Déry c. Doncar Construction inc.

2011 QCCQ 5895

COUR DU QUÉBEC

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

TERREBONNE

LOCALITÉ DE

ST-JÉRÔME

 

 

« Chambre civile »

N° :

700-22-016388-075

 

DATE :

30 mai 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE GEORGES MASSOL, J.C.Q.

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Alain Déry

 

Demandeur

c.

 

Doncar construction inc.

 

Défenderesse / Demanderesse en garantie

 

et

 

R. Piché dynamitage inc.

 

            Défenderesse en garantie

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JUGEMENT

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[1]            Le demandeur réclame des dommages de la défenderesse, alléguant que l'eau du puits artésien desservant sa demeure a été rendue impropre à la consommation suite à des travaux exécutés par cette dernière. Celle-ci appelle en garantie un sous-entrepreneur ayant procédé à des travaux de dynamitage.

 

Les faits

[2]            Le 31 août 2004, le demandeur fait l'acquisition d'une propriété qu'il n'occupe néanmoins qu'à compter du 1 er octobre suivant.

[3]            Il s'agit d'une résidence située en milieu semi-urbain non reliée, jusqu'alors, à l'aqueduc de la ville. C'est cependant à cette époque que la ville procède au raccordement de la zone immédiate de la résidence au service d'aqueduc public.

[4]            Essentiellement, le demandeur énonce, dans sa requête introductive d'instance :

  -        Avant l'achat de la propriété, il a procédé à une analyse de la qualité de l'eau du puits desservant ladite propriété, laquelle confirmait l'absence de bactéries dans l'eau (pièce P-2) ;

-      Vers le 15 octobre 2004, la défenderesse aurait effectué des travaux de dynamitage et de construction en face de sa résidence ;

-      Moins de 24 heures après le début de ces travaux, l'eau de son puits est devenue brune et non comestible ;

-      L'eau serait toujours non comestible et impropre à la consommation , tel que démontré par un autre rapport d'analyse, celui-là daté du 12 mars 2007 (pièce P-3), et tel qu'il appert des photographies déposées (pièces P-4 à P-8) qui montrent que l'eau est d'une couleur ocre ;

-      Vu l'urgence de la situation, il a dû accepter de se brancher au nouveau réseau d'aqueduc qui passait dorénavant devant lui, ce qui lui a engendré des coûts de plus de 24 344 $, en plus des dommages que ses biens ont subis, dû au fait que la qualité de l'eau a été fortement altérée.

[5]            Le demandeur réclame également des troubles et inconvénients, portant le total de sa réclamation à 33 385 $.

[6]            La preuve a été faite que le 11 novembre 2004, le demandeur transmet une lettre à un représentant de la défenderesse, dans laquelle il mentionne essentiellement :

 -       Il demande dédommagement suite au dynamitage auquel a procédé la défenderesse ;

-      Ce dynamitage a modifié son eau potable en une eau jaune et ferreuse et de très mauvais goût ;

-      Il situe le dynamitage en face de sa propriété au début octobre.

[7]            La deuxième mise en demeure est datée du 7 mai 2007, soit plus de deux ans et demi après les événements.

[8]            La demande introductive d'instance, elle, provient du 28 mai suivant et est amendée à deux reprises, la dernière en date du 20 septembre 2007.

[9]            Entre temps, soit le 17 septembre précédent, le demandeur se soumet à un interrogatoire avant défense. Suite à ses réponses ainsi qu'à ses écrits antérieurs, la défenderesse décide d'appeler en garantie, le 21 novembre 2007, le sous-entrepreneur, défenderesse en garantie, qui avait mandat de s'occuper de la partie dynamitage de ce projet.

[10]         Ledit projet consistait, en gros, à pourvoir au raccordement du réseau d'aqueduc existant pour un secteur de la Ville de St-Jérôme nouvellement annexé, appartenant auparavant à la Ville de Bellefeuille.

[11]         La preuve révèle que pour ce faire, la ville attribue un contrat à un entrepreneur général, en l'occurrence la défenderesse, qui voit son travail vérifié par une société d'ingénieurs, dans le cas présent Leroux Beaudoin Hurens et Associés (ci-après appelée « LBHA »). Il y a une étude sommaire de la géographie et établissement des bornes et des distances par une équipe d'arpenteurs. Dans une seconde étape, il faut creuser une tranchée d'environ huit pieds de profondeur afin que les tuyaux d'aqueduc y soient enfouis pour, par la suite, être recouverts.

[12]         Étant donné la présence de grosses roches et de galets, une entreprise spécialisée en dynamitage est requise. C'est dans ce contexte que la défenderesse donne une sous-traitance à la défenderesse en garantie.

[13]         En résumé, lors de cette étape, la foreuse de l'entreprise de dynamitage effectue un forage et fait exploser la pierre qui se trouve sur son chemin. Du matériel roulant, appartenant à la défenderesse, suit pour disposer des résidus et compléter la tranchée.

[14]         Suite à cette opération, l'entrepreneur général remplit la cavité à l'aide de matériaux granulaires, tout en prenant soin de laisser des raccordements devant chacune des propriétés se trouvant sur son passage.

[15]         L'autre opération consiste en un travail de finition, soit celui de refaire la chaussée en enlevant celle déjà existante, restaurer les fondations de la rue et rehausser le tout.

[16]         Dans une ultime étape, on pose l'asphalte.

[17]         Les travaux confiés à la défenderesse et à la défenderesse en garantie touchaient un secteur desservi principalement par les rues Lamontagne et Leduc.

 

 

Date des travaux

[18]         À l'audience, le demandeur témoigne que la défenderesse procédait à des travaux ayant commencé vers le début du mois d'octobre 2004. Il précise, tout comme dans sa requête introductive d'instance, que vers le 15 octobre, on a creusé devant chez lui. Alors que ledit matin du 15 l'eau était bonne et limpide, conformément au certificat qu'il avait fait faire quelques jours auparavant, il constate, à son retour du travail vers 20 h 30, que l'eau est jaune et qu'elle a endommagé sa lessiveuse, ses accessoires de toilette, son chauffe-eau, le réservoir à eau ainsi que des serviettes et autres vêtements, le tout dû à l'état de l'eau.

[19]         Il en attribue donc la cause aux travaux effectués par la défenderesse devant chez lui.

[20]         Bien qu'il n'ait pas été obligé de le faire, il a décidé de se connecter au système d'aqueduc de la ville pour lequel on lui a facturé des coûts d'infrastructures de 14 144 $, qu'il a acquittés en 2007.

[21]         Monsieur Déry prétend qu'il a également dû engager des travaux pour se raccorder au réseau sur son terrain, qu'il estime à environ 10 200 $. À ce niveau, il produit une estimation (pièce P-8), mais ajoute qu'il a fait affaire avec un autre entrepreneur qu'il a payé comptant, voulant sauver les taxes. Ce dernier ne lui a évidemment pas remis de facture.

[22]         Questionné à savoir s'il y avait un moyen alternatif, le demandeur répond qu'il aurait peut-être pu se faire creuser un autre puits, ce qu'il n'a pas fait vu que le résultat ne pouvait être garanti, alors que la qualité de l'eau fournie par la ville l'était.

[23]         Lors de son contre-interrogatoire, monsieur Déry affirme, faits à l'appui, qu'il est impossible que la détonation qui a causé des dommages à son eau se soit produite avant le 15 octobre.

[24]         Le témoin Lucien Beauchamp, voisin du demandeur, situe les travaux vers la fin septembre, ajoutant que ceux-ci auraient été exécutés après le déménagement du demandeur.

[25]         De leur côté, les défenderesse et défenderesse en garantie situent le début réel des travaux vers le 15 septembre. L'ensemble de ceux-ci, y compris le pavage, s'est terminé vers la fin octobre.

[26]         La première phase proprement dite, soit le dynamitage, s'est déroulée du 14 ou 15 septembre au plus tard le 28 septembre.

[27]         Tel est l'essentiel de la preuve recueillie par le témoignage de monsieur Jocelyn Giguère, président de la défenderesse, monsieur Marc Piché, président de la défenderesse en garantie, et monsieur Jean Cantin, surveillant pour la société d'ingénieurs LBHA ainsi que des pièces déposées en preuve : DG-1 consistant en un croquis des endroits et dates de dynamitage préparé par monsieur Piché à l'aide de son journal de tir et DG-2 étant des rapports journaliers de la société d'ingénieurs LBHA.

 

La preuve des dommages

[28]         Le demandeur n'a produit aucune expertise établissant que les manœuvres de défenderesse ont pu être la cause directe d'une quelconque altération de la qualité de son eau. Il procède plutôt par déduction, étant donné que l'analyse bactériologique (pièce P-2), confectionnée avant son achat et datée du 2 août 2004, révélait une bonne qualité de l'eau alors que la subséquente (pièce P-3) montre un taux de fer et de solides totaux grandement supérieurs à la moyenne. Ce changement ne peut être attribué qu'à un seul événement s'étant produit à cette époque, c'est-à-dire les travaux effectués par la défenderesse.

 

Analyse et décision

[29]         Comme dans toute affaire, il appartient au demandeur de prouver la justesse de ses prétentions (article 2803 du Code civil du Québec  [1] ).

[30]         La preuve qu'il doit administrer doit l'être selon le critère de la prépondérance, soit que l'existence du fait doit être plus probable que son inexistence.

[31]         Étant donné qu'aucune disposition de la loi ne vient au secours du demandeur, prévoyant une faute présumée de la municipalité, c'est donc le régime général de la faute extracontractuelle édictée à l'article 1457 C.c.Q. qui s'applique.

[32]         Vu l'absence de preuve directe que le dommage dont se plaint monsieur Déry est relié à une faute commise par la défenderesse, il faut donc s'en rapporter à une preuve circonstancielle, aussi appelée preuve par présomption de fait.

[33]         À cet égard, l'article 2849 C.c.Q. établit :

« Les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l'appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes. »

[34]         Dans Longpré c. Thériault , le juge Lamer, alors à la Cour d'appel, avait défini les termes « graves, précises et concordantes » :

« Les présomptions sont graves, lorsque les rapports du fait connu au fait inconnu sont tels que l'existence de l'un établit, par une induction puissante, l'existence de l'autre […]

Les présomptions sont précises, lorsque les inductions qui résultent du fait connu tendent à établir directement et particulièrement le fait inconnu et contesté. S'il était également possible d'en tirer les conséquences différentes et même contraires, d'en inférer l'existence de faits divers et contradictoires, les présomptions n'auraient aucun caractère de précision et ne feraient naître que le doute et l'incertitude.

Elles sont enfin concordantes, lorsque, ayant toutes une origine commune ou différente, elles tendent, par leur ensemble et leur accord, à établir le fait qu'il s'agit de prouver… Si… elles se contredisent et… se neutralisent, elles ne sont plus concordantes, et le doute seul peut entrer dans l'esprit du magistrat. »  [2]

[35]         La jurisprudence ajoute qu'une présomption de fait ne peut être déduite d'une pure hypothèse, de spéculations, de vagues soupçons ou de simple conjecture. Les indices connus doivent rendre probable l'existence du fait inconnu, sans qu'il soit nécessaire toutefois d'exclure toute autre possibilité  [3] .

[36]         Dans le cas à l'étude, la preuve apportée par monsieur Déry est totalement insuffisante pour conclure comme il le fait.

[37]         On a peine à qualifier sa preuve de rachitique.

[38]         D'abord, concernant la qualité de l'eau, il oppose un premier certificat d'analyse suite à un prélèvement fait le 2 août 2004. Dans ce cas, il s'agit d'une analyse bactériologique qui démontre l'absence de coliforme dans l'eau du puits.

[39]         Il oppose ce certificat à un autre, à la suite d'un prélèvement qu'il a lui-même effectué en date du 28 février 2007, soit presque trois ans après les incidents en cause. C'est lui qui aurait fait ledit prélèvement, sans qu'on ne sache s'il a pris les précautions recommandées en semblable matière.

[40]         À cet effet, monsieur Leon Stepanian, spécialiste dans ce domaine, indique dans son témoignage qu'il y avait une procédure stricte à suivre, entre autres qu'il fallait laisser couler l'eau quatre à cinq minutes avant d'effectuer le prélèvement.

[41]         Aucune preuve n'établit que le demandeur s'est assujetti à cette procédure.

[42]         Fait plus troublant : le certificat d'analyse de mars 2007 (pièce P-3) consiste en une analyse physico-chimique qui a pour but de déterminer les quantités de minéraux dans l'eau. On y voit effectivement que l'eau du puits, si tel était le cas, contenait une quantité de fer et de solides totaux de beaucoup supérieurs aux normes.

[43]         On ne peut cependant comparer cette analyse avec celle faite en 2004 et y tirer des conclusions puisqu'il s'agit de deux types d'analyses complètement différentes.

[44]         Soit dit en passant, monsieur Stepanian fut le seul témoin, ayant quelque expertise que ce soit, présenté par le demandeur. Or, jamais ne lui a-t-on demandé l'effet d'un dynamitage à proximité d'un puits.

[45]         Bref, la seule conclusion que le Tribunal a pu tirer du certificat d'analyse P-3 ainsi que du témoignage de monsieur Stepanian est que l'eau du puits de monsieur Déry ait pu être très ferrugineuse (ferreuse).

[46]         L'ensemble de la preuve démontre d'ailleurs qu'il s'agissait d'un problème généralisé dans le territoire.

[47]         Le voisin de monsieur Déry, monsieur Beauchamp, témoigne qu'il a toujours eu recours à un adoucisseur pour traiter son eau.

[48]         Le représentant de la défenderesse en garantie, monsieur Piché, qui dit bien connaître le secteur, affirme également que l'eau est très ferrugineuse et c'est la raison pour laquelle la ville a voulu connecter ce secteur au réseau d'aqueduc municipal.

[49]         Monsieur Cantin, représentant de la société d'ingénieurs LBHA, témoin idoine et indépendant, affirme spontanément qu'à la simple vue de la couleur des fossés, il a conclu que tout le secteur était alimenté par des sources d'eau ferrugineuse.

[50]         Dans de telles circonstances, il ne faut pas se surprendre que l'eau ait pu avoir la couleur apparaissant sur les photographies produites par le demandeur (pièces P-4 à P-7).

[51]         La thèse de monsieur Déry est d'autant plus fragilisée qu'il attribue, tant dans sa requête introductive d'instance que dans ses témoignages (lors de son interrogatoire avant défense tenu le 17 septembre 2007 et à l'audience), la détérioration de son eau au processus de dynamitage qui aurait, pense-t-on, fracturé le roc pour atteindre le puits ; mentionnons qu'aucune preuve n'a été faite à cet égard.

[52]         Or, il situe clairement cet événement au 15 octobre alors que, comme mentionné précédemment, la preuve démontre explicitement que les procédures de dynamitage se sont déroulées au plus entre le 14 et le 28 septembre.

[53]         La preuve prépondérante démontre également que les travaux se sont produits du sud au nord, commençant par le secteur où habite le demandeur, près de la place Linda, en montant la rue Lamontagne vers la terrasse Fleurie.

[54]         Il faut donc conclure que des travaux de dynamitage en face de la maison de monsieur Déry ont eu lieu entre le 14 et le 17 septembre, soit environ un mois précédant la date avancée par ce dernier.

[55]         Il ne faut pas hésiter à qualifier la preuve du demandeur d'invraisemblable.

[56]         Ainsi, le 15 octobre, il aurait entendu des sons répétés de la nature de ceux qui précèdent une décharge de dynamite. C'est ce qui lui fait conclure qu'il y a eu une explosion cette journée-là, justement celle où il a noté une différence dans la couleur de l'eau de son puits.

[57]         Or, la preuve, sans aucun doute, démontre que les charges de dynamite ont plutôt explosé devant chez lui un mois plus tôt !

[58]         Monsieur Déry n'a pas établi, ni par preuve directe ni par présomption, que les dommages qu'il réclame résultent de travaux de construction, encore moins de dynamitage.

[59]         La preuve dans ce cas-ci est tellement ténue qu'il ne faut pas hésiter à dire que la thèse du demandeur ne peut même pas être qualifiée d'une hypothèse.

[60]         Tout cela doit mener au rejet de l'action de monsieur Déry.

[61]         Des représentations ont été faites par la défenderesse en garantie pour que la demande en garantie soit rejetée avec dépens contre la demanderesse en garantie.

[62]         On a mentionné que la défenderesse en garantie aurait dû simplement être appelée comme témoin puisque Doncar construction inc. savait que le dynamitage s'est effectué avant la date prônée par le demandeur.

[63]         Le Tribunal ne voit, à cet égard, aucune raison de s'éloigner du principe établi à l'article 477 du Code de procédure civile puisqu'il appert clairement que tant l'interrogatoire avant défense (précédant l'appel en garantie) que l'action principale allèguent que les dommages ont été causés par le dynamitage de la défenderesse en garantie.

[64]         En conséquence, les dépens doivent être assumés en entier par monsieur Déry.

 

Pour ces motifs, le Tribunal :

          Rejette la demande principale et la demande en garantie ;

            Condamne le demandeur Alain Déry aux entiers dépens.       

 

 

 

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Georges Massol , j.c.q.

 

 

 

Maître Philippe L'Écuyer

(Martin, Pilon et Associés)

Pour le demandeur

 

Maître François Barré

(Bélanger, Sauvé)

Pour la défenderesse / demanderesse en garantie

 

Maître Miriam F. Marchand

(Leduc, Lamoureux)

Pour la défenderesse en garantie

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dates d’audience :

18 et 19 mai 2011

 



[1]     L.Q., 1991, c. 64

 

[2]     [1979] C.A. 258 ; voir aussi Layne Christensen Company c. Les forages L.B.M. inc. , J.E. 2009-1517 (C.A., 2009-08-11)

[3]     Compagnie d'assurance Alpha c. Plomberie 2000 Estrie inc. , AZ-50123829 (C.Q., 2002-04-23), page 11, citant l'auteur Jean-Claude ROYER, La preuve civile , 2 e édition, Éditions Yvon Blais, pages 513 et 514