COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division des relations du travail)

 

Dossier :

134468

Cas :

CM-2010-2915

 

Référence :

2011 QCCRT 0303

 

Montréal, le

23 juin 2011

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

France Giroux, juge administrative

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René Faubert

 

Plaignant

c.

 

Les produits chimiques State ltée

Intimée

 

 

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DÉCISION

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[1]            Le 16 février 2010, René Faubert (le plaignant ) dépose une plainte selon l’article 123.6 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q., c. N-1.1 (la Loi ) dans laquelle il prétend avoir été victime de harcèlement psychologique en raison de conduites vexatoires répétées. Ce harcèlement aurait été commis essentiellement par sa supérieure.

[2]            L’employeur, Les produits chimiques State ltée, soumet qu’aucune des conduites vexatoires alléguées par le plaignant ne constitue du harcèlement psychologique.

[3]            En cours d’audience, le plaignant demande à la Commission de prendre en compte des événements postérieurs au dépôt de sa plainte, ce à quoi s’oppose l’employeur. La Commission prend l’objection sous réserve.

Les faits

[4]            Le plaignant travaille chez l’employeur depuis plus de 20 ans. Il est représentant et vend principalement des produits chimiques pour usage industriel sur la Rive-Sud de Montréal. Il relève de Nancy Buchanan jusqu’en mai 2010, date à llaquelle cette dernière demande à ce que la supervision du plaignant lui soit retirée. Le plaignant relèvera d’Émile Vézina, puis, de Robert Girouard à partir d’octobre 2010.

[5]            Le plaignant subit une lésion professionnelle en décembre 2008. Il est en arrêt de travail du 9 juillet au 5 octobre 2009 et prend, par la suite, deux semaines de vacances. Il est de retour au travail le 16 octobre 2009.

[6]            Enfin, soulignons qu’à la suite d’un litige entre le plaignant et l’employeur, une transaction a été conclue en juin 2009. Dans le cadre de la présente plainte, la Commission ne reviendra pas sur les éléments ayant fait l’objet de cette transaction.

Les conduites vexatoires alléguées

[7]            Afin de répertorier les diverses conduites vexatoires alléguées par le plaignant, la Commission les présente par chronologie et par thème, lorsque cela s’y prête.

Octobre à novembre 2009

1.     Demande de compte rendu écrit à sa supérieure

[8]            Au retour de son absence pour lésion professionnelle, le plaignant demande à Nancy Buchanan de lui faire un compte rendu écrit de ce qui s’est produit avec ses clients durant ses quatre mois d’absence. Elle refuse de le faire, dit-il, et de lui apporter son aide.

[9]            Nancy Buchanan explique qu’il y a eu peu d’activités avec les clients du plaignant et qu’il était suffisant de lui faire un compte rendu verbal. De plus, ce dernier a accès à tous ses comptes clients par le biais d’Internet où toutes les transactions effectuées sont inscrites. Selon elle, le plaignant s’entête à exiger un rapport écrit.

[10]         Plusieurs courriels sont échangés sur ce sujet dont ceux du 21 octobre 2009, repris ci-après. Le ton est illustratif de leur correspondance dans laquelle le plaignant utilise toujours le caractère majuscule. Nancy Buchanan écrit :

Tu m a s demander une liste de comptes vendus pendant ton absence. Tu as maintenant accessa tous tes comptes donc tu as les outils pour vérifier tes comptes .

Si tu as des questions appel moi

(Reproduit tel quel.)

[11]         Le plaignant répond :

NANCY BUCHANAN JE COMPREND PAS SE QUE TU A ECRIT  ET TU DIT VENDER VENDER ET S IL Y A DES QUESTION JE SUIS LA POUR VOUS AIDER ????????????  JE TE DEMENDE QUI TU A VU ET A QUI TU A PARLER ET QUES QUE TU A PARLER JE PENSE QUE SES PAS DURE A COMPRENDRE

Nancy Buchanan lui répond :

Le tout est très simple tu dois voir tous tes client et tu as acces a tous tes comptes. Je ne suis pas une secrétaire et tu as tous les infos par l entremise du site internet

(Reproduit tel quel.)

[12]         Un autre courriel sera envoyé par le plaignant dans le même sens, le 9 décembre 2009.

2.     Erreur d’inscription à son plan de commissions

[13]         Nancy Buchanan supervise tous les représentants au Québec qui travaillent dans un territoire donné. Le territoire n’est pas réservé à un seul représentant, mais leurs comptes clients sont protégés. Après une certaine période d’inactivité, le client n’est plus exclusif au représentant et peut être sollicité par les services de télémarketing de l’employeur. Si une vente s’ensuit, aucune commission n’est payée au représentant absent.

[14]         C’est uniquement pour lui rappeler cette politique que Nancy Buchanan lui écrit, le 7 octobre, que ses comptes clients sont protégés seulement pour six mois, selon son plan de commissions « B ». Elle veut ainsi éviter la perte d’exclusivité de ses clients.

[15]         Par ailleurs, en novembre 2009, le plaignant constate que, bien qu’il soit sous le plan de commissions « B », il est erronément inscrit sous « B2 » au lieu de « B1 », comportant quelques différences quant aux modalités du plan. Après son courriel du 22 novembre, Nancy Buchanan lui répond qu’elle va vérifier. Sans réponse, il la relance, le 29 novembre. La correction a été faite, mais Nancy Buchanan explique que cela a nécessité un certain délai.

3.     Autres manquements reprochés à Nancy Buchanan

[16]         Le 9 octobre 2009, par courriel, le plaignant reproche à sa supérieure de ne pas lui avoir transmis la télécopie d’un client, un hôpital, envoyé le 7 octobre. Nancy Buchanan réplique qu’elle transmet aux représentants tout ce qui est acheminé à son bureau à leur intention. Elle n’a aucun intérêt à retenir les commandes. Même si elle avait oublié cette copie, ce dont elle ne se souvient pas, il n’y aurait pas d’intention malveillante de sa part.

[17]         Elle a reçu, le 10 octobre 2009, une autre télécopie du client La maison Charlebois et l’a transmise au plaignant le 17 suivant, sachant qu’il revenait au travail à cette date. Il ne s’agissait pas d’une demande de commande urgente, mais d’une demande de service. Le plaignant lui reproche ce délai.

[18]         Toujours en octobre, le plaignant conteste le non-paiement de son congé férié de l’Action de grâce et envoie plusieurs courriels à Nancy Buchanan. Le 12 octobre, elle lui confirme le paiement, par courriel. Elle explique que les ajustements à la paie sont faits aux États-Unis, impliquant un délai avant le versement sur la paie.  

4.     Le dossier Ostiguy

[19]         Le plaignant reproche à Nancy Buchanan d’avoir vendu, pendant son absence pour maladie, deux produits inappropriés au client, Plomberie Ostiguy, situé sur son territoire. Il qualifie ces ventes comme étant irrespectueuses.

[20]         À son retour en octobre 2009, il envoie plusieurs courriels demandant de reprendre les produits vendus. D’abord, il se plaint de la vente du produit vendu en format de 75 litres et exige son retour pour le revendre en format de 25 litres. Quant au deuxième produit vendu en poudre, il demande son retour pour l’offrir sous forme liquide. Le prix de ces ventes totalise quelques centaines de dollars.

[21]         Nancy Buchanan et Julien Verronneau, autre représentant, ont rencontré monsieur Ostiguy, pendant l’absence du plaignant. Ce dernier était incertain des besoins de son client, la Ville de Cowansville, mais il a finalement opté pour ces produits. Jamais, par la suite, il n’a réclamé un remboursement ou formulé une plainte pour ces produits.

[22]         Nancy Buchanan valide son refus de retourner les produits avec son supérieur et le directeur du traitement des eaux. Ce dernier évalue la demande et refuse de reprendre le produit. Il écrit au plaignant, en novembre 2009, et l’informe que ce dossier est clos. Malgré cela, le plaignant poursuit ses courriels pour réclamer le retour des produits. Si une autre vente avait été faite, le plaignant aurait reçu une commission.

[23]         En février 2010, le plaignant dépose finalement une plainte selon l’article 32 de la Loi sur les accidents de travail et les maladies professionnelles concernant le dossier Ostiguy, alléguant avoir fait l’objet d’une représaille à la suite de son absence maladie. Sa plainte est jugée irrecevable et sa contestation est rejetée par la Commission des lésions professionnelles (la CLP ) en décembre 2010.

[24]         Julien Verronneau, impliqué dans ce dossier, affirme que le plaignant l’a appelé à son domicile, un samedi matin, pour lui reprocher d’avoir mal fait son travail, trompé son client et profité de sa maladie pour développer sa clientèle. Julien Verronneau a raccroché, mais le plaignant a rappelé une deuxième fois, 20 minutes plus tard, toujours avec la même arrogance. Il a raccroché à nouveau, mais le plaignant a rappelé une troisième fois, 30 minutes plus tard. Julien Verroneau l’a sommé de ne plus jamais le rappeler ni lui parler sous aucune considération.

5.     Avertissement sur les appels répétitifs du plaignant

[25]         Le plaignant reproche à sa supérieure l’envoi de deux avertissements par courriel, en novembre 2009 et en février 2010, pour que cessent ses appels répétitifs à la responsable des comptes recevables, prénommée Awa. Cette dernière est la seule employée bilingue travaillant à Mississauga.

[26]         Nancy Buchanan explique que le plaignant appelle Awa de façon répétitive, sur des sujets qui n’ont rien à voir avec son travail lié aux comptes recevables. Dans ses avertissements, elle demande au plaignant de ne s’adresser à Awa que pour les comptes recevables et à elle pour les autres sujets, en lui laissant un délai de 24 heures pour répondre. Pour une urgence, il peut la joindre sur son cellulaire. 

[27]         Le deuxième avertissement envoyé au plaignant par Nancy Buchanan, le 7 février 2010, se lit comme suit :

Rene,

Vendredi dernier j'ai eu un appel a propos de tes appels au bureau. En trotte tes appels repetitive au meme sujet ou tu as mobiliser 3 personnes au bureau ainsi que moi-même popur la meme chose. Tu as deja ête aviser que tu appel au bureau que pour les Comptes recevable ( AWA) et pour toutes autres problemes, directement a ta supérieure moi-même). Awa n'as pas a traiter les demandes qui ne se pas relier e son emploi , et comme tu le repete constamment tu ne parle pas Anglais donc aucune raison d ' appeller a repetition  au meme sujetau Bureau de Toronto.

(Reproduit tel quel.)

 

Le plaignant lui répond :

NANCY BUCHANAN LAPEL QUE J AI FAITE ETAIT POUR ENVOIYER A UN CLIENT LE DOUBLE DE LA COMMENDE COMME TU ME REPOND PRESQUE JAMAIS A MES APPEL PARSE QUE TU EST TRES OCCUPER ALORS J AI APPLER AWA QUI EST LA SEUL QUI PARLE FRANCAIS PARSE QUE IL Y A UN GROS PROBLEME AU BUREAU PARSE QUE STATE NE SE FORSE PAS BEAUCOUP POUR QU IL Y EST UN PERSONNE QUI PARLE FRANCAIS POUR AVOIR UN BONNE RESEPTION DE MES APPEL  CETAIS TRES IMPORTENT QUE LE CLIENT NE PAYE PAS DEUX LIVRAISONT      SI C EST DE CETTE COMMENDE QUE TU PARLE  J AI DEMENDER TRES RESPECTUEUSEMENT A AWA SI ELLE POUVAIS M AIDER             A TU LE TEMPS AWA   OK    SA NE SERA PAS LONG RENE     OLARD JE CROIS QUE TU NE SAIS PAS BIEN CE QUI C EST PASSER            TU ME DIT QUE C EST UN AVERTISSEMENT JE NE COMPREND PAS PARSE QU IL FAUT Y AVOIR DE LARMONIE ET  C EST EN M AVERTISSENT QUE TU FAIT DU RESPECT     SOLUTION S IL Y AURAIS QUELQU UN QUI POURAIT RESEVOIR MES DENENDE SANS AVOIR DE DELAIT IL Y AURAIT JAMAIS DE PROBLEME COMME QUAND ISABEL ETAIS LA    ET TU DIT QUE AWA EST TRES OCUPER ET ELLE   REPOND AU TELEPHONE 1 A 2 HEURE PAR JOUR DE TEMP EN TEMP  ET MOI J AI PRIX 3  MINUTES    JE CROIT QU IL Y A UN GROS PROBLEME ET ON VA TROUVER UNE REPONSE TRES SIMPLE A SE SUGET        PARSE QUE CA ME PREND PLUS DE SERVISE QUE LE PEUT QUE TU ME DONNE     JE DONNE DES CHIFRES ET JE ME DEBROUILLE ASSER BIEN  ET JE DONNE DU SERVISE A MES CLIENT ET J AIMERAIS EN  AVOIR AUTENT PAR LA DIRECTION DE STATE

RENE FAUBERT LE 9 FEVRIER 2010

            (Reproduit tel quel, nos soulignements.)

[28]         Le plaignant admet appeler Awa, mais toujours pour des raisons différentes. Il affirme le faire, compte tenu du manque de soutien de Nancy Buchanan qui ne répond pas à ses appels ou à ses courriels ou prend plusieurs jours pour le faire.

[29]         Debbie Kapp, supérieure d’Awa, confirme avoir prévenu Nancy Buchanan des plaintes reçues par les agents, dont Awa, sur les appels répétitifs du plaignant, et ce, même lorsqu’on lui confirme s’occuper de sa demande. Selon elle, le plaignant ne semble pas comprendre que les agents sont excédés par ses appels.

[30]         Awa s’est également plainte par écrit au vice-président, en novembre 2009, du fait que le plaignant l’appelle constamment sur des sujets sans lien avec son travail. Par exemple, il la questionne sur ses commandes, la liste de prix, sa paie de vacances et il peut l’appeler cinq fois de suite.

[31]         Nancy Buchanan se plaint aussi des appels répétés du plaignant pour un même sujet, dans un court laps de temps, sur son téléphone ou son cellulaire alors que sa demande est encore en traitement. Il peut faire cinq ou six appels en 20 minutes et il l’appelle même le week-end, une fois à une heure tardive. Il ne respecte pas le délai de réponse de 24 heures et en plus, il revient à la charge par courriel.

[32]         Enfin, dans un courriel de novembre 2009, le plaignant reproche à Nancy Buchanan d’avoir augmenté l’objectif du concours « carte Visa » de 39 % par rapport à l’année passée, lui faisant subir trop de pression. Il revient également sur le dossier Ostiguy. Nancy Buchanan lui répond ne pas être responsable des règlements de ce concours.

Décembre 2009 à février 2010

6.     Le manque de soutien de sa supérieure

[33]         Le plaignant reproche à Nancy Buchanan de ne pas l’accompagner chez ses clients comme elle le fait avec d’autres représentants. Dans l’horaire trimestriel de  Nancy Buchanan, produit en janvier 2010 et envoyé à tous les représentants, elle ne fait état d’aucune visite avec lui.

[34]         Nancy Buchanan accompagne les représentants selon leurs besoins et leur expérience. Elle visite moins de clients avec « les vétérans » comme le plaignant, mais ils peuvent communiquer avec elle, si nécessaire. D’ailleurs, elle a maintenu le plaignant sur sa liste de distribution après le retrait de sa supervision pour continuer à l’informer. Enfin, le plaignant ne lui a jamais dit en quoi cela l’a pénalisé.

[35]         De plus, dans un courriel de décembre 2009, le plaignant lui reproche l’ajout d’un nouveau représentant sur son territoire, soit Stéphane Couture. Nancy Buchanan a ensuite refusé de lui transférer ses clients lorsque Couture a quitté, en juin 2010.

[36]         Comme les territoires ne sont pas réservés à un seul représentant, Nancy Buchanan explique avoir introduit de nouveaux représentants sur la Rive-Sud et la Rive-Nord. Au départ de Couture, ses clients ont été transférés à Julien Verronneau; l’un d’eux, le Cégep Saint-Jean-sur-Richelieu, refusant catégoriquement de traiter avec le plaignant. Il en est de même du Centre jeunesse qui a déposé une plainte en avril 2010 et qui refuse de traiter avec le plaignant.

[37]         Le plaignant reproche également de ne pas avoir récupéré les clients de monsieur Leriche qui a quitté en décembre 2010. Ils ont été transférés à monsieur Véronneau.

[38]          Enfin, en décembre 2009, le plaignant se plaint que l’un des clients n’a pu se qualifier pour le programme promotionnel « STEP », malgré son insistance. Selon Nancy Buchanan, cette promotion n’est offerte qu’aux nouveaux clients et non à ceux   « réactivés », comme le prévoit la politique de l’entreprise. Le plaignant a contesté cette réponse par courriel. 

7.     Le calcul de sa commission

[39]         Début février 2010, le plaignant reproche à sa supérieure d’avoir retiré un montant de sa commission. Elle lui explique, par courriel, que si un client ne paie pas le montant dû après trois mois, la commission est soustraite de la vente du représentant, mais remise si le montant est payé. À la demande du plaignant, elle examine les commissions versées au plaignant depuis un an, sans constater d’anomalie par rapport à cette pratique. Le plaignant se plaint à nouveau, le 3 février 2010, et Nancy Buchanan lui précise que le représentant perd non seulement la commission sur la vente impayée, mais aussi celle calculée sur son volume de ventes.

[40]         Le 10 février 2010, par courriel, le plaignant demande à Nancy Buchanan de lui rembourser un montant de 35 $ facturé en trop pour un chandail promotionnel. Elle lui répond le même jour à 20 h que sa demande a déjà été faite et que sa paie sera ajustée. Elle lui rappelle avoir fourni cette réponse la semaine précédente et refuse qu’il lui dicte quoi faire et qu’il l’insulte. Il lui répond qu’il ne l’insulte pas, mais l’avise que les changements n’ont pas encore été faits.

Faits postérieurs au dépôt de la plainte : mars à octobre 2010

[41]         Le 5 mars 2010, par courriel, le plaignant reproche à Nancy Buchanan de ne pas avoir reçu le montant de 100 $ gagné lors d’un concours du mois de février 2010. Nancy lui rappelle, comme à l’habitude, qu’un certain délai est nécessaire.

[42]         En avril 2010, le plaignant communique avec Nancy Buchanan pour savoir si un équipement de plomberie, une valve, est disponible en stock et ce qui arrive si la pièce ne convient pas au client. Nancy Buchanan lui explique la politique pour le retour d’équipement : si la pièce ne convient pas, les frais de transport sont assumés par le représentant, si la pièce est défectueuse, l’employeur assume les frais. Elle lui suggère de consulter la brochure explicative de la pièce et de discuter avec son client.

[43]         Selon le plaignant, Nancy Buchanan l’a induit en erreur sur la vente d’une pièce d’équipement et refuse d’assumer les frais de transport pour le retour d’une pièce. Le vice-président aurait finalement autorisé un retour sans frais. Il reproche également à Nancy Buchanan d’être intervenue alors qu’elle n’était plus sa supérieure.

[44]         Enfin, en juin 2010, le plaignant déplore le fait que ses objectifs soient trop difficiles à atteindre. Nancy Buchanan lui répond de communiquer avec le vice-président à ce sujet, car il ne relève plus d’elle. En fait, le plaignant les a presque tous atteints. Nancy Buchanan précise que les objectifs de ventes sont fixés par la corporation.  

Retrait de la supervision du plaignant à Nancy Buchanan

[45]         Lors de son témoignage à la CLP en 2010, le plaignant fait allusion dans son témoignage qu’il a déjà fait l’objet d’une plainte « au criminel ». Cette affirmation que Nancy Buchanan juge inquiétante, conjuguée à ce qu’elle vit au quotidien avec le plaignant depuis des années, l’incite à déposer une plainte pour harcèlement contre lui. L’employeur lui retire sa supervision, en mai 2010.

[46]         Nancy Buchanan ajoute qu’elle ne peut plus subir cette pression et qu’elle craint pour sa sécurité et celle de sa famille, d’autant plus que, lors d’une première visite professionnelle faite au domicile du plaignant alors qu’elle était supérieure, ce dernier lui a montré l’arme qu’il possédait.

[47]         Selon le plaignant, cette discussion ne visait aucunement à faire peur à Nancy Buchanan. De plus, il n’a eu aucun problème avec les deux autres superviseurs qui ont suivi, dont Robert Girouard.

[48]         Le témoignage de Robert Girouard diffère pourtant de celui du plaignant, à cet égard. À l’automne 2010, il doit l’aider à mettre en application les politiques en lien avec les produits défectueux, la facturation, la communication avec les gens de bureau. Il l’accompagne chez des clients dans le but d’améliorer son travail. Ses commentaires sont envoyés au plaignant par courriel, en octobre 2010.

[49]         Or, dans sa réponse, le plaignant justifie son comportement sur tous les points soulevés par Robert Girouard, en niant en quelque sorte ses commentaires. Robert Girouard refuse alors de poursuivre son travail d’accompagnement avec le plaignant et lui répond laconiquement : « J‘apprécie tes commentaires… Merci ».  

[50]         Robert Girouard refuse de s’obstiner avec le plaignant. D’ailleurs, lors de leurs visites chez les clients, le plaignant s’opposait déjà à ses propositions ou aux outils de travail suggérés. Au lunch, il tenait des propos tellement négatifs envers l’employeur, que Robert Girouard lui a dit de changer de sujet. Les propos du plaignant tenus à la fin de ces visites illustrent, selon lui, ce qu’il qualifie être un dialogue de sourds. Le plaignant lui a dit : « J’espère que tu as bien appris avec moi, car je n’ai rien appris avec toi .  »

[51]         Finalement, en octobre 2010, pendant une pause café, Robert Girouard entend le plaignant dire à deux nouveaux représentants qu’il a déposé plusieurs plaintes contre l’employeur et que Nancy Buchanan paierait pour tout cela. Julien Verronneau affirme avoir entendu des propos similaires tenus par le plaignant contre Nancy Buchanan.

[52]         À l’audience, à la suite du témoignage de Robert Girouard, le plaignant indique son intention de déposer une plainte de harcèlement à son égard.

Analyse et motifs

[53]         Le plaignant a-t-il été victime de harcèlement psychologique?

[54]         L’article 81.18 de la Loi définit ainsi le harcèlement psychologique :

Pour l’application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant pas des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.

Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.

[55]         Le premier élément à vérifier est la présence ou non de conduites vexatoires répétées de la part de Nancy Buchanan.

[56]         Les conduites vexatoires doivent s’apprécier en fonction du critère de la personne raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances que la victime présumée. Il est plus facile de distinguer les diverses situations de victimisation de celle de harcèlement véritable, en appliquant ainsi le critère de la « victime raisonnable ». Dans cette perspective, la perception du plaignant reste pertinente, mais non déterminante. Il faut également apprécier la situation dans sa globalité et ne pas chercher à qualifier chaque geste pris isolément [ Breton c. Compagnie d’échantillons « National » ltée , [2007] R.J.D.T. 138 ; Centre hospitalier régional de Trois-Rivères (Pavillon St-Joseph) c. Syndicat professionnel des infirmières et infirmiers de Trois-Rivières , [2006] R.J.D.T. 397 (T.A.); Bangia c. Nadler Danino S.E.N.C ., 2006 QCCRT 0419 ].

L’admissibilité des faits postérieurs

[57]         Selon la jurisprudence, la preuve des faits postérieurs est recevable, dans la mesure où ceux-ci sont pertinents et intimement liés aux faits initiaux survenus avant le dépôt d’une plainte. Ces faits interreliés dans un continuum doivent permettre d’éclairer la situation en litige, soit ici le harcèlement allégué par le plaignant [voir, Université du Québec à Trois-Rivières c. Gauvin, 2011 QCCS 423 ; Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c . Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, [2007] 1RCS 161 ; Compagnie minière Québec Cartier c . Québec, [1995] 2RCS 1095 ].

[58]         Or, dans notre affaire, le plaignant est encore à l’emploi au moment des audiences et les événements survenus après février 2010 sont pertinents pour apprécier non seulement la situation dans son ensemble, mais également les réactions de chacun qui se cristallisent particulièrement lors d’événements postérieurs.

[59]         Ces faits postérieurs sont rattachés à la situation qui existait au moment où le harcèlement allégué est né. Il suffit de mentionner le retrait de sa supervision, en mai 2010, et son accompagnement par un nouveau supérieur, en octobre 2010, qui s’inscrivent en quelque sorte dans la suite des faits allégués par le plaignant. Ces faits deviennent pertinents, car ils font partie d’une période temporelle, logique et cohérente qu’il convient d’étudier pour mieux comprendre la situation, et ce, même s’il n’y a pas de conclusion de harcèlement [voir, Centre universitaire de santé Mc Gill (Hôpital général de Montréal), précitée; Laberge c. Entretien ménager Lyna inc., 2011 QCCRT 0060 ; Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 2915 c. Ville de Baie-Comeau, (T.A.) [2005] R.J.D.T. 1984 ; Syndicat des employé(e)s professionnel(le)s et de bureau, section locale 574 (publicité) c. La Presse ltée, (T . A.) [2008] R.J.D.T. 790 ; Chouinard c . Ressourcerie de Lévis, 2009 QCCRT 0288 , requête en révision judiciaire rejetée, 2010 QCCS 479 ].

[60]         Enfin, soulignons par ailleurs que ces faits postérieurs n’ont pas été soumis pour établir si l’employeur a pris ou non les moyens raisonnables afin de faire cesser le harcèlement, ce qui avait été jugé recevable dans l’affair e Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP), section locale 2915, précitée .

Application aux faits

[61]         Le plaignant a-t-il été victime de harcèlement psychologique?

[62]         En analysant la preuve, la Commission constate qu’aucun des événements soulevés par le plaignant ne constitue une conduite vexatoire, qu’ils soient pris globalement ou isolément.

[63]         Les conduites reprochées à Nancy Buchanan relèvent en fait de l’application des droits de direction ou d’un désaccord entre elle et le plaignant sur une décision qui a été prise. Rien dans les comportements de Nancy Buchanan, pourtant soumise à rude épreuve par l’attitude du plaignant, ne permet de déceler la moindre parole, acte, geste ou comportement hostile et non désiré lorsqu’on se place dans la perspective d’une victime raisonnable.

[64]         Plusieurs de ses interventions avec le plaignant ne visent qu’à clarifier les politiques de l’entreprise et les procédures à suivre. Cela est le cas lorsqu’elle lui explique l’utilisation d’Internet pour l’accès à ses comptes clients, les règlements propres à divers concours, la couverture d’un territoire par plusieurs représentants, le calcul de la commission sur une vente impayée, la politique de retour des pièces d’équipement ou la fixation d’objectifs. Malgré ces clarifications, le plaignant poursuit sans raison, dans plusieurs cas, sa contestation par courriel. 

[65]         D’autres reproches sont liés au temps de réponse de Nancy Buchanan jugé trop long par le plaignant, que ce soit à ses courriels ou à des ajustements attendus sur sa paie. Dans cette catégorie, on retrouve ses reproches liés au paiement du congé de l’Action de grâce, au plan de commission « B1 », au 100 $ du concours de février 2010, au 35 $ facturé en trop pour un chandail ou à la transmission de télécopies. Pourtant, aucun acte ou parole de sa supérieure n’est assimilable à du harcèlement. Le ton et l’insistance du plaignant à obtenir une réponse à ses préoccupations démontrent son incapacité à tolérer l’attente, pourtant nécessaire à l’exécution d’une décision.

[66]         Quant aux décisions de gestion avec lesquelles le plaignant est en désaccord, citons le dossier Ostiguy, les avertissements sur ses appels répétitifs, le transfert de clients à d’autres représentants ou le refus de fournir un compte rendu écrit, la Commission conclut que ces décisions relèvent de l’exercice normal des droits de direction. Elles n’apparaissent ni déraisonnables ni abusives, compte tenu du comportement du plaignant et des commentaires des clients refusant notamment de traiter avec lui.

[67]         En fait, le plaignant n’accepte ni les explications ni les commentaires qui lui sont faits. En cas de désaccord avec l’autorité, il talonne sa supérieure ou ses collègues et refuse de se plier à la décision ou d’admettre le problème. Son entourage, souvent confronté à son attitude intransigeante, réagit malgré tout de façon prudente et mesurée. La perception du plaignant quant aux événements est à l’opposé de celle de la personne raisonnable : il martèle son point de vue sans tenir compte des autres et dépeint une vision tronquée de la réalité.

[68]         Pour étayer ce constat, il suffit de considérer les témoignages crédibles et convaincants de Debbie Kapp, excédée par ses appels répétitifs et non pertinents faits à son service et à Awa; de Julien Verronneau qui interdit au plaignant de lui parler après avoir été appelé chez lui et insulté pour son implication dans le dossier Ostiguy; de Robert Girouard qui refuse de s’obstiner avec lui, mais qui, désabusé, met fin à son accompagnement et finalement de Nancy Buchanan qui, à bout de souffle, exige qu’on lui retire sa supervision. La prise en compte de ces témoignages fait en sorte que les allégations de harcèlement du plaignant sont uniquement fondées sur sa perception subjective alors qu’objectivement, elles apparaissent être des aberrations. 

[69]         Ainsi, le fait que le plaignant considère les explications ou les remontrances comme étant vexatoires relève de sa perception subjective et non d’une conduite vexatoire. Si conduite vexatoire il y a, elle n’est sûrement pas du fait de Nancy Buchanan ou des autres personnes impliquées. Une personne raisonnable, normalement diligente et prudente, placée dans les mêmes circonstances que le plaignant, ne saurait voir ici une conduite vexatoire de leur part [ Olymel, s.e.c. / Iberville c. Teamsters Québec, section locale 1999, [2008] R.J.D.T. 316 ; Centre hospitalier régional de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph ), précitée).

[70]         Bref, comme la preuve ne permet pas d’identifier de conduites vexatoires, il n’y a pas lieu de procéder à l’analyse des autres éléments de la définition du harcèlement soit l’atteinte à la dignité et à l’intégrité ainsi que le milieu de travail néfaste.

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

REJETTE                       la plainte.

 

 

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France Giroux

 

M e Chantal Lamarche

Heenan Blaikie

Représentante de l’intimée

 

 

Date de la dernière audience :

3 mai 2011

 

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