Turgeon c. Lachapelle

2011 QCCS 2656

 

JF0937

 
 COUR SUPÉRIEURE

 

 

 

CANADA

 

PROVINCE DE QUÉBEC

 

DISTRICT DE

BEAUHARNO LONGUEUIL

 

 

 

 

 

N° :

505-17-003759-083

 

 

 

 

 

 

DATE :

Le 12 mai 2011

 

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

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PIERRE TURGEON

et

GESTECH COMPO INC .

 

 

Demandeurs

 

c.

 

NATHALIE LACHAPELLE

 

 

Défenderesse

 

 

 

 

 

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JUGEMENT

 

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INTRODUCTION

[1]            À la suite de la cessation de la vie commune avec sa conjointe de fait, Nathalie Lachapelle, Pierre Turgeon et son entreprise Gestech Compo inc. («  Compo  ») lui réclament différentes sommes pour enrichissement sans cause. Pierre Turgeon réclame 70 352 $ pour des travaux effectués à la résidence de Nathalie Lachapelle et le temps consacré à effectuer les travaux. Il réclame également 50 000 $ représentant la plus-value apportée à l'immeuble par son apport en biens et en services. 

[2]            Pierre Turgeon ajoute que Nathalie Lachapelle s'était engagée à lui transférer la demi-indivise de cet immeuble.

[3]            Compo réclame 41 288 $, soit le coût des matériaux et des travaux effectués à la résidence de Nathalie Lachapelle entre les années 2004 et 2007.

[4]            Selon eux, leur contribution a enrichi Nathalie Lachapelle sans justification et ils s'en sont retrouvés appauvris d'autant.

[5]            Nathalie Lachapelle nie toute entente relative au transfert de l'immeuble. Au contraire, selon elle, les parties avaient convenu que Pierre Turgeon et Compo effectueraient certains travaux à sa résidence en échange des services qu'elle rendait à Compo.

[6]            Nathalie Lachapelle plaide également que la réclamation de Compo est prescrite, car les factures payées par cette dernière l'ont été plus de trois ans avant l'introduction de l'instance.

LES FAITS

[7]            En 2002, les parties font connaissance.

[8]            Pierre Turgeon est président et seul propriétaire de Compo, une entreprise de fabrication de composantes de meubles qui exporte la plus grande partie de sa production aux États-Unis. 

[9]            Nathalie Lachapelle est experte en devises étrangères.

[10]         Pierre Turgeon retient les services de Nathalie Lachapelle afin que celle-ci puisse conseiller son entreprise qui doit composer avec la fluctuation du dollar américain par rapport au dollar canadien.

[11]         En 2003, leur relation se transforme en une relation amoureuse.

[12]         Nathalie Lachapelle est alors en instance de divorce et a la garde partagée de ses deux jeunes enfants.

[13]         Pierre Turgeon est également en instance de divorce et vit avec son fils étudiant.

[14]         En attendant de finaliser son divorce, Nathalie Lachapelle habite à Brossard dans une maison appartenant à sa mère. Elle compte s'acheter une nouvelle résidence dès qu'elle disposera de sa part du patrimoine familial. 

[15]         En décembre 2003, Nathalie Lachapelle signe une offre d'achat pour l'immeuble sis au […], à Brossard, au prix de 160 000 $ [1] . Cette offre est acceptée et la prise de la possession est prévue pour le mois de mai 2004.

[16]         Nathalie Lachapelle et Pierre Turgeon font le projet de faire vie commune dans cette résidence.

[17]         Les deux enfants de Nathalie Lachapelle seront avec eux une semaine sur deux.

[18]         Plus tard, le fils de Pierre Turgeon vivra environ un an avec eux pendant ses études.

[19]         Selon Pierre Turgeon, comme il appréhende des difficultés financières avec son entreprise à cette époque, il est convenu que Nathalie Lachapelle acquiert seule la maison. Lorsque sa situation se sera améliorée, Nathalie Lachapelle lui transférera la moitié indivise. Sa prestation consiste à effectuer des travaux dans la maison d'une valeur équivalente à l'investissement de Nathalie Lachapelle qui débourse 40 000 $ comptant lors de l'achat.

[20]         Nathalie Lachapelle nie une telle entente. Elle a acheté la maison avec son argent et Pierre Turgeon n'a pris part à aucune des discussions et négociations lors de l'achat.

[21]         En mai 2004, les parties prennent possession de la maison et entreprennent d'importantes rénovations.

[22]         Au fil des années durant la vie commune, presque toute la maison est transformée. Ainsi, en plus des rénovations de moindre importance dans les chambres, le salon et la salle à manger, les travaux suivants sont effectués :

Ø   en 2004, la cuisine est refaite à neuf par Pierre Turgeon;

Ø   les deux salles de bain à l'étage sont transformées pour en faire une seule, plus grande;

Ø   la salle de bain au sous-sol est modifiée complètement de façon à procurer plus d'espace habitable;

Ø   en 2006, la piscine hors terre est remplacée par une piscine creusée et tout l'aménagement extérieur est refait;

Ø   l'aménagement d'un bureau au sous-sol et l'excavation d'une partie du sous-sol.

[23]         Nathalie Lachapelle et Pierre Turgeon participent à ces travaux, en plus de certains de leurs amis et employés de Compo.

[24]         Pierre Turgeon, Compo et Nathalie Lachapelle défrayent le coût des matériaux et des travaux dont certains sont confiés à des entrepreneurs.

[25]         Les versements hypothécaires sont payés par Nathalie Lachapelle de juin 2004 jusqu'en février 2005. À compter de cette dernière date, Pierre Turgeon prend la relève et les acquitte jusqu'à la rupture des parties au mois d'août 2007.

[26]         Les taxes foncières et scolaires sont payées par Nathalie Lachapelle, sauf pour l'année 2005 où elles le sont par Pierre Turgeon. Ce dernier paie également les droits de mutation lors de l'achat, alors que Nathalie Lachapelle s'occupe des frais de notaire.

[27]         Nathalie Lachapelle paie les frais de chauffage et de l'électricité. Pierre Turgeon s'occupe du coût du téléphone et de l'Internet. Ils se partagent le coût des assurances. 

[28]         Les dépenses courantes d'épicerie sont partagées sans entente précise entre les parties.

[29]         Durant la vie commune, Nathalie Lachapelle assiste le contrôleur de Compo quelques heures par mois. Elle travaille irrégulièrement chez Compo où elle effectue certaines tâches. Compo rétribue certaines d'entre elles [2] et lui fournit un véhicule automobile durant un certain temps. 

[30]         À quelques reprises, les parties discutent de la situation financière prévalant entre elles :  Pierre Turgeon demande à Nathalie Lachapelle de lui transférer la demi-indivise de la maison. Nathalie Lachapelle élude la question. Les choses en restent là. 

[31]         En août 2007, les parties mettent fin à la vie commune. Pierre Turgeon doit quitter la résidence.

[32]         Nathalie Lachapelle verse à Pierre Turgeon 20 600 $ pour certains biens et travaux effectués. 

[33]         Les parties ne s'entendent pas sur les sommes réclamées par Pierre Turgeon et Compo.

LE DROIT APPLICABLE

[34]         Le Code civil du Québec a intégré l'enrichissement injustifié dans la législation québécoise [3] . On y retrouve les six conditions d'application énumérées par la Cour suprême dans l'arrêt Compagnie Immobilière Viger Ltée [4] . Ce sont les suivantes :

Ø   un enrichissement;

Ø   un appauvrissement;

Ø   une corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement;

Ø   l'absence de justification;

Ø   l'absence de fraude à la loi;

Ø   l'absence d'autres recours.

[35]         La Cour d'appel [5] a rappelé que l'enrichissement injustifié ne peut permettre à des conjoints de fait un partage semblable à celui de la société d'acquêts dans le mariage, ainsi que l'objectif d'un tel recours. Elle s'exprime comme suit :

[39]  Par conséquent, je suis d'avis que l'objectif d'une action en enrichissement injustifié ne doit pas tendre à un rééquilibrage des actifs ou à un partage des patrimoines de chacun accumulés pendant la vie commune, mais uniquement à compenser une partie pour un apport, en biens ou en services, qui a permis à l'autre de se trouver en une position supérieure à celle qui aurait été la sienne n'eût été de la vie commune, bref de l'enrichir . […]

(nos soulignements)

[36]         Dans ce même arrêt, la Cour d'appel mentionne que deux présomptions de fait peuvent découler d'une union de longue durée : la corrélation entre l'appauvrissement et l'enrichissement et l'absence de justification à l'enrichissement.

[37]         Si les conditions d'application du recours sont remplies, le Tribunal doit établir la réparation [6] .

[38]         Enfin, il y a lieu de rappeler que le fardeau de preuve revient au conjoint qui institue une telle demande [7] .

ANALYSE

I.          La demande de Pierre Turgeon

[39]         Pierre Turgeon réclame 70 352 $ pour des travaux et argents investis dans la résidence de Nathalie Lachapelle qui ont enrichi cette dernière et l'auraient appauvri d'autant [8] .

[40]         Il réclame également 50 000 $ pour la plus-value que les travaux effectués ont  apportée à l'immeuble [9] .

[41]         Nathalie Lachapelle soumet que les conditions d'application d'un tel recours ne sont pas remplies.

1.1       L'enrichissement et l'appauvrissement

[42]         Pierre Turgeon explique qu'avant même la prise de possession de l'immeuble, les parties ont convenu que des travaux importants y seraient faits. En premier lieu, la cuisine serait complètement modifiée. De concert avec Nathalie Lachapelle, il en établit les plans avant la prise de possession et les travaux débutent au mois de mai 2004, avant qu'ils y emménagent.

[43]         Monsieur Turgeon produit un tableau détaillé des rénovations effectuées à l'immeuble. Ce tableau expose en détail les travaux effectués et la période où ils ont été faits, en plus du nombre d'heures qu'il y a consacrées. Il estime son tarif horaire à 20 $. Les factures payées par Compo y sont également mentionnées. Les droits de mutation lors de l'achat de la résidence, les taxes foncières pour l'année 2005, ainsi que le paiement des versements hypothécaires de 1 047,53 $ par mois pour une durée de 29 mois y apparaissent aussi.

[44]         Nathalie Lachapelle ne nie pas que Pierre Turgeon et Compo ont réalisé et payé des travaux à la résidence. Elle produit d'ailleurs le même tableau détaillé des rénovations de Pierre Turgeon, sur lequel elle ajoute les travaux et le temps qu'elle y a personnellement consacré [10] . Elle mentionne cependant qu'elle n'a jamais demandé ni requis ces travaux. Selon elle, c'est de sa propre initiative et pour son propre bénéfice que Pierre Turgeon les a réalisés. Pour elle, l'immeuble, tel qu'il est lors de l'acquisition, est convenable et habitable. Elle ajoute que les travaux effectués par Pierre Turgeon et Compo ne sont pas complètement terminés, en plus de comporter des défectuosités. Ils n'ont pas donné de véritable plus-value à l'immeuble. C'est plutôt l'augmentation du prix des maisons dans le secteur qui a augmenté la valeur de sa résidence.

[45]         Le Tribunal est d'avis que les parties ont toutes deux convenu des travaux à entreprendre avant la signature de l'acte de vente.

[46]         Les travaux dans la cuisine débutent avant que les parties n'emménagent. Nathalie Lachapelle reconnaît que c'est à sa demande que certains travaux ont été effectués dans la cuisine [11] . Par la suite, les parties discutent des travaux à venir.

[47]         Ainsi, il ne peut s'agir de travaux imposés à Nathalie Lachapelle. Il s'agit, pour les parties, d'un projet commun : l'aménagement de leur lieu de résidence.

[48]         De façon certaine, les travaux effectués à la résidence de Nathalie Lachapelle durant la vie commune ont donné une plus-value à cette résidence.

[49]         À la rupture, Nathalie Lachapelle est propriétaire d'un immeuble dont la valeur a augmenté depuis son acquisition en bénéficiant du temps consacré et des travaux payés par Pierre Turgeon.

[50]         Le temps consacré et une grande partie des travaux par Pierre Turgeon dans la résidence sont admis [12]

[51]         Selon Nathalie Lachapelle, Pierre Turgeon ne s'est pas appauvri d'autant, puisqu'il a été compensé en cohabitant dans la résidence.

[52]         Cette dernière ajoute que, non seulement Pierre Turgeon, mais également son fils, ont habité sa résidence durant plusieurs mois.

[53]         Nathalie Lachapelle ajoute que la remise de 20 600 $ lors de la rupture compense également pour les services et l'appauvrissement de Pierre Turgeon.

[54]         Le Tribunal est d'avis qu'il y a eu une contribution disproportionnée des apports de chacun pendant la vie commune.

[55]         Non seulement Pierre Turgeon a investi beaucoup de temps dans la rénovation de l'immeuble de Nathalie Lachapelle, mais il a déboursé des sommes importantes pour l'achat de matériaux, en plus de payer différents entrepreneurs pour les compléter.

[56]         Il a aussi assumé les versements hypothécaires pendant plus de deux ans et a participé aux dépenses de la maison.

[57]         Le montant versé par Nathalie Lachapelle lors de la rupture paraît insuffisant pour combler l'appauvrissement subit par Pierre Turgeon.

1.2       La corrélation entre l'enrichissement et l'appauvrissement et l'absence de justification

[58]         On ne peut certes qualifier la relation des parties d'union de longue durée. Leur relation amoureuse débute en 2003, la cohabitation commence en juin 2004, alors que la rupture intervient en août 2007.

[59]         Pierre Turgeon doit établir le lien entre l'enrichissement et l'appauvrissement, ainsi que l'absence de justification de cet enrichissement. Il ne peut bénéficier d'une présomption à cet égard.

[60]         Selon Nathalie Lachapelle, il ne s'est pas déchargé de ce fardeau puisque l'augmentation de la valeur de l'immeuble est en grande partie due à l'écoulement du temps et non par les travaux dont il a assumé le coût.

[61]         Le Tribunal n'est pas de cet avis.

[62]         Même l'expert de Nathalie Lachapelle accorde une valeur contributive de 10 000 $ aux travaux [13] .

[63]         La preuve révèle également par les photographies produites et les témoignages des parties que des travaux importants ont été effectués durant la vie commune.

[64]         Le Tribunal ne peut non plus retenir l'argument de Nathalie Lachapelle à l'effet qu'il y a justification à son enrichissement, car Pierre Turgeon avait l'intention de la favoriser et que cette intention libérale en sa faveur fait échec au recours en enrichissement injustifié.

[65]         Nathalie Lachapelle a témoigné de la générosité de Pierre Turgeon tant à son égard qu'à l'égard de tout son entourage.

[66]         Elle n'a cependant pas nié qu'à plusieurs reprises Pierre Turgeon a abordé la question du transfert de la moitié indivise de la propriété. Lors de son interrogatoire au préalable, elle témoigne ainsi : 

« 3.  R.      Il y  a des discussions qui ont eu lieu, c'est que Pierre me demandait qu'on fasse un document comme quoi une partie de la maison lui appartenait. Et j'ai toujours répondu : «Oui. Oui»» [14] .

[67]         Et plus loin :

« 22. R.     C'était la même chose, Pierre, occasionnellement il me demandait qu'on fasse les papiers et occasionnellement je répondais toujours la même affaire : «Oui, oui» [15] .

[68]         Madame explique par la suite qu'aucune démarche n'est entreprise concernant le transfert de cette maison, car elle ne souhaitait pas le faire. Elle expose qu'elle n'a jamais eu l'intention de transférer une part de l'immeuble à Pierre Turgeon, car elle considère qu'il s'agissait de l'héritage de ses enfants [16] .

[69]         Ces discussions entre Nathalie Lachapelle et Pierre Turgeon permettent de conclure que ce dernier espérait retirer un bénéfice de son travail et des sommes investies dans l'immeuble. Pierre Turgeon croyait qu'une part indivise de l'immeuble lui serait transférée.  Madame Lachapelle, tout en n'ayant pas l'intention de le faire, n'a pas découragé cette croyance.

[70]         Le Tribunal est d'avis qu'il y a une absence de justification à l'enrichissement de Madame Lachapelle pendant la vie commune et qu'il y a corrélation entre cet enrichissement et l'appauvrissement de Monsieur Turgeon.

1.3       Absence de fraude à la loi et d'autres recours

[71]         Ces conditions ne causent pas de difficulté en l'instance.

1.4       Réparation

[72]         Pierre Turgeon ayant établi les conditions préalables au recours à l'enrichissement sans cause, le Tribunal doit établir l'indemnité à lui être accordée.

[73]         Dans Peter c. Beblow , la Cour suprême expose les méthodes de calcul de la réparation qui devrait être attribuée à l'appauvri lorsqu'il y a eu enrichissement sans cause :

 Il existe en général deux façons de calculer la contribution d'une partie à une relation matrimoniale.  La première consiste à se fonder sur la valeur reçue, le quantum meruit , soit le montant que, du point de vue purement commercial, le défendeur aurait dû payer une autre personne pour obtenir les services qu'il a reçus du demandeur.  Subsidiairement, on peut aussi se fonder sur la méthode de la «valeur accumulée» qui consiste à partager les biens accumulés par le couple en fonction de la contribution des parties.   C'est cette méthode qui a traditionnellement été utilisée dans les cas de fiducie par interprétation.  Toutefois, rien n'empêche d'utiliser la méthode du quantum meruit ou de la valeur reçue pour calculer la valeur de la fiducie par interprétation.  La réparation devrait être souple, de façon à pouvoir l'adapter facilement à la situation dans un contexte donné.  Il arrive souvent que les parties n'ont pas les moyens de retenir les services d'experts et de présenter leur témoignage quant à la valeur du bien et, parfois, cette solution n'est pas du tout pratique.  C'est pourquoi il faut continuer à faire preuve de souplesse dans l'octroi de la réparation.

Néanmoins, je tiens à faire remarquer que la méthode de la valeur accumulée sera souvent la meilleure façon de déterminer le montant de la part d'un demandeur.  Cette méthode sera habituellement plus équitable et se rapprochera davantage de l'attente des parties quant à la façon dont les biens accumulés devraient être partagés au moment de la rupture de la relation.   Par ailleurs, en empruntant la méthode de la valeur accumulée, on évite la difficile tâche d'attribuer une valeur pécuniaire précise aux services fournis par une personne qui s'est consacrée à l'éducation des enfants et à l'entretien du foyer.  Avec cette méthode, les contributions des parties sont plutôt exprimées, de façon plus exacte, en pourcentage de la richesse accumulée qui existe au moment de la rupture de la relation .  En conséquence, pour des raisons pragmatiques, il sera préférable d'utiliser dans de nombreux cas la méthode de la valeur accumulée.  Quelle que soit la méthode utilisée, c'est l'équité et l'impartialité qui devraient guider le tribunal dans son calcul de la valeur des biens et de la contribution de chacune des parties.  En l'espèce, l'attribution à l'appelante de la propriété de Sicamous constituait une évaluation équitable de sa contribution à la relation [17] .

(nos soulignements)

[74]         En l'espèce, tel que mentionné précédemment, Pierre Turgeon réclame ce qui suit [18] :

TRAVAUX EFFECTUÉS (290.50 heures @ 20$)                                 5 810

ACHAT DE MATÉRIAUX DIVERS INCLUANT

L'ACHAT ET INSTALLATION DE LA PISCINE                                  43 087

DIVERS                                                                                                    7 350

TAXES MUNICIPALES PAYÉES                                                          3 246

HYPOTHEQUE (30 moins @ 1047.53$)                                             31 459

 

TOTAL DÛ :                                                                                          90 952

 

[75]         Il reconnaît avoir reçu 20 600 $ de Madame Lachapelle qu'il soustrait pour réclamer 70 352 $.

[76]         Il réclame également ce qui suit :

25. Le demandeur estime que la plus-value apportée à la résidence par l'investissement de son travail, temps et argent est d'une valeur d'au moins 50,000$ et il a le droit de réclamer la totalité de ladite plus-value ;

[77]         Ainsi, Pierre Turgeon réclame la valeur reçue, c'est-à-dire les sommes qu'il a payées et qu'aurait dû verser Nathalie Lachapelle pour bénéficier de tels services. Il réclame également la valeur accumulée soit la plus-value apportée par son travail et son investissement dans la valeur de l'immeuble de Nathalie Lachapelle.

[78]         Il n'a pas droit aux deux réclamations.

[79]         Le Tribunal est d'avis qu'en l'instance, la méthode de la valeur accumulée correspond davantage à la situation vécue par les parties.

[80]         En l'espèce, Pierre Turgeon s'attendait à ce que son temps et l'argent investis dans les travaux lui bénéficient par le transfert éventuel d'une part indivise de l'immeuble. Il témoigne avoir assuré Nathalie Lachapelle que bien qu'elle investisse 40 000 $ comptant lors de l'achat, il investirait davantage en travaux dans l'immeuble.

[81]         Nathalie Lachapelle ne l'a pas détrompé, mais elle a évité d'aller au bout de la discussion.

[82]         Le Tribunal est d'avis qu'il y a lieu d'établir la réparation selon la méthode de la valeur accumulée, c'est-à-dire, la valeur de la maison au début de la vie commune, ainsi que lors de la rupture.

[83]         Les parties ont toutes deux procédé à l'évaluation de l'immeuble afin d'établir sa valeur au mois d'août 2007 lors de la rupture :

Ø   Michel Abbondandolo, pour les demandeurs, fixe la valeur à 328 000 $;

Ø   Alain Guy, pour Nathalie Lachapelle, l'établit à 260 000 $.

[84]         L'écart entre les deux évaluations tient en grande partie aux points suivants :

Ø   Monsieur Abbondandolo prend en compte dans son calcul de l'aire habitable le niveau du garage qui a été transformé en bureau. Monsieur Guy le considère comme un sous-sol;

Ø   pour Monsieur Abbondandolo, il s'agit d'une maison à étages ou à paliers multiples et les comparables utilisées pour l'évaluation le seront également. Pour Monsieur Guy, il s'agit d'un bungalow et il recherche des bungalows dans le même secteur pour son analyse des comparables, sans tenir compte des transformations effectuées;

Ø   Monsieur Abbondandolo considère tous les travaux effectués pendant la vie commune, incluant la piscine extérieure et le nouvel aménagement paysager. Monsieur Guy évalue l'immeuble en prenant en compte la piscine hors terre existante au moment de l'acquisition. Il précise cependant que l'ajout de la piscine excavée et chauffée telle qu'installée a une valeur de 18 000 $.

Ø   Monsieur Abbondandolo ne tient pas compte de la proximité de l'école primaire Charles-Bruno. Monsieur Guy considère l'école comme un facteur justifiant un ajustement négatif de 5 000 $ par rapport aux immeubles comparables;

Ø   Monsieur Abbondandolo ne tient pas compte de la pyrite sous une partie du sous-sol. Monsieur Guy en tient compte et ajuste la valeur par rapport aux comparables de 15 000 $ pour son enlèvement.

[85]         Ainsi, les experts ont des prémisses différentes sur l'immeuble évalué :

Ø   Monsieur Abbondandolo considère l'immeuble dans l'état où il se trouve lors de la rupture, en incluant tous les travaux effectués par les parties après l'acquisition en 2004;

Ø   Monsieur Guy évalue l'immeuble en août 2007 en prenant en compte seulement certains des travaux effectués. Ainsi, il ne prend pas en compte la piscine puisqu'il considère qu'elle est entièrement payée par Nathalie Lachapelle [19] . De la même façon, il exclut la baignoire à remous de l'évaluation de la salle de bain puisque Nathalie Lachapelle lui a affirmé l'avoir elle-même payée.

[86]         De cette façon, Monsieur Guy évalue l'immeuble différemment de celui qui existait lors de la rupture des parties. Selon les indications données par Nathalie Lachapelle, il évalue une partie des travaux effectués seulement, ce qui l'amène à considérer l'immeuble comme un bungalow et à choisir des comparables du même type.

[87]         Ainsi, la comparable 3, s'est vendue 266 000 $ le 22 août 2007. Cet immeuble n'avait pas fait l'objet de travaux du type de ceux de l'immeuble évalué, mais est tout de même décrit comme étant un modèle identique à la propriété évaluée. Monsieur Guy joint à son rapport la fiche descriptive de l'immeuble qui indique qu'il s'agit d'une maison à paliers multiples.

[88]         La preuve ne révèle pas que la proximité de l'école primaire soit un facteur négatif, en l'instance. Pour Nathalie Lachapelle, il s'agit d'un facteur positif [20] .

[89]         En ce qui a trait à la présence de pyrite, la preuve n'établit pas que des travaux nécessaires ni urgents doivent être effectués.

[90]         Le Tribunal est d'avis que l'évaluation de Monsieur Abbondandolo correspond davantage à la situation des parties. Il a tenu compte de l'immeuble dans l'état où il était avec tous les travaux qui y ont été effectués pendant la vie commune, ainsi que son évaluation de propriétés semblables à celle de Nathalie Lachapelle, plutôt qu'à celles correspondant à l'état de l'immeuble lors de l'acquisition.

[91]         Toutefois, il y a lieu de tenir compte que certains correctifs devaient être apportés que Monsieur Abbondandolo estime à 3 000 $. La valeur marchande de la résidence que le Tribunal retiendra afin de calculer la réparation est de 325 000 $.

[92]         En l'instance, non seulement Pierre Turgeon a contribué à l'augmentation de la valeur de l'immeuble par son travail, mais également Nathalie Lachapelle.

[93]         Les nombreuses factures produites par les deux parties en font la preuve sans compter l'investissement personnel qu'ils ont fait, particulièrement dans le cas de Pierre Turgeon.

[94]         Comme les parties ont commencé à faire vie commune au moment de l'achat de la résidence et que le prix d'achat est de 160 000 $, la plus-value durant la vie commune est de 165 000 $ [21] .

[95]         Nathalie Lachapelle a déjà remboursé 20 600 $ à Pierre Turgeon.

[96]         Le Tribunal établit qu'une réparation de 50 000 $ est équitable afin de compenser l'enrichissement de Nathalie Lachapelle et l'appauvrissement de Pierre Turgeon, compte tenu de l'augmentation de la valeur de l'immeuble pendant la vie commune. Le Tribunal, pour ce faire, prend également en compte les facteurs suivants :

Ø   Pierre Turgeon a vécu dans l'immeuble pendant la vie commune;

Ø   Son fils William y est demeuré pendant plus d'un an;

Ø   Nathalie Lachapelle a également contribué à l'augmentation de la valeur de sa résidence, particulièrement dans les travaux au sous-sol;

Ø   Nathalie Lachapelle a versé 20 600 $ à Pierre Turgeon lors de la séparation.

2.         La demande de Compo

[97]         Compo réclame 41 288 $ de Nathalie Lachapelle alléguant l'enrichissement injustifié de cette dernière à son détriment puisque Compo a payé différents matériaux pour les rénovations de sa résidence, ainsi que les services d'un entrepreneur.

[98]         Elle produit différentes factures établissant le paiement de matériaux ou services reliés aux travaux effectués à la résidence de Madame Lachapelle [22] .

[99]         Selon Nathalie Lachapelle, la réclamation de Compo devrait être rejetée, car une entente existait par laquelle elle fournissait son expertise et certains services en échange des paiements de matériaux et services par Compo.

[100]      Aussi, selon elle, la réclamation de Compo est prescrite.

[101]      Le Tribunal est d'avis que Compo ne remplit pas les conditions applicables à l'enrichissement sans cause.

[102]      Compo a d'ailleurs cessé ses opérations depuis l'automne 2006.

[103]      Enfin, la créance qui résulte de l'enrichissement sans cause est Intuitu personæ  comme le mentionne la Cour d'appel [23] :

[31] Il serait dès lors incohérent, voire contradictoire, que cette caractéristique d’intimité et cette nature personnelle ne se retrouvent pas dans la créance résultant de l’enrichissement sans cause d’un conjoint de fait dont l’union est fondée sur les mêmes valeurs et visent les mêmes objectifs que l’union maritale. En effet, la finalité de l’indemnité recherchée par un conjoint de fait requérant en enrichissement injustifié, la motivation à son apport pendant l’union, les conditions d’exercice de son recours et même la nature et la forme de sa contribution à l’enrichissement de son partenaire sont les mêmes que celles de la prestation compensatoire. À mon sens, le parallélisme des institutions doit s’étendre à tous les aspects et dans tous les effets; c’est pourquoi, j’estime que l’action de in rem verso du conjoint de fait n’est pas transmissible aux héritiers et doit être exercée par le bénéficiaire du droit à l’indemnité .

(nos soulignements)

[104]      L'action de Compo est donc rejetée.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[105]      ACCUEILLE en partie l'action de Pierre Turgeon;

[106]      CONDAMNE la défenderesse Nathalie Lachapelle à payer à Pierre Turgeon 50 000 $ avec intérêts au taux légal, ainsi que l'indemnité additionnelle à compter de l'assignation;

[107]      Avec dépens ;

[108]      REJETTE l'action de Gestech Compo inc.;

[109]      Avec dépens.

 

 

__________________________________

LUCIE FOURNIER, J.C.S.

 

M e Sylvie Schirm

Procureure des demandeurs

 

 

M e Pierre Rhéaume

Lestage & Rhéaume

Procureurs de la défenderesse

 

Dates d’audience :

Les 20 et 21 septembre 2010

 

 

Dernières plaidoiries écrites le 24 novembre 2010



[1]     Pièce D-2.

[2]      À un certain moment, Nathalie Lachapelle sera employée de Compo et recevra un salaire.

[3]     Les dispositions relatives à cette notion se retrouvent aux articles 1493 à 1496 du Code civil du Québec.

[4]     Compagnie Immobilière Viger c. Lauréat Giguère inc ., [1977] 2 R.C.S. 67 (C.S.).

[5]     M.B. c. L.L ,  (C.A.) 500-09-012924-023, 10 juillet 2003, J.E. 2003-1363 .

[6]     Peter c . Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980 .

[7]     Article 2803 du Code civil du Québec .

[8]     Paragraphe 23 de la requête introductive d'instance réamendée.

[9]     Paragraphe 24 de la requête introductive d'instance réamendée.

[10]    Pièce D-5.

[11]    Notamment, Madame Lachapelle a donné des spécifications pour la hauteur du comptoir et l'installation de deux éviers.

[12]    À l'exception toutefois des travaux de peinture dont Nathalie Lachapelle s'attribue le mérite en biffant le temps qu'indique Pierre Turgeon (Pièce D-5).

[13]    Pièce D-11.

[14]    Interrogatoire après défense de Nathalie Lachapelle du 12 janvier 2009, page 18.

[15]    Idem , page 48.

[16]    Idem , page 19.

[17]    Peter c . Beblow, [1993] 1 R.C.S. 980 , pages 36 et 37.

[18]    Requête introductive d'instance amendée du 25 août 2008, paragraphe 21.

[19]    Pièce D-11, page 5.

[20]    Interrogatoire après défense de Nathalie Lachapelle, du 12 janvier 2009, page 14.

[21]    325 000 $ - 160 000 $ = 165 000 $.

[22]    Pièces P-3 à P-12, P-14 et P-18.

[23]    Lussier c. Pigeon , [2002]  R.J.Q. 359 (C.A.).