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TRIBUNAL D’ARBITRAGE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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N o de dépôt : |
2011-8558 |
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Date : |
20 mai 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
JACQUES LARIVIÈRE |
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Syndicat des métallos, section locale 9414 |
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Ci-après appelé « le syndicat » |
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Et |
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Véolia transport |
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Ci-après appelé « l’employeur » |
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Convention collective : |
Intervenue entre Groupe Connex GVI inc. Transport scolaire et Transport adapté Handibus (maintenant Véolia transport) et Syndicat des métallos, section locale 9414, pour la période du 30 juin 2007 au 31 août 2012 |
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SENTENCE ARBITRALE |
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[1] Le syndicat nous demande de déterminer les sommes dues à la salariée, chauffeuse d’autobus scolaire, à la suite d’une sentence rendue le 13 octobre 2010. Celle-ci annulait le congédiement dont elle avait été l’objet le 22 septembre 2009 [1] et réservait notre compétence à l’égard des mesures de redressement demandées.
[2] À l’origine, le grief de congédiement réclamait la réintégration et :
… d’être remboursé de tout montant d’argent, dommages et intérêts, y com-pris les intérêts courus, le tout avec le maintien de tous mes droits, privilèges et bénéfices et l’annulation dans le dossier de la mesure disciplinaire.
[3]
Notre compétence est encadrée par l’article 12.30 de
la convention collective et l’article
Convention collective :
12.03 […]
Dans tous les cas de congédiements ou de mesures disciplinaires, l'arbitre peut confirmer, modifier ou renverser la décision de l'employeur, il peut, le cas échéant, y substituer la décision qui lui paraît juste et raisonnable compte tenu de toutes les circonstances de l'affaire et ordonner à l'employeur de rembourser au salarié le montant d'argent dont l'a privé son congédiement ou sa mesure disciplinaire.
Code du travail :
100.12.
Dans l'exercice de ses fonctions l'arbitre peut :
c) ordonner le paiement d'un intérêt au taux légal à compter du dépôt du grief, sur les sommes dues en vertu de sa sentence.
Indemnité.
Il
doit être ajouté à ce montant une indemnité calculée en appliquant à ce
montant, à compter de la même date, un pourcentage égal à l'excédent du taux
d'intérêt fixé suivant l'article
[…]
d) fixer, à la demande d'une partie, le montant dû en vertu d'une sentence qu'il a rendue;
[…]
[4] Au lendemain de la publication de la sentence, la plaignante a choisi de renoncer à la réintégration. Elle a de manière tout à fait satisfaisante mitigé ses dommages en occupant d’autres emplois de chauffeuse d’autobus scolaire.
Perte de salaire
[5] Les parties reconnaissent, en excluant les prestations d’assurance emploi, que la plaignante a gagné jusqu’au moment de sa renonciation à la réintégration la somme totale de 14 528,28 $ incluant 4% pour vacances. Si elle avait continué à travailler pour son employeur, elle aurait gagné 14 295,56 $, montant auquel il faut ajouter 4% pour vacances ou 571,80 $ pour un total de 14 867,36 $. La plaignante a gagné 339,08 $ de moins que ce qu’elle aurait obtenu si elle avait continué à travailler chez Veolia Transport.
[6] La plaignante a été congédiée le 22 septembre 2009 et elle n’a pas recommencé à avoir un salaire régulier avant le mois de novembre suivant. On peut donc situer dans le temps une perte de revenu qui s’est réalisée pendant les premières semaines suivant son congédiement. Comme le grief porte la date du 6 octobre 2009, on peut présumer qu’il a été déposé ce même jour. C’est la raison pour laquelle nous décidons de calculer les intérêts et l’indemnité additionnelle sur la somme de 339,08 $ à compter du 6 octobre 2009.
[7] Nous n’avons pas à tenir compte des prestations d’assurance emploi perçues à différentes occasions par la plaignante.
Autres réclamations
[8] Elle formule aussi les réclamations suivantes :
a. Frais de déplacement : 6 029,76 $
b. Trajets spéciaux non effectués : 1 100,00 $
c. Indemnité de cessation d’emploi : 675,54 $
d. Frais de recherche d’emploi : 324,36 $
e. Uniforme : 80,00 $
f. Formation : 72,00 $
g. Vacances
h. Dommages généraux :
- Atteinte à la vie privée : 3,000,00 $
- Atteinte à la réputation : 3,000,00 $
- Souffrances morales : 3 000,00 $
[9] Les représentants des parties nous ont présenté leur point de vue sur chacun des chefs de la réclamation en s’appuyant sur une certaine jurisprudence et sur des commentaires d’auteurs. Au besoin, nous en ferons état en examinant un à un chacun des éléments de la réclamation.
a) Les frais de déplacement
[10] La plaignante déclare avoir trouvé du travail comme chauffeuse d’autobus pour d’autres transporteurs dont l’établissement était beaucoup plus éloigné que ne l’était celle de Veolia Transport situé à seulement 3.5 km de son domicile de Saint-Alexandre. Elle a utilisé son véhicule automobile personnel pour se rendre aux lieux de travail de ses nouveaux employeurs situés à Brossard ou à Saint-Luc.
[11] Elle réclame une somme totale de 6 029,76 $ sous ce chef en comptant 166 jours de déplacement à raison de 72 kilomètres additionnels par jour à un taux de 0,52 $ pour les premiers 5 000 kilomètres et 0,46 $ pour les autres. Le représentant syndical nous propose divers exemples de taux de remboursement de frais de transport.
[12] Le procureur de l’employeur est d’opinion que les dépenses de voyagement du domicile au lieu de travail ne sont pas indemnisables. Subsidiairement, si elles devaient l’être, ces frais doivent être raisonnables.
[13] Il nous invite à prendre connaissance d’une sentence rendue le 31 janvier 2008 par l’arbitre François G. Fortier dans Commission scolaire de la Pointe-de-l’Île et Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-l’Île . [2] Dans cette affaire, la réclamation portant sur les frais de déplacement de l’enseignant a été refusée au motif que le plaignant avait repris un travail d’enseignant à une distance raisonnable de son domicile.
[14] Par ailleurs, cet arbitre cite une décision rendue par l’arbitre Martin Côté dans une autre affaire impliquant le même enseignant (référence non fournie), il conclut que les inconvénients, le stress, le travail de soir ou de nuit et le fait de devoir voyager plus loin sont des facteurs à considérer dans la fixation d’une indemnisation adéquate des dommages (voir page 13).
[15] Dans les circonstances, nous jugeons équitable de tenir compte des dépenses encourues par la plaignante pour aller travailler. Dans le but de satisfaire à son obligation de mitiger ses dommages, la plaignante a encouru des dépenses de déplacement qui réduisent d’autant les gains tirés de ses nouveaux emplois. Pendant une certaine période de temps, son horaire de travail l’obligeait à effectuer deux fois par jour le trajet entre son domicile et son nouveau lieu de travail. Cela demande du temps et aussi un moyen de transport adéquat.
[16] L’obligation de mitiger ses dommages n’exige pas à notre avis de pénaliser la créancière, la salariée, au seul profit du débiteur, l’employeur, de l’obligation de compenser la perte de salaire. En réalité, les gains de la plaignante sont beaucoup moins importants qu’ils ne le paraissent et il est tout à fait équitable de tenir compte de ce qu’elle a dû dépenser pour gagner ce revenu dans le but de mitiger les dommages que Veolia Transport doit lui payer.
[17] Nous retenons, parmi les méthodes de calcul suggérées par le représentant syndical, celle de la commission scolaire avec qui son employeur contractait le transport des élèves. Cette organisation publique rembourse à ses employés les frais de l’utilisation de leur véhicule personnel aux fins de leur travail selon un taux de 0,46 $ du kilomètre parcouru. Ce taux nous paraît tout à fait raisonnable.
[18] Étant admis que les déplacements de la plaignante totalisent 11 952 km supplémentaires, sur cette base de calcul, nous accordons à la plaignante le droit au remboursement de ces frais de déplacement totalisant 5 497,92 $ (11 952 km x 0,46 $ = 5 497,92 $).
[19] Cette somme doit porter intérêt comme prévu au Code du travail et il n’y a aucune raison de refuser le droit à l’indemnité additionnelle. Les parties ne nous ont pas proposé de date à compter de laquelle ces intérêts devraient commencer à courir.
[20] Toutefois, tenant compte que la perte est composée de frais de transport encouru jour après jour depuis que la plaignante a recommencé à travailler, il est pertinent d’appliquer la méthode pondérée largement acceptée par la jurisprudence [3] en droit du travail par laquelle le montant total des intérêts et de l’indemnité additionnelle est divisé par deux pour la période au cours de laquelle les dommages se sont progressivement accumulés. Par la suite, ils doivent être payés dans leur intégralité depuis le jour de la présente sentence jusqu’au jour du paiement.
b) Les trajets spéciaux
[21] Nous avons regroupé sous ce vocable la réclamation fondée sur les pertes de salaire que la plaignante prétend avoir subies en étant privée de la possibilité d’effectuer durant l’été 2010 des voyages nolisés et durant l’année scolaire du transport dit « Sport-Art-Étude ».
[22] Conformément aux règles donnant droit aux prestations d’assurance-emploi, lorsque les chauffeurs sont mis à pied pour la période estivale, la plaignante cessait d’être disponible pour ces voyages nolisés. Pour cette raison, ils ne pouvaient pas lui être proposés par l’employeur.
[23] De plus, l’article 16.04 de la convention collective prévoit que les assignations « Sport-Art-Étude » sont réparties entre les chauffeurs selon le critère de l’ancienneté. La preuve ne révèle aucunement l’ancienneté des chauffeurs qui ont effectué ces trajets au cours de l’année scolaire 2009 - 2010.
[24] La plaignante était 29e sur une liste d’ancienneté comptant 36 salariés. Il est donc bien peu probable que la salariée se serait vue offrir de gagner un supplément de salaire en effectuant ces voyages en sus de son horaire de travail habituel.
[25] Sur cette question, la preuve nous paraît insuffisante pour nous permettre de conclure que la plaignante aurait pu gagner au cours de l’été 2010 des revenus additionnels en travaillant chez Veolia Transport.
c) Indemnité de cessation d’emploi
La réclamation fait état d’une somme de 675,54 $ comme indemnité de cessation d’emploi. En refusant la réintégration, la plaignante pose un geste de démission volontaire. Elle n’a pas droit à une indemnité pour cause de départ volontaire.
d) Les frais de recherche d’emploi
La preuve n’a pas révélé en quoi consiste la somme de 324,46 $ mentionnée comme frais de recherche d’emploi au document dressant la réclamation de la plaignante. En l’absence de preuve, cette réclamation doit être rejetée.
e) Uniforme
[26] La convention collective prévoit à l’Annexe A que l’employeur fournit aux chauffeurs l’uniforme de travail requis. Cette obligation est décrite comme suit :
Chaque salarié régulier aura droit à : Un (1) manteau au début de l’année 2008 et un (1) manteau au début de l’année 2010. Aucun montant d’argent n’est prévu pour l’achat de cet uniforme de travail fournit pas l’employeur.
[27] L’employeur refuse de payer le montant d’argent réclamé par la plaignante, mais offre ce manteau. Nous donnons acte de cette proposition.
f) Formation « Métier unique »
[28] Une politique interne de l’employeur autorise le remboursement d’une somme de 72,00 $ payée une fois par période de trois (3) années pour une formation dite « Métier unique » périodiquement exigée par les autorités de tout titulaire de permis de conduire de classe 2 relié au transport scolaire.
[29] La convention collective prévoit à l’article 13.06 que le salarié perd son ancienneté en cas de suspension ou perte du permis de conduite « sauf pour maladie » et l’article 13.10 prévoit que le chauffeur qui perd son permis de conduire est suspendu sans solde et il cesse pendant ce temps d’accumuler l’ancienneté. Si le permis n’est pas récupéré dans une période de douze (12) mois, le salarié est alors congédié sans droit de recours à la procédure de grief et d’arbitrage.
[30] Cela signifie que le permis de conduire valide est une condition de maintien d’emploi. Pour conserver ce permis, le chauffeur d’autobus doit satisfaire toutes les exigences de la réglementation. Parmi celles-ci, le chauffeur doit mettre à jour ses connaissances au moyen d’une formation dite « Métier unique ».
[31] Le procureur de l’employeur fait valoir avec raison que cette réclamation ne peut être accordée puisque le droit au remboursement de ce qu’il peut en coûter pour cette formation n’est pas prévu par la convention collective. En renonçant à sa réintégration, la plaignante n’a plus à satisfaire les exigences de la convention collective en ce qui concerne le permis de conduire et l’on ne sait si elle a été dans l’obligation de payer cette formation pour travailler pour d’autres transporteurs pendant la période au cours de laquelle elle devait mitiger ses dommages.
[32]
Le procureur de l’employeur souligne aussi que ce n’est
pas une formation exigée par l’employeur lui-même. Elle ne serait pas visée par
l’article
[33] La politique par laquelle l’employeur consent au remboursement du coût de la formation n’a pas été déposée en preuve les représentations des parties laissent entrevoir une interprétation de la portée de cette politique interne de l’employeur qui n’est pas intégrée à la convention collective. Dans les circonstances, nous voyons mal comment nous pourrions condamner l’employeur à rembourser ces frais de formation.
g ) Vacances
[34] La réclamation portant sur 4% du salaire pour vacances est incluse dans la différence de salaire précédemment établie. Le calcul de vacances ayant été fait tant pour le salaire perdu que pour le salaire gagné ailleurs, on ne peut pas ajouter un autre 4% sur la différence entre les pertes et les gains.
h) Autres dommages
[35] Sous ce chapitre, nous examinerons les réclamations totalisant 9 000 $ pour atteinte à la vie privée, à la réputation et souffrances morales.
[36] Les dommages moraux tout comme les dommages matériels peuvent être l’objet d’indemnisation lorsqu’ils sont une conséquence directe du congédiement. Cependant, les critères à respecter pour accorder des dommages moraux ne sont pas définis de la même manière selon l’instance décisionnelle saisie de la réclamation.
[37] Les tribunaux de droit commun ont tendance à promouvoir une règle inspirée du Code civil du Québec obligeant le salarié de fournir la preuve d’un abus de la part de l’employeur.
6. Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.
7. Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.
1375. La bonne foi doit gouverner la conduite des parties, tant au moment de la naissance de l’obligation qu’à celui de son exécution ou de son extinction.
[38] Cette approche s’explique aussi par le fait qu’un employeur a toujours le droit de résilier un contrat individuel de travail dans la mesure où il respecte l’obligation de donner un préavis raisonnable.
[39] Les jugements cités par le procureur de l’employeur et les commentaires d’auteurs reflètent parfaitement cette orientation des tribunaux de droit commun. C’est aussi dans ce contexte qu’on a écrit que certains dommages moraux résultants d’une fin d’emploi n’ont pas toujours à être l’objet de réparation étant une conséquence normale de l’exercice du droit de mettre fin à un contrat individuel de travail au moyen d’un délai-congé approprié.
[40] La Commission des relations de travail (« CRT ») a développé une approche plus souple en n’exigeant pas du demandeur une preuve de mauvaise foi de la part de l’employeur afin d’accorder des dommages moraux [4] .
[41] La décision Édith Langlois c. Gaz Métropolitain inc. rendue par la commissaire Huguette Vaillancourt le 11 mars 2005 [5] est un bon exemple de la ligne de conduite adoptée en cette matière par la CRT. Celle-ci précise sa pensée comme suit :
[98] Qu’en est-il de la Loi sur les normes du travail et de la jurisprudence en pareille matière?
[99] C’est aussi l’article 128 (3 o ) de la Loi qui permet à la Commission d’accorder une indemnité pour dommages moraux. La disposition se lit comme suit :
Si la Commission juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut :
3 o rendre toute autre décision qui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.
[100] Il est incontestable que la Commission
dispose de la compétence nécessaire relativement à l’octroi de dommages extra
contractuels. La Cour d’appel du Québec dans l’affaire
James Dodd
c.
3M
Canada Ltd.
(
This is a flexible, comprehensive and integrated system : any one or combination of the alternatives may be granted by the Commissioner. The structure, the wording, and character of the law require that the provisions be given a broad and liberal interpretation in order to achieve their purpose : to fashion fair and reasonable order to remedy the losses and correct the injustices suffered by an employee who has been dismissed without good and sufficient cause.
[100] Depuis la décision de la Cour suprême dans
l’affaire
Houle
c.
Banque Nationale du Canada
(1990) 3 R.C.S.,
p. 122, le salarié congédié n’a pas à démontrer que l’employeur a agi de
mauvaise foi ou malicieusement afin d’obtenir une compensation pour dommages
moraux. La jurisprudence sanctionne aussi l’exercice déraisonnable du droit (
Standard
Broadcasting Corporation Limited
c.
Stewart
[100] Relativement au recours entrepris en vertu de l’article 124 de la Loi , les commissaires du travail s’inspirent de cet élargissement. La partie plaignante n’a pas non plus à prouver la mauvaise foi de l’employeur pour que des dommages moraux soient octroyés. La finalité sociale de la Loi sur les normes du travail et son caractère d’ordre public ayant pour objectif de protéger les salariés, dont les conditions de travail ne sont pas régies par une convention collective, il est donc raisonnable que le salarié congédié sans cause juste et suffisante soit compensé pour les dommages moraux qui découlent de la perte de son emploi. Il faut toutefois que ces dommages soient démontrés.
[42] Étonnamment, aucune des deux parties nous ont présenté, jurisprudence arbitrale à l’appui, l’orientation généralement adoptée par les arbitres de griefs sur cette question des dommages moraux, de l’atteinte à la réputation ou encore des dommages punitifs et exemplaires. Il faut aussi reconnaître que le traitement de ces questions par la jurisprudence émanant des différentes instances judiciaires et quasi judiciaires est en constante évolution.
[43] Il ne fait plus de doute aujourd’hui que l’arbitre de grief jouit de la compétence lui permettant de prononcer une condamnation à indemniser une salariée pour compenser ces catégories de dommages dans la mesure où la preuve prépondérante permet de conclure qu’ils ont été subis.
[44] Dans tous les cas, l’arbitre de grief doit tenir compte de la preuve de toutes les circonstances dans lesquelles la décision de l’employeur a été prise et de la preuve des conséquences directes sur la personne de la salariée. De plus, il faut se rappeler qu’une mesure disciplinaire (ou administrative) non fondée ou inappropriée n’a pas nécessairement de corrélation avec l’abus de droit ou la mauvaise foi. Par ailleurs, ces dommages doivent, comme tout élément d’une réclamation, être l’objet d’une preuve aussi rigoureuse que celle portant sur les dommages matériels. Évidemment, le décideur jouit d’un large pouvoir d’appréciation du montant de la somme d’argent permettant de compenser de tels dommages.
[45] Dans le cas présent, la plaignante ne pouvait pas présenter une preuve de ces dommages généraux sans accepter de soulever certains pans de sa vie privée. Elle devait s’expliquer et accepter de se soumettre au contre-interrogatoire.
[46] Son témoignage s’est terminé avant même d’avoir commencé, celle-ci faisant preuve d’une hypersensibilité la rendant tout à fait incapable de s’exprimer sur tout ce qui peut toucher sa vie personnelle. Cette réaction nous paraît être la raison pour laquelle elle refusait d’informer son employeur en juin 2009 des raisons pour lesquelles elle avait obtenu un congé maladie de son médecin. Aucun autre témoin n’a été invité à décrire les réactions de la salariée et tout autre fait pertinent à la démonstration de dommages moraux, exemplaires ou encore ceux relatifs à une atteinte à la réputation.
[47] Dans une telle situation, la sympathie que nous pourrions éprouver à l’égard de la plaignante ou encore notre capacité de percevoir ce que peut représenter une rupture du lien d’emploi ne sont pas des substituts valables à l’absence de description des souffrances, selon le cas, ayant pu être ressenties par la salariée depuis son congédiement. Nous pouvons comprendre et deviner bien des choses à ce sujet, mais lorsqu’il s’agit d’ordonner à un employeur de payer une somme d’argent, il faut tout de même être en mesure de déterminer à quoi la condamnation se rattache. Dans le cas présent cas, nous sommes confronté à une absence totale de preuve des dommages généraux réclamés.
[48] Quand bien même nous en arrivions à reconnaître un abus de droit de la part de l’employeur dans sa décision de multiplier inutilement les reproches d’insubordination, de faire fi de son obligation d’indiquer une date de fin à la période de suspension et d’imposer pour les mêmes reproches une double sanction, on ne peut pas condamner l’employeur sans preuve des dommages que le congédiement a directement causés à la salariée.
[49] Sur le fond du contentieux portant sur l’atteinte à la vie privée de la salariée à l’origine de ses démêlés avec son employeur, nous ne partageons pas la thèse avancée par le syndicat. Il appert que la plaignante s’est sentie attaquée dans sa vie personnelle lorsque l’employeur a cherché à connaître le diagnostic médical justifiant ses absences. De là est apparue la confrontation entre la salariée et ses supérieurs qui allait conduire aux interventions disciplinaires, mais seule la mesure de congédiement a été contestée. Cela qui a pour effet de nous obliger à distinguer entre les dommages subis, selon le cas, avant le congédiement et ceux découlant du congédiement lui-même.
[50] Notre sentence ne discute pas du droit de l’employeur d’exiger un certificat avec diagnostic tout simplement parce que les parties avaient trouvé en juillet 2009 une solution à cette question en convenant que la plaignante serait examinée par un médecin choisi par l’employeur. Or, ce dernier a fait défaut de donner suite à cette entente préférant opter pour une mesure de congédiement que nous avons jugée injustifiée et contraire à la règle interdisant la multiplicité des sanctions. Si une telle situation donnait ouverture à une réclamation en dommages, encore une fois, une preuve prépondérante de ces dommages était requise.
[51] De plus, l’emphase mise de l’avant par la salariée sur la protection du droit à sa vie privée doit être pondérée par les impératifs légitimes de la sécurité de la travailleuse elle-même, des écoliers sous sa responsabilité immédiate et de tous les utilisateurs de la voie publique. L’employeur a le devoir légal et moral de s’en préoccuper d’autant plus qu’il avait été aux prises dans le passé avec quelques situations critiques mettant en cause la santé mentale de certains conducteurs. Il ne peut satisfaire ses responsabilités sans avoir accès à certaines informations personnelles. C’est pourquoi les parties avaient convenu en juillet 2009 d’un examen médical.
[52] L’équilibre devant exister entre la protection à la vie privée et la sécurité d’autrui tout comme celle du personnel est un sujet qui a été exploré par notre collègue André Matteau dans une sentence rendue le 30 décembre 2008 dans Syndicat des travailleurs et travailleurs des autobus Gil-Ber (CSN) et Gil-Ber inc . [6] Dans cette affaire, l’employeur avait exigé que le chauffeur réponde au questionnaire médical employé par la Société d’assurance automobile du Québec. Nous n’avons aucune hésitation à faire nôtres les judicieux propos de cet arbitre dont voici un extrait :
[54] […]
Si l’Employeur a des doutes sur la capacité de conduite d’un chauffeur à son service à cause de son état de santé ou si certaines situations suscitent des questions à cet égard, il a l’obligation d’agir avec précaution avant de lui confier le transport d’élèves. Si l’Employeur ne prend pas les moyens utiles et nécessaires pour dissiper ces doutes et qu’un accident se produit, il en sera responsable.
[55] Il m’apparaît tout à fait prudent de la part de l’Employeur d’exiger de connaître l’état de santé général d’un chauffeur lorsque ce dernier a été absent pendant une longue période ou qui l’était à la fin de l’année scolaire, que ce soit pour maladie ou pour accident, que cette maladie ou cet accident soient reliés au travail ou non. L’Employeur a le droit d’avoir la certitude que ce chauffeur est complètement apte à conduire un autobus. Nul besoin d’être médecin pour estimer qu’une maladie ou un accident peuvent fragiliser l’état de santé d’une personne, l’aggraver, voire entraîner d’autres maladies.
[53] Malgré les manquements que nous pourrions reprocher à l’employeur, il faut bien admettre que l’idée voulant que l’employeur s’attaquait essentiellement à la vie privée de la plaignante ne résiste pas à l’analyse. La plaignante avait, avec la participation de son syndicat, concédé que l’employeur avait droit de savoir si médicalement elle était en état de conduire de façon sécuritaire.
[54] Par ailleurs, ce n’est pas parce l’intrusion relative de l’employeur dans sa vie privée était légitime que l’employeur a traité la plaignante correctement au moment du congédiement. Cette décision non justifiée ne portait pas atteinte à un droit fondamental de la plaignante et quant à son caractère abusif ou quant à la volonté de nuire à la plaignante la preuve est insuffisante pour en arriver à une telle conclusion. Les conséquences directes de la décision de l’employeur sur la personne de la salariée devaient être prouvées et en l’absence de preuve des dommages, nous ne pouvons pas accueillir ces réclamations
Par ces motifs,
-
Ordonnons
à l’employeur de payer à la plaignante la somme de
339,08 $, à
compter du 6 octobre 2009 laquelle doit porter intérêt conformément aux
prescriptions de l’article
-
Ordonnons
à l’employeur de payer à la plaignante la somme de
5 497,92 $
laquelle doit porter intérêt conformément aux prescriptions de
l’article
- Donnons acte de l’offre de l’employeur de remettre à la plaignante un manteau correspondant à l’uniforme de travail;
- Rejetons les autres réclamations formulées par la plaignante.
Shefford, le 20 mai 2011 |
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________________________________ __ Jacques Larivière, arbitre de grief |
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Pour le syndicat : |
M. Guy Gaudette, conseiller syndical |
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Pour l’employeur : |
Me Serge Bouchard, avocat |
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Date d’audience : |
21 mars 2011 et conférence téléphonique 28 avril 2011 |
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Date de prise en délibéré : |
28 avril 2011 |
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ANNEXE - AUTORITÉS ET JURISPRUDENCE CITÉES
Par le procureur de l’employeur :
MORIN, BRIÈRE, ROUX, VILLAGGI, Le droit de l'emploi au Québec , 2010, 4e édition, Wilson & Lafleur, Montréal, pages. 1494 à 1497;
Evans c.
Teamsters local Union no. 31
,
Marsh Canada Limitée c.
Crevier,
Commission scolaire de la
Pointe-de-l'Île et Syndicat de l’enseignement de la Pointe-de-L'ÎIe
,
Meechan c. Canada (Procureur
général)
,
VACHON, Philippe, Attribution de dommages-intérêts moraux et punitifs en cas de congédiement injustifié en droit québécois , L’A-B-C des cessations d'emploi et des indemnités de départ (2007) , Service de la formation continue du Barreau du Québec, Éditions Yvon Blais, vol. 276;
Par le représentant syndical :
Commission des normes du travail, Guide d’interprétation , Loi sur les normes du travail;
Service Canada, Le guide de la détermination de l’admissibilité;
Taleb Abdelkader, Les limites du droit à la réintégration dans le cas d'un congédiement sans cause juste et suffisante , Université de Montréal, École de relations industrielles, Faculté des arts et des sciences, Mémoire présenté à la Faculté des études supérieures en vue de l'obtention du grade de maîtrise en relations industrielles, septembre 2006;
Andrée Boissonneault c.
Pétroles Bois-Francs (2000) inc
., commissaire Claude Gélinas, 28 juillet
2004,
Nelson Gionest c. Hôtel Motel
Manoir Percé inc.
, commissaire Pierre Lefebvre, 28 juillet 2004,
Julie Brunet c. Arthrolab inc
.,
commissaire Alain Turcotte, juge administratif, 22 octobre 2010,
Édith Langlois c. Gaz
Métropolitain inc.
, commissaire Huguette Vaillancourt, 11 mars 2005,
Association canadienne des automobilistes, Coût d'utilisation d'une automobile , Édition 2009.
[1]
Syndicat des métallos, section locale 9414 et Véolia Transport
(Mme X), (T.A., 2010-10-13),
[2]
[3]
Voir :
Pelland et Société de transport de la Ville de Laval
,
[
[5] 2005 QCCRT 0125 . Décision citée par le représentant syndical.
[6]
Syndicat des travailleurs des Autobus Gil-Ber (CSN) et Gil-Ber
inc. (Jacques Brown), (T.A., 2008-12-30),