Motifs de décision

 

 

George Vilven et autres,

 

plaignants ,

 

et

 

Association des pilotes d’Air Canada,

 

intimée ,

 

et

 

Air Canada,

 

employeur .

 

Dossier du Conseil : 28320-C

Référence neutre : 2011 CCRI 587

Le 4 mai 2011

                                                                                   

 

 

La plainte susmentionnée a été examinée par un banc du Conseil canadien des relations industrielles (le Conseil), composé de M e Elizabeth MacPherson, Présidente, ainsi que de MM. Patrick J. Heinke et Daniel Charbonneau, Membres. Le Conseil avait initialement prévu une audience dans la présente affaire. Cependant, lors d’une téléconférence de gestion de l’affaire tenue le 14 janvier 2011, les parties ont convenu qu’une audience n’était pas requise et que le Conseil pouvait instruire l’affaire en se fondant sur les observations écrites qu’elles avaient présentées. Le Conseil exerce donc, conformément à l’ article _ 16.1 du Code canadien du travail (Partie I - Relations du travail) (le Code ), son pouvoir discrétionnaire de trancher la présente affaire sans tenir d’audience.

 

 


Procureurs inscrits au dossier

M e Raymond D. Hall, pour M. George Vilven et autres;

M e Bruce A. Laughton, pour l’Association des pilotes d’Air Canada;

M es Fred Headon et Rachelle Henderson, pour Air Canada.

 

I - Nature de la demande

 

1                     Le 3 _ août _ 2010, M e Raymond _ Hall a déposé une plainte contre l’Association des pilotes d’Air Canada (l’APAC ou le syndicat), en son propre nom et au nom de 66 autres pilotes ou anciens pilotes d’Air Canada (l’employeur), dans laquelle il allègue que le syndicat a enfreint l’ article _ 37 du  Code . La plainte a été modifiée le 5 _ août _ 2010 pour y ajouter neuf autres plaignants.

 

2                     Les plaignants allèguent que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi lorsqu’il a adopté des positions qui n’appuyaient pas les intérêts des plaignants ou qui s’y opposaient directement, dans le cadre d’instances devant le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP) et la Cour fédérale, ainsi que dans des négociations contractuelles avec l’employeur, ce qui constituait un manquement au devoir de représentation juste auquel il est tenu en vertu de la loi envers les plaignants.

 

3                     Les plaignants allèguent de plus que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en concluant, avec l’employeur, une entente de principe qui visait à créer une nouvelle catégorie fondée sur l’âge de l’employé (plus de 60 ans), dont le but était de priver les employés visés de plusieurs des droits, privilèges, conditions de travail et avantages sociaux prévus par la convention collective ou de leur en restreindre l’accès.

 

II - Contexte

 


4                     L’APAC représente environ 3082 pilotes d’Air Canada. La convention collective entre l’APAC et Air Canada incorpore par renvoi les modalités du régime de retraite des pilotes, lequel fixe un âge de retraite obligatoire à 60 _ ans pour les pilotes commandants de bord et les copilotes (appelés collectivement les pilotes). À compter de 2004 environ, un certain nombre de plaignants dans la présente affaire ont sollicité l’aide de l’APAC pour contester les dispositions de la convention collective relatives à l’âge de retraite obligatoire et ont demandé au syndicat de présenter des griefs en leur nom.

 

5                     M. _ George _ Vilven et M. _ Robert Neil Kelly sont deux des plaignants qui ont été contraints de prendre leur retraite et de quitter leur poste lorsqu’ils ont atteint l’âge de 60 ans. Au moment de sa retraite, le 1 er  septembre _ 2003, M. _ Vilven occupait le poste de copilote d’un Airbus 340. M. Kelly pilotait, à titre de capitaine et de pilote commandant de bord, un Airbus 340 lorsqu’il a pris sa retraite le 30 avril 2005. En plus de demander l’aide du syndicat pour présenter un grief concernant la politique de retraite obligatoire à l’âge de 60 _ ans, M. Vilven et M. Kelly ont chacun déposé des plaintes distinctes fondées sur la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP), dans lesquelles ils alléguaient qu’Air Canada avait commis envers eux un acte discriminatoire fondé sur l’âge; M. _ Kelly a aussi déposé une plainte contre l’APAC, dans laquelle il alléguait que le syndicat avait contrevenu à la LCDP.

 

6                     Le TCDP a accordé la qualité de partie intéressée à l’APAC dans le cadre des deux plaintes déposées contre Air Canada. Les divers griefs présentés au nom des plaignants ont été mis en veilleuse lorsque les parties ont décidé de s’adresser au TCDP.

 

7                     Après que M. _ Vilven et M. _ Kelly eurent déposé leurs plaintes au TCDP, le Conseil exécutif principal (CEP) de l’APAC a pris position en faveur de la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans. L’APAC a mené un sondage auprès de ses membres (scrutin n o 72, 28 _ avril _ 2006) pour savoir si ceux-ci appuyaient la position du CEP. Parmi les 1840 membres de l’APAC qui ont voté, 1382 (75 %) se sont exprimés en faveur de la position adoptée par le CEP.

 

8                     Le TCDP avait initialement rejeté les plaintes ( Vilven c. Air Canada , 2007 TCDP 36 ). MM. _ Vilven et Kelly ont demandé le contrôle judiciaire de cette décision et, le 9 _ avril _ 2009, la Cour fédérale a accueilli leurs demandes et a renvoyé leurs plaintes au TCDP pour qu’il statue à nouveau ( Vilven c. Air Canada , 2009 CF 367 ). Le 28 _ août _ 2009, le TCDP a conclu que les plaintes étaient fondées, mais a pris en délibéré la question des mesures de redressement indiquées ( Vilven c. Air Canada , 2009 TCDP 24 ).


9                     Le 22 _ juillet _ 2010, Air Canada et l’APAC ont conclu une entente de principe (l’EP provisoire), qui établissait des arrangements provisoires pour la réintégration de MM. _ Vilven et Kelly. L’EP provisoire reconnaissait que l’arrangement était provisoire, sous réserve d’éventuelles décisions de la Cour fédérale et du TCDP, ou d’une « entente globale et permanente » (traduction) entre l’employeur et le syndicat, qui réglerait la question des pilotes travaillant au-delà de l’âge de 60 ans. L’EP provisoire prévoyait que MM. _ Vilven et Kelly seraient réintégrés au sein d’Air Canada à titre de copilotes d’aéronefs Embraer à la base de Toronto et que leur rémunération comprendrait leurs prestations de retraite mensuelles, en plus de tout autre versement mensuel qui serait nécessaire pour que leur salaire équivaille à celui d’un copilote de B777.

 

10                 Comme il a été mentionné ci-dessus, la présente plainte en vertu de l’article _ 37 a été déposée le 3 _ août _ 2010. Le TCDP a, par la suite, rendu sa décision portant sur les mesures de redressement ( Vilven v. Air Canada , 2010 CHRT 27 , le 8 _ novembre _ 2010). Dans une lettre datée du 12 _ janvier _ 2011, Air Canada et l’APAC ont convenu que cette décision du TCDP avait préséance sur l’EP provisoire et que celle-ci était par conséquent nulle.

 

III - Position des parties

 

A - Les plaignants

 

11                 Les plaignants allèguent qu’un manque de respect flagrant et arbitraire envers les intérêts légitimes des membres du syndicat qui désirent continuer à travailler après l’âge de 60 _ ans transpire des actes de l’APAC. À cet égard, les plaignants précisent que, depuis au moins 2004, le syndicat a refusé de s’acquitter de son devoir d’accorder une attention sérieuse aux intérêts de ses membres plus âgés, en dépit de la conséquence grave pour ces derniers (la fin de leur emploi), et que le syndicat était l’unique agent négociateur qui pouvait traiter de ces questions avec l’employeur au nom de ses membres.

 


12                 Les plaignants allèguent que le syndicat a agi de manière arbitraire lorsque le CEP a pris position au sujet de la retraite obligatoire à l’âge de 60 _ ans avant la tenue d’un scrutin auprès de ses membres, et ce, sans offrir à ces derniers une quelconque possibilité de donner leurs opinions sur le bien-fondé de la position du CEP. Les plaignants font valoir que tout scrutin qui demande aux membres s’ils sont d’accord avec un processus qui contraint les employés âgés à prendre leur retraite est nécessairement arbitraire, puisque le résultat du scrutin repose sur le grand nombre de votants qui pourraient bénéficier de cette politique, lorsqu’on le compare au nombre de votants qui subiraient un préjudice.

 

13                 De plus, les plaignants soutiennent que le choix en faveur et le maintien d’un âge fixe pour mettre fin à l’emploi sont, en soi, totalement arbitraires, puisque l’âge n’a rien à voir avec les compétences précises requises des pilotes de ligne. Ils allèguent que l’APAC a agi de manière arbitraire en appuyant, dans le cadre d’un litige, la mesure de l’employeur de mettre fin à l’emploi des membres du syndicat âgés de plus de 60 _ ans et qu’elle a agi de manière discriminatoire en refusant de représenter les intérêts de ses membres qui avaient perdu, ou qui allaient perdre, leur emploi en raison de l’âge et en allant à l’encontre des intérêts de ces membres en entreprenant des procédures devant le TCDP et la Cour fédérale.

 

14                 Deux des plaignants, MM. _ Vilven et Kelly, allèguent que le fait que l’APAC ait négocié une EP provisoire, qui ne s’appliquait qu’à eux, était arbitraire, puisque celle-ci imposait des restrictions à seulement deux des membres de l’unité de négociation. Ils allèguent de plus que l’APAC a continué, de façon arbitraire, de les humilier et de les critiquer publiquement en faisant des déclarations mensongères et diffamatoires à leur sujet, parce qu’ils avaient fait valoir leurs droits reconnus par la convention collective. Selon eux, l’APAC s’est activement livrée à une transgression vindicative et punitive de leurs droits et de leur dignité en entreprenant des procédures devant les tribunaux dans le cadre desquelles elle appuyait leur fin d’emploi et en négociant une entente prévoyant des restrictions arbitraires et discriminatoires.

 


15                 MM. _ Vilven et Kelly allèguent en outre qu’en concluant l’EP provisoire avec l’employeur en juillet 2010, l’APAC a agi de manière discriminatoire, puisque ce document établissait des conditions d’emploi distinctes, qui ne s’appliquaient qu’à eux, ce qui avait pour effet de sérieusement restreindre leurs droits prévus à la convention collective et de les distinguer de ceux des autres pilotes. Plus précisément, ces plaignants allèguent que l’EP provisoire, en leur attribuant un poste normalement offert aux pilotes nouvellement embauchés ou débutants, fait fi de leurs droits de sélection par ancienneté.

 

16                 Les plaignants soutiennent que l’EP provisoire constitue une preuve du manquement flagrant de l’APAC à son devoir de représentation juste, puisqu’elle a été négociée et appliquée sans aucune consultation des deux membres de l’unité de négociation qui font l’objet des dispositions préjudiciables contenues dans l’entente. Les plaignants soulignent que les modalités de l’EP provisoire sont punitives et que l’objectif du syndicat, lorsqu’il les a négociées, pouvait seulement être de porter atteinte à leurs droits et à leurs avantages sociaux, et ce, dans le but de préserver ou d’améliorer les intérêts des autres membres de l’unité de négociation. Les plaignants prétendent que l’EP provisoire avait pour effet de créer un effet paralysant pour tous les autres membres de l’unité de négociation qui désirent continuer à travailler comme pilotes après avoir atteint l’âge de 60 _ ans.

 

17                 Les plaignants ont décrit un certain nombre d’événements qui, selon eux, démontrent que l’APAC s’est conduite de manière discriminatoire, entre autres le souper des retraités de l’APAC, tenu en juin _ 2006 à Winnipeg, au cours duquel une effigie de M. _ Vilven a fait l’objet de moqueries; la création d’un « comité d’appui à la retraite obligatoire à l’âge de 60 _ ans » (traduction), qui a rédigé un certain nombre de bulletins d’information dans lesquels il appuyait l’opposition aux intérêts des plaignants par l’APAC; la participation continue de l’APAC aux procédures judiciaires à l’encontre des intérêts des plaignants; et le contenu de l’EP provisoire, qui, selon les plaignants, visait à punir et à humilier MM. _ Vilven et Kelly parce que ceux-ci avaient fait valoir leurs droits.

 

18                 Finalement, les plaignants allèguent que les actes décrits ci-dessus constituent aussi la preuve que l’APAC s’est conduite de mauvaise foi. Ils font valoir que l’APAC a fait preuve de mauvaise foi, non seulement en refusant de représenter les intérêts de certains de ses membres, mais aussi en appuyant la position adoptée par l’employeur dans le cadre des litiges et des négociations afin de restreindre l’accès des pilotes âgés de plus de 60 ans aux avantages, aux droits et aux conditions de travail.

 


19                 Les plaignants font remarquer que, lorsque des syndicats relevant d’autres compétences ont été confrontés à des conflits semblables mettant en jeu les intérêts des jeunes pilotes et ceux des pilotes plus âgés, ces syndicats ont adopté une position neutre, en conformité avec leur devoir de représenter justement les intérêts de tous leurs membres.

 

20                 Les plaignants demandent les mesures de redressement suivantes :

 

1) Une ordonnance enjoignant à l’APAC de cesser immédiatement toute participation dans tout litige et dans toute négociation avec l’employeur, dont l’objectif ou l’effet serait d’effectuer une distinction entre ses membres ou d’appuyer les intérêts d’un groupe parmi les membres, en fonction de l’âge de ceux-ci, en opposition aux intérêts d’un autre groupe parmi ses membres, en fonction de l’âge de ceux-ci, à l’exception de ce qui est expressément permis dans le Règlement sur l’application de la Loi canadienne sur les droits de la personne aux régimes de prestations ;

 

2) Une déclaration que l’EP provisoire proposée, annoncée par l’APAC et Air Canada le 23 juillet 2010, qui créait un ensemble distinct de restrictions aux droits, aux conditions d’emploi et aux avantages sociaux prévus par la convention collective pour MM. _ Vilven et Kelly, contrevient à l’ article _ 37 du Code et est, par conséquent, nulle.

 

(traduction)

 

B - L’APAC

 

21                 Le syndicat souligne que sa décision d’appuyer les dispositions de la convention collective qui imposent la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans n’était ni arbitraire, ni discriminatoire, et qu’elle n’a pas été prise de mauvaise foi. Il déclare que ces dispositions sont en vigueur depuis 1981 et ont été négociées par le syndicat dans l’accomplissement de son devoir d’agent négociateur accrédité. L’APAC soutient que les avantages sociaux prévus à la convention collective, y compris la sécurité d’emploi, la certitude d’avancement, les augmentations de salaire ainsi que d’importants revenus de pension et avantages postérieurs au départ à la retraite, sont tous liés au régime d’ancienneté protégé par la convention collective. Le syndicat fait observer qu’il a choisi la retraite obligatoire comme mécanisme pour répartir, de manière équitable, les avantages liés à l’ancienneté, puisque celui-ci garantit l’avancement des employés moins anciens et permet aux pilotes de planifier leur retraite. Par conséquent, l’APAC a adopté la position réfléchie que le retrait de la disposition relative à la retraite obligatoire aurait d’importantes répercussions sur les droits de ses autres membres et elle a constamment défendu cette position.

 


22                 L’APAC soutient que les plaignants ont bénéficié de la règle de la retraite obligatoire, puisque leur carrière a pu progresser grâce à la retraite obligatoire des pilotes plus âgés qu’eux, et ne peuvent soutenir, à ce stade-ci, que l’exigence est injuste. L’APAC fait valoir que la retraite obligatoire doit être examinée dans le contexte d’un régime qui a été conçu pour répartir, sur différentes étapes de la carrière d’un pilote, les responsabilités qui lui sont dévolues à titre de pilote d’Air Canada, et que tous les pilotes comprennent qu’ils partageront, de manière égale, ces avantages et ces responsabilités aux étapes appropriées de leurs carrières.

 

23                 L’APAC explique que sa décision de s’opposer aux plaignants devant le TCDP et la Cour fédérale reposait sur un examen éclairé de l’état du droit avant la décision du TCDP rendue le 28 août 2009 et soutient que le syndicat avait le droit de se fier au nombre considérable de précédents judiciaires qui appuyaient la position que le syndicat a finalement adoptée. Aussi, en plus du scrutin n o 72, tenu en avril _ 2006, le syndicat a consulté ses membres relativement à cette question à un bon nombre d’occasions. En 2008, l’APAC a mené un sondage qui a révélé que 76 % des 2176 pilotes ayant répondu souhaitaient garder la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans. Un autre sondage mené en juin _ 2010 auprès de 1860 pilotes d’Air Canada démontrait que 78 % des répondants appuyaient la retraite à l’âge de 60 ans. L’APAC a aussi obtenu une analyse statistique quant aux répercussions possibles de l’élimination de la retraite obligatoire à l’âge de 60 ans. L’analyse concluait que l’élimination de la retraite obligatoire imposerait un coût important aux pilotes âgés de moins de 60 ans, puisque leur promotion aux postes plus payants serait retardée, ce qui entraînerait des pertes de salaire. L’APAC souligne qu’elle a pris sa décision en tenant compte des intérêts de l’ensemble de l’unité de négociation et soutient que ses actes en faveur de la retraite obligatoire n’étaient pas arbitraires, discriminatoires ou empreints de mauvaise foi.

 

24                 En ce qui concerne l’EP provisoire conclue entre l’APAC et Air Canada concernant la réintégration de MM. _ Vilven et Kelly à la suite de la décision rendue par le TCDP en 2009, le syndicat soutient qu’il ne faisait que s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour leur retour au travail. Il fait valoir que, lorsqu’un employeur et un syndicat doivent déterminer les mesures d’adaptation à prendre dans le cadre du retour au travail d’un employé, ceux-ci disposent d’une grande latitude dans l’adoption des mesures indiquées.

 


25                 Dans une autre observation, l’APAC a soutenu que, en l’absence de l’EP provisoire ou d’une ordonnance du TCDP, ni M. Vilven ni M. _ Kelly n’auraient eu le droit de demander leur réintégration au sein d’Air Canada en vertu des dispositions de la convention collective. L’APAC fait valoir qu’elle aurait simplement pu attendre que le TCDP rende sa décision portant sur les mesures de redressement indiquées et que le fait qu’elle ait négocié une entente provisoire adéquate ne constituait pas une violation de l’article _ 37.

 

26                 L’APAC précise qu’elle devait tenir compte de deux faits fondamentaux dans le cadre de la réintégration au travail de MM. _ Vilven et Kelly : à savoir qu’Air Canada a l’obligation de se conformer aux normes établies par l’Organisation de l’aviation civile internationale (l’OACI), qui limitent les postes de pilote commandant de bord aux pilotes âgés de moins de 65 ans (M. _ Vilven a atteint l’âge de 65 ans en août 2008 et M. _ Kelly l’a atteint en mai 2010; ceux-ci ne pourraient donc qu’occuper des postes de copilotes), et que les deux pilotes recevaient déjà leur pension de retraite d’Air Canada. Par conséquent, le syndicat a négocié une entente qui, si l’on combine les revenus de salaire et de pension des plaignants, leur garantirait un revenu équivalent à celui du poste de copilote le mieux rémunéré chez Air Canada, soit celui de copilote de B777.

 

27                 L’APAC explique que la décision du TCDP a créé un bouleversement majeur pour l’actuel régime d’ancienneté et de rémunération, et que les parties ont été confrontées à une obligation de soit modifier la convention collective à tous égards soit de parvenir à une entente provisoire « sous toutes réserves ». Elles ont opté pour la deuxième solution, étant donné qu’un appel était toujours en instance devant les tribunaux.

 

28                 Le syndicat souligne aussi qu’il devait assurer un équilibre entre les intérêts des plaignants et ceux des autres membres du syndicat. Son objectif était de garantir aux plaignants un revenu équivalent à celui des copilotes les mieux rémunérés, tout en laissant ces postes ouverts aux employés qui ne touchaient pas leur pension de retraite. L’APAC soutient que les modalités contenues dans l’EP provisoire constituent un compromis légitime et fait observer que la plainte est théorique, puisque MM. _ Vilven et Kelly n’ont pas accepté l’offre de réintégration prévue dans les modalités de l’EP provisoire.

 


29                 Le syndicat souligne aussi que des parties de la plainte, ainsi que les mesures de redressement générales demandées par les plaignants, vont au-delà de la portée d’une plainte fondée sur l’article _ 37, puisque cette disposition protège seulement les droits reconnus à un employé par une convention collective. Par conséquent, l’APAC soutient qu’elle n’avait pas l’obligation d’aider les plaignants dans le cadre des plaintes que ceux-ci ont déposées auprès du TCDP et, qu’à titre d’intimée dans le cadre de ces instances, elle avait le droit de présenter une défense. De plus, l’APAC fait valoir que le Conseil ne devrait pas élargir la protection que confère l’ article _ 37 du Code aux plaignants qui ont pris leur retraite et qui touchent leurs prestations de retraite, puisque ceux-ci ne font plus partie de l’unité de négociation et que le syndicat n’a pas le devoir de les représenter.

 

30                 L’APAC soutient que plusieurs parties de la plainte sont irrecevables, compte tenu du délai de 90 jours prévu au paragraphe 97 (2) du Code pour le dépôt d’une plainte. Le syndicat fait aussi valoir que le TCDP est actuellement saisi de plaintes déposées par bon nombre des plaignants dans la présente affaire, et que le Conseil devrait par conséquent reporter à plus tard sa décision, comme le permet l’alinéa 16 l.1 ) du Code , compte tenu des instances devant le TCDP.

 

C - Air Canada

 

31                 Bien qu’elle ait été invitée à présenter des observations dans le cadre de la présente affaire, Air Canada a indiqué que, puisque les plaignants ne la visaient pas dans leurs mesures de redressement demandées, elle ne se prononcerait pas sur la plainte.

 

IV - Analyse et décision

 

32                 L’ article _ 37 du Code prévoit ce qui suit :

 

37. Il est interdit au syndicat, ainsi qu’à ses représentants, d’agir de manière arbitraire ou discriminatoire ou de mauvaise foi à l’égard des employés de l’unité de négociation dans l’exercice des droits reconnus à ceux-ci par la convention collective.

 

33                 Les plaignants ont formulé les questions que le Conseil doit trancher de la manière suivante :

 

1. Compte tenu des faits, l’APAC a-t-elle manqué à son devoir de représentation juste envers les plaignants et continue-t-elle à le faire, en violation de l’ article _ 37 du Code ?

 


2. L’APAC a-t-elle manqué à son devoir de représentation juste envers les plaignants George Vilven et Neil _ Kelly en concluant l’entente de principe avec Air Canada?

 

3. Quelles sont la ou les mesures de redressement indiquées à l’égard de l’APAC et d’Air Canada?

 

(traduction)

 

34                 L’APAC a reformulé les questions comme suit :

 

1. L’adoption, par l’Association [l’APAC], d’une position quant à la question de la retraite obligatoire qui va à l’encontre de celle de certains de ses employés constitue-t-elle une contravention à l’article  37 du Code ?

 

2. L’Association [l’APAC], lorsqu’elle s’est acquittée de son devoir de prendre des mesures d’adaptation envers MM. Vilven et Kelly en négociant des modalités précises concernant leur réintégration, contrevenait-elle à l’ article _ 37 du Code ?

 

(traduction)

 

35                 Afin de déterminer si un syndicat a manqué à son devoir de représentation juste, le Conseil analyse les faits en fonction des principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Guilde de la marine marchande du Canada c. Gagnon et autre , [1984] 1 R.C.S. 509 ; ces principes peuvent se résumer comme suit :

 

1. Le pouvoir exclusif reconnu à un syndicat d’agir à titre de porte-parole des employés faisant partie d’une unité de négociation comporte en contrepartie l’obligation de la part du syndicat d’une juste représentation de tous les salariés compris dans l’unité.

 

2. Lorsque, comme en l’espèce et comme c’est généralement le cas, le droit de porter un grief à l’arbitrage est réservé au syndicat, le salarié n’a pas un droit absolu à l’arbitrage et le syndicat jouit d’une discrétion appréciable.

 

3. Cette discrétion doit être exercée de bonne foi, de façon objective et honnête, après une étude sérieuse du grief et du dossier, tout en tenant compte de l’importance du grief et des conséquences pour le salarié, d’une part, et des intérêts légitimes du syndicat d’autre part.

 

4. La décision du syndicat ne doit pas être arbitraire, capricieuse, discriminatoire, ni abusive.

 

5. La représentation par le syndicat doit être juste, réelle et non pas seulement apparente, faite avec intégrité et compétence, sans négligence grave ou majeure, et sans hostilité envers le salarié.

 

(page 527)

 


36                 Le Conseil ne remet pas en question les décisions prises par un syndicat, dans la mesure où celui-ci a respecté les principes énoncés ci-dessus. Par conséquent, une plainte de manquement au devoir de représentation juste ne peut servir de moyen pour interjeter appel de la décision du syndicat au motif que celle-ci ne fait simplement pas l’affaire de l’employé concerné. L’unique rôle du Conseil dans l’examen d’une plainte de manquement au devoir de représentation juste est d’évaluer la manière dont le syndicat a traité le dossier. Autrement dit, le Conseil se penche sur le processus décisionnel du syndicat et non sur le bien-fondé du grief (voir Fred Blacklock , 2001 CCRI 139; Yvonne Misiura , 2000 CCRI 63; Anthony William Amor (1987), 70 di 98; et 18 CLRBR (NS) 249 (CCRT n o 633)).

 

A - Questions préliminaires

 

1 - La plainte et les mesures de redressement demandées vont-elles au-delà de la portée de l’article _ 37?

 

37                 Le syndicat a soutenu que des parties de la plainte, ainsi que les mesures de redressement générales demandées par les plaignants, vont au-delà de la portée d’une plainte fondée sur l’article _ 37, puisque cette disposition protège seulement les droits reconnus à un employé par une convention collective.

 

38                 Le Conseil est tout à fait conscient de la portée du devoir de représentation juste et a refusé de se prononcer sur des plaintes relatives aux affaires internes d’un syndicat, telles que la présence à des réunions, la tenue d’élections et le choix des représentants de comités syndicaux (voir, à titre d’exemple, Yves Dumontier , 2002 CCRI 165). Cependant, puisque chaque convention collective est différente, le Conseil doit examiner, dans le cadre d’une plainte fondée sur l’article _ 37, le contenu de la convention collective applicable afin de déterminer les droits, le cas échéant, pour lesquels le plaignant a droit à la protection.

 

39                 Par conséquent, le Conseil procédera à une analyse quant au bien-fondé de la plainte.

 

2-Le syndicat a-t-il le devoir de représenter les plaignants ayant pris leur retraite?

 


40                 L’APAC soutient que le Conseil ne devrait pas élargir la protection que confère l’article 37 du Code aux plaignants qui ont pris leur retraite et qui touchent leur prestations de retraite, puisque ceux-ci ne font plus partie de l’unité de négociation et que le syndicat n’a pas le devoir de les représenter.

 

41                 Dans l’arrêt Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57 , 2002 CSC 44 ; [2002] 2 R.C.S. 627 , la Cour suprême du Canada a fait observer qu’en raison du mandat légal de représentation du syndicat pour l’ensemble de l’unité dont la composition peut varier dans le temps, une obligation résiduelle de représentation est créée à l’égard des employés qui cessent de travailler dans l’entreprise. Au paragraphe 21, la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit au sujet du devoir de représentation juste :

 

21. Cette obligation résulte d’un mandat légal de représentation qui vaut pour l’ensemble d’une unité de négociation, dont la composition varie nécessairement dans le temps. La nature continue de cette obligation à l’égard de l’ensemble d’unités susceptibles de se modifier continuellement ne permet pas de conclure que le départ d’un salarié fait disparaître toute conséquence de l’exécution de l’obligation de représentation à son endroit. Une situation juridique peut s’être constituée de telle façon que le syndicat devra continuer à agir et à représenter le salarié pour en régler les conséquences. La reconnaissance d’une telle obligation découlant à l’origine de l’exécution du devoir de représentation s’imposerait d’autant plus que le syndicat continue alors à détenir le pouvoir exclusif de négociation à l’égard de l’employeur et, le plus souvent, à contrôler l’accès à la procédure de grief ainsi que son déroulement. La persistance, sous une telle forme, d’une obligation résiduelle de représentation à l’égard des employés qui cessent de travailler dans l’entreprise, au sujet de problèmes découlant de leur période d’emploi, correspond à l’économie générale de ce système de représentation exclusive et collective. Par ailleurs, dans le cadre d’une négociation collective, en exécutant son obligation de représentation, le syndicat accrédité fait souvent face aux conséquences de l’histoire et des problèmes vécus par le groupe qu’il représente. Certains intérêts peuvent s’être constitués, des situations juridiques s’être cristallisées, des engagements avoir été pris. Dans ce contexte, bien que l’obligation de représentation s’exécute dans le présent, mais dans la perspective de l’avenir prévisible de l’entente à négocier, il arrivera parfois que le syndicat doive prendre en compte ces intérêts ou ces droits dans la définition des solutions auxquelles la convention donnera forme et effet pour le futur.

 

42                 Par conséquent, le Conseil ne rejettera pas une plainte fondée sur l’article _ 37 pour le seul motif qu’elle a été déposée par une personne qui n’occupe plus un poste au sein de l’unité de négociation représentée par le syndicat intimé à la suite de sa retraite. Cependant, la question de l’étendue du devoir envers cette personne doit être examinée en fonction des circonstances de chaque affaire.

 

3 - La recevabilité de la plainte

 


43                 L’APAC fait valoir que plusieurs parties de la plainte sont irrecevables, compte tenu du délai de 90 jours prévu au paragraphe 97 (2) du Code pour le dépôt d’une plainte. Les plaignants font observer que, pour que le Conseil comprenne le contexte dans lequel la plainte a été déposée, il était nécessaire de relater l’historique de leurs rapports avec le syndicat depuis qu’ils avaient présenté leurs premiers griefs concernant la retraite obligatoire.

 

44                 Le Conseil admet que des parties de la plainte qui ont trait à certains faits précis relatés par les plaignants sont irrecevables, puisque ces faits se sont produits plus de 90 jours avant le dépôt de la plainte. Cependant, pour en venir à une conclusion quant à la question de savoir si un syndicat a manqué à son devoir de représentation juste, le Conseil a le droit d’examiner la conduite de celui-ci envers un membre ou un groupe de membres précis sur une certaine période. Bien qu’un plaignant ne puisse s’asseoir indéfiniment sur ses droits, le Conseil ne conclura pas nécessairement qu’une plainte est irrecevable simplement parce que certains des faits qui y sont allégués se sont produits avant l’événement ayant précisément donné lieu à la plainte.

 

4 - Le Conseil devrait-il reporter à plus tard sa décision, comme le permet l’alinéa 16 l.1 ) du Code , compte tenu des instances devant le TCDP?

 

45                 Le syndicat fait valoir que le TCDP est actuellement saisi de plaintes déposées par bon nombre des plaignants dans la présente affaire et que le Conseil devrait donc remettre à plus tard sa décision, comme le permet l’alinéa 16 l.1 ) du Code , compte tenu des instances devant le TCDP.

 

46                 Bien que le Conseil puisse reporter à plus tard sa décision lorsqu’il estime que l’affaire pourrait être réglée par tout autre mode de règlement, les plaintes dont le TCDP est actuellement saisi portent sur des allégations de violations de la LCDP, et non du Code . C’est le Conseil, et non le TCDP, qui est chargé de trancher les affaires soulevées en vertu du Code , et plus particulièrement les allégations de manquement, par un syndicat, à son devoir de représentation juste. Puisque certains des plaignants dans la présente affaire demandent, depuis longtemps, un règlement des questions qui concernent leurs intérêts personnels, et que le Conseil est actuellement saisi d’un certain nombre d’autres plaintes de même nature, le Conseil estime qu’il y a lieu de traiter la présente plainte afin de fournir des conseils utiles aux parties pour l’avenir.

 

 

 

 


B - Le bien-fondé de la plainte

 

1 - L’APAC a-t-elle manqué à son devoir de représentation juste en refusant de présenter un grief au nom des plaignants?

 

47                 Comme il a été mentionné précédemment, le devoir de représentation juste d’un syndicat est restreint à la représentation des droits reconnus à un employé par la convention collective qui le régit. En l’espèce, les plaignants n’avaient pas le droit, en vertu de la convention collective, de travailler après avoir atteint l’âge de 60 ans; c’était exactement cette disposition de la convention collective que ceux-ci contestaient. En décidant que les plaignants n’avaient pas le droit, en vertu des dispositions de la convention collective, de bénéficier d’un traitement différent des autres pilotes en ce qui concerne l’âge de la retraite, le syndicat n’a pas agi de manière discriminatoire.

 

48                 De plus, un syndicat n’est pas tenu d’accepter l’interprétation que donne un employé à une disposition de la convention collective, ou de souscrire à une contestation de la part d’un employé d’une disposition de la convention collective. Tout ce que le Conseil exige, lorsqu’un employé allègue qu’un de ses droits prévus dans une loi sur les droits de la personne entre en conflit avec une disposition de la convention collective, c’est que le syndicat examine l’allégation de manière sérieuse. Comme le Conseil l’a déclaré dans Gilberte Thibeault , 2010 CCRI 505  :

 

[22] Si un employé prétend que les dispositions d’une convention collective sont discriminatoires, le Conseil s’attend à ce que le syndicat examine cette allégation d’une manière objective et honnête, et qu’il tire ses propres conclusions, à savoir si la disposition constitue de la discrimination fondée sur un motif illicite ou a un effet discriminatoire. Le syndicat n’est pas forcé d’accepter l’interprétation donnée par le plaignant à la convention collective ou à la LCDP, mais il doit examiner l’allégation et décider de la marche à suivre d’une manière qui n’est pas arbitraire, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi.

 

49                 Dans la présente affaire, le syndicat a pris très au sérieux les allégations des plaignants. Il a mené un sondage auprès de ses membres, commandé des études sur la question et tenu compte de l’historique de la disposition relative à la retraite obligatoire dans le cadre du transport aérien, de l’état actuel du droit ainsi que des intérêts de l’ensemble de ses membres. Le syndicat est arrivé à la décision réfléchie qu’il ne pouvait appuyer la cause des plaignants. Le Conseil ne peut conclure que le refus du syndicat de présenter un grief au nom des plaignants était arbitraire, discriminatoire ou empreint de mauvaise foi, et rejette par conséquent cette partie de la plainte.


2-L’APAC a-t-elle manqué à son devoir de représentation juste en refusant d’appuyer les plaignants dans leur plainte relative aux droits de la personne et en s’opposant activement à leurs efforts visant à faire annuler la disposition relative à la retraite obligatoire?

 

50                 Le devoir de représentation juste d’un syndicat est fondé sur sa qualité d’agent négociateur exclusif en ce qui a trait aux négociations collectives. Dans Élizabeth Buchanan , 2006 CCRI 348, le Conseil a commenté l’applicabilité de l’ article _ 37 du Code dans les situations qui ne concernent pas le pouvoir de négociation exclusif d’un syndicat, notamment les plaintes en matière de droits de la personne ou les questions relatives à l’indemnisation en cas d’accidents du travail. Dans cette affaire, la plaignante alléguait un manquement au devoir de représentation juste parce que le syndicat avait négocié le règlement d’une plainte en matière d’équité salariale qu’il avait déposée au nom de toute l’unité de négociation. La plaignante croyait que ce règlement nuisait à ses intérêts et alléguait également que le syndicat avait enfreint l’article _ 37 en refusant de l’aider à contester la décision de la CCDP de fermer le dossier de sa propre plainte en matière d’équité salariale. Le Conseil a conclu que le syndicat avait le droit de prendre en considération les intérêts de l’ensemble des membres de l’unité de négociation, et ceux de chacun des employés, et qu’il n’était pas tenu d’aider un employé dans le cadre d’une plainte à la CCDP.

 

51                 Dans la même veine, le Conseil a affirmé ce qui suit dans Gilberte Thibeault , précitée :

 

[27] De plus, un syndicat n’est pas obligé de procéder de la façon préconisée par le plaignant ou par tout autre membre. Il doit déterminer lui-même le meilleur moyen de traiter les préoccupations exprimées par les membres. En l’absence d’une obligation en ce sens dans la convention collective ou dans sa constitution, le refus du syndicat de déposer une plainte à la CCDP au nom de la plaignante ne constitue pas un manquement à son devoir de représentation juste prescrit par la loi.

 

52                 Dans la présente affaire, le syndicat n’avait pas l’obligation d’aider les plaignants dans le cadre de la plainte de ces derniers à la CCDP et au TCDP, dans laquelle ils contestaient les dispositions de la convention collective. De plus, à titre d’intimé désigné, le syndicat avait parfaitement le droit de défendre la position qu’il avait adoptée devant le TCDP et les cours de justice. En fait, puisqu’il avait conclu, après un examen minutieux, qu’il ne pouvait pas appuyer la prétention des plaignants selon laquelle la convention collective contrevenait à la LCDP, il était tout à fait indiqué que le syndicat défende les dispositions de la convention collective qu’il avait conclue, autant dans le cadre des instances devant le TCDP que celles devant la Cour fédérale.


53                 Par conséquent, le Conseil ne peut conclure que le syndicat a enfreint l’article _ 37 en refusant d’aider les plaignants dans le cadre de leur plainte au TCDP ou en défendant activement les dispositions de la convention collective relatives à la retraite obligatoire, et il rejette donc cette partie de la plainte.

 

3 - L'APAC a-t-elle manqué à son devoir de représentation juste en concluant l’entente de principe provisoire avec Air Canada, laquelle établissait des conditions de travail différentes pour George Vilven et Neil Kelly?

 

54                 Comme il a été mentionné dans la section II ci-dessus, après que la décision du TCDP ( 2009 TCDP 24 ) établissant que les plaintes de MM. _ Vilven et Kelly étaient fondées eut été rendue, Air Canada et l’APAC ont conclu l’EP provisoire en juillet _ 2010, dans laquelle ils fixaient les conditions de travail applicables aux plaignants dans le cadre de leur réintégration. Entre autres choses, l’EP provisoire prévoyait que M. _ Vilven et M. _ Kelly seraient réintégrés à titre de copilotes d’aéronefs Embraer à la base de Toronto et que leur rémunération comprendraient leurs prestations de retraite mensuelles, en plus de tout autre versement mensuel qui serait nécessaire pour que leur salaire équivaille à celui d’un copilote de B777.

 

55                 Les plaignants estimaient que les conditions prévues dans l’EP provisoire étaient inacceptables. Ils allèguent que le syndicat a agi de manière arbitraire, discriminatoire et de mauvaise foi en concluant une entente avec l’employeur qui, dans les faits, privait les pilotes âgés de plus de 60 ans de plusieurs des droits, privilèges, conditions de travail et avantages sociaux prévus par la convention collective ou leur en restreignait l’accès.

 


56                 L’APAC reconnaît qu’elle aurait simplement pu attendre que le TCDP rende sa décision quant aux mesures de redressement, mais soutient qu’elle n’a pas enfreint l’article _ 37 en négociant l’EP provisoire. L’APAC fait valoir qu’en négociant l’EP provisoire, elle ne faisait que s’acquitter de son obligation de prendre des mesures d’adaptation pour le retour au travail des plaignants. Elle souligne qu’un employeur et un syndicat disposent d’une grande latitude dans l’adoption des mesures d’adaptation indiquées. L’APAC laisse entendre qu’en l’absence de l’EP provisoire ou d’une ordonnance du TCDP, ni M. Vilven ni M. Kelly n’avaient le droit de demander, en vertu des dispositions de la convention collective, leur réintégration au sein d’Air Canada. L’entente était provisoire, sous réserve d’éventuelles décisions de la Cour fédérale et du TCDP, ou d’une « entente globale et permanente » entre l’employeur et le syndicat, qui réglerait la question des pilotes travaillant au-delà de l’âge de 60 ans. L’APAC soutient que les modalités de l’EP provisoire constituent un compromis légitime entre les intérêts des plaignants et ceux des autres membres du syndicat.

 

57                 Les plaignants soutiennent que la proposition du syndicat portant que l’EP provisoire constituait une « mesure d’adaptation » est trompeuse, puisque l’âge n’est pas une caractéristique des droits de la personne qui nécessite des mesures d’adaptation. Ils font valoir que l’EP provisoire n’était pas nécessaire, puisque la réintégration dans leur poste ne nécessitait aucune condition spéciale.

 

58                 Les observations respectives des parties font état d’un long historique de relations acrimonieuses entre l’APAC et MM. _ Vilven et Kelly. Le Conseil est préoccupé par les éléments de preuve présentés par les plaignants qui indiquent que l’APAC a adopté, pendant des années, une conduite qui visait à les ridiculiser, et particulièrement par les événements qui se sont produits en juin 2006 lors du souper des retraités de l’APAC à Winnipeg, au cours duquelle une effigie de M. Vilven a fait l’objet de moqueries. Le Conseil ne peut, d’aucune façon, approuver qu’un syndicat réserve ce genre de traitement à ses membres, et ce, pour aucune raison. Cependant, bien que cette conduite mérite une sévère réprobation, elle ne constitue pas une violation de l’article _ 37, car la portée de celui-ci est limitée à la représentation des droits reconnus à un employé par une convention collective.

 

59                 Dans la présente affaire, les plaignants n’avaient pas de droit à la réintégration, que ce soit en vertu de la convention collective ou de la décision rendue par le TCDP en 2009. Cette décision n’imposait pas à l’APAC une obligation de négocier les modalités de leur réintégration, comme le TCDP le soulignait dans sa décision subséquente portant sur les mesures de redressement (2010 TCDP 27, rendue le 8 novembre 2010) :

 


[101] ... La réintégration ne découle pas nécessairement d’une conclusion de responsabilité. De plus, même si le Tribunal ordonnait la réintégration, il restait tout de même à trancher la question de la position des plaignants sur la liste d’ancienneté. Les parties ne s’entendent pas sur cette question. Le fait que les intimées ont attendu la décision du Tribunal portant sur les mesures de redressement ne constitue pas une conduite délibérée ou inconsidérée.

 

(traduction)

 

60                 Le Conseil a été informé qu’Air Canada et l’APAC avaient convenu, le 12 _ janvier _ 2011, que l’EP provisoire applicable à MM. _ Vilven et Kelly était nulle, puisqu’elle avait été supplantée par la décision portant sur les mesures de redressement rendue par le TCDP en 2010. Dans ces circonstances, la question dont le Conseil était saisi quant à savoir si l’APAC a manqué à son devoir de représentation juste en concluant cette EP provisoire est devenue théorique.

 

61                 Le Conseil a récemment eu l’occasion d’examiner sa politique quant à la question du caractère théorique dans Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada , 2011 CIRB 572 . Les parties pertinentes de cette décision se lisent comme suit :

 

[13] Dans Westcan Bulk Transport Ltd. (1994), 95 di 169 (CCRT n o 1090), le Conseil a affirmé que son obligation d’« instruire » une plainte ne signifie pas qu’il doive « entendre sur le fond des plaintes qui sont théoriques et qu’il rende une décision qui n’aurait aucune portée pratique pour les parties ».

 

[14] Dans l’arrêt Borowski c. Canada (Procureur général) , [1989] 1 R.C.S. 342 , la Cour suprême du Canada a déclaré ce qui suit :

 

La doctrine relative au caractère théorique est un des aspects du principe ou de la pratique générale voulant qu’un tribunal peut refuser de juger une affaire qui ne soulève qu’une question hypothétique ou abstraite. Le principe général s’applique quand la décision du tribunal n’aura pas pour effet de résoudre un litige qui a, ou peut avoir, des conséquences sur les droits des parties. Si la décision du tribunal ne doit avoir aucun effet pratique sur ces droits, le tribunal refuse de juger l’affaire. Cet élément essentiel doit être présent non seulement quand l’action ou les procédures sont engagées, mais aussi au moment où le tribunal doit rendre une décision. En conséquence, si, après l’introduction de l’action ou des procédures, surviennent des événements qui modifient les rapports des parties entre elles de sorte qu’il ne reste plus de litige actuel qui puisse modifier les droits des parties, la cause est considérée comme théorique. Le principe ou la pratique général s’applique aux litiges devenus théoriques à moins que le tribunal n’exerce son pouvoir discrétionnaire de ne pas l’appliquer...

 

La démarche suivie dans des affaires récentes comporte une analyse en deux temps. En premier, il faut se demander si le différend concret et tangible a disparu et si la question est devenue purement théorique. En deuxième lieu, si la réponse à la première question est affirmative, le tribunal décide s’il doit exercer son pouvoir discrétionnaire et entendre l’affaire...

 

(page 239, c’est nous qui soulignons)

 


[15] Dans Énergie atomique du Canada Limitée , précitée, le Conseil a souligné que la notion de caractère théorique, telle qu’elle a été élaborée dans le cadre d’instances devant les cours de common law, doit être appliquée avec prudence dans le cadre d’instances devant les tribunaux administratifs. Le Conseil a ensuite fait observer qu’il devait exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire des demandes et des plaintes par ailleurs théoriques de façon à favoriser et à promouvoir les objectifs du Code , notamment l’établissement de relations du travail constructives et harmonieuses.

 

62                 La présente affaire satisfait manifestement à la première étape du cadre analytique élaboré par la Cour suprême : le différend concret et tangible entre les plaignants et l’intimée concernant l’EP provisoire a disparu et la question est devenue purement théorique. Les mesures de redressement demandées par les plaignants leur ont effectivement été accordées par le TCDP. En ce qui concerne la deuxième étape, le Conseil n’est pas d’avis qu’il est dans l’intérêt des relations du travail constructives de trancher une question théorique dans les circonstances de la présente affaire, où le fondement de la plainte repose sur un domaine du droit qui est incertain. Il reste un nombre considérable d’incertitudes, dans le milieu des relations du travail, quant à la question de savoir s’il est légal d’effectuer une distinction, en ce qui concerne les conditions de travail, entre les employés qui sont en deçà et ceux qui sont au-delà de l’âge normal de la retraite. Jusqu’à ce que le droit sur cette question soit clarifié par les tribunaux des droits de la personne ou les cours de justice, le Conseil est réticent à se lancer dans ce débat. Par conséquent, le Conseil a décidé de suivre sa pratique établie et de ne pas se prononcer au sujet de la troisième question.

 

63                 Puisque le Conseil ne peut conclure que l’APAC a manqué à son devoir de représentation juste envers les plaignants, il juge qu’il n’y a pas eu violation de l’ article _ 37 du Code . La plainte est, par la présente, rejetée.

 

64                 Il s’agit d’une décision unanime du Conseil.

 

Traduction certifiée conforme

Communications

 

Elizabeth MacPherson

Présidente

 

 

 

       Daniel Charbonneau                                                                                Patrick J. Heinke

       Membre                                                                                                 Membre