Durepos c. 9195-6441 Québec inc. |
2011 QCCS 2615 |
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JB3976
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
RICHELIEU |
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N° : |
765-17-000846-099 |
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DATE : |
10 mai 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S. |
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JEAN DUREPOS |
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Demandeur |
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c. |
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9195-6441 QUÉBEC INC. -et- NORMAND FRANCOEUR -et- BENJAMIN FRANCOEUR -et- BENOIT ARCHAMBAULT -et- YAHIA BENKHEROUF -et- HST HYDRAULIQUE ET PNEUMATIQUE INC. |
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Défendeurs |
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-et- |
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BANQUE TORONTO-DOMINION |
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Tierce-saisie |
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JUGEMENT |
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[1] N'ayant pas reçu le paiement du solde de 151 839 $ pour l'achat des actions de sa compagnie HST Hydraulique et Pneumatique inc. (« HST »), Jean Durepos (« Durepos ») réclame de 9195-6441 Québec Inc. (« 9195 ») ainsi que de Normand Francoeur (« Francoeur »), son fils Benjamin Francoeur (« Benjamin »), Benoît Archambault (« Archambault ») et Yahia Benkherouf (« Benkherouf »), qui ont participé soit à l'acquisition de l'entreprise, soit à ses opérations, le paiement de cette somme.
[2] Durepos agit comme seul actionnaire, administrateur et officier de HST depuis près de vingt ans lorsqu'il décide de mettre en vente son entreprise au printemps 2008. Elle se spécialise dans la réparation de système hydraulique ainsi que la vente de boyau et de pièces hydrauliques. L'immeuble qu'elle occupe ne lui appartient plus depuis la fin septembre 2007. Sa clientèle, stable et fidèle, permet à Durepos de se verser un salaire de 66 000 $ par année tout en jouissant d'un véhicule automobile et d'une carte de crédit.
[3] Benkherouf est un homme d'affaires de 46 ans possédant une formation en ingénierie électrique. Il développe avec Francoeur, un ami, des projets, notamment en matière environnementale puisque celui-ci s'intéresse à la gestion des déchets. Ils recherchent des sous-traitants avec qui établir des relations d'affaires. Benjamin, 20 ans, est le fils de Francoeur. Il est l'administrateur et l'actionnaire de 9195. À l'origine, cette compagnie était inactive, son père suggère de l'utiliser pour finaliser la transaction avec Durepos.
[4] Informé par un certain Stéphane Dallaire (« Dallaire ») que HST est en vente, Benkherouf en parle à Francoeur. Dallaire l'avise que la transaction se fera au bénéfice d'Archambault. Benkherouf rend visite à Durepos à la fin avril ou au début mai 2008.
[5] Dallaire, qui n'a pas témoigné, que Durepos ne connaît pas, serait un ancien avocat qui recherche des occasions d'affaires. Selon Benkherouf et Francoeur, il rédige des projets de contrat et organise les transactions.
[6] Benkherouf se présente comme un chef de l'ingénierie de Industries Konig Ltée lors de sa visite de l'entreprise HST [1] . Selon Durepos, il déclare alors que le financement de la transaction est une bagatelle qui ne soulève pas de problème.
[7] Le 26 mai 2008, supposément à la demande de Dallaire, Benkherouf transmet à Durepos un projet d'offre d'achat rédigé par Dallaire [2] . Notons que le projet de transaction pour un montant de 95 000 $ comporte une mention que la transaction doit être effectuée soit personnellement par Benkherouf ou pour une corporation à être désignée par lui.
[8] Durepos consulte son conseiller financier, Pierre Bibeau (« Bibeau ») quant à la façon d'effectuer la transaction. Celui-ci l'avise que le montant de la transaction doit comprendre la valeur des comptes recevables et de l'encaisse moins les comptes payables.
[9] Cependant, Benkherouf quitte alors pour l'Algérie, ce que Durepos ignore et, donc, il croit que la démarche entreprise n'aboutira à rien étant donné que ses tentatives pour rejoindre Benkherouf s'avèrent infructueuses.
[10] Rejoint à son retour de voyage, Benkherouf s'avère toujours intéressé par la transaction. Une nouvelle rencontre s'organise chez HST. Durepos fournit toutes les informations financières pertinentes à la transaction. Benkherouf réitère qu'il n'existe aucun problème pour le financement de la transaction.
[11] C'est pourquoi le 2 juin 2008, Benkherouf expédie une nouvelle offre d'achat [3] au montant de 161 839 $ à Durepos qui l'accepte le 4 juin 2008 en ajoutant, de façon manuscrite, deux clauses quant aux comptes à recevoir et aux comptes payables.
[12] Le 11 août 2008, Benkherouf signe une déclaration modificatrice quant à 9195 qui ajoute Les Entreprises Haysoft Canada inc. comme entreprise oeuvrant sous cette entité juridique.
[13] Le 23 septembre 2008, une rencontre chez HST réunit du côté des vendeurs Bibeau et Durepos. Du côté des acheteurs, on retrouve Benkherouf, Francoeur, Archambault et Jean-Guy Letiac (« Letiac »). Cette rencontre fait suite à l'envoi de l'offre d'achat de 9195 [4] signée par Benkherouf le 17 septembre 2008.
[14] Bibeau discute avec Benkherouf et Francoeur dans le bureau alors que Durepos reste à l'atelier avec les autres. On convient que la vente s'effectuera le 30 septembre 2008 puisque le bail de HST se renouvelle à cette date et Durepos trouve inutile d'en signer un nouveau alors qu'il vend son entreprise. L'offre d'achat comporte la modification manuscrite à cet effet. Tous conviennent de la date du 30 septembre 2008 pour finaliser la transaction qui sera rédigée par Marc Galetta, l'avocat de l'acheteur.
[15] Le jour dit, la convention de vente intervient [5] . Durepos signe comme vendeur, Benkherouf pour le compte de l'acheteur 9195. Bibeau et Francoeur à titre de témoins font de même.
[16] Le même jour, Durepos, Dallaire et Archambault se rendent à la banque de 9195 pour modifier les autorisations de signature du premier en faveur du dernier.
[17] Conformément au contrat, Durepos se rend tous les jours à l'entreprise. Sa femme y travaille à la comptabilité un jour par semaine. Elle ne sera jamais payée pour ses services.
[18] Se sentant pleinement en confiance, Durepos attend au 24 octobre 2008 pour déposer le chèque de 3 000 $. Bien que des fonds suffisants se trouvaient au compte de 9195 à la date de sa remise, la situation s'avère différente à la fin octobre et Durepos reçoit, avec surprise, le 28 octobre 2008 de la banque de 9195 un avis à l'effet qu'elle ne peut honorer le chèque.
[19] Par l'entremise d'Archambault, il contacte Francoeur et le rencontre dans un restaurant à Tracy. Celui-ci affirme que son groupe attend une somme importante d'argent pour de la recherche et développement et que le paiement n'est qu'une question de temps.
[20] Le 12 novembre 2008, devant l'insistance répétée de Durepos, Francoeur lui apporte un chèque de 10 000 $.
[21] Le 27 novembre 2008, l'avocat de 9195, disant représenter «les intérêts des principaux» de celle-ci déclare à Durepos que ses clients désire réaliser la transaction et qu'il «requiert un léger délai pour pouvoir s'exécuter complètement» [6] .
[22] Il lui intime de ne pas poser des questions qui pourraient provoquer l'avortement de la transaction [7] .
[23] Le 4 décembre 2008, l'avocat de 9195 écrit à Bibeau [8] :
La présente a pour but de confirmer que mes clients me remettaient aujourd'hui même les confirmations de financement permettant entre autre le règlement de la transaction amorcée avec Monsieur Durepos concernant HST Hydraulique et Pneumatique Inc., le tout sous réserve de la mise en place de garanties. Par conséquent, je devrais être en mesure de vous soumettre dès demain un échéancier précis quant aux versements à être effectuées (sic) afin de fermer ce dossier.
[24] Le 5 décembre 2008, l'avocat de Durepos répond par une mise en demeure formelle [9] . À cette date, Durepos n'a reçu que 10 000 $ suite à la vente de son entreprise.
[25] Durepos soutient qu'une conspiration dolosive de tous les défendeurs explique la situation actuelle. Selon lui, ceux-ci perdent toute crédibilité tant par leurs explications aussi laconiques qu'évasives, que par leur désinvolture à l'égard de leurs obligations à son endroit.
[26]
D'une part, quant au dol, il se réclame de l'article
[27] Il s'appuie aussi sur l'article 123.8 de la Loi sur les compagnies [10] qui prévoit en substance que celui qui pose un acte dans l'intérêt d'une compagnie avant sa constitution est lié par cet acte à moins que le contrat conclu par la compagnie ne l'exclue.
[28] Il requiert donc du Tribunal une condamnation pour le solde du prix de vente de HST, des dommages-intérêts de 50 000 $ vu la mauvaise foi des défendeurs et leur attitude empreinte de duplicité, ainsi qu'une déclaration validant les saisies avant jugement pratiquées en l'instance.
[29] Dans ses représentations écrites au Tribunal, Durepos demande deux conclusions additionnelles par voie d'amendement.
[30]
Premièrement, il désire que le Tribunal déclare que la dette des
défendeurs résulte de l'obtention de biens par des faux semblants ou la
présentation erronée et frauduleuse des faits et qu'en conséquence ceux-ci ne
soient pas libérés de cette dette advenant une faillite éventuelle de leur
part, ceci en vertu de l'article
[31] Deuxièmement, en accord avec la preuve présentée, il recherche une condamnation conjointe et solidaire quant au remboursement de 10 346,06 $ dû à la Banque Toronto-Dominion. Selon lui, en effet, puisque jamais les acheteurs ne le libèrent de ses endossements à la Banque quant aux dettes dues sur la carte de crédit, ce qu'il devait faire, il peut obtenir le paiement de cette somme.
[32] Le Tribunal dispose ici de ces deux demandes d'amendement. Quant à la première, puisque la faillite d'aucune des parties défenderesses n'existe à ce jour, elle s'avère inutile. Les motifs du jugement pourront potentiellement être utiles si cette éventualité se matérialise.
[33] Pour la deuxième demande, elle se révèle également prématurée. À ce jour, la banque ne réclame aucune somme à Durepos pour cette dette. Si celle-ci le fait, alors celui-ci pourra, en accord avec le jugement, mettre en cause les parties défenderesses.
[34] Donc, puisque les demandes d'amendement concernent des demandes qui s'avèrent stériles, le Tribunal ne les accueille pas, tout en demeurant conscient du droit strict d'une partie d'amender ses procédures à tout moment. En effet, dans son sens le plus englobant, la demande d'amendement apparaît contraire aux intérêts de la justice en ce qu'elle mène à un débat qui se montre vain et redondant vu le contexte factuel.
[35] Quant aux défendeurs, ils plaident qu'ils ne sont pas personnellement impliqués dans la transaction, si ce n'est Archambault par le biais de 9195. Ils justifient leur intérêt dans HST par le fait que celle-ci pouvait apporter une expertise quant à la fabrication de composantes hydrauliques qui pouvaient s'avérer utiles à leur entreprise de transformation de déchets organiques.
[36] Ils ajoutent que les représentations de Durepos quant au rendement de son entreprise s'avèrent fausses puisque HST n'a aucune valeur et que sa collaboration, suite à la vente, se révèle insuffisante.
[37] Selon eux, Durepos précipite la vente de 9195 et rien ne justifie la levée du voile corporatif. Ils soulignent que c'est Durepos qui lie à sa demande des tiers étrangers à l'historique du dossier et que ces derniers font l'objet d'un choix aléatoire de sa part comme partie aux procédures judiciaires.
[38] Ils précisent que c'est Dallaire, absent des procédures, qui s'est le plus impliqué dans les négociations. Quant aux Francoeur, père et fils, ils affirment ne jamais être intervenus dans la transaction.
[39] À tout événement, selon eux, Durepos se révèle l'artisan de son propre malheur puisque, en recevant les conseils de Bibeau et en agissant avec empressement à signer la transaction à ses risques et périls avec 9195, il ne peut leur réclamer aucune somme d'argent. De plus, selon eux, Durepos ne subit aucun dommage.
[40] Il est raisonnable de s'interroger sérieusement quant au caractère vraisemblable de l'histoire que racontent Benkherouf, Archambault et Francoeur. En effet, la crédibilité de leurs témoignages repose en partie, bien qu'elle soit substantielle, sur les agissements de Dallaire. Or, celui-ci n'a pas témoigné.
[41] Il s'avère important de souligner que si on en croit ces trois personnes, Dallaire veillait à dénicher des occasions d'affaires pour lesquelles il trouvait le financement monétaire et l'engagement de Benkherouf et Francoeur, dans l'ensemble du processus, s'avérait totalement altruiste, si ce n'est que l'on dénichait un sous-traitant utile pour leur entreprise dans le domaine environnemental.
[42] Quant à Archambault, Dallaire lui permettrait d'acheter une entreprise qui doit devenir prospère alors qu'il ne possède pas d'actifs pour en faire l'acquisition, et ce, sans contrepartie pour Dallaire.
[43] Dans le cours normal des choses l'existence de mécènes corporatifs, comme apparaît Dallaire à l'égard d'Archambault, porte le Tribunal à un certain scepticisme. Le témoignage de Dallaire aurait permis d'apprécier vraiment le lien entre celui-ci et ses trois autres compères.
[44] L'absence du témoignage de Dallaire permet au Tribunal de tirer une inférence négative quant au comportement de ces trois personnes [12] .
[45] Durepos établit, par une preuve prépondérante concluante, le lien qui unit ces 3 personnes à son égard. Bien que le tout se fasse dans une certaine mesure par l'entremise de Dallaire, cela ne change pas leurs implications personnelles dans l'affaire. Ceux-ci n'expliquent pas de façon concluante, par prépondérance de preuve et de façon crédible, pourquoi leur responsabilité personnelle ne devrait pas être retenue.
[46] À ce sujet, il est utile de souligner les éléments suivants pour chacun d'entre eux.
[47] Pour Francoeur:
· Il décide d'utiliser la compagnie de son fils Benjamin pour faire la transaction.
· Il prépare le chèque de 3 000 $ qui ne sera pas honoré par la banque.
· Il voit à remplacer le chèque par un autre de 10 000 $ qu'il va porter personnellement à Durepos.
· Il rassure Durepos et Bibeau quant au paiement à venir et quant à l'absence de problème de financement de l'acheteur.
· Il négocie avec Bibeau les termes du contrat.
[48] Pour Benkherouf:
· Il présente les offres d'achat en son nom personnel ou pour une compagnie à être désignée par lui.
· Il agit comme représentant de 9195 lors de l'offre d'achat [13] , alors qu'il n'a pas la qualité pour se faire et ce, à sa connaissance.
· Il agit comme représentant de 9195 lors de la signature de l'acte de vente [14] ainsi que comme son officier, alors qu'il sait que cela s'avère contraire à la réalité.
[49] Pour Archambault:
· Il permet que Letiac soit l'employé en charge de l'entreprise alors qu'il le qualifie «d'incompétent qui a probablement un casier judiciaire long comme le bras».
· Il ne s'occupe aucunement des opérations quotidiennes de la compagnie si ce n'est que de signer les chèques.
· Il déclare à la banque T.D. [15] une valeur nette en date du 1 er août 2008 de 561 000 $ alors qu'il déclare au Tribunal qu'il ne possède à cette époque aucun actif!
· Il témoigne avec une attitude cavalière.
· La démonstration de son absence d'intérêt et son absence de préoccupation et d'intérêt quant à l'existence et la détention des livres et registres de la compagnie et des autres documents s'y rapportant illustre son absence de prudence et de diligence pour ce qui doit être considéré comme son entreprise, ce qui le confine à une mauvaise foi caractérisée.
[50] Benjamin affirme que lorsque son père ou Benkherouf lui disent de poser des gestes, il s'exécute. Son comportement apparaît contraire à la plus élémentaire bonne foi notamment en ce que:
· Il ne sait pas où se trouve le livre des minutes de 9195 quand il déménage l'entreprise;
· Il ne sait pas combien de chèques il a signés;
· Il n'a jamais fait de dépôt, ni vérifié le solde du compte de banque ni n'en a-t-il discuté avec son père;
· Il n'a pas vérifié le retrait de son nom de l'entreprise;
· Il ne connaît pas Haysoft;
· Il affirme que tout ceci ne le concerne pas!
[51] D'ailleurs, le Tribunal constate que la désinvolture avec laquelle il a témoigné est le juste reflet de son implication dans ce stratagème. Il représente un pion dans un exercice qu'il ne contrôle pas, mais pour lequel il prête néanmoins son concours.
[52] Il ne peut s'absoudre de sa responsabilité dans tout ce stratagème car son comportement, d'une totale désinvolture, équivaut soit à de l'aveuglement volontaire, soit à une participation active qu'il camoufle sous le couvert de l'insouciance et de l'ignorance.
[53] Il s'avère nécessaire de rappeler que la bonne foi doit prévaloir dans l'exercice des droits [16] .
[54] À ce sujet, le Tribunal ne saurait mieux dire que:
Une personne morale, soit la compagnie, est
distincte de ses membres, soit les actionnaires (art.
[55] Il est indéniable, objectivement, qu'Archambault n'agit pas comme une personne prudente et diligente puisqu'il manque de la plus élémentaire diligence dans la surveillance de la gestion de la compagnie.
[56] A l'instar de l'affaire Varrocci [18] , le Tribunal conclut qu'il aide 9195 à commettre une faute à l'endroit de Durepos qui enfreint ses responsabilités extra-contractuelles solidaires à l'endroit de ce dernier. Point n'est besoin de soulever le voile corporatif pour arriver à cette détermination.
[57] De plus, aucune preuve n'est apportée par les Francoeur, Archambault ou Benkherouf qui permettrait au Tribunal de conclure, de façon raisonnable vu la prépondérance de preuve, autrement qu'à une machination de leur part dans le but de frustrer Durepos du bénéfice du prix de vente convenu et à défaut de la payer de la valeur de son ancienne entreprise.
[58] À cet égard, rien ne démontre les démarches entreprises pour obtenir le financement nécessaire pour payer Durepos. L'absence totale d'une tentative d'expliquer cette situation est fort révélatrice. Elle indique une attitude cavalière, désinvolte et délétère à l'endroit de Durepos.
[59] Les réponses de Francoeur lors de son interrogatoire hors Cour [19] s'avèrent fort révélatrices quant au fait que l'acquisition est envisagée, conçue et réalisée de façon commune par les protagonistes impliqués.
[60] En effet, ils utilisent constamment le vocable «on» en réponse aux questions de l'avocate de Durepos. Ils affirment notamment:
Q: Quelles auraient été les sommes que vous étiez prêt à fournir, puis celles que monsieur Archambault était prêt à fournir, là on parle toujours en date du 2 juin et 4 juin 2008?
R: Ben les sommes nécessaires à la transaction, on n'était pas encore...
Q: Il n'y avait pas de partage, il n'y avait rien du tout?
R: Mais on était encore à étudier, on était encore à s'entendre sur un prix d'acquisition.
(...)
R: Alors après l'offre d'achat, il y a eu une convention qui a été présentée à monsieur Durepos.
Q: Le 30 septembre 2008?
R: J'étais présent et quand la convention a été présentée à monsieur Durepos, on l'a avisé qu'on ne serait pas en mesure de faire l'acquisition tout de suite, que l'acquisition pourrait se parfaire dans les 30 jours.
(...)
Q: Au moment où vous avez remis le chèque à monsieur Durepos, lui avez-vous dit que le reste suivrait sous peu?
R: Je lui ai dit qu'on travaillait ça, non, j'ai pas spécifié.
Q: Mais vous avez dit, on travaille à ça?
R: Ben certainement qu'on travaillait là-dessus.
(...)
Q: Non, mais de votre groupe, de votre côté à vous, les acheteurs?
R: Oui, c'a été discuté à l'effet qu'on pourrait supporter Benoît dans l'acquisition... c'est-à-dire dans le paiement de cette transaction.
Q: Qui le supporterait?
R: Écoutez, on est plusieurs, c'est un groupe, dans la gestion des déchets, il y a...
(...)
R: On était effectivement à bâtir le montage, à regarder de quelle façon on pourrait le payer. Maintenant, ça s'est étiré un peu, monsieur Durepos le savait et plus on avançait, plus on découvrait l'entreprise. [20]
[61] Il reconnaît de plus qu'il était en charge de négocier les conditions de la transaction [21] .
[62] De plus, c'est lui qui décide d'utiliser 9195 pour faire la transaction [22] et de remettre le chèque de 3 000 $ de celle-ci à Durepos [23] .
[63] Il ajoute d'ailleurs que les chèques détenus et signés d'avance par son fils [24] , ce qui démontre que celui-ci ne décide rien quant à sa compagnie.
[64] Également, suite au fait que le chèque de 3 000 $ n'a pas été honoré par la banque, bien qu'il ne puisse affirmer dans quel compte celui-ci était tiré, il se déplace et remet un chèque de 10 000 $ à Durepos [25] .
[65] La version de Benkherouf et de Francoeur devant le Tribunal ne concorde pas avec les motifs de la Défense écrite produite au dossier de la Cour [26] . En effet, jamais ceux-ci n'ont référé à l'existence d'un «holding» pour expliquer la transaction. Notons aussi que cette procédure énonce que Benkherouf et ses partenaires s'avèrent intéressés par la transaction projetée [27] .
[66] Quant aux autres allégations de la Défense, aucune preuve ne les supporte tant à l'égard des prétendues fausses représentations de Durepos que son absence de collaboration. Ici, il ne s'agit pas d'une preuve qui ne retient pas l'aval du Tribunal, mais plutôt d'une absence de preuve qui découle de prétentions manifestement contraires à la réalité.
[67] On peut également sérieusement s'interroger sur la bonne foi d'une déclaration affirmant reconnaître «l'intérêt évident» de 9195 à finaliser la transaction à la satisfaction de toutes les parties, tel qu'il l'aurait été clairement expliqué à Durepos dans le passé [28] , alors que pas un sou ne lui a été versé suite à l'encaissement du chèque de 10 000 $.
[68] Benkherouf n'a jamais été un officier, un administrateur ou un actionnaire de 9195. Aucune résolution de cette dernière n'atteste qu'on l'a autorisé à poser quelque geste que ce soit, si ce n'est le certificat pour une résolution [29] du 30 septembre 2008 qui déclare sous la plume de son président Benjamin: «Benkherouf est un officier de la compagnie», ce que Benkherouf admet être faux.
[69] De l'ensemble de la preuve et de l'absence de preuve crédible et concluante de la part des parties défenderesses, le Tribunal conclut que celles-ci ont eu un comportement dolosif à l'égard de Durepos. Les individus défendeurs participent alors à un stratagème bien planifié, orchestré et visant à frustrer Durepos des fruits du travail d'une vie.
[70] Le fait que Dallaire agisse soit comme chef d'orchestre apparent ou en sous-main, se révèle d'aucune importance puisque chacun des défendeurs participent activement à l'entreprise commune. Francoeur, Archambault et Benkherouf en y prenant part de facto et Benjamin, dans la meilleure des optiques pour lui, comme un pion qui se laisse manipuler par les autres.
[71] La lecture des interrogatoires au préalable des défendeurs conjugée à leurs témoignages à l'audition amènent le Tribunal à une constatation évidente: leurs positions défient le sens commun et requièrent du Tribunal une crédulité qui dépasse la raison et le bon sens.
[72] De plus, il est révélateur que l'avocat des défendeurs réfère [30] soit à «ses principaux» soit à «ses clients» qui désirent finaliser la transaction à l'automne 2008.
[73] Les énoncés du Tribunal dans l'affaire Varrocci trouvent application en l'espèce en faisant l'adaptation nécessaire vu le contexte factuel de chaque affaire:
[81]
Le tribunal conclut que la défenderesse, à cause de ses fausses
représentations, est l'auteure d'une faute civile, soit d'un acte accompli de
mauvaise foi avec l'intention de portée atteinte au patrimoine d'autrui, en
l'occurrence la demanderesse. À titre de dirigeante et d'administrateur,
elle a utilisé la personnalité juridique d'une compagnie à des fins de
dissimulation d'une fraude et d'un abus de droit, participant à des manœuvres
planifiées. L'article
[82]
La défenderesse par sa propre conduite a incité, a aidé une tierce
personne, soit la compagnie, à commettre une faute par le non-respect de ses
obligations juridiques envers la demanderesse qui en subit un préjudice.
Elle aide la compagnie à commettre un délit et participe à cette faute.
L'article
« L'auteur Martel écrit :
Alors qu'en matière contractuelle l'administrateur bénéficie de l'immunité du mandataire, aucune telle immunité n'existe en matière extracontractuelle. Au contraire, l'administrateur qui a participé à la faute en est solidairement responsable, en vertu de l'article 1526 (anciennement l'article 1106 C.c.B.-C); il ne peut se retrancher derrière aucun mandat. Il n'est ni nécessaire ni même pertinent d'invoquer le soulèvement du voile corporatif pour imposer une responsabilité personnelle à un administrateur pour une faute extracontractuelle qu'il a commise ou pour celle de la compagnie à laquelle il a contribué [31] .
[83] La défenderesse a commis une faute en incitant la demanderesse à fournir des fonds à la compagnie - laquelle est la seule à ce faire, malgré les représentations contraires de la défenderesse - alors que, en moins d'un mois, il est évident qu'elle ne serait pas remboursée, et ce, à cause d'une conduite négligente. Elle s'abstient volontairement de poser tout acte utile pour empêcher le préjudice subi par la demanderesse et fait preuve d'une inaction déraisonnable et inexpliquée. La défenderesse a ainsi aidé la compagnie à dilapider les fonds exclusivement fournis par la demanderesse, avec la complicité du défendeur. Elle fait des représentations qu'elle sait fausses en vue d'obtenir une somme d'argent importante qu'elle n'aurait pu autrement acquérir pour le compte de la compagnie et s'abstient ensuite de réprimer tout abus par aveuglement volontaire ou tolérance inexcusable, participant même à la conclusion d'actes juridiques préjudiciables à sa connaissance.
[74] C'est pourquoi, une condamnation conjointe et solidaire s'impose d'elle-même dans le contexte de la présente instance à l'égard de toutes les parties défenderesses.
[75] De plus, la demande pour dommages et intérêts de Durepos sera accueillie, le Tribunal conclut que la position des parties défenderesses est imbue de mauvaise foi et relève de l'artifice plutôt que d'une contestation judiciaire qui met de l'avant certains éléments crédibles à son soutien.
[76] Voici pourquoi le Tribunal accorde 30 000 $ à Durepos à titre de dommages et intérêts pour sanctionner le comportement des parties défenderesses d'avoir poursuivi un débat judiciaire alors que leurs positions n'ont aucun mérite ni fondement juridique et que leurs moyens de défense s'avèrent un écran de fumée d'où émane, pour le Tribunal, une conclusion incontournable, soit celle qu'ils ont abusé des droits de Durepos.
[77] ACCUEILLE la requête de Jean Durepos;
[78] CONDAMNE 9195-6441 Québec Inc., Normand Francoeur, Benjamin Francoeur, Benoît Archambault, Yahia Benkherouf et HST Hydraulique et Pneumatique Inc. conjointement et solidairement à payer à Jean Durepos 151 839 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle à courir depuis le 5 décembre 2008;
[79] CONDAMNE 9195-6441 Québec Inc., Normand Francoeur, Benjamin Francoeur, Benoît Archambault, Yahia Benkherouf et HST Hydraulique et Pneumatique Inc. conjointement et solidairement à payer à Jean Durepos 30 000 $ en dommages avec intérêts et indemnité additionnelle à courir depuis le 5 décembre 2008;
[80] DÉCLARE bonnes, valables et tenantes les saisies avant jugement pratiquées en l'instance;
[81] AVEC DÉPENS .
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__________________________________ MARC-ANDRÉ BLANCHARD, J.C.S. |
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Me Carole Lepage |
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Avocate du Demandeur |
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Me Marc Galetta |
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Avocat des Défendeurs |
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Date d’audience : |
20 et 21 septembre 2010 |
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Délibéré après la réception des notes et autorités des parties |
1 er avril 2011 |
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[1] Pièce P-9.
[2] Pièce P-1.
[3] Pièce P-2.
[4] Pièce P-3.
[5] Pièce P-4.
[6] Pièce P-6, 4 e paragraphe.
[7] Idem, 5 e paragraphe.
[8] Pièce P-11.
[9] Pièce P-7.
[10] L.R.Q.c. C-38.
[11] L.R.C. 1985, c. B-3.
[12]
Corporation de l'École polytechnique de Montréal c. Fardoud
,
[13] Pièce P-3.
[14] Pièce P-4.
[15] Pièce P-13.
[16]
Art.
[17]
Varrocci c. Tsovikian
,
[18] Idem, par. 82
[19] Interrogatoire du 26 janvier 2010.
[20] Idem, pages 13, 14, 38, 45 et 46.
[21] Idem, page 40, lignes 13 à 18.
[22] Idem, pages 34-35.
[23] Idem, pages 24-25, lignes 13 à 16.
[24] Idem, page 30, lignes 13 à 15.
[25] Idem, page 36, lignes 22 et 23.
[26] Voir les paragraphes 63 et 64 de la Défense.
[27] Idem, par. 65.
[28] Idem, par. 77.
[29] Pièce P-4, p. 11.
[30] Pièce P-6.
[31] Le soulignement est dans la citation.