Autorité des marchés financiers c. Péloquin

2011 QCBDR 45

BUREAU DE DÉCISION ET DE RÉVISION

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

MONTRÉAL

 

DOSSIER N° :

2011-007

 

DÉCISION N° :

2011-007-002

 

DATE :

Le 30 mai 2011

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EN PRÉSENCE DE :

M e CLAUDE ST PIERRE

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AUTORITÉ DES MARCHÉS FINANCIERS

Partie demanderesse

c.

ALAIN PÉLOQUIN

et

ISABELLE CANTIN

et

ÉVALUATION APEX INC.

et

STÉPHANE AUCLAIR

et

JEAN-LUC FLIPO

Parties intimées

et

JEAN-MARC LAVALLÉE , avocat

et

BANQUE DE MONTRÉAL [Montréal (Québec)]

et

BANQUE TORONTO-DOMINION [Boucherville (Québec)]

et

CAISSE DESJARDINS DE CONTRECOEUR/ VERCHÈRES

et

CAISSE D’ÉCONOMIE MARIE-VICTORIN

et

OFFICIER DU BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE VERCHÈRES

et

OFFICIER DU BUREAU DE LA PUBLICITÉ DES DROITS DE LA CIRCONSCRIPTION FONCIÈRE DE SHERBROOKE

            Parties mises en cause

 

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ordonnance de prolongation de blocage

[art. 250 , Loi sur les valeurs mobilières (L.R.Q., c. V.-1.1) et art. 93 , Loi sur l’Autorité des marchés financiers (L.R.Q., c. A-33.2)]

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M e Mélanie Hébert

(Girard et al.)

Procureure de l’Autorité des marchés financiers

 

M e Sabia Chicoine

(BCF s.e.n.c.r.l.)

Procureure d’Alain Péloquin et d’Isabelle Cantin

 

Mme Tania Wihl, stagiaire en droit

(Lecours Hébert Avocats inc.)

Procureure de Jean-Marc Lavallée

 

 

Date d’audience :

25 mai 2011


 

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DÉCISION

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[1]    Le 2 février 2011, l’Autorité des marchés financiers (ci-après l’«  Autorité  ») a saisi le Bureau de décision et de révision (ci-après le «  Bureau  ») d’une demande ex parte , afin qu’il prononce une ordonnance de blocage à l’encontre des intimés Alain Péloquin, Isabelle Cantin et Évaluation Apex inc. et à l’égard des mises en cause, ainsi qu’une interdiction d’opérations sur valeurs et une interdiction d’exercer l’activité de conseiller à l’encontre d’Alain Péloquin, Isabelle Cantin, Stéphane Auclair et Jean-Luc Flipo.

[2]    Cette demande fut adressée en vertu des articles 249 , 250 , 265 et 266 de la Loi sur les valeurs mobilières [1] et des articles 93 , 94 et 115.9 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers [2] . La demande de l’Autorité contenait également une conclusion visant la publication de la décision auprès du Bureau de la publicité des droits des circonscriptions foncières de Verchères et de Sherbrooke. À la suite d’une audience ex parte tenue le même jour, le Bureau a prononcé la décision demandée [3] .

LA DEMANDE de prolongation de blocage

[3]     Le 29 avril 2011, l’Autorité adressait au Bureau une demande de prolongation du susdit blocage. Le Bureau a fixé une audience devant se tenir à son siège le 25 mai 2011, à 9 h 30. Un avis daté du 4 mai 2011 fut signifié aux parties à ce sujet.

[4]     Le 24 mai 2011, soit la veille de l’audience, Alain Péloquin et Isabelle Cantin ont fait parvenir au Bureau une demande de levée partielle de l’ordonnance de blocage avec un avis de présentation à l’effet que cette demande soit entendue dès le lendemain.

L’AUDIENCE

[5]     Au début de l’audience, après avoir entendu le point de vue des procureures au dossier, le Bureau a remis l’audience de la demande de levée de blocage des intimés Alain Péloquin et Isablle Cantin (ci-après les « Intimés ») au 1 er juin 2011, à 9 h 30, pro forma , au motif du délai trop court donné à l’Autorité pour se préparer et au tribunal pour prendre connaissance du tout. Il appert également que le président du tribunal étant absent, il appartenait de remettre l’audience sur la demande de levée jusqu’à son retour puisqu’il avait prononcé la décision ex parte en février 2011.

La preuve de l ’Autorité

[6]     Le tribunal a ensuite ordonné que les parties procèdent sur la demande de prolongation de blocage présentée par l’Autorité. Cette dernière a alors fait entendre le témoignage de son enquêteuse qui a indiqué au Bureau que l’enquête de l’Autorité, dont elle a personnellement la responsabilité, continue. Elle a, à la date de l’audience, rencontré une vingtaine d’investisseurs et analyse actuellement la documentation qu’elle a obtenue dans le cadre de son enquête. Elle ajoute qu’une analyse financière du tout doit être faite.

[7]     Elle ajoute également que les motifs initiaux ayant justifié que soit prononcé le blocage du Bureau existent toujours. Elle rappelle que la demande initiale de l’Autorité a été justifiée par le fait de sollicitations illégales faites auprès d’investisseurs en l’absence d’un prospectus visé par l’Autorité. 147 investisseurs auraient été approchés et un montant de 12 000 000 $ aurait été ainsi recueilli. Les fonds recueillis devaient servir à acheter des biens saisis par le gouvernement et revendus avec profits.

[8]     L’enquêteuse a soulevé la possibilité de l’usage du modèle de Ponzi puisque l’ar-gent versé par certains investisseurs aurait servi à en rembourser d’autres. Elle ajoute que l’analyse des comptes de banque a permis de constater des entrées de fonds dans les comptes bloqués, entrées provenant de l’argent des investisseurs. Certains fonds ont ensuite été transférés au compte en fidéicommis de M e Jean-Marc Lavallée.

[9]     L’analyse aurait également permis de constater que l’argent des investisseurs aurait servi à couvrir des dépenses personnelles courantes des intimés, comme l’épicerie ou le paiement de la marge de crédit. De plus, il ne semble pas que l’argent ait servi à acheter des biens saisis, tel que pourtant annoncé aux investisseurs approchés. L’enquêteuse ajoute qu’Alain Péloquin aurait reçu des chèques de pension alimentaire pour ses enfants mais qu’il ne les a pas encaissés. Le témoin n’a pas été contre-interrogé.

La preuve d’Alain Péloquin et d’Isabelle Cantin

[10]     La procureure d’Alain Péloquin et d’Isabelle Cantin a fait entendre le témoignage du premier. Il dit être opposé au renouvellement du blocage puisque tous ses actifs sont bloqués et qu’il n’a accès à aucun revenu. Il fait la preuve de la présence d’environ 10 000 $ dans les comptes qui sont bloqués par la décision du Bureau. Il dit ne plus pouvoir payer ses hypothèques et les emprunts pour ses voitures.

[11]     Il n’a aucun autre argent et n’a plus de revenu depuis le mois de février 2011, date de la décision du Bureau. Il veut pouvoir assurer sa défense et faire vivre sa famille, dont ses cinq enfants. Il dit ne plus avoir exercé d’activités de placement depuis février 2011.

[12]     En contre-interrogatoire, Alain Péloquin explique sa situation familiale, son parcours, ses emplois antérieurs et son emploi actuel. Il l’exerce au sein de la société Évaluation Apex Inc. qui appartient indirectement à sa conjointe Isabelle Cantin. Il dit détenir un autre compte de banque également bloqué mais dans lequel il n’y a pas d’argent. Il traite de ses résidences et des véhicules que lui et sa compagne possèdent. Ils ne peuvent actuellement effectuer les paiements de leurs hypothèques et de leurs prêts personnels sur ces divers biens.

[13]     Il reconnaît que des montants variant entre 600 000 $ et 700 000 $ ont transité dans ses comptes de banque, pour être ensuite déposés dans le compte en fidéicommis de M e Jean-Marc Lavallée. Mais ce dernier n’est pas son avocat, il n’a pas de comptes avec lui et ne l’a pas rencontré. Il indique que le projet reproché était tout simplement un joint venture entre amis. Il ne connaissait que 7 ou 8 personnes qui ont prêté de l’argent.

[14]     Il dit qu’il ne s’agissait pas de son projet. Il n’a pas sollicité d’investisseurs mais a lui-même effectué des prêts d’argent au projet, avec intérêts. Il a également signé un écrit. Entre 500 000 $ et 700 000 $ ont transité dans son compte. Depuis que le blocage a été prononcé, il n’a pas travaillé, n’a pas tenté de se trouver un autre emploi, n’a pas préparé de c.v. ni passé d’entrevues. Le blocage du Bureau l’empêche de se trouver un autre emploi. À sa connaissance, seulement une vingtaine de personnes a participé à ce projet.

[15]     Il évoque ses rencontres avec le personnel de l’Autorité et dit avoir reçu des menaces de mort et avoir eu besoin de la protection de la police. Il semblerait qu’un investisseur aurait eu un remboursement de 7 700 $ à même le compte en fidéicommis de M e Jean-Marc Lavallée. Il déclare ne pouvoir encaisser les chèques de pension alimentaire pour ses enfants, du fait du blocage du Bureau.

[16]     La procureure des intimés a fait entendre un second témoin, soit un homme d’affaires qui dit connaître Alain Péloquin et lui avoir prêté jusqu’à 980 000 $, un prêt portant un intérêt de 10 % minimum. Il dépose le contrat de prêt à cet effet; ce dernier, daté du 5 février 2011, indique que la somme totale de ces prêts est de 980 000 $. Il témoigne que ce prêt était destiné à un projet d’achat et de vente d’équipements mais qu’Alain Péloquin pouvait utiliser cet argent pour son bénéfice personnel.

[17]     Il a commencé à prêter de l’argent à Alain Péloquin en décembre 2010; il n’a pas demandé de remboursement et n’a pas non plus établi d’échéancier de remboursement.

L’argumentation de l’Autorité

[18]     La procureure de l’Autorité rappelle que le blocage est un acte préventif destiné à préserver le statu quo , pour conserver les sommes d’argent et les actifs. Il s’agit d’empêcher que les biens des personnes ne soient dilapidés, comme l’a indiqué l’arrêt Amswiss [4] . L’article 250 de la Loi sur les valeurs mobilières prévoit que les motifs initiaux doivent avoir cessé d’exister pour justifier la levée du blocage. Or, a-t-elle continué, le témoignage de l’enquêteuse indique que les faits initiaux de l’enquête existent toujours. Une centaine d’investisseurs ont été sollicités pour ce projet, dont certains par Alain Péloquin.

[19]     Le tout s’est fait en l’absence d’un prospectus et avec des promesses de rendement. De l’argent a été transféré et une partie a transité dans les comptes de banque des intimés. Alain Péloquin a d’ailleurs admis dans son témoignage que des montants entre 500 000 $ et 700 000 $ ont transité dans ces comptes. Il y reste maintenant un peu plus de 10 000 $. Pour la procureure de l’Autorité, ces faits suffisent à justifier la prolongation du blocage demandée.

[20]     Elle ajoute que le témoignage des témoins des intimés bonifie la position de sa cliente. Il existe ici des contrats pour la vente de biens avec une espérance de gains, soit des contrats d’investissement. Il y a une preuve de sollicitation de cet argent et des sommes importantes qui ont transité dans ces comptes. Elle évoque le cas des ‘’amis’’ d’Alain Péloquin dans ce projet. Au moins un investisseur est venu témoigner d’un investissement de 980 000 $.

[21]     Enfin, Alain Péloquin n’a pas fait la preuve d’avoir tenté de subvenir à ses besoins ni n’a prouvé avoir fait des tentatives pour ouvrir d’autres comptes.

L’argumentation des intimés

[22]     La procureure des intimés reconnaît le caractère préventif et de maintien du statu quo d’un blocage pendant une enquête. Mais elle déclare que cette mesure ne peut empêcher que puisse vivre une famille. Or, Alain Péloquin ne peut plus soutenir cette dernière. Elle ajoute que les critères pour ne pas renouveler un blocage sont que les motifs qui l’ont justifié aient cessé d’exister. Or, les activités des intimés ont cessé. Il n’y a plus de chèques qui ont été déposés aux comptes de banque.

[23]     Alain Péloquin ne sollicite plus et n’agit plus comme courtier. L’ordonnance du Bureau le prouve. Elle rappelle que les sommes prêtées par l’investisseur dont le témoignage a été entendu, pouvaient être utilisées à des fins personnelles par Alain Péloquin. Elle continue en indiquant que certaines sommes ont pu transiter dans les comptes de son client mais elles ont ensuite été transférées à M e Jean-Marc Lavallée.

[24]     Elle soutient que les sommes restantes dans les comptes qui sont bloqués proviennent d’autres sources que les investissements. Par conséquent, l’intérêt du public ne sera pas lésé si le renouvellement du blocage n’est pas accordé car il ne peut y avoir de réclamations des investisseurs, vu la provenance des fonds.

[25]     La procureure des intimés soumet ensuite qu’on ne peut contrevenir à la Charte canadienne des droits et libertés [5] car cela violerait les droits fondamentaux de ses clients. Des dispositions législatives ne peuvent servir à violer des droits fondamentaux. Alain Péloquin a le droit à une défense plein et entière; il a le droit de survivre et de nourrir ses enfants. Une personne sous enquête à le droit de vivre et elle a le droit à la présomption d’innocence.

[26]     Elle évoque des cas de blocages en justice criminelle; ces dispositions visent à garantir les droits protégés par la Charte, en évitant que les justiciables ne s’appauvrissent car cela les mettrait à la merci de l’État. Elle évoque également la disposition de la Charte contre les peines cruelles et inusitées. Elle rappelle que ses clients n’ont pas été accusés et qu’ils n’ont pas été trouvés coupables. Il faut éviter de prononcer une peine de mort économique et sociale à l’égard de ceux-ci. Elle dépose des décisions de jurisprudence à l’appui de ses prétentions.

[27]     Elle conclut que les fonds contenus dans les comptes proviennent de sources légitimes, encore que les justiciables ne devraient pas avoir à établir la provenance des fonds. Elle demande que le Bureau ne prolonge pas le blocage visant ses clients, ne le renouvelle pas quant à ses résidences et n’empêche plus les intimés d’ouvrir un nouveau compte de banque. Enfin, la procureure de Jean-Marc Lavallée, mis en cause en l’instance, déclare que son client ne s’oppose pas à la prolongation du blocage demandée par l’Autorité.

[28]     En réponse, la procureure de l’Autorité soumet que les intimés n’ont pas fait la preuve que l’argent restant dans les comptes de banque vient de l’investisseur qui a témoigné devant le Bureau. La preuve de l’Autorité démontre que l’argent des investisseurs a souvent servi à payer des dépenses courantes des intimés. Rien ne prouve que l’argent aux comptes provienne de l’investisseur qui a témoigné. Rien ne rattache cet argent à cette personne.

[29]     Quant aux arguments fondés sur la Charte des droits, elle signale l’absence d’un avis au Procureur général. Elle souligne les grandes différences existant entre le droit des valeurs mobilières et le droit criminel sur lequel s’est appuyée la procureure des intimés. Elle estime plutôt que les principes de ce dernier ne sont pas applicables devant le Bureau.

[30]     La procureure des intimés a enfin demandé que certains des renseignements propres à ses clients, dont les numéros de leurs comptes de banque, soient traités de façon confidentielle. Le tribunal a alors invité cette dernière à amender sa demande de levée partielle de blocage devant être entendue ultérieurement devant le Bureau, pour y inclure cette conclusion.

L’ANALYSE

[31]     D’emblée, le Bureau tient à préciser qu’il a été saisi d’une demande de prolongation de blocage dans le présent dossier par l’Autorité. Il est alors reconnu que face à une telle demande, il appartient aux parties d’assumer leurs fardeaux respectifs. Conformément au deuxième alinéa de l’article 250 de la Loi sur les valeurs mobilières [6] , les gens visés par ce blocage ont le fardeau d’établir que les motifs de l’ordonnance initiale ont cessé d’exister.

[32]     Quant à l’Autorité, elle a le fardeau de prouver que l’enquête qu’elle mène est active, le mot enquête étant entendu comme non seulement les faits d’investigation mais également les procédures engagées par cet organisme qui résultent de son investigation. Or, dans le présent dossier, la demanderesse a fait entendre le témoignage d’une enquêteuse à son emploi. Cette dernière est chargée de l’enquête et a pu témoigner quant à ce qu’elle a fait et à ce qu’elle s’apprête à faire.

[33]     Elle a également témoigné quant aux motifs initiaux qui ont justifié le blocage du Bureau, soulignant qu’ils existent toujours. Elle a décrit le placement à grands traits, pour ensuite indiquer que certains montants provenant des investisseurs auraient servi aux intimés pour couvrir certaines de leurs dépenses personnelles. De plus, selon toute apparence, l’argent obtenu des investisseurs n’aurait jamais servi à l’achat de biens saisis qu’on devait ensuite revendre avec profit, ce qui avait pourtant été indiqué aux investisseurs.

[34]     Le Bureau remarque que l’ensemble de la preuve présentée en cours d’audience a permis de confirmer que des montants obtenus des investisseurs auraient transité dans les comptes d’Alain Péloquin, et ce, à une hauteur qu’il reconnaît lui-même se situer entre 500 000 $ et 700 000 $. Et pourtant, dans son témoignage, Alain Péloquin tente de minimiser son rôle, disant même qu’il n’était qu’un des investisseurs. Le projet n’était, a-t-il dit, qu’un simple joint venture entre amis, sans plus.

[35]     Or, l’importance des montants qui ont passé par les comptes en jeu laisse plutôt supposer un rôle beaucoup plus important pour lui. De plus, un témoin des intimés a parlé du prêt de 980 000 $ qu’il a consenti en plusieurs tranches à Alain Péloquin. Ce prêt a été fait dans le cadre d’un projet non spéculatif et le contrat qualifie Alain Péloquin de ‘’chef de projet’’. Le témoin a évidemment déclaré que ce dernier pouvait couvrir ses dépenses personnelles avec cet argent.

[36]     Mais il n’en reste pas moins que l’importance de cette somme et le fait que l’investisseur s’attend à des revenus d’intérêts d’au moins 10 % sur ce prêt laisse supposer au Bureau qu’il est bel et bien en face d’un investissement, qu’Alain Péloquin y joue un rôle important, sinon central, tout cela apportant de l’eau au moulin à la position de l’Autorité puisque le rôle d’Alain Péloquin semble dépasser de beaucoup ce qu’il prétend réellement faire. Dans ces circonstances, le Bureau est sensible aux arguments de l’Autorité.

[37]     Pour sa part, la procureure des intimés soumet que l’argent qui est dans les comptes des intimés appartient bel et bien aux intimés. De plus, l’argent des investisseurs a peut-être transité dans ces comptes mais il est maintenant dans le compte en fidéicommis de M e Jean-Marc Lavallée. L’argent de ces comptes est soit l’argent personnel des intimés, soit celui du témoin-investisseur, et il ne s’oppose pas à un usage personnel de ces fonds par Alain Péloquin.

[38]     Mais la preuve des intimés n’établit pas une telle ségrégation entre ces fonds et le Bureau n’est pas véritablement en état de savoir si la thèse des intimés quant à leur propriété est réelle. La procureure des intimés a également plaidé que les motifs initiaux ayant justifié le blocage n’existent plus, puisqu’Alain Péloquin a cessé tout placement, ne sollicite plus de placements et n’agit plus comme courtier sans inscription.

[39]     Ces motifs ayant cessé d’exister, le blocage qui en a résulté n’a plus de raison d’être et devrait donc être levé. Le Bureau a précédemment eu l’occasion de disposer d’un argument semblable. Dans la décision ICC Capital Management du 23 décembre 2010 [7] , le Bureau a ainsi traité du tout :

« [50] Le Bureau croit que les motifs au soutien d’une ordonnance de blocage découlent des faits allégués par l’Autorité lors d’une audience  ex parte . Les faits allégués peuvent conduire le tribunal à prononcer un blocage parce qu’ils provoquent souvent des inquiétudes qui amènent le Bureau à agir dans l’intérêt public, afin de veiller notamment à la protection des investisseurs et des marchés financiers.

[51] Les motifs qui incitent le Bureau à prononcer une ordonnance de blocage ne peuvent exister sans faits allégués par l’Autorité. Ces faits peuvent être infirmés ou confirmés au cours de l’enquête. De plus, les intimés pourraient présenter devant le tribunal une preuve dans le cadre d’une demande d’être entendu ou autrement, faisant en sorte que les faits allégués seraient nuancés ou infirmés.

[52] Cela pourrait avoir un impact sur les motifs à la base de l’ordonnance. Or, cela n’a pas été fait dans le présent dossier. […] » [8]

[Référence omise]

[40]     Dans le présent dossier, le Bureau a prononcé son ordonnance de blocage parce que les faits, dont la preuve lui a été faite en audience, l’amenaient à décider qu’existaient des motifs de prononcer un tel blocage. Rien dans la preuve qui a été présentée au Bureau au cours de l’audience du 25 mai 2011 n’est venu renverser cette conviction, soit que les motifs initiaux qui ont justifié que soit prononcé le blocage initial aient cessé d’exister. Les intimés échouent à cet égard.

[41]     Enfin, les intimés Alain Péloquin et Isabelle Cantin ont présenté au tribunal une demande de levée partielle de blocage; ces derniers veulent que le Bureau lève son blocage à leur égard afin de pouvoir accéder au solde des fonds qui sont dans les comptes de banque gelés et les retirer. Ils désirent également que le Bureau leur permette d’ouvrir un compte de banque dans une institution bancaire de leur choix.

[42]     Cela leur permettrait d’y déposer les sommes retirées ainsi que tout salaire qu’ils pourront gagner d’un emploi éventuel et pouvoir y effectuer toutes les opérations financières pour assurer leur subsistance et celle de leurs enfants. Or, à la lecture de cette demande, le Bureau constate que l’argumentation des intimés porte sur une présumée violation de leurs droits fondamentaux qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés [9] .

[43]     Une partie des arguments qui ont été plaidés par la procureure des intimés devant le Bureau pour que le blocage ne soit pas renouvelé était exactement au même effet. Mais le tribunal rappelle que, tel que mentionné plus haut, une demande de prolongation de blocage doit, pour être accordée, réussir deux tests, à savoir que l’enquête continue et que les motifs du blocage initial n’ont pas cessé d’exister.

[44]     L’Autorité ayant fait la preuve nécessaire pour convaincre le tribunal, ce dernier n’entend pas se prononcer sur les arguments fondés sur la Charte. Tel que mentionné, une audience a été fixée, pro forma , au 1 er juin 2011, à la suite de la présentation de sa demande. À cette date, le membre du Bureau qui siégera pourra fixer la date à laquelle le tout pourra procéder.

[45]     À cette occasion, la procureure des intimés pourra alors présenter sa plaidoirie fondée sur la Charte des droits et plaider pour obtenir toutes les conclusions que les intimés désirent obtenir. Le cadre plus étroit d’une demande de prolongation de blocage n’est pas le moyen idéal pour se prononcer sur toutes les notions que la procureure des intimés voudrait voir trancher par le tribunal, surtout à une journée d’avis.

[46]     Dans ces circonstances, le Bureau entend, pour les motifs évoqués tout au long de la présente décision, accueillir la demande de l’Autorité et, de ce fait, prononcer l’ordonnance de prolongation de blocage requise.

LA DÉCISION

[47]     Le Bureau a pris connaissance de la demande de l’Autorité, entendu le témoignage de son enquêteuse et des témoins des intimés; il a pris connaissance du contenu des pièces déposées en preuve et écouté les représentations de la procureure de l’Autorité et celles de la procureure des intimés.

[48]     En conséquence, le Bureau de décision et de révision, en vertu de l’article 250 de la Loi sur les valeurs mobilières [10] et de l’article 93 de la Loi sur l’Autorité des marchés financiers [11] prolonge l’ordonnance de blocage qu’il a prononcée le 2 février 2011, de la manière suivante :

ordonnance de prolongation de blocage, en vertu de l’article 250 de la loi sur les valeurs mobili ères et de l’article 93 de la loi sur l’autorité des marchés financiers  :

IL ORDONNE à Alain Péloquin et Isabelle Cantin de ne pas, directement ou indirectement, se départir de fonds, titres ou autres biens qu’ils détiennent ou dont ils ont la garde ou le contrôle, à quelque endroit que ce soit, et, sans limiter la généralité de ce qui précède, les biens suivants :

·                l’immeuble situé au […], Varennes, soit le lot […] du cadastre de paroisse de Varennes, circonscription foncière de Varennes;

·                l’immeuble situé au […], Sherbrooke, lot […], cadastre du Québec, circonscription foncière de Sherbrooke;

IL ORDONNE à Alain Péloquin et Isabelle Cantin de ne pas retirer des fonds, titres ou autres biens auprès d’une autre personne qui les a en dépôt ou qui en a la garde ou le contrôle;

IL ORDONNE à la mise en cause, Banque de Montréal, succursale 0215, située au 2959, rue King Ouest, Sherbrooke (Québec) J1L 1C6, de ne pas se départir des fonds, titres ou autres biens qu’elle a en dépôt ou en a la garde ou le contrôle pour Alain Péloquin et/ou Isabelle Cantin, notamment dans le compte portant le numéro […], dans tout compte en devises américaines dont le compte […], de même que dans tout coffret de sûreté;

IL ORDONNE à la mise en cause, Banque Toronto-Dominion, succursale située au 575, chemin de Touraine, suite 200, Boucherville (Québec) J4B 5E4, de ne pas se départir des fonds, titres ou autres biens qu’elle a en dépôt ou en a la garde ou le contrôle pour Alain Péloquin et/ou Isabelle Cantin, et/ou Évaluation Apex inc., notamment dans les comptes portant les numéros […] et […], de même que dans tout coffret de sûreté;

IL ORDONNE à la mise en cause, Caisse Desjardins de Contrecoeur/Verchères, succursale située au 6, rue Provost, Verchères (Québec) J0L 2R0 de ne pas se départir des fonds, titres ou autres biens qu’elle a en dépôt ou en a la garde ou le contrôle pour Alain Péloquin et/ou Isabelle Cantin, notamment dans le compte portant le numéro […], de même que dans tout coffret de sûreté;

IL ORDONNE à la mise en cause, Caisse d’économie Marie-Victorin, succursale située au 950, route Marie-Victorin, Sorel-Tracy (Québec) J3L 1L3, de ne pas se départir des fonds, titres ou autres biens qu’elle a en dépôt ou en a la garde ou le contrôle pour Alain Péloquin et/ou Isabelle Cantin, notamment dans le compte portant le numéro […], de même que tout coffret de sûreté;

IL ORDONNE à M e Jean-Marc Lavallée de ne pas se départir de fonds, titres ou autres biens qu’il a en dépôt ou en a la garde ou le contrôle pour le compte de Alain Péloquin ou Isabelle Cantin ou toute autre entité contrôlée par ceux-ci, notamment dans son compte en fidéicommis détenu auprès de Groupe Financier Banque TD, succursale #4481, située au 9780, boul. Leduc, suite 5, Brossard (Québec) J4Y 0B3 et portant le numéro […], de même que dans tout autre compte qu’il peut détenir, incluant auprès de la Banque Nationale.

[49]         Conformément au premier alinéa de l’article 250 de la Loi sur les valeurs mobilières , l’ordonnance de blocage entre en vigueur à la date à laquelle elle est prononcée et le restera pour une période de 120 jours, à moins qu’elle ne soit modifiée ou abrogée avant l’échéance de ce terme.

Fait à Montréal, le 30 mai 2011.

 

 

 

(S) Claude St Pierre

 

M e Claude St Pierre, vice-président

 

 

COPIE CONFORME

 

PAR_________________________

Bureau de décision et de révision



[1]           L.R.Q., c. V-1.1.

[2]      L.R.Q., c. A-33.2.

[3]      Autorité des marchés financiers c. Péloquin , 2011 QCBDR 11 .

[4]      Amswiss Scientific Inc. (Re) , 1992 LNBCSC 40.

[5]      Loi de 1982 sur le Canada , 1982, ch. 11, Annexe B, art. 7 et 11 (R.-U.).

[6] .    Précitée, note 1.

[7]      Autorité des marchés financiers c. 9095-0049 Québec inc. (ICC Capital Management) , 2010 QCBDR 109 .

[8]      Id. , 15, par. 50-52. Voir également, Autorité des marchés financiers c. 9095-0049 Québec inc. (ICC Capital Management) , 2010 QCBDR 59 .

[9]      Précitée, note 5.

[10]     Précitée, note 1.

[11]     Précitée, note 2.