COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL |
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(Division des relations du travail) |
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Dossier : |
253634 |
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Cas : |
CQ-2009-1047, CQ-2009-1067, CQ-2009-4572 |
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Référence : |
2011 QCCRT 0320 |
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Québec, le |
5 juillet 2011 |
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DEVANT LA COMMISSAIRE : |
Maryse Morin, juge administratif |
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Jeffrey Jobin
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Plaignant |
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c. |
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Groupe conseil en PVA - Automation inc.
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Intimée |
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DÉCISION |
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[1]
Le 16 juin 2008, Jeffrey Jobin (le plaignant) dépose, contre Groupe
conseil en PVA - Automation inc. (l’employeur), une plainte en vertu de
l’article
[2]
Le 2 juillet 2008, le plaignant dépose une troisième plainte, en vertu
de l’article
[3]
L’employeur soutient que le plaignant est un cadre supérieur de
l’entreprise. En conséquence, il ne peut se prévaloir du recours pour pratiques
interdites de l’article
[4] Subsidiairement, l’employeur allègue que la mise à pied du plaignant est un licenciement consécutif à la réorganisation de l’entreprise en raison de difficultés économiques sans aucun lien avec l’absence pour maladie. Quant au congédiement du 27 juin 2008, il invoque qu’il est imputable au comportement du plaignant et à son manque de loyauté.
[5] De plus, l’employeur nie l’existence de manifestations de harcèlement psychologique. Il prétend que les évènements relatés par le plaignant découlent d’une situation conflictuelle.
[6] Les parties conviennent que la Commission se prononcera dans un premier temps sur le bien-fondé des plaintes et ensuite sur les mesures de réparation, s’il y a lieu.
[7] Notons que la plainte pour harcèlement psychologique a été transmise à la Commission à la demande du plaignant et qu’il se représente lui-même, alors que les plaintes pour pratique interdite l’ont été par la Commission des normes du travail (CNT) qui le représente.
[8] Les parties ont convenu de présenter l’ensemble de la preuve concernant les plaintes pour pratiques interdites et par la suite, de présenter la preuve découlant de la plainte pour harcèlement psychologique. La Commission a informé les parties que les dossiers seraient réunis et que la preuve faite dans chacun des dossiers serait versée dans les autres dossiers à la suite de quoi, la Commission rendra une seule décision à l’égard des trois plaintes.
[9] Concernant la plainte pour harcèlement psychologique, la Commission a requis des parties qu’elles soumettent avant l’audience un exposé sommaire des faits ainsi que les pièces qu’elles entendaient déposer. Malgré cette ordonnance, la Commission a autorisé les parties à déposer plusieurs autres documents qui n’avaient pas été communiqués.
[10] Groupe conseil en PVA - Automation inc. est une entreprise qui offre des services de génie-conseil en amélioration des procédés de production. La majorité des actionnaires et des chargés de projets sont des ingénieurs, sauf le plaignant qui est recruté pour ses habiletés de relationniste.
[11] La compagnie est formée en mai 2007 par trois actionnaires, messieurs Grenier, Coutu et Yates. Cette nouvelle compagnie est créée à la suite de la dissolution d’une autre compagnie qui regroupait entre autres ces partenaires.
[12] Le 27 mai 2007, le plaignant est recruté pour effectuer de la sollicitation de clients soit « cold caller ». À ce titre, il doit prendre contact avec des dirigeants d’entreprises pour les convaincre de la pertinence d’acheter des services-conseils pour améliorer leur efficacité. Il travaille en étroite collaboration avec le président, monsieur Pierre Grenier pour qui il doit obtenir des rendez-vous. Ce dernier par la suite doit chercher à vendre des services-conseils adaptés au client. Le plaignant affirme que la prise de rendez-vous était sa seule tâche, ce que nie l’employeur en invoquant, entre autres, le document de réflexion stratégique dont nous traiterons plus loin.
[13] Lors de son embauche, le plaignant est rétribué sur une base de commissions. À l’audience, le plaignant argue qu’il n’a pas reçu le paiement auquel il avait droit alors que l’employeur prétend le contraire.
[14] L’employeur dépose l’ensemble des versements effectués au plaignant. Manifestement, un litige subsiste quant au versement de la rémunération pour cette période qu’il n’appartient pas à la Commission de trancher. La Commission note toutefois que le plaignant a affirmé n’avoir jamais été payé alors que l’employeur a déposé tous les versements hebdomadaires convenus à la suite de l’obtention de son statut d’associé.
[15] L’entreprise n’a pas de bureau d’affaires. Chacun travaille à partir de sa résidence. Les rencontres des administrateurs se tiennent dans des locaux loués ponctuellement. Les échanges quotidiens se font par téléphone ou par messagerie électronique. De plus, un système « Intranet » a été mis sur pied afin d’avoir accès à plusieurs informations corporatives, dont les horaires de chacun et divers autres documents.
[16] En octobre 2007, le plaignant est invité à devenir actionnaire et administrateur du Groupe conseil en PVA - Automation inc. Trois autres associés sont aussi recrutés. Le plaignant intègre la compagnie à titre d’actionnaire, sans mise de fonds. Tous les actionnaires possèdent le même nombre d’actions. L’entreprise compte alors six actionnaires soit le plaignant et messieurs Grenier, Coutu, St-Pierre, Fillion et Abesque; monsieur Yates s’étant dissocié. Monsieur Grenier est le principal investisseur.
[17] Outre le président, monsieur Pierre Grenier, le plaignant reçoit la même rémunération hebdomadaire que tous les autres actionnaires, ce qui représente plus de 130 000 $ annuellement.
[18] En décembre 2007, au moment de convenir de la convention d’actionnaires, le plaignant écrit certains courriels cinglants et vulgaires à ses nouveaux associés et à l’avocat responsable de la rédaction de cette convention. Le langage utilisé par le plaignant dans son courriel du 21 décembre est similaire à celui qu’il reprochera plus tard à monsieur Grenier. À L’audience, le plaignant insinue que ce courriel aurait peut-être été falsifié ou manipulé. Rien ne soutient cette affirmation.
[19] Monsieur Gino St-Pierre, directeur administratif, témoigne de l’importance du rôle du plaignant pour assurer le développement de la clientèle. Il souligne également sa participation active aux décisions du conseil d’administration, dont la gestion des dépenses de la compagnie ou l’émission d’actions au profit d’un nouvel actionnaire.
[20] Le plaignant affirme qu’il n’avait aucun pouvoir, que le titre de vice-président ne signifiait rien et qu’avant comme après son accession au statut d’actionnaire, il ne faisait que faire des appels téléphoniques sans aucune autre responsabilité.
[21] De plus, il témoigne qu’il n’était pas invité à participer à toutes les réunions du conseil d’administration. Selon lui, il participe aux décisions mineures. Les véritables décisions sont prises en groupe restreint avant la réunion du conseil d’administration et il dit subir des pressions au moment de voter.
[22] La gestion des affaires quotidiennes de l’entreprise est assurée par monsieur St-Pierre, assisté d’un comité de gestion composé de messieurs Fillion et Coutu.
[23] Les décisions d’orientation de l’entreprise sont prises à la suite d’un vote de la majorité des membres du conseil d’administration.
[24] Dès l’entrée en fonction du plaignant, les tensions surgissent avec monsieur Grenier.
[25] En octobre 2007, soit quatre mois après le début de son emploi, le plaignant s’absente pour prendre des vacances hors du pays. Ce dernier affirme que ce fut le début du harcèlement par monsieur Grenier et qu’il a fait « une free game ». Selon le plaignant, monsieur Grenier l’invective lorsqu’il l’informe de son absence, mais le plaignant maintient son projet en assurant qu’il pourra travailler à distance.
[26] Survient alors un échange de courriels virulents entre le plaignant et monsieur Grenier entre le 20 novembre 2007 et le 1 er décembre 2007. Monsieur Grenier est cinglant en reprochant à monsieur Jobin de ne pas travailler pendant son absence hors du pays alors qu’il s’était engagé à le faire. Afin d’illustrer la nature des courriels de monsieur Grenier, il y a lieu d’en reproduire un :
Patrick et-ou Serge vous me régler le cas à Jeffrey qui boude dans son coin, monsieur qui devait travailler pendant ses deux semaines au Mexique à fait 2 heures de travail, il ne me parle plus, je suis son boss, il doit m’emvoyer un résumé, il doit m’appeler, ce gars là gagne $2 500 par semaine je ne sais pas pourquoi on continue à payer ce gars là, Jeffrey tu rentre dans le train ou tu en sort pour toujours.
C’est pour ça qu’on te considère Hight maintenance. Aux ventes c’est moi le boss, c’est tu clair Jeffrey, alors 12 hrs de décallage, tu m,appelle et tu envoie tes résumés de la semaine passé et celui de today, sinon je coupe ta paye c’est tu claire taber,….
(Reproduit tel quel)
[27] Les répliques du plaignant utilisent le même ton ainsi qu’un langage grossier.
[28] Le plaignant intervient auprès de plusieurs associés en reprochant l’attitude de monsieur Grenier.
[29] Le 28 novembre 2007, l’un des associés, monsieur Coutu, dans un long courriel où il rappelle les rôles et responsabilités de chacun, lance un appel au calme à messieurs Grenier et Jobin. Il ajoute que l’entreprise est en démarrage et que les rôles de chacun seront définis lors de la réflexion stratégique de janvier.
[30] En janvier 2008, afin d’édifier les bases de l’entreprise, une réunion de « réflexion stratégique » se tient à Cuba. Tous les actionnaires et administrateurs de la compagnie y participent accompagnés de leur famille, de même que l’adjointe administrative et le comptable. Au terme de cette réunion, les fonctions et responsabilités des actionnaires sont ainsi décrites :
Rôle et Responsabilités :
Président: Pierre Grenier
· Voit à la vision de l’entreprise
· Faire de la veille technologique
· Animer les réflexions stratégiques
· Représentation, relation client;
· Influencer le développement corporatif
· Animer les conseils de gestion
Directeur Administratif: [Gino St-Pierre ]
· Organiser les C.A (Ordre du Jour et Procès-verbal)
· Gestion du cashflow, finances, comptabilité, juridique
· Gestion administratif day to day
· Validation des feuilles de temps, comptes de dépenses
· Guide l’employé, assurances collectives
· Intégration administrative des nouveaux employés
· Contrôle des dépenses
· Ressources humaines
· Développer et maintenir à jour et présenter au prochains CA, la grille de PO pour l’acception des jours non facturables autorisés ainsi que l’entrée dans l’Intranet de ces numéros de PO
Directeur de la Livraison de la Valeur: [P. C. ]
· Intégration technique des nouveaux CDP
· S’occuper de récupérer les dossiers problématiques
· Voir la façon de s’assurer d’avoir du repeat business
· Satisfaction des clients (livraison de la valeur)
· Donner le support aux CDP sur le terrain
· Formation continue des CDP
Directeur de l’Innovation: [P. F. ]
· Responsable d’organiser les Transferts Technologiques
· Responsable du développement des outils et des approches
· Identifier et guider les CDP dans le développement des outils et des approches
· S’assurer de faire le lien avec le responsable du développement des affaires
· S’assurer de faire le lien avec le responsable de la livraison de la valeur
Directeur du Développement des Affaires: Jeffrey Jobin
· Établir le plan annuel de développement des affaires
· Cibler et prioriser les secteurs d’activités à développer
· Cibler et prioriser les territoires à développer
· Développer et animer la stratégie de mise en commun des clients de Dawco Electrique et de Systémex avec Lean-Mechanical
· S’abonner aux différents organismes et représenter l’entreprise au niveau des différentes activités de ces organismes
· Établir et maintenir le rapport touchant le sale funnel
· Présenter au CA le résumé des actions de développement des affaires, le résumé des activités de représentation, le rapport touchant le sale funnel
· De développer la stratégie de déploiement du Lean-Automation
· De travailler au day to day en équipe au niveau de la qualification des cibles et la gestion de day to day des activités de ventes et prospections de l’entreprise
· De supporter les ateliers-visites chez nos clients référeurs
N.B. Pour la première année, Pierre Grenier va donner un maximum de support à Jeffrey pour le familiariser à ce poste de direction
Responsable de la Gestion des Horaires: Pierre Grenier
· S’assurer que tout les CDP sont booker
· Responsabilité première de mise à jour des horaires reivent à l’employé lui-même
· Fournir un tableau résumé des journées facturables et non facturables ainsi que les caractéristiques des mandats au niveau des subventions et des garanties de résultats à chaque CA et ce pour le mois précédent et le mois courant et le mois suivant
· Recommander l’embauche des CDP
Responsable de l’Importation de Main d’OEuvre : Pierre Grenier
· Gestion du programme de l’importation de main d’œuvre;
· Pierre Grenier va présenter au prochain CA, un résumé des actions et démarches, un résumé financier du passé et prévisionnel pour approbation
· Pierre Grenier va ensuite signer l’entente avec le consortium
· Pierre Grenier va reformuler tout les documents et tous les contrats en fonction des Philippines
· Pierre Grenier va synchroniser les rencontres avec les clients et prospects actuels pour aller présenter la nouvelle formule.
· [P. C.] sera le bras droit à Pierre Grenier pour l’importation de main d’œuvre
· Pierre Grenier s’occupe de trouver une ressource pour s’occuper du travail terrain clérical une fois le projet pilote terminé et validé
Directeur IT : [C. A. ]
· Intégration informatique des nouveaux CDP
· Software / hardware
· Mise à jour des logiciels (bureautique, anti-virus
· Site Web (développement, maintenance, mise à jour, analyse statistique du trafic)
· Légalité des logiciels des CDP
· Système d’exploitation
· Support technique
· Gestion de l’intranet, amélioration, backup
· Achat de matériel, approbation
· Site FTP
· Tester nouvelles technologies et les proposer
On demande au responsable IT pour le prochain CA d’avoir une proposition pour les outils officiels en informatique (software) à acquérir ainsi que le budget à y affecter (Office 2007 Small Business, Visio, Adobe Acrobat)
Ce n’est pas nécessairement le responsable IT qui effectuera tout le travail. On peut aussi faire appel à Référence Système par exemple. Tous les prochains équipements seront installés sur la plateforme Vista
Développement sur mesure d’un système Intranet :
Avant de donner le contrat de développement de l’Intranet, le responsable administratif fera appel au responsable IT au niveau du choix de plateforme proposé. Nous avons présentement une soumission en mains de Référence Système et une autre de Cybercat (développeur de l’Intranet de Toptech), pour la programmation de l’Intranet. Le choix final sera effectué par le Responsable administratif, [M . F . ] et [M . A . ] (deux principales utilisatrices de l’intranet) avec le support au niveau technologique du responsable IT.
(Reproduit tel quel)
[31] Malgré les tâches et responsabilités décrites dans ce document, le plaignant affirme à maintes reprises que sa seule responsabilité consistait à faire le démarchage de clients ou « cold call ».
[32] Lors de la réflexion stratégique de janvier 2008 à Cuba, une altercation survient dans la piscine de l’hôtel entre monsieur Grenier et le plaignant à la suite d’une mésentente entre ce dernier et la conjointe de monsieur Grenier.
[33] Les courriels échangés du 21 au 25 janvier entre le plaignant et tous les administrateurs traitent particulièrement d’une réclamation pécuniaire. Dans ce contexte, le ton des échanges avec monsieur Grenier continue de monter. De son côté, le plaignant prétend que son courriel corrosif du 23 janvier 2008 a été falsifié.
[34] Le 23 janvier 2008, afin de clarifier la situation des sommes en litige, monsieur St-Pierre convoque une réunion d’urgence du conseil d’administration pour le lendemain. Cependant, le litige subsiste toujours.
[35] Le plaignant, outré des reproches et du langage utilisé par monsieur Grenier à son endroit, acquiert un appareil afin d’enregistrer ses conversations avec celui-ci. Cette décision crée une nouvelle source de conflit. Monsieur Grenier avise, alors monsieur St-Pierre et le plaignant, qu’il refuse de communiquer par téléphone avec ce dernier tant qu’il enregistrera leurs conversations.
[36]
Dès à présent, il y a lieu de souligner que le plaignant a tenté de
mettre en preuve certains enregistrements. Considérant le faible niveau de
qualité et de fiabilité de ces derniers, la Commission en a refusé la
production conformément à l’article
[37] Le 27 janvier 2008, monsieur Grenier signifie au plaignant qu’il est insatisfait du volume de travail qu’il lui a planifié. Ce courriel propose une façon de fonctionner et énonce une série de clients à contacter. Loin de calmer le jeu, ce courriel alimente les tensions.
[38] Selon le comptable, les deux protagonistes « s’envoyaient régulièrement promener ». Toujours selon ce dernier, le plaignant consacrait ses énergies à se disputer avec monsieur Grenier.
[39] Tous les actionnaires et même le personnel administratif recevaient régulièrement des copies des courriels qu’ils s’échangeaient.
[40] Au début février 2008, le plaignant accompagné de sa conjointe rencontre monsieur St-Pierre pour discuter du comportement de monsieur Grenier. Monsieur St-Pierre dit se sentir entre l’arbre et l’écorce puisqu’il recevait les récriminations de chacun des protagonistes.
[41] Le 14 février, une réunion du conseil d’administration se tient à Bécancour. Plusieurs « accrochages » surviennent pendant la réunion quant au rendement du plaignant puisque les associés requièrent de lui plus que le simple démarchage de clients. Le plaignant doit produire un rapport d’activités. Les associés sont insatisfaits.
[42] Au terme de la réunion, monsieur St-Pierre indique au plaignant qu’il souhaite le rencontrer afin d’échanger sur ses attitudes. Une employée se serait plainte des propos qu’il a tenus à l’égard de ses collègues de travail.
[43] Monsieur St-Pierre relate que lors de la rencontre du 14 février il s’entretient avec le plaignant pendant environ 45 minutes. Comme celui-ci refuse toutes critiques, monsieur St-Pierre témoigne qu’au terme de la rencontre, il « a fermé fort le couvercle de son ordinateur ». De son côté, le plaignant affirme que monsieur St-Pierre aurait plutôt laissé tomber avec fracas ses documents avant de le prendre au collet, le laissant avec des marques.
[44] À la suite de sa mise à pied en juin 2008, le plaignant porte plainte à la police concernant cet évènement. Les policiers n’ayant pas retenu la plainte, le plaignant dépose une plainte pénale privée le 8 mai 2009. La Cour constatera par la suite le désistement du plaignant, faute de preuve.
[45] Le 22 février 2008, monsieur St-Pierre transmet un avis disciplinaire au plaignant lui reprochant « des propos, des sujets inadéquats » à l’égard de collègues.
[46] À la fin de février et au début mars 2008, les courriels d’insatisfaction de monsieur Grenier quant au rendement du plaignant se multiplient. Ces courriels sont souvent cinglants et parfois communiqués à tous les associés comme le sont les réponses du plaignant. Monsieur Grenier traite le plaignant « de lâche » et menace de le congédier.
[47] Le plaignant affirme que monsieur Grenier lui téléphonait de 30 à 40 fois par jour. Il affirme que tous les reproches à son égard sont sans fondement et que son travail était toujours irréprochable, malgré ses absences pour des raisons personnelles.
[48] Dans la tourmente, plusieurs courriels sont échangés le 6 mars et dans les jours suivants. Dans l’un de ceux-ci, monsieur Grenier écrit un courriel détaillé à un associé, monsieur Coutu, concernant le « cas Jeffrey ». Ce courriel est également transmis à tous les autres associés, dont le plaignant.
[49] Monsieur Grenier y dresse une longue liste de clients à contacter et il formule nombre de récriminations à l’endroit du plaignant. Entre autres, il reproche au plaignant de refuser de justifier son emploi du temps. Monsieur Grenier transmet aussi un courriel au plaignant dont le seul message est indiqué à l’intitulé « Objet : Je vais m’occuper de ton cas mon lâche ». Le plaignant réplique qu’il n’a pas besoin qu’on lui fasse une liste de tâches et qu’il livrait les résultats qu’on attendait de lui. Il ajoute que tous ces courriels ne sont que faussetés, mépris et porte atteinte à sa réputation.
[50] Lors de ces évènements, le plaignant dénonce à monsieur St-Pierre l’attitude de monsieur Grenier à son égard. Il affirme qu’à cette époque, il ne dort plus en raison de l’angoisse constante découlant de sa relation difficile avec monsieur Grenier.
[51] Dans la foulée des derniers évènements, monsieur St-Pierre demande au plaignant et à deux membres du personnel administratif de compléter des feuilles de temps.
[52] La proposition d’instaurer une certaine surveillance de l’emploi du temps du personnel aurait été d’abord suggérée par le plaignant. Cependant, ce dernier n’apprécie pas être soumis à cette mesure de contrôle et il s’y oppose vivement. Il invoque que c’est monsieur St-Pierre qui lui avait demandé d’enregistrer ses collègues et de prendre des notes quant au travail d’une adjointe qui est également la conjointe de monsieur Grenier. Selon lui, c’est monsieur St-Pierre qui « a mis la bisbille dans l’entreprise ».
[53] Le 7 mars 2008, le plaignant fournit à monsieur St-Pierre le détail de quatre rendez-vous qu’il avait fixés pour monsieur Grenier afin de fournir des explications au dernier débordement colérique de ce dernier.
[54] Selon monsieur St-Pierre, le plaignant aurait fourni un rapport sommaire à la mi-mai seulement alors que les deux autres employés l’ont fait chaque semaine. De son côté, le plaignant prétend les avoir complétées jusqu’à son départ. Monsieur St-Pierre argue qu’il n’était pas nécessaire de faire une telle demande aux autres associés puisqu’il pouvait constater par l’Intranet que leur horaire était comblé.
[55] Quant à la gestion du temps, le document de réflexion stratégique de janvier 2008 indique :
27- Il est convenu que tout le monde doit mettre son horaire à jour à tous les soirs afin de faciliter le travail de gestion des horaires et la gestion de la facturation Pierre Grenier enverra un mail à chaque personne qui aura fait l’objet d’un changement d’horaire afin de l’informer de ce changement.
(Reproduit tel quel)
[56] À l’audience, le plaignant argue que cette obligation quant à la gestion des horaires ne s’applique pas à lui, mais à tous les autres, dont les chargés de projets.
[57] L’un des associés, monsieur Abesque, aurait tenté de discuter avec le plaignant pour le convaincre de l’importance de connaître l’emploi du temps de chacun des associés, mais en vain.
[58] Monsieur Jobin aurait communiqué avec le comptable à plusieurs reprises afin de critiquer le contrôle de son temps et pour commenter l’emploi du temps de ses collègues de travail. En réaction, le plaignant menace de poursuivre l’entreprise pour des commissions non payées et il rappelle son statut d’associé.
[59] Le comptable suggère au plaignant de cesser d’appeler tout le monde ou de les menacer, mais de se concentrer sur son travail. Malgré cette suggestion, les appels se poursuivent. Lors de ces échanges, le plaignant affuble monsieur Grenier de nombreux qualificatifs dégradants. Il se dit harcelé par « Grenier » qui insiste pour connaître son emploi du temps. Le comptable qualifie les deux associés de « prompts et colériques », bref « de deux coqs qui se chicanent sans fin ». Par ailleurs, il confirme avoir entendu monsieur Grenier traiter le plaignant de « chien sale ». Cependant, en avril 2008, le plaignant affirme avoir rapporté au comptable que monsieur Grenier l’avait menacé « de lui casser la gueule ». Le comptable ne se souvient pas de cette conversation.
[60] Le 13 mars 2008, Pierre Grenier écrit, sur un ton posé, un courriel détaillé à ses associés faisant état de la nécessité de réorganiser le département des ventes sans quoi la faillite guette l’entreprise. Ce courriel mentionne que les doléances réciproques entre le plaignant et lui-même mènent l’entreprise vers un cul-de-sac.
[61] Des échanges se poursuivent entre le plaignant et monsieur Grenier sur la qualité des rendez-vous obtenus par le plaignant au profit de Pierre Grenier.
[62] Le 31 mars 2008, le plaignant écrit un long courriel à monsieur St-Pierre et à ses associés énonçant un nouveau bris de communication entre lui et monsieur Grenier. Il conclut ainsi :
J’exige que le Directeur Général avise cette situation immédiatement, et je demande qu’un rapport soit émis par écrit pour corriger cette situation le plus tôt possible.
(Reproduit tel quel)
[63] Le lendemain, monsieur St-Pierre répond à ce courriel. Le ton est cassant et exaspéré. Essentiellement, le courriel traite d’abord des nombreuses divergences qui opposent Pierre Grenier et le plaignant quant à son rendement. Il revient aussi sur le paiement rétroactif de salaire, pour lequel un litige semble toujours subsister. De plus, il traite du versement d’un certain pourcentage du profit net de l’entreprise. Enfin, monsieur St-Pierre reproche au plaignant de véhiculer auprès de tiers qu’il est une victime de ses associés qui le volent. Il met en garde le plaignant que s’il continue à tenir ce genre de propos, il sera congédié sur-le-champ.
[64] Le plaignant considère que cette réponse est en fait une manifestation de harcèlement psychologique à son endroit et que ce courriel n’est qu’un tissu de mensonges.
[65] Le 2 avril 2008, une nouvelle altercation verbale survient entre le plaignant et Pierre Grenier. Ce dernier l’aurait menacé de le battre. Le plaignant informe immédiatement monsieur St-Pierre des menaces proférées à son endroit. Il en parle aussi avec le futur associé de l’entreprise.
[66] Les quelques jours suivants se déroulent sans trop d’incidents et sur un ton adéquat. Puis surgit un nouveau conflit qui dégénère. Le plaignant reproche à Pierre Grenier de mentir sur l’origine d’un rendez-vous avec un client dont il estime être l’initiateur. Les insultes recommencent à pleuvoir de part et d’autre.
[67] L’aspect litigieux des vacances a déjà été mentionné dès les premiers mois d’emploi du plaignant. Plusieurs des prises de bec entre le plaignant et monsieur Grenier surgissent à la suite des absences au Mexique du plaignant ou des voyages à l’étranger de monsieur Grenier. Ce dernier reproche au plaignant de ne pas lui organiser assez de rendez-vous et il considère que ses absences le pénalisent.
[68] Le plaignant rétorque qu’il travaille même quand il est au Mexique et que ses absences ne nuisent pas à son efficacité. Le document de réflexion stratégique mentionne ce qui suit quant aux vacances :
28- Tous les actionnaires peuvent prendre 7 semaines de vacances au total (35 jours). La semaine de réflexion stratégique dans le Sud sera toujours considérée une semaine de vacance. Tous les actionnaires devront prendre les 2 semaines de Noël en vacance. [C. A.] va prendre pour sa part ses 3 autres semaines avant les 2 semaines de la construction. [P. C.] va prendra les 2 semaines de la construction à moins qu’un client lui permettre de travailler au cours de cet période. Les jours de vacances restant (15 jours) seront dispersés dans l’été de façon à devenir des week-ends de 4 jours. [G. S.-P.] et [P. F.] vont de leur coté prendre les 2 de la construction plu 1 semaine après ainsi que 1 semaine au printemps et 1 semaine à l’automne. Pierre Grenier et Jeffrey Jobin vont de leur coté prendre leur 35 jours restant étalés tout au long de l’année. Pierre Grenier et Jeffrey Jobin ne peuvent prendre plus de 2 semaines consécutives de vacance vu leur rôle respectif dans l’entreprise.
(Reproduit tel quel, soulignement ajouté)
[69] Vers le 10 avril 2008, de nouveaux courriels acerbes sont échangés entre le plaignant et Pierre Grenier concernant une nouvelle période de vacances du plaignant. Dans l’un de ceux-ci, transmis uniquement au plaignant, daté du 11 avril 2008, Pierre Grenier s’adresse au plaignant en utilisant le qualificatif « trou du cul ». Le plaignant réplique sans tarder en transférant ce courriel à tous les associés et en ajoutant qu’il a pris de bonnes notes sur les absences des autres membres du personnel.
[70] Le plaignant écrit aussi à monsieur St-Pierre et aux associés afin qu’une intervention soit faite auprès de monsieur Grenier afin que cessent les injures.
[71] Entre mai 2007 et avril 2008, le plaignant aurait pris entre 7 et 9 semaines de vacances ce qu’il nie puisqu’il affirme qu’il travaillait en tout temps, même à l’étranger.
[72] À compter de la mi-février 2008, Pierre Grenier tente d’attirer un nouveau partenaire d’affaires. Le plaignant exprime des réserves à l’endroit de ce dernier avec qui il a déjà travaillé.
[73] Le 11 avril 2008, monsieur Grenier informe les actionnaires de l’entente de partenariat qu’il vient de convenir avec un nouvel associé sous réserve d’une contribution financière de celui-ci. Comme cette personne travaille chez un concurrent, il est important de préserver la confidentialité du transfert. Le courriel précise :
Ne parler a personne de cette annonce car […] doit en faire l’annonce des que nous aurons voter positivement pour sa venue, tout contrevenant a cette directive s’expose a des sanctions exemplaires.
(Reproduit tel quel)
[74] Dès le 14 avril 2008, le conseil d’administration de la compagnie adopte une résolution pour offrir à ce nouveau partenaire le même nombre d’actions détenu par les autres actionnaires. Ce nouvel associé doit injecter dans la compagnie une somme substantielle. Le plaignant assiste à la réunion du conseil d’administration à partir du Mexique à l’aide d’une technologie informatique. Le plaignant appuie la proposition permettant d’accueillir ce nouveau partenaire.
[75] Monsieur St-Pierre affirme que la situation financière de la compagnie est alors précaire et qu’elle a besoin d’un bon vendeur pour offrir les services en plus de sa mise de fond.
[76] Lors du conseil d’administration du 25 avril, à l’unanimité les associés confient à Pierre Grenier « la responsabilité des priorités du développement des affaires jusqu’à la prochaine réflexion stratégique ». Monsieur St-Pierre témoigne qu’il y avait un « méchant écart entre les tâches assignées et les réalisations » de monsieur Jobin. La prochaine réunion du conseil d’administration est fixée au 20 juin suivant.
[77] Un nouvel échange de courriels survient dans la période du 18 avril. Monsieur Grenier dénonce encore les vacances du plaignant et lui reproche de ne pas assez travailler ce qui se répercute sur ses propres ventes. À l’audience, le plaignant ne peut établir clairement les moments pendant lesquels il était au Mexique. Il répète qu’il travaille toujours, même en vacances.
[78] En réplique, afin de démontrer son efficacité, le plaignant commence à transmettre à monsieur St-Pierre chacun des courriels qu’il envoie à des clients. Monsieur St-Pierre lui demande de cesser d’agir ainsi.
[79] Le 29 avril, à la suite d’un incident chez un client, Pierre Grenier demande à monsieur St-Pierre d’écarter le plaignant de ce type de dossier soit « les ateliers visites ». De plus, monsieur Grenier demande de retirer le nom du plaignant de tous les documents de la compagnie et de le remplacer par le nouvel associé.
[80] Le 30 avril, Pierre Grenier écrit au plaignant afin de l’informer de transférer au nouvel associé la liste des relances à faire. Le même jour, il écrit aussi à monsieur St-Pierre afin de s’assurer que les vacances seront contrôlées pendant les six prochains mois. Il ajoute des commentaires concernant la situation personnelle et familiale du plaignant. Ce dernier considère qu’il s’agit d’une autre manifestation de harcèlement psychologique.
[81] Le 13 mai 2008, afin de traiter de tous les différends qui opposent le plaignant à ses associés, une rencontre se tient au bureau du conseiller juridique de l’entreprise, M e Barbeau, en présence du plaignant, de sa conjointe ainsi que du comptable, qui tente d’agir comme médiateur. Lors de cette rencontre, on discute des relations tendues entre le plaignant et monsieur Grenier et de l’attitude de ce dernier. Au terme de cette rencontre, M e Barbeau recommande à tous les associés :
Je ferai donc un suivi demain, dans l’intervalle je suggère que vous la mettiez en sourdine, tous autant que vous êtes. Mon job est de travailler dans l’intérêt de la compagnie, même si au passage il faut que j’égratigne des egos surdimensionnés.
(Reproduit tel quel)
[82] Le même jour, monsieur St-Pierre questionne le plaignant sur son emploi du temps qui lui réplique qu’il n’a pas à répondre à ça. Les associés sont informés de la situation et ils sont grandement contrariés de sa performance. Ils lui reprochent de ne pas avoir développé de stratégie d’affaires, comme le prévoyait son mandat.
[83] Au printemps 2008, l’entreprise change d’institution financière afin d’obtenir une marge de crédit. Tous les actionnaires sont sollicités pour cautionner ce financement. Deux actionnaires refusent de le faire, dont le plaignant qui dès janvier avait exprimé une fin de non-recevoir à ce soutien. Le plaignant ajoute qu’il a refusé de faire une mise de fond ou de cautionner la marge parce qu’il estimait que la compagnie lui devait de l’argent et que les actionnaires tentaient de l’intimider.
[84] L’entreprise compte sur la mise de fond du nouvel actionnaire. Cependant, elle ne se matérialise pas.
[85] Monsieur St-Pierre témoigne que des mesures de redressement ont été décidées, mais il ne peut en préciser le moment.
[86] Pendant cette période, le plaignant critique le coût des voyages en Europe qu’effectue monsieur Grenier afin de développer les marchés.
[87] Les états financiers montrent des pertes financières importantes pour les mois de janvier, avril et mai. L’année financière 2008 se termine avec un déficit important.
[88] Malgré ce déficit, le plaignant reçoit des sommes d’argent convenues pour du versement de salaire rétroactif.
[89] Monsieur St-Pierre témoigne qu’au début juin, l’employeur décide de réduire sa masse salariale en mettant à pied le plaignant et deux chargés de projets. Il précise que la mise à pied du plaignant se voulait alors temporaire, considérant son statut d’actionnaire. Cependant, seuls les actionnaires ayant financé la compagnie ont été consultés quant au choix des personnes à mettre à pied. Le plaignant confirme qu’il n’a pas été consulté.
[90] Le plaignant a été écarté au profit du nouvel associé en raison de la polyvalence de ce nouvel actionnaire qui pouvait vendre des services au client. De plus, monsieur St-Pierre ajoute que la décision d’écarter le plaignant découle aussi de sa décision de refuser de cautionner la marge de crédit. « On a décidé de garder ceux qui y croient ».
[91] À l’audience, monsieur Abesque explique que la décision a été prise parce que le plaignant avait « des pratiques intolérables. Il nous montait les uns contre les autres ». Il ajoute : « il prend plus de temps à semer la zizanie qu’à travailler ». Le congédiement du plaignant aurait été décidé pendant la semaine du 2 juin 2008.
[92] Afin de récupérer l’ensemble des informations de la compagnie, qui étaient détenues par le plaignant, l’entreprise fait préparer une saisie avant jugement afin de récupérer plusieurs effets lui appartenant, dont du matériel informatique. L’un des actionnaires signe un affidavit au soutien des procédures le 5 juin 2008. Cette procédure est déposée et timbrée au greffe de la Cour supérieure vers 13 heures le vendredi 6 juin 2008.
[93] Le 6 juin, vers 15 h 30, le plaignant consulte un médecin dans une clinique médicale près de chez lui. Ce dernier recommande un arrêt de travail. La Commission retient de la preuve que ce billet médical n’a pas été transmis à l’employeur le 6 juin.
[94] Le lundi 9 juin, dès 7 heures un huissier se présente au domicile du plaignant afin d’exécuter la saisie.
[95] Monsieur St-Pierre témoigne qu’au moment où l’huissier est toujours chez le plaignant, ce dernier communique avec lui. Il lui aurait alors fait la remarque suivante : « Ça vas-tu si mal que ça chez Lean? ». Cette affirmation est niée par le plaignant.
[96] Monsieur St-Pierre lui aurait alors expliqué que la situation financière de l’entreprise commandait une telle action en plus de son comportement inadéquat. Le plaignant l’aurait alors menacé de le faire « ramasser par la police » et que « ça n’en resterait pas là ».
[97] Dans la même journée, le plaignant communique avec monsieur St-Pierre afin d’obtenir les formulaires d’assurance. C’est à ce moment que le plaignant l’informe qu’il a un billet médical recommandant une absence maladie.
[98] Le 9 ou le 10 juin, le plaignant accompagné de sa conjointe se rend au bureau de M e Barbeau pour lui remettre le billet médical. Ce dernier refuse d’en prendre possession.
[99] Le 9 juin 2008, la lettre suivante est communiquée par courriel au plaignant. Ce dernier affirme l’avoir reçu à son retour du bureau de M e Barbeau.
Monsieur Jobin,
La présente est pour vous confirmer que vous faites l’objet, à compter de ce jour, d’une mise à pied temporaire pour une durée indéterminée, mais anticipée de moins de 6 mois.
Cette décision est entre autres motivée par des motifs d’ordre économique et de restructuration de l’entreprise.
Je vous prie d’agréer, Monsieur, mes salutations distinguées.
[100] Le comptable témoigne que monsieur Grenier l’aurait informé que le plaignant avait joint un concurrent afin de vendre des informations appartenant à l’employeur, ce que nie le plaignant.
[101] Les 17 et 18 juin 2008, des courriels en provenance de l’adresse électronique de la conjointe du plaignant sont transmis à l’employeur afin de l’informer de l’absence pour maladie du plaignant en plus d’exiger, à titre d’actionnaire, à être avisé du moment du prochain conseil d’administration. À l’audience, le plaignant hésite à reconnaître ces courriels.
[102] Le 18 juin 2008, le plaignant dépose une réclamation pour harcèlement psychologique auprès de la Commission de la santé et de la sécurité au travail qui la rejette. Cette décision est maintenue par la Commission des lésions professionnelles.
[103] Le 20 juin 2008, l’employeur met en demeure le plaignant de cesser de solliciter des concurrents et de divulguer des informations privilégiées.
[104] Le 20 juin, le plaignant transmet à l’employeur par courriel le formulaire de réclamation d’assurance salaire qu’aurait complété le médecin le mardi 10 juin 2008. Le médecin y déclare avoir vu le patient pour la première fois le 6 juin 2008. Le diagnostic énoncé en est un de trouble d’adaptation avec humeur anxieuse.
[105] Le 25 juin, le plaignant consulte à nouveau un médecin. Ce dernier prolonge l’arrêt de travail pour des raisons médicales jusqu’au 28 juillet. Le plaignant déclare avoir transmis à la compagnie d’assurance ce deuxième billet le jour même ou le lendemain.
[106] Le 27 juin 2008, un huissier remet au plaignant la lettre de fin d’emploi ainsi libellé.
Monsieur Jobin,
Par la présente, nous vous informons que votre emploi chez Groupe Conseil en PVA-Automation inc. est définitivement terminé.
En conséquence, votre mise à pied temporaire est maintenant permanente.
Cette décision est motivée par la réorganisation et la restructuration enclenchées au sein de la compagnie de même que par les actes répréhensibles que vous avez posés à l’encontre des intérêts légitimes de la compagnie.
Par ailleurs, c’est par nos avocats que nous avons appris l’existence d’un billet de médecin concernant une prétendue invalidité vous concernant. Ce n’est en effet que le 20 juin que vous nous avez fait parvenir copie du billet.
Nous vous demandons de nous faire parvenir copie des notes médicales pertinentes à toute consultation ayant donné lieu à l’émission du billet.
Nous vous informons que sur réception de ces documents, nous nous réservons le droit de vous diriger vers le médecin de notre choix pour obtenir une contre-expertise.
Bien à vous,
(Reproduit tel quel)
[107] Le plaignant qualifie le contenu de cette lettre « d’insinuations totalement fausses ».
[108] Le plaignant a également contesté la saisie avant jugement invoquant la propriété des effets saisis et réclamant l’émission d’une injonction interlocutoire. La Cour rejette la demande d’injonction et constate, entre autres, que le plaignant ne bénéficie pas de l’apparence de droit requise puisque le litige découlant de la saisie avant jugement a été réglé par une transaction.
[109] L’assureur a contesté l’invalidité du plaignant et a mis fin aux prestations à compter du 29 juillet à la suite d’une expertise médicale.
[110] Par ailleurs, vers la fin de l’été 2008, la situation financière de l’entreprise continue à se détériorer.
[111] Le nouvel actionnaire recruté quitte l’entreprise en août 2008, sans y avoir injecté le capital promis.
[112] À partir de septembre 2008, tous les associés doivent supporter deux mois de compressions salariales et les chargés de projet se retrouvent sans travail. Les revenus des associés seront par la suite réduits de 25 %.
[113] En octobre 2008, l’un des associés se retire. De plus, une adjointe administrative est mise à pied.
[114] À la même époque, monsieur Grenier est invité à quitter l’entreprise. Dès son départ, il fonde une nouvelle entreprise concurrente. Le plaignant y est embauché vers avril 2009 et la relation d’affaires se poursuit de façon épisodique jusqu’en 2010. Le plaignant travaille en étroite collaboration avec Pierre Grenier, malgré les nombreuses difficultés rapportées. Il affirme que monsieur Grenier « l’a supplié de revenir ». Il lui a offert des conditions financières très avantageuses qu’il ne pouvait refuser.
[115] Afin de trancher le présent litige la Commission doit décider :
§ Si le plaignant est un salarié en vertu de la LNT ou un cadre supérieur? En conséquence, peut-il exercer les recours à l’encontre des pratiques interdites prévues à la LNT?
§ Si ces plaintes sont recevables, l’employeur a-t-il démontré que les mesures prises à l’endroit du plaignant sont justifiées et n’ont aucun lien avec la maladie de ce dernier?
§ Enfin, le plaignant a-t-il été victime de harcèlement psychologique tel que défini à la LNT ou est-ce que les comportements reprochés sont attribuables à un conflit?
[116]
La Commission
doit décider si le plaignant est un cadre supérieur selon la LNT ou un salarié
bénéficiant du recours prévu à l’article
[117]
Le paragraphe 6
o
de l’article
3. La présente loi ne s’applique pas : (…)
6° à un cadre supérieur (…)
[118]
Il convient de
constater que la LNT ne définit pas la notion de «
cadre supérieur
»
et qu’une telle exclusion doit s’interpréter de manière restrictive
.
Enfin, il appartient à l’employeur d’établir que le plaignant n’est pas un
salarié et qu’il est visé par l’exclusion de la LNT (
C.N.T.
c.
Paquette
,
2000 R.J.D.T.169 (C.Q.);
C.N.T.
c.
Marois
,
[119]
La Cour d’appel,
dans
Commission des normes du travail
c
. Beaulieu
,
[21] Divers critères ont été élaborés par la jurisprudence pour déterminer si une personne est ou non un cadre supérieur, mais il semble que les plus importants sont sa participation à l’élaboration des orientations politiques de l’entreprise et son pouvoir décisionnel. Les auteurs Georges Audet, Robert Bonhomme, Clément Gascon et Magali Cournoyer-Proulx résument ces critères dans leur ouvrage Le congédiement en droit québécois en matière de contrat individuel de travail, 3e édition, feuilles mobiles, Cowansville (Qc), Éd. Yvon Blais, 1991, vol. 1, paragr. 16.1.16 :
D’ailleurs, depuis la décision Les conseillers en
placement Pemp Inc. c. Forget, [C.S., Montréal, n0 500-05-004830-939, le 7
septembre 1994 (
1) la position hiérarchique de l’employé est pertinente : il doit faire partie de la haute direction. À cet égard, il peut exister différents niveaux hiérarchiques de cadres : cadre de premier niveau, cadre intermédiaire et cadre supérieur ;
2) il faut examiner la gestion du personnel (cadre ou non) de l’employé dont le statut est contesté. […] L’importance de son rôle, de sa discrétion, de sa liberté d’action (sans dépendance), et des pouvoirs qui lui permettent notamment de lier l’entreprise envers des tiers, sont autant de facteurs traditionnels qui deviennent alors déterminants dans de telles circonstances ;
3) les relations de l’employé avec le propriétaire : le cadre supérieur qui fait partie de la haute direction relève, en règle générale, directement du président de l’entreprise ou de ses propriétaires (tel le conseil d’administration) ;
4) les conditions de travail du salarié ainsi que son arrivée et sa progression dans l’entreprise ;
5) la participation de l’employé à la gestion : le cadre supérieur doit participer à l’élaboration des décisions politiques de l’entreprise, à savoir les stratégies et les politiques de cette dernière, ainsi qu’à la détermination des moyens pour assurer la rentabilité ou la croissance de l’entreprise ;
6) il doit jouir d’une grande autonomie, d’une importante discrétion et d’un pouvoir décisionnel important, et non être un simple exécutant des décisions et des priorités de l’employeur.
Il importe toutefois de préciser que chaque cas en est un d’espèce et que plusieurs des critères ou indices énoncés ci-dessus seront fort utiles ou carrément sans utilité selon la grosseur de l’entreprise, son caractère lucratif ou non, la structure du personnel qui la compose et les secteurs d’activités dans lesquels elle agit.
En définitive, il nous semble que les cinquième et sixième critères ci-dessus résumés doivent être privilégiés dans un premier temps, car, à moins de rares exceptions, ils constituent toujours des indices-clés permettant de qualifier un employé de « cadre supérieur », tout autre indice n’ayant souvent qu’un rôle secondaire.
[Je souligne.]
[…]
[24] À mon avis, le cadre supérieur est celui qui participe à l’élaboration des politiques de gestion et à la planification stratégique de l’entreprise. Il doit avoir un grand pouvoir décisionnel et non simplement coordonner les activités de l’entreprise ou appliquer les politiques de gestion élaborées par la haute direction. Les fonctions d’un cadre supérieur ne seront évidemment pas les mêmes dans une société d’assurances opérant à la grandeur du Canada et dans une petite ou moyenne entreprise, à caractère local, telle une boulangerie. C’est pourquoi il est aussi nécessaire d’examiner le contexte particulier de l’entreprise pour déterminer si une personne est ou non un cadre supérieur.
(Reproduit tel quel)
[120] Ainsi, il est essentiel d’évaluer les responsabilités du cadre supérieur en fonction de la réalité de l’entreprise.
[121] En l’espèce, il s’agit d’une petite entreprise de génie-conseil. Le plaignant détient le même nombre d’actions que ses partenaires, mais sans aucune participation financière. Il a le droit de vote lors des réunions du conseil d’administration et il participe à la planification stratégique de l’entreprise. Cependant, il ne dirige aucun employé. Il y a lieu de s’interroger sur la nature réelle de son pouvoir de gestion. Qui dans la compagnie exerce l’autorité et la direction?
[122] À n’en pas douter, le fondateur et président de l’entreprise, Pierre Grenier est le principal dirigeant de l’entreprise. De plus, monsieur Gino St-Pierre à titre de « directeur administratif » exerce une réelle autorité décisionnelle. Bien que chacun des associés joue un rôle important, comme le montre le plan stratégique de développement, le pouvoir de direction est concentré entre les mains de messieurs Grenier et St-Pierre.
[123] Bien que le plaignant participe à la planification stratégique et qu’on lui confie un rôle important, celui de développer les affaires, le plaignant minimise son rôle et le réduit lui-même à celui de démarcheur de clients. Par la suite, il s’étonne des reproches de ses associés.
[124] Pour la Commission, le plaignant exerce ses activités professionnelles sous l’autorité de messieurs Grenier et St-Pierre. Le plaignant agit comme un exécutant des décisions et des priorités mises de l’avant principalement par Pierre Grenier. C’est d’ailleurs ce lien de subordination que le plaignant n’arrive pas à supporter et qui est à la source de tout le litige.
[125] C’est dans ce contexte d’autorité qu’à plusieurs occasions, monsieur Grenier formule de nombreux reproches au plaignant. De son côté, monsieur St-Pierre intervient auprès de ce dernier sur le plan disciplinaire et quant au contrôle de son temps de travail. Monsieur Jobin ne jouissait pas de l’autonomie décisionnelle suffisante pour le qualifier de cadre supérieur.
[126] La Commission n’ignore pas le rôle d’actionnaire du plaignant. Toutefois, la notion de cadre supérieur doit s’interpréter restrictivement et l’employeur ne s’est pas déchargé de son fardeau quant au statut de salarié du plaignant.
[127]
L’article
[128]
En
l’espèce, la mise à pied et le congédiement sont concomitants à l’absence pour
maladie. En conséquence, le plaignant doit bénéficier de la présomption de
l’article
17. S'il est établi à la satisfaction de la Commission que le salarié exerce un droit qui lui résulte du présent code, il y a présomption simple en sa faveur que la sanction lui a été imposée ou que la mesure a été prise contre lui à cause de l'exercice de ce droit et il incombe à l'employeur de prouver qu'il a pris cette sanction ou mesure à l'égard du salarié pour une autre cause juste et suffisante.
[129] Ainsi, il appartient à l’employeur de démontrer que les mesures prises l’ont été pour « une autre cause juste et suffisante » , sans lien avec l’absence pour maladie.
[130] Dans la présente affaire, l’employeur soutient que la fin d’emploi découle de la restructuration de l’entreprise et du comportement du plaignant.
[131]
La
Commission doit déterminer si ces autres causes invoquées par l’employeur sont
sérieuses et constituent la véritable raison de la mise à pied et du
congédiement. Ces causes ne doivent pas masquer un prétexte ou un faux-semblant
pour mettre fin à l’emploi du plaignant en raison de l’absence pour maladie (
Lafrance
c.
Commercial Photo Service inc.
,
[132] Examinons les deux évènements de juin 2008 à la lumière de ces principes.
[133] Cette « mise à pied » survient dans la suite des évènements qui ébranlent l’entreprise depuis plusieurs mois. L’insatisfaction et les récriminations des associés à l’égard du plaignant se multiplient. La situation financière de l’entreprise est en déclin.
[134] Au printemps 2008, la compagnie doit se refinancer. Certains associés doivent cautionner des prêts importants et injecter de l’argent. Le plaignant n’ignore pas la situation, mais il refuse d’y contribuer.
[135] Malgré l’arrivée d’un nouvel associé, la situation financière de l’entreprise continue de se détériorer à l’automne 2008.
[136] Les principes suivants s’appliquent. Si les motifs de la mise à pied sont liés à l’entreprise, elle sera qualifiée de licenciement et le rôle de la Commission sera limité. Afin de conclure qu’il s’agit d’un véritable licenciement, la Commission doit s’assurer que la rupture du lien d’emploi est fondée sur des considérations objectives et réelles qui sont liées à l’entreprise et non au salarié. La Commission doit vérifier si les motifs économiques ou administratifs allégués sont réels ou constituent un prétexte pour écarter le plaignant.
[137]
Enfin, la
Commission doit se pencher sur les critères de sélection des employés à
licencier tels que l’enseigne la Cour d’appel dans
Bousquet
c.
Desjardins
,
Pour décider si la terminaison d'emploi est un congédiement ou un licenciement, le commissaire est autorisé à se pencher sur les critères de sélection. S'ils sont raisonnables, ils ne sont pas indicatifs d'un déguisement. S'ils ne le sont pas, ils en seront un indice. Lorsqu'au terme de son examen, le commissaire conclut qu'il s'agit d'un licenciement et non d'un congédiement, sa compétence est épuisée et il doit rejeter la plainte sans se pencher sur la sélection des employés.
Dans la présente affaire, le commissaire a constaté que les difficultés économiques justifiaient un licenciement. Il avait cependant compétence pour déterminer si l'employeur avait profité du contexte de réduction pour se débarrasser d'un employé pour lequel la réorganisation seule ne justifiait pas la terminaison d'emploi. Il pouvait se demander si, quant à l'appelant, il s'agissait d'un congédiement.
[138] En l’espèce, la preuve de l’employeur convainc la Commission qu’en juin 2008, l’employeur composait avec une situation financière difficile qui commandait de prendre des mesures de redressement.
[139] Ces mesures de redressement visent la mise à pied du plaignant et celle de deux chargés de projets. La Commission doit évaluer si la maladie du plaignant a joué un rôle dans la décision de le mettre à pied.
[140] La Commission conclut que l’absence pour maladie du plaignant n’a eu aucune incidence sur la décision de l’employeur de le mettre à pied. Manifestement, la décision a été prise avant la consultation médicale du plaignant. La preuve éloquente de ce fait apparaît lorsqu’on constate le moment ou les procédures de saisie ont été préparées. En effet, l’affidavit a été signé le jeudi 5 juin alors que la procédure de saisie a été timbrée au début de l’après-midi du 6 juin, avant même que le plaignant ne consulte le médecin.
[141] La Commission retient le témoignage de monsieur Abesque qui situe vers le 2 juin la prise de décision quant « au congédiement » du plaignant. Les procédures ont été rédigées par la suite.
[142] En conséquence, la décision de mettre à pied le plaignant est antérieure à l’absence pour maladie. L’employeur a renversé l’effet de la présomption. Il a démontré une autre cause que la maladie pour motiver la mise à pied du plaignant. Cette plainte est non fondée et elle est rejetée (CQ-2009-1047).
[143] À cette date, à n’en pas douter, l’absence pour maladie du plaignant était connue de l’employeur. Le plaignant bénéficie de la présomption. La Commission doit déterminer si cette absence pour maladie a contribué à la décision de l’employeur de le congédier.
[144]
La Cour d’appel, dans
Silva
c.
Centre hospitalier de
l’Université de Montréal - Pavillon Notre-Dame,
[145] L’absence pour maladie du plaignant a-t-elle été la cause ou a-t-elle en partie contribué à la décision de l’employeur? Est-ce que la cause de congédiement invoquée par l’employeur constitue un prétexte?
[146] En l’espèce, la lettre de l’employeur du 27 juin 2008 résume ainsi les motifs du congédiement :
Cette décision est motivée par la réorganisation et la restructuration enclenchées au sein de la compagnie de même que par les actes répréhensibles que vous avez posés à l’encontre des intérêts légitimes de la compagnie.
[147] Comme indiqué précédemment, l’employeur a démontré que les raisons de réorganiser l’entreprise étaient réelles et justifiées. En fait, la décision définitive de congédier le plaignant s’est matérialisée le 27 juin. Elle était déjà prise vers le 2 juin. La prétendue mise à pied s’est, dans les faits, transformée en rupture complète du lien d’emploi le 27 juin. Les causes sont multiples.
[148] Pour l’employeur, la situation était délicate en raison du statut d’actionnaire du plaignant dans l’entreprise. Cependant, les multiples relations conflictuelles que le plaignant alimentait font parties des actes répréhensibles reprochés.
[149] Il est manifeste que le plaignant refusait systématiquement de se soumettre à quelques demandes de messieurs Grenier ou St-Pierre. Toutes les demandes relatives à la gestion de son temps, à ses vacances ou à ses rapports avec ses collègues étaient balayées par le plaignant qui estimait n’avoir aucun compte à rendre à personne.
[150] Les causes de fin d’emploi invoquées par l’employeur ne constituent pas un prétexte. L’absence pour maladie n’a pas participé, ni de près, ni de loin, à la décision de congédier le plaignant. L’employeur a établi une autre cause juste et suffisante à la base du congédiement. La plainte CQ 2009-1067 est rejetée.
[151] La Commission doit déterminer si le plaignant a été victime de harcèlement psychologique dans le cadre de son emploi chez Groupe conseil en PVA - Automation inc.
[152]
L’article
81.18 . Pour l'application de la présente loi, on entend par « harcèlement psychologique » une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
[153] La Commission doit vérifier si le plaignant subit une conduite vexatoire. Cette conduite vexatoire, au sens de la LNT, est celle qui :
- est humiliante ou abusive;
- se manifeste par des comportements répétés qui sont hostiles ou non désirés;
- porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité physique ou psychologique;
- entraîne un milieu de travail néfaste.
[154]
Dans
l’affaire
Bangia
c.
Danino S.E.N.C
.,
[155] Ainsi, il faut analyser les comportements, paroles, actes ou gestes reprochés du présumé harceleur afin d’évaluer globalement ceux qui sont hostiles ou non désirés. Toutefois, les comportements qui découlent d’une situation normale dans un contexte de relations du travail, de l’exercice légitime des droits de direction, d’une situation conflictuelle, de la conduite du plaignant elle-même ou d’une attitude de victimisation ne pourront constituer du harcèlement psychologique.
[156] Aux fins de cette appréciation des faits, le critère d’analyse est celui de la victime raisonnable, soit celui d’une personne raisonnable, normalement diligente et prudente qui, placée dans les mêmes circonstances que la victime, estimerait avoir fait l’objet d’une conduite vexatoire ayant porté atteinte à sa dignité et à son intégrité et ayant entraîné un milieu de travail néfaste. Dans cette perspective, la perception du plaignant est pertinente, mais non déterminante.
[157] Enfin, la Commission doit analyser la situation dans son ensemble et faire une appréciation globale de la preuve afin de mettre en perspective les divers comportements, paroles, gestes ou actes pour déterminer leur caractère vexatoire. Même si l’examen cas à cas demeure pertinent et nécessaire, l’analyse globale permet d’évaluer le degré réel de gravité de l’ensemble des conduites.
[158] Il appartient au plaignant d’établir, par une preuve prépondérante, qu’il a été victime de harcèlement psychologique. Qu’en est-il en l’espèce?
[159] Le plaignant allègue avoir été victime de conduites vexatoires à l’occasion des évènements que la Commission circonscrit ainsi :
§ Les multiples échanges de courriel entre Pierre Grenier et le plaignant et la nature des propos tenus;
§ Les altercations physiques à Cuba et à Bécancour;
§ La fin d’emploi et la saisie.
[160] Pour la Commission, l’analyse globale de la preuve révèle des relations interpersonnelles difficiles, des situations conflictuelles ainsi que l’exercice légitime des droits de direction de l’employeur qui ne peuvent être qualifiés de harcèlements psychologiques.
[161] La Commission doit d’abord tenir compte du contexte particulier dans lequel le plaignant et ses partenaires travaillent. Chacun travaille à sa résidence et l’employeur n’a pas de bureau d’affaires. Outre les réunions du conseil d’administration, toutes les communications se font par téléphone ou par courriels. La relation professionnelle doit reposer sur la confiance entre les partenaires et nécessite une étroite collaboration. Dans les faits, tout s’écrit, ou presque. Ce contexte ne facilite en rien la communication.
[162] De plus, la nature des rapports entre Pierre Grenier et le plaignant est ambiguë. Ils sont tous deux actionnaires et le plaignant ne doute pas de sa valeur. Il se qualifie de « meilleur cold call ». Il n’a aucunement l’intention de se faire imposer quoi que ce soit par quiconque. Il considère qu’il peut partir à l’étranger quand il le veut pour le nombre de semaines qui lui convient. Il estime aussi qu’il n’a pas à rendre compte de son temps de travail et que les rapports qu’on lui impose sont futiles. Il ne doit rien à personne, il est seul maître à bord.
[163] Pas étonnant que dès les premiers instants de la relation d’affaires avec Pierre Grenier et les autres associés les rapports deviennent rapidement difficiles à supporter.
[164] La Commission n’a pas eu le privilège d’entendre monsieur Grenier. Cependant, à la lecture de ses nombreux courriels, on constate qu’il utilise un langage parfois cru, sur un ton agressif et parfois disgracieux. Cette façon de communiquer n’est certes pas souhaitable. Toutefois, dans le cas présent, ces communications constituent-elles du harcèlement psychologique? La Commission ne le croit pas.
[165] Pour la Commission, les rapports difficiles qu’entretient le plaignant avec ses associés, mais particulièrement avec messieurs Grenier et St-Pierre relèvent du conflit. Ce n’est pas du harcèlement psychologique.
[166]
Comme le
soulignent plusieurs décisions, dont celle de l’arbitre Hamelin, dans
Centre
hospitalier de Trois-Rivières (Pavillon St-Joseph)
c.
Syndicat
professionnel des infirmières et infirmiers Mauricie/Cœur-du-Québec,
[167]
En
l’espèce, les propos échangés sont souvent abusifs. Toutefois dans le contexte,
les rapports entre le plaignant et ses associés ne sont pas de l’ordre de la
conduite vexatoire au sens de l’article
[168] À moult reprises, le plaignant signifie qu’il n’a pas de comptes à rendre à personne. Il répond avec véhémence à chacune des attaques de Pierre Grenier. Il ne s’en laisse pas imposer. Il reproche à Pierre Grenier les propos de ce dernier, mais c’est souvent le plaignant lui-même qui les diffuse à ses associés. Bref, le plaignant alimente activement les conflits en plus de les provoquer.
[169] Les sources de conflits sont multiples. Elles concernent les vacances, la façon d’organiser l’horaire de Pierre Grenier et le climat de suspicion que nourrit le plaignant en voulant contrôler l’emploi du temps de chacun parce qu’il refuse d’en rendre compte.
[170] Le témoignage du comptable de l’entreprise résume bien la situation. C’était un véritable combat de coqs.
[171] Enfin, la Commission ne peut ignorer que le plaignant a choisi de s’associer à nouveau avec monsieur Grenier dans une nouvelle entreprise et de retourner travailler avec lui. Ce fait indique que le plaignant sait composer avec Pierre Grenier, malgré les difficultés.
[172] Quant aux altercations alléguées, qui seraient survenues en janvier 2008 avec Pierre Grenier à Cuba et avec monsieur St-Pierre à Bécancour en février suivant, la preuve ne convainc pas la Commission que ces évènements sont des manifestations de harcèlement psychologique.
[173] L’évènement de Cuba se produit lors de jeux dans une piscine et ne révèle pas du harcèlement psychologique. Par ailleurs, la preuve contradictoire concernant l’évènement de Bécancour et le fait que la plainte aux policiers a été déposée, plusieurs mois après l’évènement, amènent la Commission à privilégier la version de monsieur St-Pierre voulant qu’il y a eu des gestes brusques de ce dernier, mais pas de l’ampleur de ceux décrits par le plaignant.
[174] Quant à la mise à pied et le congédiement, ils résultent de l’exercice légitime des droits de direction de l’employeur. Ce dernier a décidé d’intervenir pour les motifs décrits dans l’analyse des plaintes pour pratiques interdites. Ces décisions qui découlent de l’ensemble des évènements ne sauraient constituer des manifestations de harcèlement psychologique.
EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail
REJETTE les plaintes de monsieur Jeffrey Jobin.
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__________________________________ Maryse Morin |
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M e Isabelle Paradis |
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RIVEST, TELLIER, BRETON |
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Représentante du plaignant |
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M e Louis Riverin |
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BARBEAU & ASSOCIÉS |
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Représentant de l’intimée |
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Date de la dernière audience : |
18 avril 2011 |
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/dc |
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