Sylvania Construction c. Boretsky

2011 QCCQ 7008

COUR DU QUÉBEC

« Division administrative / Appel »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

MONTRÉAL

« Chambre civile »

N° :

500-80-018525-114

 

 

DATE :

Le 7 juin 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

SYLVIE LACHAPELLE, J.C.Q.

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SYLVANIA CONSTRUCTION

 

Demanderesse-locatrice

 

c.

 

LARRY BORETSKY

 

-et-

 

JOAN BORETSKY

 

Défendeurs-locataires

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JUGEMENT SUR LA REQUÊTE POUR PERMISSION D'APPELER DE LA DÉCISION DE LA RÉGIE DU LOGEMENT
(Art. 91 de la Loi sur la Régie du logement
)

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[1]            La demanderesse-locatrice, Sylvania Construction (« Sylvania ») présente une demande pour permission d'appeler d'une décision du 28 janvier 2011 de la Régie du logement (« Régie ») de Me Chantale Bouchard, régisseure, qui rejette la demande de résiliation du bail et d'expulsion des défendeurs locataires, Larry Boretsky et Joan Boretsky (« Boretsky »).

[2]            Sylvania demande la résiliation du bail au motif que les Boretsky menacent, intimident et harcèlent l'administrateur de Sylvania, monsieur Kerassinis lequel s'occupe également de l'entretien de l'immeuble.

[3]            La requête pour  permission d'appeler est déposée au greffe le 23 février 2011.

[4]             Sylvania énonce dans sa requête les erreurs qui, selon elle, ont été commises par la Régie et soumet que la Cour du Québec devra répondre aux deux questions suivantes si la requête est accueillie :

a)             la régisseure a-t-elle bien appliqué l'article 1973 du Code civil du Québec («  CCQ  ») ?

b)             la régisseure a-t-elle usé de sa discrétion d'une manière raisonnable ?

[5]            Compte tenu des dispositions de l'article 91 de la Loi sur la Régie [1] et de la jurisprudence applicable en la matière, une demande de permission d'appeler sera accordée si les questions en jeu sont d'intérêt général, sérieuses ou nouvelles.  La permission d'appeler peut aussi être accordée lorsque la décision paraît mal fondée prima facie .

[6]            La lecture de la requête révèle que Sylvania reproche à la régisseure que malgré qu'elle ait reconnu la mauvaise foi des Boretsky, elle a décidée, basée sur l'article 1973   CCQ de ne pas résilier le bail au motif que Larry Boretsky aurait mis fin à son comportement désobligeant.

[7]            L'article 1973   CCQ se lit comme suit :

1973.   Lorsque l'une ou l'autre des parties demande la résiliation du bail, le tribunal peut l'accorder immédiatement ou ordonner au débiteur d'exécuter ses obligations dans le délai qu'il détermine, à moins qu'il ne s'agisse d'un retard de plus de trois semaines dans le paiement du loyer.

Si le débiteur ne se conforme pas à la décision du tribunal, celui-ci, à la demande du créancier, résilie le bail.

1991, c. 64, a. 1973.

[8]        Sylvania allègue dans sa requête que la régisseure peut utiliser sa discrétion en appliquant l'article 1973 CCQ, mais pas de manière déraisonnable comme elle l'a fait et ce faisant, elle a commis une erreur de droit.

[9]            Sylvania allègue que l'article 1973 CCQ est principalement utilisé lorsqu'il s'agit de locataires qui paient leur loyer en retard.

[10]         Ainsi, Sylvania s'interroge si la régisseure a bien appliqué l'article 1973 CCQ dans le présent cas où le locataire est accusé de harcèlement et de troubler la jouissance des lieux.

[11]         La discrétion accordée au régisseur à l'article 1973 CCQ ne s'applique pas uniquement en matière de loyers impayés, mais également pour d'autres motifs tels le fait pour le locataire de présenter un défaut de comportement [2] .

[12]         Ainsi, lorsque la preuve justifie la résiliation du bail, la Régie peut alors émettre une ordonnance enjoignant aux locataires d'exécuter leurs obligations dans un délai déterminé plutôt que de résilier le bail.

[13]         La lecture de la décision révèle que la régisseure a analysé la preuve qui est essentiellement de nature factuelle ainsi que la crédibilité des témoins concluant entre autres que Larry Boretsky est « présumément  » sincère lorsqu'il formule des excuses.

[14]         Les passages suivants décrivent très bien la démarche de la régisseure :

« Paragraphe 70 :

Tel que mentionné à l'audience, le tribunal n'ira pas plus avant sur ces questions de l'ordre du droit criminel, autrement que pour évaluer les prétentions des parties d'un point de vue civil, dans le cadre d'une demande de résiliation d'un bail résidentiel nécessitant la preuve de l'inexécution des obligations relevant du contrat de location et causant un préjudice sérieux à la locatrice ou aux autres occupants de l'immeuble.

Paragraphe 74 :

En présence d'un manquement du locataire à ses obligations, le locateur pourra exiger la résiliation du bail, dans la mesure où il est établi que l'inexécution cause au demandeur même, ou aux autres occupants de l'immeuble un préjudice sérieux.  La résiliation du contrat étant une sanction fort importante, en ce sens, la preuve et les motifs y conduisant devront l'être tout autant.

Paragraphe 75 :

Dans ce cadre, le tribunal aura à apprécier si le défaut existe toujours au moment de l'audience.  Selon la doctrine d'absence de droit acquis à la résiliation, le locataire ayant remédié à son défaut, l'action pourrait s'avérer alors sans objet, ou encore, le locateur ne subirait plus le préjudice sérieux exigé pour le prononcé de la résiliation du bail.

Paragraphe 79 :

En ce sens, le tribunal conclut que le locataire a failli à ses obligations élémentaires et implicites à tout contrat, et que tels manquements sont de nature à justifier la résiliation du bail, de par le préjudice sérieux causé au droit de gérance de la locatrice, à monsieur K, son seul dirigeant, aussi propriétaire de l'immeuble, abritant les lieux loués.

Paragraphe 86 :

Sans doute bien conseillé, ce ne sera qu'en novembre 2009, soit après la première audience au fond de cette affaire, que le locataire en cessera l'utilisation.  Il ira jusqu'à s'en excuser auprès de monsieur K, lors de la séance du 7 avril 2010.  Les présumant sincères, telles excuses démontrent sa reconnaissance de l'inacceptable des écrits en cause ainsi que des effets néfastes qu'ils ont pu produire.

Paragraphe 87 :

Malgré ce qui précède et l'inimitié évidente entre le locataire et le dirigeant de la locatrice, le tribunal ne peut toutefois faire abstraction de l'arrêt de tels écrits à compter de novembre 2009, du moins jusqu'à la dernière audience du 28 octobre 2010, impliquant près d'une année où le reproche principal adressé au locataire a cessé.  N'ayant pas saisi le tribunal d'une demande de réouverture d'enquête en cours du présent délibéré, sans doute cette nouvelle situation est-elle demeurée la même.

Paragraphe 88 :

Ainsi, conjugué aux excuses et à la prise de conscience manifestée par le locataire de la gravité, eu égard à son droit au maintien dans les lieux loués, de ses agissements par l'utilisation d'écrits inappropriés et excessifs dans ses relations et communications à l'occasion de l'exécution de ses obligations découlant du bail, le tribunal est enclin à croire que le locataire puisse s'amender totalement pour l'avenir sous ce chef, et qu'il ne s'agit pas là d'une simple trêve.

Paragraphe 89 :

Partant, usant de sa discrétion judiciaire, le tribunal estime qu'il y a lieu de surseoir à la résiliation immédiate du bail et d'y substituer une ordonnance selon l'article 1973 du Code civil du Québec .

Paragraphe 92 :

Tenant compte de la preuve administrée et du délai couru depuis l'introduction du recours sans que les griefs retenus n'ait cessé avant novembre 2009, le tribunal établit que l'ordonnance visée vaudra pour la durée du bail en cours ainsi que pour deux (2) de ses reconductions subséquentes, le cas échéant. »

[15]         En conclusion, la régisseure sursoit à la résiliation du bail, en application de l'article 1973 du CCQ , et ordonne aux locataires d'user de leur droit civil de manière raisonnable et non excessive, et ce, en proscrivant l'utilisation d'écrits inappropriés, préjudiciables, déraisonnables et excessifs dans leur communication de nature contractuelle avec la locatrice, pour la durée du bail en cours ainsi que pour deux de ses reconductions subséquentes, le cas échéant.

[16]         La régisseure avait discrétion de sursoir à la résiliation du bail et d'y substituer une ordonnance selon l'article 1973 CCQ .

[17]         Ainsi, le fait que la régisseure n'ait pas résilié le bail des locataires ne constitue pas une erreur pouvant justifier l'intervention de la Cour du Québec.  La décision n'est pas déraisonnable, car la conclusion à laquelle elle est arrivée est étayée par la preuve et elle résiste à un examen poussé.

[18]         D'ailleurs, la lecture des allégations contenues à la requête pour permission d'appeler amène le Tribunal à conclure que cette requête a pour seul but de faire apprécier la preuve par la Cour du Québec en espérant que celle-ci en arrivera à une conclusion différente de celle à laquelle en est arrivée la Régie.

[19]         Il est clair que la crédibilité était ici au coeur du débat et l'appréciation de celle-ci relève du juge de première instance qui est beaucoup plus en mesure d'apprécier la crédibilité des témoins, qu'il dispose de tous les éléments circonstanciels pour se former une opinion contrairement au juge siégeant en appel.

[20]         Le Tribunal ne voit ici aucune erreur manifeste et dominante en ce qui concerne les faits sur lesquels repose la conclusion de la régisseure.

[21]         Ainsi, la décision de la Régie ne paraît pas prima facie mal fondée et les questions en jeu ne sont ni sérieuses, ni nouvelles, ni d'intérêt général.


POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

            REJETTE la requête pour permission d'appeler présentée par Sylvania Construction ;

            LE TOUT SANS FRAIS.

 

 

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SYLVIE LACHAPELLE, J.C.Q.

 

 

Procureur de la demanderesse-locatrice :

 

Me Jean-David Fortier

395, Ste-Croix, bureau 210

Montréal (Québec)  H4N 2L3

 

Procureure des défendeurs-locataires :

 

Me Ewa Gerus

400 rue St-Jacques, bureau 500

Montréal (Québec)  H2Y 1S1

 

Date d’audience :

1 er  mars 2011

 



[1] Lois du Québec (1991), chapitre 64 ;

[2] Kennel c. Lepage , 1980, DRL 42 ; Office municipal d'habitation de Montréal c. Jean Baptiste , 2001, RJQ 251 , Carson c. 5500 MacDonald inc. , J.E. 2004-291 , REJB 2003-51413 (C.Q.) ;