Section des affaires sociales

En matière de services de santé et de services sociaux, d'éducation et de sécurité routière

 

 

Date : 22 juin 2011

Référence neutre : 2011 QCTAQ 06753

Dossier  : SAS-M-174788-1008

Devant les juges administratifs :

HUGUETTE RIVARD

SOLANGE TARDY

 

O… S…

Partie requérante

c.

SOCIÉTÉ DE L'ASSURANCE AUTOMOBILE DU QUÉBEC

Partie intimée

 

 


DÉCISION



 


[1]               Le requérant conteste une décision rendue en révision par le Service de l’évaluation médicale de l’intimée, la Société de l’assurance automobile du Québec, le 26 juillet 2010.

[2]               Par cette décision, l’intimée maintient sa décision initiale de suspendre le permis de conduire du requérant au motif que les évaluations effectuées par l’ergothérapeute démontrent certains problèmes de même que les tests sur route qui démontrent qu’il ne pouvait pas conduire un véhicule routier de façon sécuritaire.

[3]               À l’audience, tenue devant le Tribunal administratif du Québec à Montréal le 3 mai 2011, le requérant était présent et non représenté. L’intimée était représentée par Me François Desroches-Lapointe.

 

[4]               Le 26 mars 2008, l’intimée reçoit une déclaration d’inaptitude signée par le docteur P.P., psychiatre. Celui-ci fait état d’une schizophrénie et d’un diabète de type II non traité. Il diagnostique également une tumeur cérébrale.

[5]               Auparavant, le requérant avait consulté à l’urgence de l’hôpital A du 24 février au 1 er mars où il est noté des vertiges et des parésies de même que des manques de contrôle moteur intermittents au membre supérieur droit, On note aussi qu’il est aveugle de l’œil gauche et on fait état d’un méningiome de l’aile sphénoïdale gauche avec œdème associé. Il est cédulé pour une chirurgie mais le requérant refuse.

[6]               Le 16 mai 2008, l’intimée demande au requérant de faire compléter un rapport d’examen psychiatrique, un rapport d’examen neurologique et une demande de renseignements sur le diabète.

[7]               Le 30 octobre 2008, le docteur Lemaine indique que le requérant n’a aucune manifestation dans son comportement actuel qui laisse soupçonner des troubles psychiatriques importants, qu’il aurait voulu le référer mais que c’est difficile pour l’instant. Il ne reçoit aucune médication et le médecin envisage de demander une évaluation au docteur Boucher, omnipraticien, avec une opinion en psychiatrie.

[8]               Le 20 novembre 2008, le même médecin indique qu’il ne relève aucune pathologie évolutive sur le plan neurologique chez ce patient tant au niveau du questionnaire qu’à l’examen physique. Il ne note aucun déficit et il indique qu’il n’y a aucune histoire de convulsion ou de crise épileptique. Il ajoute que le patient ne reçoit aucune médication et que depuis les 4 dernières années, il n’a jamais noté de manifestation susceptible d’évoquer une notion d’épilepsie. Il note toutefois qu’il s’agit d’un homme plutôt nerveux avec un certain degré d’insouciance et qui ne présente cependant aucune pathologie décelable sur le plan neurologique. Il ne sait pas dans quelle mesure il serait important de réclamer une évaluation auprès d’un neurologue.

[9]               Le 6 mars 2009, un examen pratique de réévaluation de compétences est exécuté par le requérant. Monsieur de Champlain, ergothérapeute, fait état que «  le candidat est un danger public, qu’il ne respecte presque jamais le Code de la sécurité routière. Il a des problèmes d’exploration visuelle, il dit des mots incompréhensibles tout au long du parcours. Il conduit en étant très hésitant. Son permis doit être révoqué sans aucun délai  ». Il ajoute qu’il ne respecte à peu près aucun clignotant, aucun arrêt complet. Il ne fait pas ses virages en respectant sa voie, il n’y a pas d’angle mort.

[10]            Le 6 mars 2009, l’intimée suspend donc le permis du requérant.

[11]            Le 2 avril 2009, elle lui accorde un permis de classe 5 avec la condition S pour pouvoir faire son évaluation sur route.

[12]            L’évaluation en salle est effectuée le 24 mars 2009 alors que celle sur route l’est le 23 avril 2009.

[13]            Le rapport de l’évaluation fonctionnelle sur l’aptitude physique et mentale à conduire un véhicule routier est complété le 22 mai 2009 par l’ergothérapeute. Elle dénote une atteinte modérée à l’attention, un ralentissement de la vitesse de traitement de l’information, une atteinte de la flexibilité mentale de même qu’une praxie de construction.

[14]            Au test sur route, elle indique un échec et elle avait recommandé au requérant de suivre quelques séances d’apprentissage mais il est ancré sans ses mauvaises habitudes et ne cherche pas à s’améliorer. Elle conclut que le requérant a une très mauvaise exploration visuelle, il ne fait pas d’angle mort, a de la difficulté à lire les informations sur le tableau de bord, les risques d’accrochage ont été multiples pendant l’évaluation en raison de temps de réaction diminué, de mauvaise décision et de troubles visuels avec diminution de l’exploration. Elle considère qu’il n’est pas sécuritaire de remettre un permis de conduire au requérant.

[15]            Le 4 juin 2009, l’intimée écrit au requérant pour lui faire part qu’il présente des séquelles secondaires à une maladie neurologique qui ne permet pas la conduite d’un véhicule routier. Elle suspend donc son permis à compter du 23 juin suivant.

[16]            Le 3 juillet 2009, un électroencéphalogramme révèle une discrète dysfonction non-spécifique d’activité cérébrale perceptible de la région mid temporal gauche.

[17]            Le 13 juillet 2009, le docteur Rami Marcos, neurologue, rencontre le requérant et fait état d’un diabète. Il note de légers tremblements. À son impression, il indique qu’il a présenté des déficits lors de l’évaluation en ergothérapie concernant son aptitude à conduire le taxi mais qu’il n’est pas porteur de diagnostic neurologique qu’il puisse nous communiquer dans les antécédents. À noter que le requérant ne lui a pas fait part de son hospitalisation et de la tumeur cérébrale qui avait été trouvée. Le docteur Marcos poursuit que l’examen ne révèle pas d’indice de lésion intracrânienne pouvant expliquer les symptômes et qu’il va compléter le bilan neurologique par l’obtention d’un électroencéphalogramme et par un scanner et résonance magnétique cérébrale. Ces documents ne sont pas disponibles outre l’électroencéphalogramme.

[18]            Le 26 septembre 2009, le requérant soumet un rapport d’examen visuel qui commande le port de lunettes tout simplement pour conduire.

[19]            Le 21 septembre 2009, le docteur Lemaine complète un formulaire en mentionnant que le requérant ne présente aucune atteinte auditive, qu’il a été évalué en neurologie récemment par le docteur Marcos, qu’il n’a pas de trouble cardiaque, ni de trouble respiratoire. Il a cependant un diabète connu depuis les années 1985 de type II et qu’il a cessé son traitement. Au niveau des troubles psychiatriques, il fait état d’un diagnostic de schizophrénie posé en 1998, que le requérant ne reçoit aucun traitement, qu’il tient souvent des propos délirants. Il a également des épisodes d’hallucination auditive mais pas de trouble de comportement. Il n’y a aucune limitation fonctionnelle. Au niveau des autres diagnostics, il note le méningiome temporal gauche avec une cécité de l’œil gauche et un diabète non contrôlé de type II. Il indique que selon l’opinion du docteur Marcos, l’examen neurologique «  s’est révélé normal !  ». Le requérant devait rencontrer un neurochirurgien, le docteur Richard Leblanc, le 16 septembre 2009 mais il n’a aucune nouvelle pour le moment. Il ajoute qu’il n’est pas son médecin traitant et qu’il ne connaît pas le médecin traitant du requérant.

[20]            Le 19 octobre 2009, le requérant rencontre le docteur Jean-Pierre Berthiaume, psychiatre. Le requérant indique au docteur Berthiaume qu’il n’a jamais vu de psychiatre et ne lui fait pas état non plus de ses visites à l’urgence. Selon lui, le requérant souffre d’un délire érotomaniaque et il n’a pas les symptômes négatifs ou primaires de la schizophrénie. Il tente un traitement par médication et indique qu’il remplira son rapport pour l’intimée après quelques semaines, dépendant de la réponse au traitement du requérant. Cependant, il mentionne à la fin de sa lettre que le requérant a changé d’avis et qu’il est revenu à son bureau pour demander le formulaire de l’intimée en disant qu’il consulterait en psychiatrie dans son secteur.

[21]            Le 16 décembre 2009, le docteur Gilberte Boucher complète un rapport d’examen médical par un psychiatre et elle indique un désordre délirant de type érotomaniaque et que le requérant n’a aucun symptôme négatif ou primaire de schizophrénie. En ce sens, elle reprend les éléments du docteur Berthiaume. Elle note des hallucinations de voix de personnes précises mais sans pathologie majeure. Elle prescrit un médicament à son tour et ajoute que le requérant présente ce problème délirant associé à des facteurs culturels également. Cela fait 28 ans qu’il conduit et il n’a jamais eu de plainte ni d’accident responsable. Elle le déclare donc apte à conduire de façon sécuritaire un taxi. Fait à noter que le docteur ne semble pas au courant elle aussi des autres problèmes du requérant concernant sa tumeur et ne fait non plus état des différentes évaluations en ergothérapie.

[22]            Les 14 et 18 juin 2010, le requérant se soumet à une autre évaluation fonctionnelle de son aptitude physique et mentale à conduire un véhicule routier. Le rapport est fait le 28 juin 2010 par l’ergothérapeute. En salle, elle note des atteintes à la gnosie visuelle, à la praxie, à l’attention, à la concentration, au jugement/raisonnement et à la vitesse de traitement de l’information. Elle ajoute que la répétition des consignes est parfois nécessaire. Dans ses commentaires, elle indique que les résultats des différents tests perceptivo-cognitifs révèlent des atteintes «  étant donné que l’ensemble des résultats se situe sous les normes en fonction de son âge et de son niveau de scolarité. Les difficultés se situent au plan de la mémoire, du jugement, de la flexibilité, de l’abstraction, de la vitesse de traitement de l’information, de l’attention, des gnosies et des praxies. L’impact de ces atteintes sur la conduite automobile sécuritaire sera vérifié via un test routier.  » Elle ajoute que le requérant présente une diminution de la connaissance de certains panneaux routiers ainsi que le jugement nécessaire pour intervenir lors de certaines situations de conduite automobile.

[23]            Au test sur route, elle conclut que le requérant ne présente pas les habiletés nécessaires pour la conduite sécuritaire. «  Les difficultés relevées en clinique se transposent sur la performance de la conduite automobile. M. présente une conduite très à risque en raison de la lenteur d’exécution des manœuvres, lenteur d’analyse, le signalement inconstant des intentions aux autres usagers de la route, le mauvais positionnement du véhicule, l’exploration visuelle insuffisante et inefficace, les changements de voie à risque, le non-respect des limites de vitesse et la non-reconnaissance de panneau de signalisation. De plus, le moniteur a dû intervenir à maintes reprises en l’aidant verbalement. Aussi, le moniteur a freiné à 3 reprises et il a repris le volant à quelques reprises afin d’éviter les situations dangereuses.  » Le résultat est donc un échec et la recommandation est à l’effet de ne pas délivrer un permis de conduire de classe 5 au requérant puisqu’il n’a pas démontré qu’il possède les habiletés nécessaires pour la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

[24]            C’est à la suite de la réception de ce dernier rapport que l’intimée a suspendu le permis de conduire du requérant.

 

[25]            Le Tribunal doit déterminer si l’intimée se devait de suspendre le permis de conduire du requérant en conformité avec l’article 58.2 du Règlement sur les conditions d’accès à la conduite d’un véhicule routier relatives à la santé des conducteurs [1] de même que les articles 190 et 557 du Code de la sécurité routière [2] . Ces articles se lisent comme suit :

«  58.2.  La présence de plusieurs atteintes, maladies ou déficiences dont l'ensemble constitue un risque pour la sécurité routière est relativement incompatible avec la conduite d'un véhicule routier. »

«  190.  La Société peut suspendre un permis d'apprenti-conducteur et un permis probatoire ou un permis de conduire ou une classe de ceux-ci lorsque le titulaire de l'un ou plusieurs de ces permis :

1° refuse de se soumettre à un examen ou à une évaluation sur sa santé visé aux articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4 ou omet de lui remettre le rapport d'un tel examen ou d'une telle évaluation ;

2° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation qui, suivant les normes concernant la santé établies par règlement, sont relativement incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant à l'un des permis ou à l'une des classes de permis qu'il possède ;

3° selon un rapport d'examen ou d'évaluation visé aux articles 64, 73, 76.1.2 ou 76.1.4 ou un rapport visé à l'article 603, est atteint d'une maladie, d'une déficience ou se trouve dans une situation non visées dans les normes concernant la santé établies par règlement mais qui, d'après l'avis d'un professionnel de la santé ou d'un autre professionnel que la Société peut désigner nommément, sont incompatibles avec la conduite d'un véhicule routier correspondant au permis de la classe demandée ;

4° refuse de se soumettre à un examen de compétence ou y subit un échec ;

5° a fourni des renseignements faux ou inexacts lors de l'obtention ou du renouvellement d'un permis ou de la classe visée ou lors d'un changement visé à l'article 95 ;

6° néglige ou refuse de fournir à la Société un renseignement qu'elle lui demande en vertu du présent code ;

7° est débiteur de la Société à l'égard des sommes visées à l'un des articles 21, 31.1, 69, 93.1 et 209.20 relativement à un chèque sans provisions suffisantes ou qui est retourné par une institution financière pour tout autre motif ou à l'égard des frais exigibles en vertu des paragraphes 4.1° et 5° de l'article 624 ;

8° ne se conforme pas aux modalités de paiement par prélèvement automatique des droits, frais, contribution d'assurance et taxe sur cette contribution relativement à un véhicule lui appartenant ou à un permis. »

«  557.  La Société peut de sa propre initiative ou sur demande de la personne concernée réviser ou annuler toute décision qu'elle a rendue et contre laquelle aucun recours n'a été formé devant le Tribunal administratif du Québec.

La Société peut également, de sa propre initiative ou sur demande de la personne concernée, rectifier toute décision entachée d'erreurs d'écriture, de calcul ou de toute autre erreur de forme. »

[26]            Il appert de la preuve documentaire que certains médecins mandatés pour évaluer le requérant n’étaient pas au courant de toutes les données médicales de celui-ci.

[27]            Ainsi donc, nonobstant l’opinion du neurologue de même que du docteur Boucher, le requérant a failli dans ses deux évaluations sur route à cause de problèmes majeurs présentés.

[28]            Il appartenait au requérant de démontrer que ses atteintes cognitives s’étaient améliorées ou qu’elles ne faisaient pas entrave à sa conduite automobile. Le requérant trouve injuste le fait qu’il n’ait pas son permis étant donné qu’il a conduit son taxi pendant plusieurs années, qu’il n’a jamais eu d’accident et jamais eu de plainte portée contre lui.

[29]            Malheureusement, le Tribunal ne peut retenir cet argument, puisque la preuve prépondérante démontre que celui-ci présente un risque important en regard de la conduite automobile sur la route. Le diagnostic de schizophrénie n’est pas confirmé mais il était déjà apparu au dossier, celui de la tumeur est présent et n’a pas été contredit. Il avait même été suggéré une chirurgie à cet égard que le requérant a refusée. Il ne veut pas prendre de médicaments pour son diabète et tel qu’il a déjà été retenu lors d’une jurisprudence du Tribunal [3] «  peu importe la cause ou le degré des atteintes cognitives du requérant, il demeure que sa conduite sur la route est dangereuse  ».

[30]            Dans ces circonstances, le Tribunal souligne que le Code de la sécurité routière est une loi impérative et qu’il doit être appliqué rigoureusement.

[31]            Il n’a pas été démontré que le requérant avait les habilités physiques et mentales nécessaires pour la conduite sécuritaire d’un véhicule routier.

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

REJETTE le recours du requérant.


 

HUGUETTE RIVARD, j.a.t.a.q.

 

 

SOLANGE TARDY, j.a.t.a.q.


 

Me François Desroches-Lapointe

Procureur de la partie intimée


 



[1]           c. C-24.2, r.0.1.0001.

[2]           L.R.Q., c. C-24.2.

[3]           2009 QC-TAQ 09343