Vandal c. Rodrigue

2011 QCCQ 4957

 

 

 

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEDFORD

LOCALITÉ DE

GRANBY

« Chambre civile »

N° :

460-22-003811-080

 

                     

 

DATE :

17 mai 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

PIERRE BACHAND, J.C.Q.

 

 

 

______________________________________________________________________

 

 

VIVIANNE VANDAL

-et-

CLAUDE FILIATRAULT

            Demandeurs

c.

MARYSE RODRIGUE

-et-

MICHEL DROLET

             Défendeurs

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            Les demandeurs ont acheté la maison des défendeurs.  Suite à des infiltrations d'eau qui leur ont apporté maints inconvénients et des réparations qui ont dû être faites, ils demandent une diminution du prix de vente et des dommages-intérêts.

JB2457

 

 
 


[2]            Une offre d'achat est acceptée.  Les demandeurs font vérifier par quatre personnes différentes la cheminée et le poêle, la qualité de l'eau du puits artésien, le champ d'épuration et enfin une inspection générale est effectuée.

[3]            L'inspecteur constate de l'humidité à l'endroit d'une fissure à l'arrière. Il y a aussi des moisissures dans la chambre froide.  Il y en a aussi sur une moulure de plancher à l'arrière du sous-sol.  Dans le rangement sous l'escalier, l'endroit est recouvert de tapis et il détecte de l'humidité avec un appareil, mais il n'y a rien d'apparent.  Le vendeur affirme qu'il n'y a jamais eu de trouble d'eau à cet endroit.

[4]            Il en résultera la demande suivante à l'offre d'achat:

"M.2.3 Autres modifications: Suite à l'inspection par M. Daniel Bergeron le 5 novembre 2004, il a été constaté une présence d'humidité au sous-sol, en conséquence l'acheteur demande que la fissure, coin fenêtre, à l'arrière du bâtiment soit réparée selon les règles de l'art, que l'eau des gouttières soit éloignée de la maison et finalement, ouvrir le bas du mur arrière où humidité a été constatée pour fins de vérification par l'acheteur.

 

Outre cette demande, l'acheteur se déclare satisfait de ses inspections et/ou vérifications." 

 

[5]            L'acte de vente intervient le 2 juin 2005.  En décembre 2006, les demandeurs constatent la présence d'eau sous l'escalier dans la partie avant droite, au même endroit où l'inspecteur avait détecté de l'humidité.

[6]            Il y a beaucoup d'eau. C'est un flot continu.  Les défendeurs avisent M. Drolet, le défendeur.  Ils ouvrent le mur sous la fenêtre de la chambre située à droite ainsi que le mur latéral où il y a la garde-robe.  Ils doivent vider avec une pompe à compter du 6 décembre par périodes d'une demi-heure.

[7]            Le Groupe Expert Drains est demandé sur les lieux.  Après inspection, l'employé dit que le drain français ne fournit pas.  Le pompage accompagné d'essuyage par "moppe" et guenille est répété plusieurs fois par jour et sur une période de 38 jours (6 décembre au 13 janvier).

[8]            Expert Drains revient pour aller vérifier le drain.  Il est impossible de passer par la rue.  Il faut creuser.  Ils coupent des sections de drain où on constate qu'il est rempli de matière orange, soit d'ocre ferreuse et de silt.  Ils ne réussissent pas à débloquer complètement et installent quatre cheminées d'exploration.  Leur avis est qu'il faut remplacer le drain au complet.

[9]            Les demandeurs consultent l'expert en bâtiments Stéphane Bossus.  Celui-ci fait une vérification du drain français grâce à une caméra miniature.

[10]         L'expert Bossus constate, après dégarnissage du mur, que de l'eau s'infiltre au joint de la dalle de béton et du mur de fondation.  Il y a une rigole entre les deux, ce qui laisse pénétrer eau et humidité.  Il y a aussi une infiltration d'eau à partir d'une fenêtre.

[11]         Les lectures d'hygromètre donnent un résultat de 100% d'humidité pour le béton.  Il y a de l'ocre ferreuse là où il y a infiltration.

[12]         Avec la caméra, il constate que le drain français est submergé en tout ou en partie quand il n'est pas colmaté par l'ocre ferreuse.  D'ailleurs, les sections de drain retirées par Expert Drains démontrent qu'elles sont colmatées par de la pâte d'ocre ferreuse et  par du silt argileux.  La pâte d'ocre ferreuse colmate aussi les pores du drain.

[13]         Le niveau de l'eau souterraine (nappe d'eau perchée)  est au même niveau que le dessus de la semelle.  L'épaisseur de la pierre nette recouvrant le drain est insuffisante, soit de deux à trois pouces au lieu de la norme minimale de six à huit pouces.  La pierre était même absente à la tranchée d'exploration du côté gauche de l'immeuble.

[14]         Il constate que les moisissures trouvées dans la chambre froide, pièce non isolée, ni chauffée, ni ventilée, n'a aucun lien avec les problèmes constatés ailleurs.

[15]         Il ne pouvait voir la dalle de béton sans dégarnissement parce qu'elle était recouverte partout.  Là où on a ouvert, il constate une rigole périmétrique entre le débord de la dalle et le mur vertical des fondations où il y a des dépôts d'ocre ferreuse.  Cela va  à l'encontre des règles de l'art de construire la dalle sur la semelle et de laisser une rigole.

[16]         Il semble que ce soit assez souvent une erreur que commettent les auto-constructeurs et même certains entrepreneurs.  Lorsque le drain est en surcharge, cela provoque une infiltration d'eau sous la semelle.

[17]         Le Code national du bâtiment stipule que le joint entre une dalle de béton et le mur de fondation doit être scellé. La dalle de béton et la semelle sont submergées par une nappe d'eau perchée sur du silt argileux.  Le drain aussi est submergé, dans une partie jusqu'à 80%, dans une autre à 100%.  Il n'évacue pas l'eau. Il est complètement bouché à certains endroits.

[18]         Selon M. Bossus, il est peu probable que l'ocre ferreuse apparaisse en six mois. Cela survient à cause de la présence d'oxyde de fer dans le sol. Le fait qu'un voisin se construise peut avoir une certaine influence.

[19]         Suite à la mise en demeure, le défendeur Drolet s'est présenté deux fois à la résidence et il a fait faire une expertise.

[20]         Les demandeurs font une réclamation à leur assureur.  Celui-ci a pris en charge la démolition et la reconstruction des parties du sous-sol abîmées par le dégât d'eau. Il a fallu aussi dégarnir, laver et décontaminer.

 

 

[21]         L'assureur exige l'avis d'un expert.  Il couvre l'accès au drain et le remplissage, mais pas les matériaux et la pose d'un nouveau drain, jugée nécessaire.

[22]         Lors des travaux de remplacement du drain, le demandeur Filiatrault a noté qu'il y avait peu de pierre sur le drain existant.  Les demandeurs apprennent aussi alors qu'il y a des fissures aux fondations et ils ajoutent des membranes.

[23]         C'est un gros chantier qui dure sept à huit jours et qui est très salissant puisque l'eau est haute partout de sorte qu'il y a des accumulations de boue.

[24]         L'assureur a exigé un avenant à la police pour continuer à assurer faisant en sorte que l'assuré doit faire nettoyer son drain au moins une fois par trois ans par un service professionnel.  La première fois, le coût a été de 386,60$.

[25]         Un voisin construisait sa maison quand les problèmes d'infiltration d'eau ont commencé.

[26]         François Leclerc est allé sur les lieux en tant qu'estimateur pour Expert Drains.  Il a constaté que le drain était bouché à certains endroits et vu du limon et des dépôts ferreux dans le drain. Le clapet de la décharge était dans l'eau. Le bassin de captation n'était pas branché au drain, ce qui aurait été nécessaire vu le niveau de dénivellation très faible vers le fossé où l'exutoire se jette dans un tuyau "Big O".

[27]         Comme le nettoyage sous pression n'a pas été suffisant  pour résoudre le colmatage, il faut changer le drainage.  Il a donc proposé de remplacer le drain, de le brancher au bassin de captation et d'installer de nouvelles pompes.  Cette solution s'imposait compte tenu de l'environnement.  Expert Drains a procédé au remplacement.

[28]         Luc Salm est chimiste, spécialiste en salubrité microbienne et décontamination. Il a eu le mandat de vérifier la qualité de l'air. Il y procède en collectant les spores. Il constate une contamination qui existe depuis un bout de temps, car il y avait des spores mortes.

[29]         Il fallait décontaminer en prenant les mesures requises.  De plus, ses analyses démontrent la présence d'ocre ferreuse.  Selon lui, il y avait des preuves de moisissure de trois à quatre ans et ça l'étonnerait beaucoup que l'humidité du plancher du sous-sol date seulement de l'inondation survenue en décembre, lui-même ayant fait ses constations en mars suivant.

[30]         Viviane Vandal est adjointe à la direction.  Elle travaille dans l'entreprise de son conjoint, le codemandeur.  Suite à l'inspection pré-achat, elle appelle l'agent immobilier pour exiger que les gouttières avant et arrière, alors branchées au drain français, soient débranchées et éloignent l'eau des fondations.  Une fissure doit aussi être réparée.

 

[31]         Le défendeur Michel Drolet a été l'auto-constructeur de cette maison en 1992.  Les gouttières étaient branchées au drain. Les gouttières arrière seront débranchées pour éloigner l'eau des fondations.  Lors de l'inspection pré-achat, l'inspecteur a détecté de l'humidité au côté avant droit, dans le rangement sous l'escalier et une fissure à l'arrière droit du bâtiment doit être réparée.

[32]         Au coin arrière gauche de la tourelle, il décèle de la moisissure sur la plinthe. L'inspecteur indique qu'il est préférable d'ouvrir le mur pour aller vérifier, ce qui ne sera pas fait, le demandeur y renonçant.

[33]         Lors de la réparation de la fissure, il n'y avait pas d'eau dans le petit canal. C'était une réparation préventive, car la fissure n'avait jamais coulé.

[34]         Il n'y avait jamais eu d'infiltration d'eau dans la maison. Sa conjointe avait une garderie et les enfants couchaient au sous-sol.

[35]         Lors de la vente, la pierre à la sortie d'eau était "belle", en bon état, alors qu'elle était orangée lors de la visite avec son expert, M. Beaupré, en avril 2007.

[36]         Pierre Beaupré est ingénieur en bâtiments et il  a été mandaté par le défendeur.  Il se décrit comme un spécialiste de l'ocre ferreuse.

[37]         Le bassin de captation n'était pas relié au drain.  Il n'y avait pas de dépôt sur la pompe lors de son inspection, mais un peu d'orangé.  Il a vu la sortie au fossé où il y avait un peu de dépôt orangé, mais n'a pas examiné les drains.  Il est possible qu'il y ait de l'ocre ferreuse dans le drain et pas dans le bassin de captation d'autant plus que le système de traitement d'eau déverse l'eau de son lavage à contre-courant ("backwash") dans le bassin de captation.

[38]         Suivant les échantillons d'eau pris à la sortie, le potentiel de colmatage était faible à moyen.  Selon lui, l'ocre ferreuse peut se développer très rapidement.  Il est toutefois impossible de déterminer quand cela a commencé.

[39]         Il a constaté que les margelles ne semblaient pas parfaitement entretenues: sur une photo, on constate la présence de pommes et de feuilles.

[40]         Concernant le drain, il était d'avis, contrairement à l'expert Bossus qui proposait le remplacement du drain, qu'il suffisait de le nettoyer et de remplacer possiblement certaines sections.  En cas d'impossibilité de nettoyer, on pouvait brancher le drain au bassin de captation pour évacuer.

 

 

ANALYSE

[41]         La maison a été construite à compter de 1992 et est habitée depuis avril 1993. Était-elle affectée d'un vice caché lors de l'achat en juin 2005? Telle est la principale question à résoudre.

[42]         Pour pouvoir invoquer la garantie de qualité à l'égard d'un vice caché, les demandeurs doivent établir les quatre conditions préalables suivantes: il faut que le vice possède une certaine gravité, il doit précéder la vente, être inconnu de l'acheteur et être occulte.

[43]         On parle ici d'un drain bouché et les défendeurs concèdent que cela représente une certaine gravité.  De fait, c'est l'évidence même.  Concernant les margelles, les demandeurs ne se sont pas déchargés de leur fardeau de preuve.

[44]         Il n'y a pas de preuve prépondérante concernant un vice qui les aurait affectées avant la vente.

[45]         Les défendeurs plaident que les demandeurs n'ont pas agi en acheteurs prudents et diligents, que le vice de sol n'est pas un vice caché et qu'il n'est pas prouvé que le vice, s'il y en a un, soit antérieur à la vente.

[46]         Ils reprochent notamment aux demandeurs d'avoir renoncé à ouvrir le mur à l'arrière avant la vente, tel que demandé dans les modifications à la promesse d'achat et dont le passage est cité plus haut.  Le Tribunal écarte ce grief pour les raisons suivantes: d'abord, qu'est-ce que les demandeurs auraient pu constater concernant l'état du drain en ouvrant le mur à cet endroit?

[47]         Rien de plus que l'ouverture pour réparer la fissure et cela n'avait conduit à aucune constatation ni aucune conclusion à ce sujet. De plus, ils étaient rassurés par les propos du défendeur, lequel disait qu'il n'avait jamais eu de problème d'eau, ce qu'il réitère devant le Tribunal.

[48]         Par ailleurs, le Tribunal est satisfait que le vice affectant le drain est antérieur à la vente. Selon les experts, il est possible que l'ocre ferreuse se soit développée, ait pris de l'expansion, suite à la construction d'un voisin, même s'il n'est pas démontré que ce fut le cas.

[49]         Cependant, le Tribunal constate que le drain est bouché en bonne partie, qu'il l'est par le silt et le sable et l'ocre ferreuse. Il s'agit d'un drain de 12 ans au moment de la vente, de 13 ans à celui des infiltrations. Or, un tel drain devrait durer, selon les opinions, 30, 40, 50 ans.

[50]         Voici ce qu'écrit l'auteur Jeffrey Edwards quant à la distinction à faire entre l'existence et la manifestation d'un vice:

"367 - Il importe de distinguer toutefois le moment de l'existence du vice de celui de sa manifestation. Le vice peut exister au moment de la vente dans un état latent.  Rien alors ne laisse présager sa présence. Il s'agit, par exemple, de la pièce fissurée ne montrant aucune manifestation ou de l'animal atteint d'une maladie pendant la période d'incubation. Après la vente, le vice apparaît au grand jour. Dans des cas du genre, les tribunaux ont décidé qu'il suffit que le vice soit simplement en germe à l'occasion de la vente pour satisfaire à la condition d'antériorité."  [1]

Dans l'affaire sous étude, il faut tenir compte de l'ensemble des faits pour déterminer que le vice existait déjà lors de la vente.

[51]         Ainsi, le drain est plus haut que la semelle, contrairement aux règles de l'art. L'évacuation au fossé se fait par une dénivellation très faible et l'exutoire au fossé est sous le niveau de l'eau dans le tuyau "Big O".  Les perforations du tuyau du drain sont en partie bouchées par l'ocre ferreuse.  L'expert des demandeurs ne croit pas que le colmatage ait pu survenir en six mois et le Tribunal accepte cette position. D'ailleurs, le fait que le chimiste Salm découvre des moisissures de trois à quatre ans démontre une situation datant d'avant la vente.

[52]         De plus, si les travaux dans le sol peuvent avoir un effet sur l'ocre ferreux, le Tribunal doit constater que les derniers qui aient été faits sur place avant la vente le furent par le défendeur, pour débrancher les gouttières.  Enfin, le fait qu'un drain soit bouché, sans contribution faite à ce sujet par l'acheteur et qu'il doive être remplacé alors qu'il n'a atteint que le tiers ou le quart de sa durée de vie utile amène forcément le décideur à se questionner sur son état au moment de la vente, survenue moins d'un an et demi avant la manifestation du vice.

[53]         Se basant  sur certaines autorités [2] , les défendeurs prétendent que le vice du sol n'est pas assujetti à la garantie de qualité. Par conséquent, un vice de sol ne serait pas un vice caché.  Cette position est fortement contestée par les demandeurs.

[54]         Les défendeurs ne font pas suffisamment la distinction entre un terrain à l'état naturel et un terrain remanié ou bâti [3] . Certains des jugements soumis à l'appui de la thèse des défendeurs concernent des terrains et non des maisons (Milot, où seul l'appel en garantie concernant l'achat du terrain est rejeté, 9011-9041 Québec Inc., où il s'agit de terrains vendus dans leur état naturel).

[55]         Un jugement fort intéressant de M. le juge Richard Landry a examiné cette problématique et le Tribunal est d'accord avec ses propos:

"[81] Or, la jurisprudence n'est pas concordante sur la question de savoir si un vice de sol, lorsque le sol est à l'état naturel (non remanié ou remblayé), peut légalement constituer un vice caché ou non.

 

[82] Certains juges sont d'avis que la composition du sol ne peut constituer un vice donnant ouverture à la garantie de qualité du Code civil du Québec.

 

[83] D'autres sont d'opinion  contraire  car  ils  considèrent que si l'état du sol est à l'origine d'un déficit d'usage, il peut être constitutif de vice caché .

 

[84] Dans le cas sous étude,  je  suis  d'avis  que  la  faible capacité portante du sol, jointe à l'insuffisance des fondations pour y compenser, constitue un vice « caché » .

 

 

[85] En effet, au sujet du vice « caché » , le professeur Edwards écrit :

 

« Tout phénomène, quelle que soit sa forme ou son origine, constitue un vice dès qu'il entrave l'usage normal d'un bien…Le vice réprimé est celui qui porte atteinte à une certaine fin, soit l'usage du bien.»

 

[86] Au sujet des vices du sol, Me Edwards fait une distinction importante selon qu'il s'agit de la vente d'un terrain demeuré à l'état naturel, d'une part, ou d'un terrain remanié ou construit, d'autre part.

 

[87] Ainsi, au sujet d'un terrain à l'état naturel, Me Edwards remarque ce qui suit (aux pages 152 et 153):

 

« Une jurisprudence bien établie maintient que le contenu du sous-sol d'un terrain en son état naturel ne peut constituer un vice en vertu de la garantie…Le caractère imprévisible de la composition du sous-sol du terrain est un fait notoire qui se doit d'être apprécié par un tel acheteur. Le caractère notoirement aléatoire du sous-sol d'un terrain doit exercer un effet réducteur sur ses attentes. Comme  dans  le   cas d'usure, de vieillissement ou de vétusté du bien, l'acheteur raisonnable doit anticiper la baisse d'usage conséquente à la composition particulière du terrain.

 

 

[88] Par contre, lorsqu'il s'agit d'un sol remanié ou d'un bâtiment déjà construit, la situation est différente (à la page 154, soulignements ajoutés):

 

« Soulignons que les attentes restreintes de l'acheteur au regard du sous-sol d'un terrain se limitent à l'état naturel de celui-ci. Lorsque le déficit d'usage du sous-sol relève de l'intervention humaine, tels les rebuts ou les déchets, ceux-ci peuvent constituer des vices. De même, l'appréciation du vice doit être différente à l'égard du sous-sol d'un bâtiment déjà construit. Dans ce cas, toute particularité du sol, telle que sa préparation inappropriée ou même sa composition naturelle, est susceptible d'être qualifiée de vice , car l'acheteur d'un tel bâtiment peut s'attendre à en tirer un usage normal. »

 

[89] La Cour d'appel a reconnu le caractère de vice « caché » à des vices de sol  ayant engendré des désordres de construction .

 

[90] Par exemple, dans Blandino c. Colagiacomo, la Cour fait droit à la poursuite d'un acheteur dont l'immeuble s'était fissuré à cause de la mauvaise qualité du sol.

 

[91] Un peu plus tard, dans Ruel c. Lavoie, dans des  circonstances similaires,  la  Cour d'appel écrit :

 

« Cet appel pose d'abord la question de savoir si un vice du sol est un vice caché

de l'immeuble au sens des articles 1522 et suivant C.c.B.C. 30 . Le premier juge y

a répondu affirmativement, et avec raison.

 

Le sol est ce qu'il est, c'est exact. Mais la bâtisse qu'on y place doit tenir compte de cette composition. Si le sol est argileux, comme c'est ici le cas, les fondations doivent être construites en conséquence, de manière en particulier, à empêcher que l'assèchement de l'argile et son tassement n'entraînent des fissures, des mouvements des murs et des plafonds et la ruine éventuelle du bâtiment. Si on ne l'a pas construit en tenant compte de l'état du sol, l'immeuble est affecté d'un vice.

 

                        

 

Que l'on qualifie cette situation de vice de sol ou de vice de la bâtisse, la conséquence est la même. L'appelant (le vendeur) a vendu à la fois le terrain et la bâtisse; c'est l'immeuble dans son ensemble qui était affecté d'un vice au moment de la vente. »

 

[92] Au même moment, Monsieur le juge Benoit formulait l'opinion suivante dans

Averback c. Meunier:

 

« Il s'agissait dans les cas ci-dessus mentionnés de l'achat de terrains. Avec égard pour l'opinion contraire, j'estime que le code impose une obligation de garantie à toute vente d'une chose de ses accessoires et que les défauts cachés de la chose et de ses accessoires doivent s'entendre de tout ce qui la rend impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminue son utilité. Le vendeur ne peut prétendre à l'exclusion de certaines choses, il ne peut prétendre à l'exclusion du sol. Le débat ne peut porter que sur l'impropriété à l'usage ou la diminution d'utilité et sur la normalité de la destination, à moins qu'une destination particulière n'ait été déclarée. J'estime que l'obligation de garantie porte sur les qualités de la chose vendue et est applicable au sol, du moins lorsque l'objet de la vente est un emplacement construit. Un tel emplacement implique son utilisation comme résidence etc. et occupation du terrain. »

 

[93] Dans Patenaude c. Leboeuf, la Cour d'appel confirme le jugement de première instance qui faisait droit aux recours d'un acheteur parce que le terrain vendu contenait des matériaux et des débris le rendant impropre à la construction d'une maison.

 

[94] Dans le cas sous étude, il s'agit non seulement d'un terrain composé d'argile molle mais aussi d'un terrain qui avait été « remanié » lors de la construction par l'ajout de matériaux du côté gauche pour le rendre de niveau avec le côté droit." [4]

 

[56]         Il ressort de cette étude que généralement, le vendeur d'une maison est aussi garant de la qualité du sol. Peut-être y a-t-il des exceptions, mais pour l'instant le Tribunal n'en voit pas.

[57]         D'ailleurs, c'est bien ce que la jurisprudence a déterminé dans le cas des maisons dont le sol était contaminé par la pyrite. À moins que ce vice ait été apparent ou qu'il ne constitue pas un réel déficit d'utilisation, il justifie un recours pour vice caché [5] . Quelle distinction y a-t-il sur le plan juridique entre une maison dont le sol est contaminé par la pyrite avec celle dont le sol est contaminé par l'ocre ferreuse?  Le Tribunal n'en voit pas.

[58]         Dans Promutuel Lévisienne-Orléans Société Mutuelle d'Assurance Générale  -c-  Fondation du St-Laurent (1998) Inc. [6] la Cour d'appel a reconnu que le sol était affecté d'un vice caché dans un cas où une infiltration survient deux ans après la construction à cause d'un drain bouché par l'ocre ferreuse. Il faut noter toutefois qu'il s'agissait d'un litige concernant la responsabilité de l'entrepreneur et non concernant la garantie de qualité du vendeur.

[59]         En l'occurrence, le sol a été remanié pour construire cette maison bâtie par un auto-constructeur.  Il y a un vice du sol, l'ocre ferreuse, qui constitue un vice caché, bien que ce ne soit pas le seul.

[60]         Dès lors qu'il y a vice caché se pose la question de l'indemnisation, s'il n'y a pas lieu à résolution. On parle alors de réduction du prix de vente et possiblement de dommages-intérêts, si l'article 1728 du Code civil du Québec s'applique:

"1728.   Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur."

En l'occurrence, les demandeurs n'ont pas pu établir suivant prépondérance que les défendeurs connaissaient les vices cachés.  Il n'y a donc pas lieu à dommages-intérêts.

[61]         Pour le calcul de la réduction du prix de vente, le Tribunal tient normalement compte des coûts pour réparer et de la durée de vie utile du drain pour décider s'il y a lieu d'appliquer une diminution pour plus-value.  De plus, une grande partie des travaux a été assumée ici par les assureurs des demandeurs et il n'y a pas de réclamation à ce sujet. 

[62]         Le Tribunal accorde les montants suivants, nécessités par les travaux pour vérifier et régler le problème d'infiltration:

- location de pompe                                                                110,66$

- location de scie                                                                    20,30$

- tuyaux, moulure                                                                   100,44$

- duplication d'enregistrement                                                 6,56$

- excavation                                                                           140,16$

- vérification par Experts Drain                                           379,45$

- tentative de nettoyage des drains                                    249,27$

- expertise Benjel : nécessitée par l'infiltration

  d'eau concernant contamination et nature de

  l'ocre ferreuse                                                                  1 367,40$

- frais de soumission Concept GDC                                  284,88$

-  expertise CELB                                                              1 367,40$

- partie du drain refait assumée par les demandeurs, 

  la plus grande partie étant payée par les assureurs et

  pour membrane                                                               2 307,49$

 

- franchise de l'indemnité d'assurances pour les

  travaux de drainage                                                            300,00$

 

- travaux intérieurs et extérieurs par les demandeurs:

  arbitrés à                                                                    1 500,00$

- TOTAL:                                                                     8 134,01$

[63]         L'assureur a exigé des demandeurs leur engagement de procéder au nettoyage du drain à tous les trois ans, tel que stipulé à un avenant. En 2010, les demandeurs ont payé 386,60$ pour ce nettoyage, somme que le Tribunal leur accorde.

[64]         Compte tenu de cette obligation, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu à diminuer ce qui est dû à titre de réduction du prix de vente car la plus-value, lorsqu'elle s'applique, sera largement compensée par les coûts de nettoyage et la baisse de valeur de revente de la maison.

[65]         Le Tribunal n'accorde pas 569,75$ pour la réparation d'une fissure.  Si les propriétaires pouvaient avoir un intérêt à la réparer, il n'y a pas de preuve comme quoi il s'agissait d'un vice caché d'une certaine gravité.

[66]         Quant au montant de 10 000,00$ réclamé en dommages pour troubles, stress, inconvénients, pertes de temps, etc., le Tribunal ne peut les accorder, tel qu'indiqué plus haut, en l'absence de preuve de connaissance des vices par les défendeurs.

[67]         Enfin, le Tribunal accorde les montants de 1 338,62$ et 1 139,25$ pour la présence et le témoignage des témoins experts.

[68]         Le tout forme  donc  un  total  de 10 998,48$ (8 134,01$ + 386,60$ + 1 338,62$ + 1 139,25$).

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

[69]         CONDAMNE solidairement les défendeurs à payer aux demandeurs la somme de 10 998,48$ avec intérêts au taux légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter du 7 mars 2007.

[70]         LE TOUT avec dépens.

 

                                                                                                                                      

 

 

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Pierre Bachand, J.C.Q.

 

Me Nick Hould

Jason Larente Roy

Procureurs des demandeurs

 

Me Anthony Leclerc

Fournier Leclerc

Procureurs des défendeurs

 

Dates des audiences:

19 et 20 janvier 2011

 



[1]     Jeffrey Edwards, La Garantie de qualité du vendeur en droit Québécois , 1998, Wilson & Lafleur, 375 p., par. 367.

[2]      Milot c. Chénier,   AZ-94021379 , 1994, C.S., j. Trudel

      9011-9041 Québec Inc. c. 9051-4829 Québec Inc., 2006 QCCS 5674 , j. Devito

      Fortin c. Dumas, AZ-50267048 , C.Q., j. Cloutier

      Syndicat de la copropriété De Lorimier c. Champagne, AZ-50222047 2, 2004, C.Q., j. Pinsonnault

      Saati c. Daigle-Brulotte, 2006 QCCQ 12503 , j. Coutlée

      Claude Coursol, Nappe phréatique et ocre ferreuse: quand Dame Nature réclame ses droits, Développements récents en droit de l'immobilier 2007, Cowansville, Editions Yvon Blais, 2007

[3]     Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service ,  2005, Wilson & Lafleur, 790 p, p. 144 à 146

[4]    Beaudet c. Bastien, 2007 QCCQ 13454

[5]    Jacques Deslauriers, Vente, louage, contrat d'entreprise ou de service ,  2005, Wilson & Lafleur, 790 p, p. 145

      Dupuy c. Pageau,   2010 QCCA 860

      Axa Assurances c. Habitations Claude Bouchard Inc., J.E. 2001- 1892

[6]    Promutuel Lévisienne-Orléans Société Mutuelle d'Assurance Générale c. Fondations du St-Laurent Inc., 2010 QCCA 694