Harrison.
[85] Il a affirmé s’en être longuement expliqué auprès de M. Éric Laroche, M. Jean Thibodeau et M me Jessica Armijo dans une réponse (E-22) qu’il leur a adressée le 19 juin 2006.
[86] Revenant sur l’incident survenu le 26 février 2010, M. Bordeleau a affirmé que lorsqu’il était sorti de la salle de bains, Mme Jeanne Larose, chauffeuse, était présente dans la salle des chauffeurs.
[87] Le second témoin entendu a été M. Daniel Rivet , gérant chez Limocar Basses Laurentides depuis octobre 2008.
[88] Il est à l’emploi de Transdev-Limocar depuis 2007, où il occupait, au début, la fonction de chef de la planification et de la répartition. Il préparait alors les routes et le gérant de division était, à l’époque, M. Eric Laroche.
[89] M. Rivet a expliqué que LBL (Limocar Basses-Laurentides) effectuait du transport en commun, du transport urbain et avait un client, la C.I.T.L. (Commission Intermunicipale de Transport des Laurentides).
[90] L’entreprise compte 112 chauffeurs. En mars 2010, il y en avait environ une centaine. Depuis qu’il est gérant de division, M. Rivet s’occupe de tous les chauffeurs et du département de mécanique. Il est secondé par un chef inspecteur et un chef répartiteur.
[91] Lorsqu’on parle de transport urbain, de dire le témoin, ça comprend aussi le transport intermédiaire ; cela intègre le transport scolaire au transport urbain.
[92] M. Rivet a raconté que M. Bordeleau avait été informé de son congédiement le 15 mars 2010. Lors de cette rencontre, assistaient également M. Denis Thibault, délégué syndical et M. Pierre-Luc Bélanger, chef-répartiteur.
[93] Nous avons rencontré M. Bordeleau à la fin de son quart de travail du matin. La rencontre a été très brève, il a lu la lettre de congédiement et M. Bordeleau a quitté immédiatement après.
[94] M. Rivet a raconté que le 25 février 2010, entre 16h30 et 17h00, il avait entendu M. Bordeleau dire à la radio qu’il avait un problème de freins.
[95] Comme il devait quitter à 17h00 et comme il se proposait de rencontrer M. Bordeleau pour l’aviser d’utiliser à l’avenir les codes-radio, pour ne pas inutilement « énerver la clientèle », il s’est dit qu’il le rencontrerait dès le lendemain matin.
[96] Selon M. Rivet, tous les chauffeurs reçoivent une formation sur l’utilisation des codes-radio. Ces informations sont reprises dans le Limoguide et les codes sont aussi affichés dans tous les véhicules près de la radio.
[97] Lorsqu’il est arrivé au travail vers les 7h00 le 26 février au matin, M. Bordeleau avait déjà quitté de sorte qu’il a dû attendre le retour de ce dernier vers les 9h45, pour le rencontrer. Il voulait lui signifier qu’il aurait dû utiliser le code « 10-22 » lors de sa communication radio avec la répartition plutôt que de faire état expressément d’une défaillance de son système de freins, ses propos risquant inutilement d’énerver les usagers.
[98] Lorsque M. Bordeleau est arrivé, M. Rivet l’a invité à entrer dans son bureau. M. Bordeleau a refusé, préférant demeurer dans le cadre de la porte. Il lui a alors demandé s’il savait qu’il devait utiliser les codes-radio, ajoutant qu’une liste des codes-radio à utiliser se trouvait dans son véhicule.
[99] M. Bordeleau a rétorqué que « dans le 922, il n’y en avait pas ». Comme M. Bordeleau avait utilisé, la veille, le véhicule 981, M. Rivet dit lui avoir alors demandé si une telle liste se trouvait à bord de ce véhicule. M. Bordeleau a répondu qu’il ne le savait pas.
[100] Lui demandant à nouveau s’il savait qu’il devait utiliser les codes-radio, M. Bordeleau a répondu « qu’il n’en avait aucune espèce d’idée ».
[101] M. Bordeleau a répliqué qu’il avait réellement éprouvé des problèmes de freins, ce à quoi M. Rivet a rétorqué qu’il n’en doutait pas, mais que le but de son intervention était de s’assurer que ce dernier utilise à l’avenir les codes-radio appropriés.
[102] Lorsqu’il s’est remis à parler de son problème « de brakes » de dire le témoin, M. Bordeleau s’est mis à hausser le ton. M. Rivet dit lui avoir répliqué « Ok, merci bonsoir ».
[103] M. Bordeleau lui a alors dit « on est le jour ». M. Rivet a, à son tour, répliqué « c’est correct, moi aussi je corrige tes fautes sur les VAD ».
[104] M. Bordeleau a alors quitté et s’en est retourné, en marmonnant, vers la salle des chauffeurs.
[105] En quittant, M. Bordeleau a pointé la salle des chauffeurs en disant « quand tu voudras me voir, tu mettras mon nom sur le tableau .
[106] Pour sa part, M. Rivet dit être allé rencontrer son chef mécanicien, M. Gaétan St-Cyr, pour vérifier si la liste des codes-radio se trouvait à bord des véhicules 922 et 981. Le bureau de ce dernier est situé en face de la salle des chauffeurs.
[107] M. Rivet dit avoir vu M. Bordeleau entrer dans la salle des toilettes et lui s’est dirigé vers le bureau de M. St-Cyr. Comme ce dernier était au téléphone, M. Rivet est alors demeuré à l’extérieur. M. Bordeleau est alors sorti de la salle des toilettes pour se diriger vers la sortie donnant sur le stationnement.
[108] En sortant et regardant M. Rivet dans les yeux, M. Bordeleau a alors dit « débile », « fanfaron ». M. Rivet lui a alors demandé de répéter. M. Bordeleau a alors dit « fanfaron » ajoutant « si tu sais pas ce que ça veut dire, regarde dans le dictionnaire ».
[109] À l’aide du croquis des lieux (E-8), M. Rivet a alors repris en détails, le déroulement de l’incident en situant précisément l’endroit où chacun se trouvait.
[110] Après que M. Bordeleau eut répété ses propos, il est sorti à l’extérieur et a quitté. M. Rivet dit s’être alors tourné de bord et avoir demandé à Gaétan (St-Cyr) « As-tu entendu ça? » Ce dernier a affirmé avoir entendu M. Bordeleau.
[111] Au même moment, M me Meilleur, sa secrétaire est sortie de son bureau et lui a dit « Moi aussi, j’ai entendu ça ». M. Rivet ne se souvient pas, s’il y avait quelqu’un dans la salle des chauffeurs à ce moment là.
[112] M. Rivet dit avoir alors demandé à M. St-Cyr si les véhicules 922 et 981 contenaient une liste des codes-radio. M. St-Cyr lui a alors confirmé que les deux véhicules possédaient une telle liste.
[113] M. Rivet est alors retourné à son bureau et a communiqué avec M. Thibodeau, directeur des ressources humaines, pour l’informer de l’incident qui venait de se produire. Il a également demandé à M me Meilleur et à M. St-Cyr de rédiger un rapport écrit de l’incident dont ils venaient d’être témoins. M me Meilleur lui a rétorqué que c’était déjà fait.
[114] M. Rivet a terminé son témoignage en disant qu’après avoir fait lecture à M. Bordeleau de la lettre de congédiement, le 15 mars 2010, ce dernier n’a émis aucun commentaire.
[115] Contre-interrogé par la procureure syndicale et référant à la pièce E-6, M. Rivet a indiqué que dans le registre des rapports VAD (vérification avant départ), les notes manuscrites de M. Bordeleau apparaissant au bas de la page de son rapport, n’y figuraient pas.
[116] Référant ensuite à la liste de codes-radio amendée (E-3?), M. Rivet a affirmé que comme il s’agissait d’un problème de freins que rencontrait M. Bordeleau avec son véhicule, ce dernier aurait dû alors utiliser les code « 10-22 » pour « slow brake » ou encore « 10-21 » pour des freins qui bloquent.
[117] En somme, de dire M. Rivet, il importait peu d’utiliser un code plutôt que l’autre. Ce qui était important c’était d’utiliser un code, plutôt que de décrire expressément la défaillance, afin de faire passer le message. Dans le doute, le répartiteur qui reçoit un tel message peut toujours aller consulter le chef-mécanicien.
[118] Au bout du compte, il appartient au chauffeur de nous dire s’il peut continuer ou non sa route et s’il estime qu’il ne le peut pas, nous lui envoyons alors un véhicule de remplacement.
[119] À la limite, si le chauffeur désire fournir plus d’explications, il a la possibilité de composer le code « 10-12 » signifiant par là qu’il va loger un appel téléphonique. Dans ce dernier cas, le chauffeur peut garer son véhicule sur le côté et utiliser son téléphone cellulaire ou recourir à un téléphone public pour livrer ses commentaires à l’insu des usagers.
[120] Selon M. Rivet, le 25 février 2010, M. Pierre-Yves Piché était le répartiteur. Le lendemain, c’est M. Serge Martel qui était répartiteur.
[121] M. Rivet a terminé en disant que lorsque M me Meilleur a entendu les propos de M. Bordeleau, elle était dans son bureau.
[122] Lorsque cette dernière lui a dit qu’elle avait déjà fait parvenir son rapport, elle référait, selon lui, à un courriel qu’elle avait déjà adressé au directeur des ressources humaines.
[123] Le troisième témoin entendu a été Madame Lyne Meilleur , secrétaire de division, à l’emploi de LBL depuis 2004. Elle relève, dans ses fonctions, de M. Daniel Rivet. En 2004, a-t-elle dit, M. Eric Laroche était gérant de division.
[124] Après avoir résumé succinctement les tâches administratives qui lui incombent (dossiers r.h. assurances, plaintes, uniformes), M me Meilleur a précisé que son bureau se situait au premier plancher, à côté de celui de M. Rivet et juste en face du bureau du chef de la répartition.
[125] Elle connaît M. Bordeleau depuis le tout début de son emploi. Interrogée sur l’échange entre MM. Rivet et Bordeleau, le 26 février 2010, M me Meilleur a affirmé que cet incident l’avait perturbée.
[126] Elle a entendu M. Rivet demander à M. Bordeleau de passer à son bureau. Elle a également entendu M. Rivet demander à M. Bordeleau s’il y avait une liste des codes-radio à bord de son véhicule et entendu ce dernier répondre négativement.
[127] Selon M me Meilleur, au cours de l’échange, le ton de M. Bordeleau a monté et est devenu agressif alors que M. Rivet demeurait calme. M. Bordeleau tutoyait M. Rivet alors que ce dernier le vouvoyait.
[128] Après lui avoir exhibé la pièce E-23, M me Meilleur a reconnu le courriel qu’elle avait adressé à M. Jean Thibodeau, directeur des ressources humaines, le matin même, dans lequel elle relatait les échanges survenus au cours de l’incident et notamment les propos de « débile » et de « fanfaron » utilisés par M. Bordeleau à l’endroit de M. Rivet.
[129] Elle est demeurée dans son bureau tout au long des échanges et dans les minutes qui ont suivi, elle a fait parvenir son rapport par courriel aux ressources humaines.
[130] Le quatrième témoin entendu a été M. Gaétan St-Cyr , chef-mécanicien depuis le printemps 2005 et à l’emploi de LBL depuis 2003.
[131] Il est responsable de l’entretien de la flotte de véhicules, laquelle en compte 82. Il supervise 7 mécaniciens, 5 laveurs et 1 magasinier. Il est secondé par deux chefs d’équipe, MM. Yves Verdon, au transport intermédiaire et Martin Cloutier au transport urbain.
[132] Il détient un diplôme d’études professionnelles en mécanique. Il relève, dans ses fonctions, de M. Daniel Rivet, chef de division.
[133] Son bureau, à Boisbriand, est au rez-de-chaussée, près de l’entrée des chauffeurs. Il est situé à 14 pieds du bureau de M. Rivet, à 7 pieds de celui de M me Meilleur, à 14 pieds de celui des répartiteurs et à une vingtaine de pieds de la salle des toilettes.
[134] Le témoin a raconté que LBL procédait à l’entretien des véhicules de deux façons : par un entretien préventif en procédant à des inspections aux trois mois. À cet égard, M. St-Cyr a affirmé que les règles et normes de LBL étaient plus restrictives que celle de la SAAQ.
[135] La seconde façon de faire concernait l’entretien correctif faisant suite à la demande ou aux annotations des chauffeurs inscrites sur les VAD lors de leurs inspections quotidiennes.
[136] Lorsqu’un chauffeur effectuait sa ronde et qu’il décelait une anomalie ou éprouvait un problème avec son véhicule, il pouvait communiquer avec la répartition par radio CB, de poursuivre le témoin.
[137] Il revenait à la répartition de décider si le problème rapporté était majeur ou mineur, si le véhicule devait être immobilisé, ramené ou encore remplacé.
[138] Le chauffeur doit documenter le problème rencontré en complétant le rapport VAD. Ce formulaire contient 2 copies. L’une, de couleur jaune, reste dans le livre. L’autre, de couleur blanche, est déposée dans un panier près du bureau de M. St - Cyr.
[139] Il y a deux pigeonniers de prévus : l’un pour le transport urbain, l’autre pour le transport intermédiaire.
[140] Si le matin, de dire M. St-Cyr, il n’y a pas de problème d’observé, la copie blanche demeure dans le livre de la ronde.
[141] Référant à la pièce E-5, l’exemplaire de la page jaune du rapport de vérification avant départ du 25 février 2010, signé par M. Yves Verdon, chef d’équipe, M. St-Cyr a affirmé que le document était identique à l’original du document contenu dans le livre de ronde.
[142] Il contient également la copie blanche du même document (E-24) laquelle a été déposée dans son pigeonnier. Les annotations manuscrites qui y ont été ajoutées sont l’œuvre de M. Yves Leblanc, mécanicien au transport intermédiaire.
[143] Interrogé pour savoir pourquoi la signature de M. Verdon n’apparaissait pas sur la copie blanche du document, M. St-Cyr a affirmé que c’est M. Leblanc qui avait effectué la réparation le 26 février 2010 et comme ce dernier avait probablement oublié de signer la copie jaune du document, c’est donc M. Verdon qui est allé signer cet exemplaire.
[144] Interrogé sur une fiche intitulée « bon de travail - FOR-64 version 02 » (E-25), M. St-Cyr a affirmé que ce document attestait de la nature des réparations qui avaient été effectuées sur le véhicule 981, le 26 février 2010.
[145] Interrogé sur la pièce E-6, laquelle constitue une photocopie du V.A.D. (E-5) du 25 février 2010 sur laquelle des observations manuscrites ont été ajoutées au bas, M. St-Cyr a affirmé qu’il n’avait jamais vu ce document avant que le procureur patronal ne le lui montre tout récemment.
[146] Interrogé sur la lettre S-3 relatant l’incident du 26 février 2010 et informant le plaignant de son congédiement, M. St-Cyr a affirmé qu’il n’avait pas participé à la prise de décision ayant conduit au congédiement de M. Bordeleau.
[147] Par ailleurs, à la demande de M. Rivet, il a mis par écrit ce qu’il avait entendu de la part de M. Bordeleau.
[148] Il a entendu ce dernier dire à M. Rivet qu’il était «débile», «fanfaron». Lorsque M. Rivet lui a demandé de répéter, M. Bordeleau a dit « Fanfaron, et si tu ne sais pas ce que ça veut dire, va voir dans le dictionnaire. »
[149] Lorsqu’il a entendu les premiers propos de M. Bordeleau, M. St-Cyr était dans son bureau et de là, voyait M. Rivet dans le cadre de la porte. Toutefois, il ne voyait pas M. Bordeleau même s’il l’entendait. Par ailleurs, il a vu ce dernier passer devant son bureau lorsqu’il fut appelé à répéter ses propos. Il était entre 9h30 et 10h00. Ça s’est terminé là.
[150] M. St-Cyr a poursuivi en disant qu’il a ensuite aperçu M me Meilleur, secrétaire, laquelle a affirmé « avoir tout entendu ». M. St-Cyr dit avoir également répliqué à Daniel (Rivet) en disant « moi aussi, j’ai tout entendu ».
[151] Ils ont, par la suite, tous les trois poursuivi leurs discussions dans la salle des chauffeurs.
[152] M. Rivet, a-t-il dit, lui avait demandé de mettre par écrit ce dont il avait été témoin et d’envoyer le tout à M. Thibodeau, directeur des ressources humaines. C’est ce qu’il fit, le jour même, dans un courriel (E-26) adressé à M. Thibodeau à 10h43.
[153] M. St-Cyr dit avoir également vérifié, le jour même, à la demande de M. Rivet, si les codes CB étaient installés dans les deux véhicules 922 et 981.
[154] Il lui a confirmé, le même jour, que les codes étaient installés dans les deux véhicules, à proximité du CB, juste en haut du poste de conduite du chauffeur.
[155] Le procureur patronal a ensuite déposé 5 photographies témoignant clairement de la géographie des lieux et notamment de la proximité des bureaux entre eux et de la salle des chauffeurs et du bureau de la répartition (27 A-B-C-D-E).
[156] Contre-interrogé par la procureure syndicale, M. St-Cyr a fourni de nombreuses précisions sur la nature des réparations qui ont été effectuées sur le véhicule 981, en se rapportant au bon de travail E-25.
[157] Il a notamment affirmé que la vérification des freins indiquait pour l’avant 18/32 et pour l’arrière 11/32, ajoutant qu’en termes d’usure des bandes de freins, on ne dépassait pas 8/32.
[158] Lorsqu’il y plainte, a-t-il dit, le mécanicien effectue ses réparations et inscrit ses codes (exemple : 44 = sièges, 83 = essai routier, 64 = freins, …) ainsi que ses commentaires. Si la mention « OK » apparaît, cela signifie que tout a été « vérifié » et « réparé ». Dans le cas présent, les freins bloquaient partiellement, ce qui, a-t-il poursuivi, était mineur et l’on a procédé aux ajustements nécessaires.
[159] Si le mécanicien inscrit plutôt la mention « X », cela signifie qu’il y a un problème. S’il y a un blocage, de dire M. St-Cyr, le mécanicien va indiquer un « X », et va ensuite documenter ses observations et procéder aux réparations.
[160] Ainsi, en référant au « bon de travail », E-25, il est inscrit au code 83, « essai routier et OK », cela signifie qu’il n’y avait plus de problème.
[161] Par ailleurs, au code 64, il est inscrit « qu’il a monté le véhicule et a vérifié visuellement les freins ». Il a ajusté ceux-ci, parce qu’ils coulaient et pour qu’ils réagissent mieux et plus rapidement.
[162] Selon M. St-Cyr, c’est la SAAQ qui détermine les standards « mineur », « majeur », et il revient au mécanicien de décider ou d’appliquer les standards. Le chauffeur peut également décider, lorsque la situation s’avère majeure.
[163] M. St-Cyr a affirmé que lorsque l’arrière du véhicule cherchait à « vouloir passer à l’avant », c’était une situation majeure.
[164] Ce chauffeur devait alors immobiliser son véhicule, car il y avait danger pour lui et ses passagers. Il devait en informer immédiatement la répartition.
[165] Si le répartiteur qui recevait un tel appel ne comprenait pas bien le problème, ce dernier avait toujours le loisir de consulter un mécanicien.
[166] Il se peut, de dire le témoin, que si le chauffeur estimait ne pas être en mesure de continuer sa route avec le véhicule, que le répartiteur envoie un mécanicien sur place avec un autre véhicule.
[167] Interrogé pour savoir si, à quelque moment, M. St-Cyr avait été informé des problèmes évoqués par les annotations manuscrites apparaissant au bas du document E-6, ce dernier a répondu « en aucun temps ».
[168] La procureure syndicale a ensuite exhibé au témoin un rapport de VAD (vérification avant départ) (S-4) complété par un autre chauffeur, du nom d’André St-Pierre, le 25 février 2010, concernant le même véhicule 981 ; ce document indique que depuis le matin, l’accélérateur « a pris l’épouvante à 4 reprises ».
[169] Interrogé à ce sujet, M. St-Cyr a indiqué qu’il n’était aucunement au courant de ce rapport. Il a ajouté que ce document n’avait pas transité par son pigeonnier.
[170] De plus, a-t-il fait remarquer, il est écrit « vérifié avec mécano ASP », ce qui signifie, selon lui, que le chauffeur est allé voir directement le mécanicien.
[171] La procureure syndicale a ensuite exhibé un courriel (S-5) de M. Pierre-Yves Piché, répartiteur, du 25 février 2010, adressé à M. Gaétan St-Cyr et informant ce dernier, à la demande de M. Bordeleau, des problèmes de freins éprouvés par le véhicule 981.
[172] Selon M. St-Cyr, il est bien possible qu’il ait reçu ce courriel même s’il ne s’en souvient pas expressément.
[173] Revenant sur l’incident du 26 février 2010, M. St-Cyr a affirmé qu’à sa sortie du bureau, il n’y avait que M me Meilleur, M. Rivet et lui. Il n’a remarqué la présence de personne d’autre.
[174] Interrogé à nouveau sur les codes-radio, M. St-Cyr a répété avoir lui-même vérifié que les véhicules 922 et 981 en étaient munis. Les photos S-6 A) et S-6 b) témoignent de la présence des codes, immédiatement à droite de la console, au niveau supérieur.
[175] Si l’arrière du véhicule tentait de « passer vers l’avant », le code approprié, selon M. St-Cyr serait « 10-21 : freins collés ». Par ailleurs, il n’y a pas de code particulier pour dire que « l’accélérateur prend l’épouvante ». M. St-Cyr a terminé son témoignage en disant qu’il travaillait du lundi au vendredi, de 7h à 17h.
[176] Le dernier témoin entendu a été M. Jean Thibodeau , directeur des ressources humaines.
[177] Il est à l’emploi de Transdev-Limocar depuis le 21 octobre 2002.
[178] Transdev, a-t-il dit, compte 10 divisions de transport par autobus, réparties dans 7 dépôts dans la région de Montréal et 2 en Estrie. L’entreprise assure du transport en commun, scolaire, adapté, interurbain et médical.
[179] Il est responsable de la fonction Ressources humaines pour toute l’entreprise : relations de travail - dotation - formation - santé et sécurité au travail et procédures pour toutes les divisions. Nous effectuons le transport urbain et intermédiaire pour un seul client, la C.I.T. des Laurentides.
[180] Interrogé sur l’avis de congédiement S-3, M. Thibodeau a raconté que c’est lui qui avait écrit la lettre de congédiement et que c’est lui qui avait pris la décision de congédier M. Bordeleau.
[181] Après avoir été avisé par M. Rivet de l’incident du 26 février 2010, M. Thibodeau a consulté l’ensemble du dossier de M. Bordeleau. Il avait déjà constaté que ce dernier éprouvait des problèmes de comportement et d’attitudes.
[182] M. Bordeleau, a-t-il dit, avait déjà contesté en arbitrage une autre mesure disciplinaire. Dans la sentence arbitrale rendue à ce sujet, l'arbitre Hamelin avait eu l’occasion d’analyser le comportement et les attitudes de M. Bordeleau. Au fil des ans, de dire M. Thibodeau, il était intervenu lui-même fréquemment auprès du plaignant.
[183] Or malgré toutes les mesures déjà prises à son endroit, et comme M. Bordeleau n’avait jamais apporté de changement, il en est arrivé à la conclusion que le congédiement de ce dernier s’avérait la seule mesure appropriée.
[184] Référant à la sentence arbitrale rendue antérieurement par l'arbitre Hamelin, M. Thibodeau a affirmé que l'arbitre avait notamment observé l’attitude et le caractère belliqueux de M. Bordeleau.
[185] Le témoin a rappelé que la politique de l’entreprise quant aux responsables de division, c’était qu’ils rencontrent les salariés lorsque c’était pour des raisons disciplinaires. Il y a alors convocation écrite à une rencontre dont copie est remise au syndicat et au délégué syndical.
[186] En matière administrative, de dire M. Thibodeau, il n’y a pas de politique particulière.
[187] Interrogé sur le témoignage de M. Bordeleau qui a affirmé avoir dit à M. Rivet que « s’il voulait le rencontrer de mettre son nom au tableau », M. Thibodeau a confirmé qu’à Boisbriand, il y avait 120 chauffeurs et que la direction avait décidé d’installer un tableau pour aviser l’un ou l’autre chauffeur qu’on voulait le rencontrer.
[188] Ce n’est pas une procédure obligatoire, de dire M. Thibodeau, mais c’est une façon de faire qui vise à nous faciliter mutuellement les choses.
[189] L'employé dont le nom apparaît sur le tableau doit se présenter à la répartition. Quel que soit le motif, on peut y inscrire le nom d’un salarié ou simplement appeler ce dernier.
[190] La procureure syndicale a fait entendre le plaignant, M. Jacques Bordeleau .
[191] Interrogé sur le rapport VAD (E-6), lequel contient des annotations manuscrites, M. Bordeleau a affirmé avoir pris la copie blanche de E-5, en avoir fait une photocopie, et avoir mis ses notes manuscrites et ensuite avoir laissé les 2 feuilles dans le pigeonnier de M. St-Cyr.
[192] Questionné sur les propos tenus à l’endroit de M. Rivet, M. Bordeleau a affirmé qu’il trouvait inconcevable d’avoir vécu la situation qu’il avait connue la veille, en pleine tempête, et de se faire « apostropher » de la sorte par son supérieur immédiat pour se faire reprocher une faute d’orthographe.
[193] M. Bordeleau a affirmé qu’il trouvait décourageant de se faire dire « de faire de son mieux » et « de ramener le véhicule » au garage
[194] Revenant sur l’incident du 25 février 2010, M. Bordeleau a rappelé qu’assis dans le véhicule, alors qu’il faisait tempête en fin de journée, il faisait sombre et il était difficile d’y voir correctement. Même si tu allumais les lumières, a-t-il ajouté, l’ampérage du véhicule demeurait faible.
[195] M. Bordeleau a tenu à dire qu’il n’y avait pas de code pour le problème qu’il avait éprouvé. Quant à la suggestion faite par M. Rivet, d’utiliser un téléphone cellulaire, M. Bordeleau a indiqué que la Compagnie ne fournissait pas un tel appareil et que, pour sa part, il n’en avait jamais eu, pas plus que d’une pagette d’ailleurs.
[196] Questionné sur la rencontre tenue le 15 mars 2010 avec M. Rivet, M. Bordeleau a précisé que M. Pierre-Luc Bélanger, chef répartiteur, y assistait, ainsi que Mme Sonia Gagnon, déléguée syndicale et M. François Bédard.
[197] Interrogé sur ce qui s’était produit au cours des semaines précédentes, soit du 26 février 2010 au 15 mars 2010, M. Bordeleau a affirmé qu’il y avait eu une semaine de relâche et qu’il avait travaillé dans la semaine du 8 au 14 mars 2010.
[198] Il n’avait jamais compris, de dire M. Bordeleau, pourquoi la direction accordait plus d’importance à une faute d’orthographe dans l’un de ses rapports qu’à la sécurité des passagers.
[199] Cela m’a fait rager, a-t-il dit, et il trouve cela abominable.
[200] M. Bordeleau a terminé son témoignage en disant qu’au cours de la dernière semaine où il a travaillé, il ne sait pas ce qu’il est advenu du véhicule 981.
[201] Le procureur patronal a interrogé de nouveau M. Jean Thibodeau , directeur des ressources humaines.
[202] Appelé à préciser ce qu’il était advenu entre le 26 février 2010 et l’avis de congédiement du 15 mars 2010, M. Thibodeau a indiqué qu’au cours de la première semaine, il s’agissait d’une semaine de relâche pour M. Bordeleau. Au cours de la seconde semaine, c’est M. Rivet qui était en vacances à cette période.
[203] M. Thibodeau a précisé qu’il ne procédait jamais au congédiement d’un salarié sans la présence du supérieur immédiat.
[204] C’est la raison pour laquelle il a attendu le retour de vacances de M. Rivet. D’autant plus, de dire le témoin, que ce n’était pas la sécurité des usagers qui était en cause mais plutôt la nature des propos utilisés par M. Bordeleau à l’endroit de son supérieur immédiat.
[205] Au départ, le procureur patronal a rappelé les grand principes énoncés dans la convention collective et convenus entre les parties.
[206] C’est ainsi qu’il a rappelé que l’article 1 de la convention collective, traitant de la reconnaissance de l’une et l’autre parties et du but de la convention collective, prévoyait à la clause 1.2, les dispositions suivantes :
1.2 L’intention et le but de cette convention sont de promouvoir et d’améliorer les relations économiques et industrielles dans l’industrie, d’établir et de maintenir la discipline et l’efficacité et d’établir ainsi des ententes de base englobant les taux de salaires, les heures de travail et les conditions d’emploi qui seront justes pour tout le monde.
[207] Le procureur patronal a également référé l'arbitre à l’article 3 de la convention collective, traitant des droits de la direction. Il a notamment cité les clauses 3.1 et 3.2, lesquelles consacrent la reconnaissance par le syndicat du droit de l'employeur de diriger son entreprise et d’exercer ses prérogatives administratives dans la mesure où il le fait tout en respectant les dispositions de la convention collective. Dans cette clause, le syndicat reconnaît également le droit de l'employeur de congédier, suspendre ou autrement discipliner ses salariés pour justes causes.
[208] Pour la seconde clause, 3.2, le syndicat reconnaît également le droit de l'employeur d’adopter des règlements régissant les salariés, sous la seule réserve que ces règlements ne soient pas incompatibles avec les dispositions de la convention collective.
[209] Le procureur patronal a enfin rappelé les dispositions de la convention collective relatives aux procédures de grief et d’arbitrage (article 8) ainsi que les dispositions relatives aux mesures disciplinaires (article 14) et notamment la clause 14.3 qui stipule ce qui suit.
Tout rapport disciplinaire versé au dossier d’un salarié, est retiré après douze (12) mois du rapport à moins de récidive et ne peut être invoqué contre ce salarié après cette date sauf pour les cas prévus à l’article 14.12.
[210] Le procureur patronal a ensuite rappelé que dans le présent contexte, le tribunal n’avait pas à se substituer à l'employeur quant à la sévérité de sanction. Il devait intervenir, a-t-il dit, que dans la mesure où il en arrivait à la conclusion que l'employeur avait agit de façon déraisonnable.
[211] En somme, de soumettre le procureur patronal, deux questions se posent pour le Tribunal :
[212] La première consiste à se demander si l'employeur a établi de façon prépondérante les faits qui ont été reprochés à M. Bordeleau.
[213] Même si la preuve a beaucoup porter sur des faits connexes reliés à l’utilisation de codes-radio, à des problèmes mécaniques, ce qui était essentiellement en cause c’est qu’il n’ait utilisé aucun code, d’où la rencontre du lendemain matin, le 26 février 2010.
[214] Dans la foulée de la première question, l'arbitre aura à se demander si M. Bordeleau a manqué à ses obligations de civilité, et s’il a manqué de respect envers son supérieur.
[215] La seconde question à laquelle devra répondre l'arbitre consiste à savoir si le congédiement constituait une décision raisonnable, compte tenu des circonstances dévoilées par la preuve.
[216] Le procureur patronal a rappelé ensuite les principaux éléments dévoilés par la preuve. Relativement à l’incident survenu le 26 février au matin, entre MM. Bordeleau et Rivet, le procureur a rappelé que M me Meilleur et M. St-Cyr avaient été des témoins directs des propos tenus par M. Bordeleau à l’endroit de M. Rivet.
[217] Par ailleurs, le témoignage de M. Bordeleau est peu crédible; sur plusieurs éléments, a-t-il fait valoir, son témoignage n’est aucunement corroboré sans compter que, sous d’autres aspects, il change complètement sa version.
[218] Ainsi, M. Bordeleau a affirmé que lorsqu’il est entré, M. Rivet l’avait « apostrophé » et lui avait crié par la tête avoir effectué une correction dans son rapport.
[219] Or, selon M. Rivet, s’il a voulu rencontrer M. Bordeleau, c’était essentiellement pour lui expliquer l’importance d’utiliser des codes-radio dans ses communications, afin de ne pas énerver les usagers qui pouvaient se trouver à bord de l’autobus.
[220] Tantôt M. Bordeleau nous a dit avoir utilisé les épithètes de « débile » et « fanfaron ». Par contre, dès qu’il est invité à répéter ses propos, il s’en tient ensuite à « fanfaron ».
[221] Il est assez révélateur que pour M. Bordeleau, les qualificatifs qu’il a utilisés s’adressaient à « la situation », alors que des témoins de l’incident ont dit avoir clairement entendu ce dernier s’adresser à M. Rivet.
[222] Comment prêter foi au témoignage de M. Bordeleau lorsqu’il dit ne pas avoir de codes-radio à bord des véhicules qu’il avait utilisés, alors qu’appelé à vérifier la situation dans les deux autobus, M. St-Cyr nous a confirmé la présence de telles listes dans les deux véhicules.
[223] Le procureur patronal a insisté pour faire valoir que dans le présent dossier, la crédibilité des témoignages était un élément important. Il a rappelé que tant M me Meilleur que M. St-Cyr, qui avaient clairement entendu les propos tenus par M. Bordeleau, n’ont pas hésité à confirmer par écrit, peu de temps après l’incident, les propos entendus.
[224] Or, de dire le procureur patronal, lorsque M. Bordeleau a été rappelé pour témoigner « en défense », ce dernier n’a plus nié avoir utilisé les 2 épithètes évoqués, et il a plutôt tenté de fournir des explications en invoquant une certaine frustration ressentie face à la situation.
[225] Selon le procureur patronal, la version de M. Bordeleau n’est pas crédible. Il rappelle, par ailleurs, les critères développés par l'arbitre Marcheterre dans l’affaire Casavant Frères Ltée [1] devant servir dans l’appréciation des témoignages.
[226] Il renvoie également à l’auteure Louise Verschelden qui, dans son ouvrage « La preuve et la procédure en arbitrage de griefs » [2] , fait valoir que si un témoignage renferme des contradictions ou que le témoin manque d’honnêteté, c’est tout le témoignage qui doit être rejeté.
[227] En somme, de dire le procureur patronal, le témoignage du plaignant est assez sélectif alors que les trois autres témoins ont démontré une cohérence certaine.
[228] Ce qui est encore plus étonnant, à soumis le procureur patronal, c’est qu’un an après les événements, M. Bordeleau n’ait pas encore réalisé quels étaient les véritables motifs de l’intervention de l'employeur à son endroit.
[229] Le procureur patronal a fait valoir que si nous étions devant un geste isolé, nous ne nous serions sûrement pas retrouvés en arbitrage.
[230] L’étude des antécédents de M. Bordeleau, et notamment la sentence arbitrale déjà rendue par l'arbitre Hamelin [3] témoigne du caractère du plaignant et démontre le caractère répétitif du comportement de ce dernier.
[231] Il est assez évident, de dire le procureur patronal, que le plaignant a une façon bien à lui d’apprécier la situation. Ainsi, s’il est vrai, comme il le prétend, qu’il était fâché envers l'employeur du fait qu’il ne lui avait pas octroyé un véhicule de remplacement le 25 février 2010, pourquoi alors, au moment de ses échanges avec M. Rivet, M. Bordeleau n’en a-t-il pas profité pour faire valoir ses récriminations ?
[232] Le procureur patronal a rappelé les explications fournies par M. Thibodeau, le directeur des ressources humaines, lors de son analyse du dossier du plaignant. Après avoir passé en revue les différents antécédents de M. Bordeleau, le procureur a rappelé ses conclusions voulant que nous soyons en présence d’une personne dont le comportement est récurrent, dont les attitudes et le comportement demeurent irrespectueux, malgré le fait qu’ils aient été sanctionnés antérieurement. Bref, a-t-il conclu, nous sommes en présence d’une personne incapable de modifier de quelque manière son comportement.
[233] Au soutien de ses prétentions, le procureur patronal a déposé quelques autorités et doctrine [4] qu’il a commentées brièvement.
[234] Le procureur patronal a terminé en faisant valoir que même un an après les événements, rien ne laissait présager que M. Bordeleau saurait amender son comportement. Pire encore, rien ne permettait de déceler chez lui, quelque remord ou excuse, soutenant toujours qu’il a été congédié « pour une faute d’orthographe ».
[235] Le procureur patronal a conclu que s’il fallait faire à nouveau preuve de clémence à l’endroit de M. Bordeleau, rien n’est moins sûr qu’il n’y aurait pas récidive à la première occasion. Le procureur patronal exhorte l'arbitre à rejeter le grief.
VII- ARGUMENTATION DU SYNDICAT
[236] La procureure syndicale a repris la chronologie des événements qui ont conduit au présent litige.
[237] Ainsi, elle a rappelé que le 25 février 2010, M. Bordeleau avait éprouvé de sérieux problèmes de freins et d’accélérateur avec le véhicule 981.
[238] L’autobus, a-t-elle dit, s’emballait à un point tel que « l’arrière voulait passer vers l’avant ».
[239] La situation était donc inquiétante et de l’avis de M. Bordeleau, il aurait dû être relevé et on aurait dû aller le chercher sur la route.
[240] L'employeur a alors dit à M. Bordeleau « de faire de son mieux» et de «s’en revenir par ses propres moyens ».
[241] Lorsqu’il a été interpelé par M. Rivet, le lendemain, ce fut pour lui rappeler qu’il devait utiliser les « codes-radio ».
[242] Le procureur a rappelé que la preuve avait démontré que les codes dans les véhicules étaient assez difficiles à lire et que de plus, face au problème rencontré, il n’était pas certain quel code aurait dû être utilisé.
[243] De l’avis de la procureure syndicale, il y eut donc une frustration bien légitime de la part de M. Bordeleau. Sans compter le reproche de la « faute d’orthographe » qui s’est ajouté.
[244] Il y eut ensuite l’incident du 26 février 2010 et l’utilisation des mots «débile» et «fanfaron». Selon la procureure syndicale, le débat lancé par le procureur patronal sur la crédibilité des témoins, n’est pas nécessaire puisque les mots ont été admis
[245] Pour le plaignant, de dire la procureure syndicale, se faire reprocher une simple faute d’orthographe était complètement farfelu compte tenu de la situation difficile qu’il avait éprouvé la veille.
[246] Et c’est cette situation difficile vécue par M. Bordeleau qui a amené ce dernier à la qualifier ainsi, faisant ainsi référence aux mots prononcés par M. Bordeleau.
[247] En tout état de cause, la procureure syndicale a fait valoir que M. Bordeleau ne s’était pas contredit. Rien ne permet de douter, a-t-elle ajouté, des véritables intentions de ce dernier.
[248] Abordant ensuite la sanction imposée par l'employeur, la procureure syndicale a souligné que même le procureur patronal avait reconnu que le manquement de M. Bordeleau ne méritait pas, à lui seul, le congédiement.
[249] Selon la procureure syndicale, il a fallu que l'employeur se fonde sur les antécédents de M. Bordeleau pour mieux justifier son congédiement. Il invoque notamment avec insistance la sentence arbitrale rendue par l'arbitre Hamelin. Or, de rappeler la procureure, les faits à l’origine du litige étaient fort différents.
[250] Référant à certaines fautes reprochées à M. Bordeleau par le passé, la procureure syndicale a souligné que les reproches fondés sur l’insubordination et des reproches fondés sur l’impolitesse, constituaient des fautes de nature distincte.
[251] Au soutien de ses prétentions, la procureure syndicale a déposé quelques sentences arbitrales et articles de doctrine [5] qu’elle a commentés brièvement.
[252] Elle en a profité, au passage, pour souligner que les avis de sensibilisation que remettait l'employeur, à l’occasion, à ses salariés dont M. Bordeleau, ne constituaient aucunement des mesures disciplinaires. Dès lors, l'employeur pouvait difficilement s’en servir pour justifier sa progression des sanctions.
[253] De façon générale, de dire la procureure syndicale, la jurisprudence reconnaît qu’avant de pouvoir congédier un salarié, l'employeur doit administrer une longue suspension à tout salarié fautif, afin de lui adresser un message clair lui rappelant qu’il est impératif de s’amender.
[254] L'employeur peut difficilement s’appuyer sur des suspensions antérieures de 3 et 10 jours, pour justifier le congédiement, alors que les raisons et les motifs qui les ont justifiées étaient d’une toute autre nature que le motif invoqué à l’appui du congédiement.
[255] Finalement, la procureure syndicale a conclu ne pas voir où et comment la preuve administrée permettait au procureur patronal d’affirmer que le plaignant croyait encore avoir été congédié principalement pour avoir commis une faute d’orthographe.
[256] La procureure syndicale a demandé à l'arbitre d’accueillir le présent grief et de conserver compétence advenant tout litige qui résulterait de l’application de la sentence arbitrale qui sera rendue dans le présent dossier.
VIII- RÉPLIQUE DE L'EMPLOYEUR
[257] Selon le procureur patronal, la partie syndicale interprète mal les propos tenus par le directeur des ressources humaines relatifs à la sentence arbitrale rendue par l'arbitre Hamelin.
[258] Ce qu’il faut retenir, a-t-il dit, c’est qu’à la suite de la sentence arbitrale rendue par l'arbitre Hamelin, les griefs relatifs aux suspensions de 3 et 10 jours servies à M. Bordeleau ont été retirés.
[259] Référant ensuite à la nomenclature contenue à la monographie « Les mesures disciplinaires : étude jurisprudentielle et doctrinale [6] , le procureur patronal a fait valoir que parmi les motifs disciplinaires, sous la catégorie « insubordination » on retrouvait les sous-catégories « refus d’obéir ou d’effectuer un travail» et «menaces et agressions à l’endroit d’un supérieur ».
[260] Cela laisse clairement à entendre qu’il y a une certaine parenté quant à la nature des motifs, laquelle permet sans l’ombre d’un doute l’application du principe de la gradation des sanctions.
[261] Dans le présent dossier, de dire le procureur patronal, si après toutes les interventions qui ont été posées, des suspensions de 3 et 10 jours n’ont pas réussi à faire réfléchir le plaignant, il voit difficilement comment on pourrait y arriver en imposant des suspensions de 20 ou 30 jours.
[262] Le message était clair, de dire le procureur, et le plaignant n’a pas su le capter. Il doit en subir les conséquences.
IX- MOTIFS ET DÉCISION
[263] En matière disciplinaire, il importe d’examiner, dans un premier temps, si les fautes reprochées au plaignant ont été prouvées. Ensuite, dans un deuxième temps, il convient d’apprécier la sévérité de la sanction adoptée par l'employeur en tenant compte de toutes les circonstances dévoilées par la preuve.
[264] À mon avis, les faits de la présente affaire, du moins ceux révélés par la preuve, ne sont pas très complexes. Il y a certaines contradictions que nous devrons trancher, ce qui nous permettra de mieux déterminer les faits retenus. Encore faudra-t-il voir la lecture que chacun en fait.
[265] Lorsque, comme en l’espèce, la preuve est à certains égards contradictoire ou encore qu’elle recèle des témoignages incomplets ou encore manifestement « tronqués » sur la véracité des faits, j’estime qu’il est alors nécessaire de nous pencher sur la crédibilité des témoins pour en arriver à départager le vrai du faux et déterminer les faits qui sont réellement survenus.
[266] La règle qui gouverne l'arbitre est celle de la « prépondérance de preuve » et comme le disait l'arbitre Jean-Pierre Lussier dans une affaire [7] qui remonte à il y a plusieurs années mais qui demeure, à mon avis, toujours applicable, ce qu’il importe c’est que l'arbitre soit « persuadé » de l’existence de certains faits.
[267] S’exprimant sur le degré de preuve requis en matière civile - prépondérant, clair, convaincant, particulièrement convaincant - voici comment l'arbitre Lussier s’exprimait à la page 9 de sa sentence arbitrale :
Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de distinguer entre un certain niveau de croyance ou un autre. Il est important, à mon avis, que l'arbitre des faits soit persuadé de l’existence de certains faits et son degré de conviction variera inévitablement selon les circonstances, y compris le degré de gravité du litige .
(Mes soulignements).
[268] Avec respect pour l’opinion contraire, j’estime qu’il est donc important de nous pencher sur la crédibilité des témoins. Pour ce faire, les critères développés par l'arbitre Marcheterre dans l’affaire abondamment citée Casavant et Frères [8] pourront nous être d’un précieux secours.
[269] Il convient de les rappeler succinctement : 1) l’on doit préférer un témoignage affirmatif plutôt que négatif ; 2) la version affirmée doit être raisonnablement plausible et constante, 3) on doit tenir compte de l’intérêt du témoin dans le litige, de sa manière de témoigner, de sa réputation et des motifs qu’il pouvait avoir à poser un geste et 4) on doit retenir la version la plus probable.
[270] Avant d’aborder la preuve testimoniale et documentaire, je tiens à décider immédiatement du sort de quelques objections soulevées par la procureure syndicale sur le dépôt en preuve de certaines pièces effectué par le procureur patronal dans le cadre de sa preuve.
[271] Ces objections reposent principalement sur trois motifs : la procureure syndicale a fait valoir que 1) soit le document en question n’était aucunement pertinent ; 2) soit que l’infraction reprochée dans le document en question n’était pas de même nature que les manquements invoqués à l’appui du congédiement visé par le présent grief ou 3) soit que le rapport disciplinaire déposé, visé par son objection, était protégé par la clause d’amnistie prévue à l’article 14.3 de la convention collective, lequel prévoit ce qui suit :
Tout rapport disciplinaire versé au dossier d’un salarié, est retiré après douze (12) mois du rapport à moins de récidive et ne peut être invoqué contre ce salarié après cette date sauf pour les cas prévus à l’article 14.12.
[272] Les différents documents visés par les objections soulevées par la procureure syndicale sont les suivants :
E-11 : La
plainte formulée par M. Bordeleau le 19 novembre 2009 et déposée auprès de la
CSST le 26 novembre 2009, en vertu des articles
E-12 : La décision de la CSST rendue le 30 septembre 2010, rejetant la plainte E-11 ;
E-13 : L’avis de suspension de 3 jours servie le 15 juin 2009 ;
E-15 : L’avertissement écrit du 20 mai 2008 :
E-16, 18, 20 et 21 : Les quatre avis de sensibilisation servis les 14 avril 2008, 13 septembre 2007, 30 octobre et 11 juin 2006.
[273] Après analyse de chacun des documents, je rejette les objections soulevées par la procureure syndicale pour les motifs et dans les limites ci-après énoncés et en accepte leur dépôt en preuve.
[274] Relativement à la plainte (E-11) et la décision rendue par la CSST (E-12), soulignons au départ que je ne reçois pas ces documents comme venant motiver de quelque manière le congédiement de M. Bordeleau.
[275] Mais rappelons qu’à l’origine de son refus de travail, dont il est question dans ce dossier (E-11 et E-12), M. Bordeleau invoquait l’état déficient de son véhicule et la condition dangereuse qui en résultait pour justifier son refus de travail. Il invoquait également avoir subi une suspension de 10 jours, laquelle lui aurait été servie par l'employeur, parce qu’il se serait prévalu de ses droits prévus dans la Loi.
[276] Un peu à l’image d’une preuve de caractère, ces documents nous démontrent que le plaignant avait déjà connu des circonstances fort similaires à celles ayant précédé son congédiement, lesquelles l’avaient amené à rapporter à son employeur l’état déficient de son véhicule. La décision nous montre également que M. Bordeleau aurait eu avantage à consulter ses représentants syndicaux, lesquels auraient pu l’instruire et le conseiller sur ce qu’il croyait être son bon droit. Enfin elle nous montre que, de l’avis de la Commission, l'employeur avait su démontrer que M. Bordeleau avait fait preuve d’insubordination et surtout que l'employeur avait fait la preuve qu’il avait été suspendu pendant 10 jours pour une cause juste et suffisante complètement étrangère à l’exercice « non fondé » de son droit de refus.
[277] Cette affaire n’est peut-être pas déterminante. Il reste qu’elle n’est pas complètement étrangère à la situation sous étude en termes de comportement et d’attitudes adoptés par le plaignant dans des circonstances similaires.
[278]
Au
surplus, il faut se rappeler que de façon similaire à ce que prévoit l’article
[279] Quant aux avis de sensibilisation (E-16, E-18, E-20 et E-21) s’échelonnant du 11 juin 2006 au 14 avril 2008, je suis d’avis que ce n’est pas parce que ces documents ne constituent pas des mesures disciplinaires au sens de la convention collective, que l'employeur ne peut les invoquer, ne serait-ce que pour démontrer que celui-ci avait déjà porté à la connaissance du salarié ses préoccupations et les sujets sur lesquels il voulait le sensibiliser et qui visent à démontrer que le salarié savait ou aurait dû savoir quelles étaient les attentes de l'employeur à son endroit.
[280] À ce sujet, j’estime que les réponses qu’a formulées à trois occasions (sur 4) le plaignant à son employeur (E-17, E-19 et E-22) et qui, incidemment, sont deux à trois fois plus longues que les avis de sensibilisation eux-mêmes, sont en partie impertinentes et particulièrement révélatrices du caractère « pointilleux » et « intransigeant » du plaignant, sur lequel nous reviendrons.
[281] Enfin quant à l’avis disciplinaire du 20 mai 2008 (E-15) ou la lettre de suspension de 3 jours du 15 juin 2009 (E-13), j’estime qu’ils sont pertinents dans la mesure où des reproches faisant état d’insubordination, de comportements agressifs, de gestes menaçants, de propos irrespectueux ou de manques de civilité, constituent tous, quant à moi et au sens large, des manquements de même nature. Resitués dans la chronologie des événements et des mesures mise en preuve par l'employeur, j’estime qu’ils sont tous recevables en regard de la clause d’amnistie prévue à la convention collective. Si je devais, à la limite, exclure un document, soit l’avis écrit du 20 mai 2008, en regard des délais contenus à la clause d’amnistie, je m’empresse d’ajouter que cet avis, traitant également d’insubordination, n’a eu, à mon avis, aucun effet déterminant dans la présente décision.
[282] Abordons maintenant les différents témoignages reçus.
[283] Le témoignage du plaignant lui-même me laisse passablement perplexe.
[284] Appelé à témoigner tant dans la preuve de l'employeur que dans sa défense, il a fortement insisté sur le fait qu’il aurait été « apostrophé » par M. Rivet qui, en criant, lui aurait surtout reproché avoir fait une faute d’orthographe dans son rapport journalier de vérification (VAD).
[285] Mais de quel rapport s’agit-il au juste ? De quelle faute parle-t-on ? J’ai eu beau lire et relire mes notes, je n’ai trouvé aucune explication de la part de M. Bordeleau.
[286] Bien sûr il a reconnu que M. Rivet voulait l’entretenir de l’utilisation des codes-radio, mais il n’y a rien sur la faute d’orthographe.
[287] Rien, sauf une très brève référence rapportée par M. Daniel Rivet lui-même et qu’il importe de bien situer dans son contexte.
[288] Selon M. Rivet, qui avait entendu M. Bordeleau dire à la radio, le 25 février 2010 vers 16h30, qu’il éprouvait des problèmes de freins, celui-ci s’était bien promis de rencontrer M. Bordeleau dès le lendemain matin pour le sensibiliser à utiliser à l’avenir les codes-radio, afin de ne pas inquiéter inutilement la clientèle à bord de l’autobus.
[289] Le lendemain, 26 février 2010, comme à son arrivée, M. Bordeleau avait déjà entrepris son premier circuit, M. Rivet a attendu son retour, vers les 9h45 pour le rencontrer.
[290] Lorsque M. Rivet a vu passer M. Bordeleau devant son bureau, il lui a demandé s’il pouvait le voir et l’a invité à entrer. M. Bordeleau a refusé et est demeuré dans le cadre de porte du bureau de M. Rivet.
[291] Ce dernier lui a demandé s’il savait qu’il devait utiliser les codes-radio et s’il y avait une liste de ces codes dans son véhicule.
[292] M. Bordeleau a répondu qu’il n’y en avait pas dans le véhicule 922. M. Rivet lui a demandé s’il y avait une telle liste dans le véhicule 981, ce à quoi M. Bordeleau a répondu qu’il ne le savait pas.
[293] M. Rivet lui a demandé à nouveau s’il savait qu’il devait utiliser les codes-radio, ce à quoi M. Bordeleau a répondu n’en avoir aucune espèce d’idée.
[294] M. Bordeleau a réitéré avoir éprouvé un problème de freins, ce à quoi M. Rivet a ajouté qu’il n’en doutait pas un instant mais que le but de la rencontre était de le sensibiliser sur l’importance d’utiliser les codes-radio.
[295] Voyant que M. Bordeleau insistait de nouveau sur son problème de freins, tout en haussant la voix, M. Rivet lui a rétorqué « C’est ok-merci-bonsoir ». M. Bordeleau a alors repris M. Rivet en lui disant : « on est le jour », ce à quoi M. Rivet a répliqué à son tour « c’est correct, moi aussi je corrige tes fautes sur les VAD ». M. Bordeleau a alors pointé la salle des chauffeurs en disant « quand tu voudras me voir, tu mettras mon nom sur le tableau ». Et il est reparti tout en maugréant.
[296] Dans les minutes qui ont suivi, alors que M. Bordeleau sortait de la salle des toilettes, M. Rivet l’a alors entendu prononcer à son endroit les propos de « débile » et de « fanfaron ». Interpelé par M. Rivet et invité à répéter ses paroles, c’est alors que M. Bordeleau s’en est tenu à l’expression « fanfaron », ajoutant que s’il ne savait pas ce que cela signifiait, il pouvait toujours consulter le dictionnaire.
[297] Ce bref épisode d’échanges entre MM. Bordeleau et Rivet, rapporté par ce dernier, tranche singulièrement avec le premier témoignage rendu par M. Bordeleau.
[298] Ainsi M. Bordeleau a affirmé n’avoir aucune souvenance que M. Rivet l’ait invité à entrer dans son bureau ; il ne se souvient pas davantage être arrêté un moment dans le cadre de porte de son bureau.
[299] M. Bordeleau a également affirmé ne pas se souvenir que M. Rivet lui ait dit l’avoir entendu, à la radio, rapporter son problème de freins et il ne se souvient pas non plus que M. Rivet lui ait demandé pourquoi il n’utilisait pas les codes-radio.
[300] M. Bordeleau se souvient avoir répondu à M. Rivet qu’il n’y avait pas de codes-radio dans le véhicule 922, alors que la preuve prépondérante a démontré qu’il y avait une telle liste. Il est assez paradoxal que M. Bordeleau ne se souvienne pas de la question posée mais qu’il se souvienne de la réponse qu’il a fournie.
[301] Par ailleurs, M. Bordeleau ne se souvient pas que M. Rivet lui ait demandé s’il y avait une liste de codes-radio dans le véhicule 981 et il ne souvient pas que M. Rivet lui ait demandé pourquoi il n’avait pas utilisé les codes.
[302] Alors que M. Rivet demandait à M. Bordeleau s’il savait qu’il devait utiliser les codes-radio dans ses communications, la réponse de M. Bordeleau voulant « qu’il n’en ait aucune espèce d’idée » m’apparaît assez invraisemblable, alors qu’il a lui même reconnu, dans son témoignage, avoir reçu une formation à cet effet à ses débuts comme chauffeur.
[303] Quant à la seule référence à une quelconque « faute », la seule interprétation que j’en retiens, c’est que M. Rivet, voyant que M. Bordeleau revenait sur ses problèmes de freins et qu’il élevait la voix, lui a alors dit « C’est ok-merci-bonsoir » signifiant par là que « comme il semblait difficile d’en parler calmement, il préférait en rester là ».
[304] Lorsque M. Bordeleau lui a fait remarquer à juste titre, il est vrai, « on n’est pas le soir », la réplique de M. Rivet fut de dire « c’est correct, moi aussi je corrige tes fautes sur les VAD ». À mon avis, ce dernier reconnaissait par là que son expression « bonsoir » n’était peut-être pas appropriée mais qu’elle constituait tout au plus une erreur du genre de celles que M. Bordeleau pouvait lui même commettre à l’occasion dans ses rapports et qu’il lui arrivait de devoir lui-même corriger.
[305] Voilà, à mon avis, la seule « erreur » dont il a été question. De là à vouloir en tirer l’interprétation suggérée par M. Bordeleau qu’il y aurait eu une « esclandre à propos d’une faute d’orthographe », c’est un raisonnement que je ne peux suivre principalement parce qu’il n’est aucunement supporté par la preuve.
[306] Par ailleurs, je considère que les témoignages de Mme Meilleur et de M. St-Cyr, témoins auditifs de l’échange survenu entre le plaignant et M. Rivet, sont particulièrement convaincants.
[307] Ils n’ont aucun intérêt dans le présent litige, leurs déclarations sont contemporaines à l’incident et surtout elles corroborent essentiellement le témoignage de M. Rivet.
[308] Par ailleurs, j’ai la conviction profonde que M. Bordeleau ne nous a pas donné l’heure juste. D’ailleurs, je ne suis pas certain, et c’est malheureux pour lui, qu’il soit en mesure de le faire ayant manifestement tendance à déformer quelque peu la réalité, tantôt en amplifiant des détails sans importance, tantôt en minimisant des situations importantes ou encore des consignes de l'employeur.
[309] Il est bien possible, comme l’a affirmé M. Bordeleau, qu’il soit un employé ponctuel dont la tenue vestimentaire est toujours impeccable, qui estime bien faire son travail et avoir de bons rapports avec la clientèle. Mais voilà, ce ne sont pas les seules considérations qui sont rattachées à son contrat de travail.
[310]
L’article
2085. Le contrat de travail est celui par lequel une personne, le salarié, s'oblige, pour un temps limité et moyennant rémunération, à effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d'une autre personne, l'employeur .
(Mes soulignements)
[311] M. Bordeleau doit travailler sous l’autorité de son employeur et il doit composer avec les représentants de ce dernier, ses superviseurs. Or c’est là un volet qui semble complètement échapper à M. Bordeleau depuis déjà quelques années.
[312] Je ne vois pas, aujourd’hui, en vertu de quel principe, y compris celui de la « gradation des sanctions » dont les tentatives passées n’ont donné aucun résultat, je devrais intervenir pour imposer à l'employeur de faire à nouveau preuve de patience et de clémence à l’endroit de M. Bordeleau. En somme celui-ci a été l’artisan de son propre malheur.
[313] Les faits mis en preuve et les échanges de correspondance entre M. Bordeleau et ses interlocuteurs ont démontré qu’il est une personne « pointilleuse », « vindicative » qui cherche par tous les moyens à avoir raison.
[314] Pire encore, la preuve a révélé que M. Bordeleau n’hésite pas à défier ses interlocuteurs, y compris ses supérieurs immédiats et à adopter à leur endroit des propos irrespectueux et inacceptables.
[315] À moins que l’on ignore soi-même la signification des mots, il est complètement farfelu et tiré par les cheveux de tenter nous faire croire que les qualificatifs « débile » et « fanfaron » s’adressaient à une situation que l’on réprouve dans l’entreprise alors qu’il s’agit là de qualificatifs généralement utilisés à l’endroit de personnes.
[316] Que l’on veuille signifier « faible », « fragile », « frêle » ou « malingre » ou encore « faible mentalement » en utilisant le mot « débile » ou que l’on veuille dire « vantard », « fendan t», « matamore » ou encore «qui se vante avec exagération », en utilisant le mot « fanfaron », personne ne réussira à me convaincre que ces termes utilisés par M. Bordeleau n’étaient pas d’abord et avant tout destinés à M. Rivet lui-même. De cela, j’en suis persuadé.
[317] Je suis même porter à croire que M. Bordeleau lui-même a réalisé, sur le coup, être allé un peu trop loin puisque, lorsqu’invité par M. Rivet à répéter ses propos, il s’en est tenu à l’expression « fanfaron » tout en se gardant bien de ne pas répéter l’expression « débile ». Voilà une pudeur que M. Bordeleau n’a su démontré au cours des audiences et encore moins quelques remords.
[318] La procureure syndicale a fait valoir que M. Bordeleau avait connu de sérieux problèmes de freins qui l’avaient fortement inquiété sans compter que la preuve avait démontré que les codes-radio dans les autobus étaient assez difficile à lire.
[319] Elle a expliqué la frustration certaine et légitime qu’avait éprouvé M. Bordeleau à laquelle s’était ajouté le reproche farfelu d’une faute d’orthographe dans un rapport.
[320] Bien que les problèmes mécaniques aient été reconnus et malgré la frustration ressentie par le plaignant invoquée par la procureure syndicale, j’estime qu’il appartenait à M. Bordeleau de canaliser différemment son insatisfaction et de faire part de ses récriminations de manière respectueuse à ses supérieurs par les canaux normaux de communication.
[321] Quant à l’étonnement manifesté par la procureure syndicale concernant l’affirmation du procureur patronal voulant que le plaignant soutient encore avoir été congédié pour « avoir commis une faute d’orthographe », cette prétention découle directement du témoignage même du plaignant rendu tant au début de la preuve patronale qu’à la fin de la preuve syndicale en défense.
[322] Au terme de ce qui me paraît être la fin d’une longue saga, j’estime que l'employeur a fait la preuve des fautes reprochées au plaignant et qu’il était légitimé, compte tenu des antécédents du plaignant, de procéder à son congédiement.
[323] La preuve a démontré que M. Bordeleau avait pu compter sur le support et les ressources de son syndicat pour faire valoir ses droits et contester les mesures que lui avait servies l'employeur au cours des dernières années, y compris le présent congédiement.
[324] Même si, de toute évidence, M. Bordeleau aurait eu avantage à rechercher conseil, de temps à autre, auprès de ses officiers afin de l’aider à prendre des décisions éclairées selon les circonstances, il n’en reste pas moins que le syndicat n’est pas la cour des miracles !
[325] Dans les circonstances dévoilées par la preuve, j’estime que le syndicat s’est acquitté adéquatement de son devoir de représentation, étant entendu qu’il était tenu à une obligation de moyens et non de résultats.
[326] Après avoir étudié la preuve, soupesé les arguments des procureurs, étudié la jurisprudence et sur le tout murement délibéré :
Je rejette le grief de M. Jacques Bordeleau portant le numéro11130 et maintient son congédiement.
À Montréal, le 3 mai 2011,
|
________________________________ __ André Dubois, arbitre (CAQ) |
ANNEXE «A»
Notes et autorités soumises par l’Employeur
VERSCHELDEN, Louise , La preuve et la procédure en arbitrage de griefs , Wilson & Lafleur, pp. 110 et 111.
Casavant Frères Ltée -et- Syndicat des employés de Casavant
frères Ltée (C.S.D.),
TCA - Québec, section locale 1849 (FTQ) -et- Thales
Optronique Canda (Line Lafond),
Syndicat québécois des employées et employés de service, section locale 298 (FTQ) -et- 9084-6304 Québec Inc. SA-10-04041, Francine Lamy, arbitre, 19 avril 2010.
Les Industries de la Rive-Sud -et- Fraternité nationale des forestiers et travailleurs d’usines, section locale 299, SA 03-08012, Bernard Bastien, arbitre, 7 août 2003.
Société des casinos du Québec Inc. -et- Syndicat des employé-e-s de la Société des Casinos du Québec, SA 99-05046, Francis Léger, arbitre, 6 mai 1999.
Limocar Basses Laurentides enr. -et- Union des chauffeurs de camions, hommes d’entrepôts et autres ouvriers, Teamsters Québec, section locale 106 (FTQ), François Hamelin, arbitre, 9 octobre 2009.
Ville de Blainville -et- Syndicat canadien de la Fonction publique, SA 98-11085, Noël Mallette, arbitre, 25 novembre 1998.
Sintra Inc. -et- Syndicat des salariés de la construction et pavage du Québec (C.S.D.), SA 99-01034, Michel Bolduc, arbitre, 13 janvier 1999.
Fabrique de la paroisse Notre-Dame de Montréal -et- Syndicat des travailleuses et travailleurs de la Fabrique Notre-Dame de Montréal, SA 08-05030, Denis Provençal, arbitre, 12 mai 2008.
Christie Brown -et- Syndicat international des
travailleurs et travailleuses de la boulangerie de la confiserie et du tabac,
section locale 350,
Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation
et du commerce, section locale 503 et Métro Richelieu inc. - Division Jardin
Mérite-Québec (griefs individuels Frédérick Thibault et un autre),
Limocar Basses Laurentides et Jacques Bordeleau, CLP : 344187-64-0803, Martine Montplaisir, commissaire, 30 septembre 2010.
ANNEXE «B»
Jurisprudence et autorités soumises par le Syndicat
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, local 648 -et- Emballages Mitchell-Lincoln Ltée, Carol Jobin, arbitre, 17 août 2007.
Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de diverses industries, section locale 1999 -et- Sabex Inc., Robert Choquette, arbitre, 17 janvier 2003.
Métallurgistes Unis d’Amérique, local 7885 -et- Venmar Ventilation inc., Germain Jutras, arbitre, 21 novembre 2005.
BERNIER, Linda, Guy BLANCHET, Lukasz GRANOSIK et Eric SÉGUIN. Les mesures disciplinaires et non-disciplinaires dans les rapports collectifs du travail , Éditions Yvon Blais, p 1/3-389.
Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, local 694 -et- EMCO Matériaux de Construction Ltée, Jean-Guy Ménard, arbitre, 17 septembre 2004.
Travailleuses et travailleurs unis de l’alimentation et du commerce, section locale 501 -et- Sobeys Québec Inc . , Pierre Laplante, arbitre, 30 septembre 2010.
Syndicat des employés d’exécution de Québec-Téléphone, section locale 5044 (SCFP) -et- Telus Solutions (Québec) Inc., Lyse Tousignant, arbitre, 7 novembre 2007.
[1] Voir Annexe «A».
[2] Voir Annexe «A».
[3] Voir Annexe «A».
[4] Voir Annexe «A»
[5] Annexe «B».
[6] DAOUST, Claude, Louis LECLERC et Gilles TRUDEAU. Les mesures disciplinaires : étude jurisprudentielle et doctrinale , École des Relations industrielles, Presses de l’Université de Montréal, Monographie 13, 1982.
[7] Centre Hospitalier Notre-Dame de la Merci -et- Syndicat des Travailleurs du C.H. Notre-Dame de la Merci (CSN), Jean-Pierre Lussier, président du Tribunal, 4 mars 1987.
[8] Voir Annexe «A».