Lefebvre c. Archambault

2011 QCCQ 7669

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

SAINT-FRANÇOIS

LOCALITÉ DE

SHERBROOKE

« Chambre civile  »

N° :

450-32-014537-104

 

 

 

DATE :

7 juin 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ALAIN DÉSY, J.C.Q.

 

 

 

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PATRICK LEFEBVRE , domicilié et résidant au […], Sherbrooke (Québec) […]

 

                                                 Partie demanderesse

 

c.

 

FRANCINE ARCHAMBAULT , domiciliée et résidant au […], Sherbrooke (Québec) […]

et.

JACQUES ARCHAMBAULT , domicilié et résidant au […], Sherbrooke (Québec) […]

 

                                                 Partie défenderesse

 

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JUGEMENT

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Nature du litige

[1]            La présente affaire concerne un recours pour vices cachés et dommages suite à des propos rassurants des vendeurs quant à la réparation d'une douche desservant un appartement logé au sous-sol d'une résidence.

Objet du litige : les faits

[2]            Le demandeur réclame des défendeurs la somme de 3 670,68 $ se détaillant comme suit dans sa demande :

·         matériaux pour réparer la douche ................................. 1 601,45 $

·         main-d'œuvre par le demandeur, 90 h x 20 $............... 1 800,00 $

·         frais de poste pour mise en demeure................................. 19,23 $

·         dédommagement à la locataire........................................ 150,00 $

·         dédommagement déplacements...................................... 100,00 $

 

[3]            En plus des montants précités, le demandeur réclame des défendeurs des intérêts légaux, ainsi que le remboursement du montant en frais versé au greffe de la Cour pour pouvoir y produire sa réclamation.

[4]            Le demandeur, suite à l'examen préachat de l'immeuble résidentiel acheté des défendeurs le 17 juin 2005, a exigé de ses vendeurs, ici les défendeurs, qu'ils voient à faire réparer convenablement la douche endommagée et desservant l'appartement situé au sous-sol de ladite résidence.

[5]            Au moment de la vente de leur résidence au demandeur, les défendeurs ont déclaré qu'ils avaient effectivement fait réparer la douche par un entrepreneur qualifié, et que tout était en ordre.

[6]            L'examen préachat de l'immeuble ici concerné a été effectué par l'inspecteur en bâtiment, Daniel Corbeil, qui est également celui qui a de nouveau examiné cette même douche à l'automne 2009 pour constater ce qui suit en déficiences :

a)        la céramique des murs de la douche avaient été installée avant celle du plancher, ce qui facilitait alors les infiltrations d'eau sous la céramique du plancher de la douche, et ce qui entraînait également la pourriture du sous-plancher de céramique;

b)        aucune membrane n'a été installée entre la céramique et le contreplaqué, ce qui va à l'encontre du Code national du bâtiment;

c)         l'absence de membrane a contribué à la détérioration prématurée de la douche, car les joints de céramique ne sont pas étanches;

d)        douche non réparée suivant les règles de l'art.

[7]            Ces détails concernant les déficiences constatées à la douche ici en cause sont les seuls expliqués par une personne qualifiée en la matière devant la Cour.

[8]            Seule M me Archambault a témoigné pour la partie défenderesse et elle n'a pas de qualification particulière pour contredire les explications de l'inspecteur en bâtiment Corbeil.

[9]            Ainsi, le Tribunal se doit de retenir comme prépondérantes les explications fournies par M. Corbeil.

[10]         Cela satisfait les exigences des articles 2803 et 2804 du Code civil du Québec qui se lisent comme suit :

« 2803.   Celui qui veut faire valoir un droit doit prouver les faits qui soutiennent sa prétention.

Celui qui prétend qu'un droit est nul, a été modifié ou est éteint doit prouver les faits sur lesquels sa prétention est fondée. »

« 2804.  La preuve qui rend l'existence d'un fait plus probable que son inexistence est suffisante, à moins que la loi n'exige une preuve plus convaincante. »

[11]         En outre, ces explications établissent clairement un vice caché à la conception de la douche, ce qui permet de faire droit au recours du demandeur en diminution du prix de vente pour vices cachés.

[12]         Les vendeurs avaient promis de faire réparer adéquatement la douche au moment de la vente, ce qui n'était pas le cas, nous révèle le temps et le témoignage de l'expert en bâtiment Corbeil.

[13]         Ainsi, les critères de l'article 1726 du Code civil du Québec sont rencontrés en ce qui concerne le vice caché.

« 1726.   Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

   Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

[14]         Suivant les critères exigés par la Cour suprême du Canada l'affaire ABB inc. c. Domtar inc. [1] , un vice doit être à la fois grave , inconnu de l'acheteur , caché et antérieur à la vente .

[15]         Il s'agit de la situation qui se retrouve ici suivant la preuve entendue à l'audition, estime le Tribunal.

[16]         Les défendeurs ont été mis en demeure [2] d'agir suite à la découverte du vice, mais ils ont par écrit décliné responsabilité [3] .

[17]         Le demandeur a alors mis en œuvre les travaux de réparations qu'il a effectués par lui-même pour en limiter les coûts.

[18]         Le demandeur va avoir droit aux coûts de réparations de la douche seulement, et non aux dommages qu'il réclame, car il n'a pas établi en preuve que les défendeurs savaient que la douche était affectée de malfaçons importantes au moment de la vente. Ils ont payé pour la faire réparer avant la vente auprès d'un entrepreneur soi-disant qualifié.

[19]         L'article 1728 du Code civil du Québec exige une preuve de connaissance du vice pour attribuer des dommages.

« 1728.   Si le vendeur connaissait le vice caché ou ne pouvait l'ignorer, il est tenu, outre la restitution du prix, de tous les dommages-intérêts soufferts par l'acheteur. »

[20]         Rappelons que la connaissance ou l'ignorance du vice par le vendeur conduit à distinguer le mode d'indemnisation, mais ne fait pas échec , à elle seule, au recours pour vice caché [4] .

[21]         Donc, le demandeur a droit en principe aux coûts nécessaires à réparer la douche seulement, que le Tribunal établit à 2 951,45 $ et se détaillant comme suit suivant la preuve entendue :

·         coûts des matériaux ....................................................... 1 601,45 $

·         main-d'œuvre, 90 h x 15 $ ............................................. 1 350,00 $

                                                                                            2 951,45 $

[22]         Par ailleurs, le Tribunal va devoir apporter une certaine dépréciation à ce montant, car une plus-value est apportée à l'immeuble par ces nouveaux travaux à la douche, et au plancher de la salle de bain.

[23]         Lorsque l'on doit se rendre au calcul d'une indemnité pour valoir diminution du prix de vente, il y a lieu de référer aux principes énoncés dans l'arrêt Verville c. 9146-7308 Québec inc. [5] où le juge André Rochon de la Cour d'appel écrit :

«               59.  Dans le cas de l'action estimatoire, le tribunal intervient dans un rapport contractuel pour modifier à la baisse le prix d'achat. Pour le guider, le législateur lui demande de tenir compte " de toutes les circonstances appropriées " ( 1604 (3) C.c.Q.) afin de déterminer le prix que l'acheteur aurait donné s'il avait connu les vices cachés (1726 C.c.Q.).

60.     Cet exercice judiciaire fait appel au pouvoir souverain d'appréciation du juge de première instance. Cette discrétion judiciaire s'effectue à l'aide de certains paramètres.

La réduction du prix de vente doit être possible et raisonnable. Dans la mesure où le créancier de l'obligation opte pour la réduction du prix de vente, il y a lieu de présumer que le bien vendu a certes un déficit d'usage, mais qu'il conserve une valeur autre que symbolique. Comme je l'ai mentionné plus haut, il ne saurait être question, dans le cadre d'une action en réduction, de restituer intégralement à l'acheteur le prix d'acquisition tout en lui permettant de conserver le bien vendu.

Règle générale, les tribunaux font montre de souplesse dans l'appréciation du préjudice causé au créancier. Ils pondèrent la réduction de façon à ne pas enrichir indûment le créancier.

[…]

67.      La réduction du prix de vente peut s'avérer importante si l'ampleur du vice le justifie. Cette réduction doit toutefois demeurer raisonnable et ne jamais procurer un avantage indu à l'acheteur. Comme le soulignent Jobin et Cumyn, il s'agit là d'une " mesure d'équité pour le vendeur ".

[…]

77.      En fonction d'un acheteur qui choisit un recours en diminution du prix de vente et qui doit assumer les conséquences de son choix, de combien le prix doit-il être diminué ? Autrement dit, quel prix de vente raisonnable et réaliste aurait payé un acheteur s'il avait connu le vice ? Ce prix doit également être équitable pour le vendeur en ce sens qu'il ne doit pas s'agir d'un prix déraisonnable au point d'équivaloir à la quasi-confiscation du bien vendu affecté d'un vice. »

[24]         Et à l'arrêt Lahaie c. Laperrière [6] où la juge Lise Côté de la Cour d'appel écrit :

«  89.  En demandant la réduction de prix, l'acheteur choisit de conserver le bien vendu, mais demande que le prix soit réduit pour tenir compte du vice affectant le bâtiment. Par ailleurs, les auteurs s'entendent pour dire que la réduction de prix ne doit pas être disproportionnée par rapport à la valeur du bien ou encore du prix payé pour ce bien [...]

  91.      Le principe veut que l'acheteur ne puisse s'enrichir aux dépens du vendeur en matière de réduction de prix. Comme le rappelle le juge Rochon dans l'arrêt Verville c. 9146-7308 Québec inc., [2008] R.J.Q. 2025 (C.A.) :

  […]

  92.      Selon les auteurs, la réduction du prix s'évalue en fonction du coût des réparations qui seront nécessaires pour remédier au vice. Il faut également tenir compte du prix qu'aurait accepté de payer l'acheteur s'il avait connu le vice affectant le bâtiment tout comme de celui pour lequel le vendeur aurait accepté de le vendre, s'il eut connu le vice. […]

  95.      La réduction du prix doit s'évaluer en regard de toutes les circonstances et non uniquement en fonction des coûts projetés qui semblent excessifs en l'espèce. De fait, la condamnation octroyée équivaut presque à permettre à l'acheteur d'obtenir le remboursement du prix payé tout en conservant la maison. Comme le précise le juge Rochon dans l'arrêt Verville, précité, "Règle générale, les tribunaux font montre de souplesse dans l'appréciation du préjudice causé au créancier. Ils pondèrent la réduction de façon à ne pas enrichir indûment le créancier." Il s'agit d'une mesure d'équité pour le vendeur. »

[25]         Tel que l'a mentionné le juge Denis Le Reste dans la cause Charpentier c. Grenier [7]   :

«  [173]     Enfin, la réduction du prix, en cas de vices cachés, ne sera pas toujours nécessairement équivalente au coût des réparations jugées mais constituera seulement un élément de base dans l'établissement des indemnités. »

[26]         En fonction de la preuve faite à l'audition et de l'état actuel de la jurisprudence sur le sujet, le Tribunal décide que le demandeur a droit ici à une diminution du prix de vente au montant de 2 000 $, plus des intérêts légaux depuis le 12 janvier 2010, date de la mise en demeure, ainsi que les dépens de la Cour.

[27]         Ainsi se termine l'étude de la présente affaire.

[28]         POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

[29]         ACCUEILLE en partie le recours du demandeur;

[30]         CONDAMNE les défendeurs à payer au demandeur la somme de DEUX MILLE DOLLARS (2 000 $) plus l'intérêt légal et l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec depuis le 12 janvier 2010;

[31]         CONDAMNE les défendeurs à payer au demandeur la somme de 127 $ en remboursement des frais de Cour payés par ce dernier au moment du dépôt de sa réclamation, ainsi qu'un montant de 19,23 $ pour les frais postaux d'envoi de la mise en demeure.

 

 

 

 

 

ALAIN DÉSY, J.C.Q.

 

Date d'audience :

 25 mai 2011

 

NOTE : Tous les soulignements et accentuations dans ce jugement sont du Tribunal

 

RETRAIT ET DESTRUCTION DES PIÈCES

 

            Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites, une fois l'instance terminée. À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.

 

            Lorsqu'une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n'ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l'acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement. 1194, c. 28, a. 20.

 

 



[1]     [2007] 3 RCS 461

[2]     Mise en demeure aux défendeurs, 12 janvier 2010, pièce P-3

[3]     Lettre réponse des défendeurs déclinant responsabilité, 21 janvier 2010, pièce P-5

[4]     Camping de l'été 2005 s.e.n.c. c. Gauvin , 2010 QCCS 5300 , 3 novembre 2010

[5]     2008 QCCA 1593 et au même effet, Robert c. Malenfant , J.E. 2007-901 , 28 mars 2007 (C.S.)

[6]     J.E. 2009-1355 , 2 juillet 2009 (C.A.)

[7]     2009 QCCQ 14867 , 18 novembre 2009; et aussi, Chamberland c. Bérubé , AZ-50157978 , 6 janvier 2003 (C.S.)