TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :2011-7379

 

 

Date : 19 juillet 2011

 

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DEVANT L’ARBITRE : Me Nicolas Cliche

 

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UTIS - DIVISION UES - LOCAL 800,

Ci-après appelé(e) « le syndicat »

Et

LES HÔTELS HARILELA LTÉE,

Hôtel Quality Dorval

Ci-après appelé(e) « l’employeur »

 

 

Plaignant(e) :

Madame Jocelyne Joseph

 

Grief(s) :

 

LM-19-04-2010-3

LM-1-04-2011-1

LM-1-04-2010-2

 

 

Pour le syndicat :

Madame Sophie Bourgeois

Pour l’employeur :

Me Louise Patry

 

 

Date(s) d’audience :

les 4 février et 21 juin 2011 à Montréal

 

 

 

 

 

 

 

 

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SENTENCE ARBITRALE

 

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[1]            Les procureurs au dossier ont procédé aux admissions d’usage en regard avec la compétence de l’arbitre à entendre le litige et le respect de la procédure dans le cheminement des griefs à l’arbitrage.

[2]            À l’origine du grief, on retrouve la lettre de suspension datée du 31 mars 2010, qui fut produite au dossier sous S-3 et qui se lit comme suit :

 

AVERTISSEMENT

 

DATE DE L’INCIDENT : Mercredi 17 mars 2010

 

Nom de l’employée : Jocelyne Joseph

 

SUJET : Plainte de client dans chambre # 4195

 

 

Le Mercredi 17 mars 2010 nous avons reçu une plainte d’un membre d’équipage de lignes aériennes Colgan, Mme Linda Conti qui occupait la chambre #4195 à l’effet que comme elle entrait dans sa chambre ce jour, une préposée aux chambres était dans la salle de bain en train de se brosser les dents.

 

Mme Conti est immédiatement descendue à la réception pour acheter une nouvelle brosse à dents car elle était inquiète que la préposée aux chambres avait employé la sienne.

 

Cette plainte est allée au directeur de compte corporatif qui nous a alors informés que nous avions perdu le compte de Colgan.

 

La chambre # 4195 était une des chambres qui vous était assignée ce jour la.  Nous vous avons parler de cet incident et en réponde aux questions de Mme Nisha et moi-même vous avez dit que vous n’aviez rien fait de mal.  Tout ce que vous aviez a nous dire était : « Je ne me brossais pas les dents, je ne fessais que me gargariser et j’ai craché l’eau dans l’évier. »

 

Ce comportement d’une préposée  aux chambres est inacceptable et il ne peut pas et ne sera pas toléré par l’employeur.

 

En aucun temps une préposée aux chambres peut utiliser pour quelque raison que ce soit la chambre d’un client.

 

Cette situation est très sérieuse et par conséquence nous n’avons d’autre choix que de vous suspendre pour une période d’un mois commençant le 1 er avril 2010 jusqu’au 30 avril 2010 en raison de cet incident.

 

Soyez avisée qu’à l’avenir ce type de comportement entraînera des mesures disciplinaires plus sévères incluant le congédiement.

 

 

(S) Dina Roumanis

Directeur des ressources humaines

 

 

[3]            Pour une meilleure compréhension du dossier, il y a lieu de résumer brièvement la preuve administrée en cours d’audition.

PREUVE PATRONALE

Témoignage de Daulat Dipshan

[4]            Monsieur Dipshan est président de la compagnie Les Hôtels Harilela Ltée, laquelle compagnie opère l’Hôtel Quality Dorval.

[5]            Il connaît madame Joseph depuis plus de quinze (15) ans.

[6]            Il a été impliqué dans la décision de suspendre madame Joseph pour un (1) mois et ce, le 31 mars 2010.

[7]            Il y a, chaque matin, une réunion pour discuter des affaires courantes des deux (2) hôtels que la compagnie opère et on avait reçu au comptoir central de l’hôtel Quality une plainte d’un membre de l’équipage de la compagnie Colgan.  Madame Linda Conti, hôtesse de l’air, qui occupait le 17 mars 2010, la chambre 4195 a vu la plaignante qui se brossait les dents dans sa salle de bain avec sa brosse à dents personnelle.  Madame Conti a adressé sa plainte à l’assistant gérant, monsieur Nader Abdel Nour.

[8]            Il a communiqué dans les jours qui ont suivi la plainte avec Jessica Carbone, de la compagnie Colgan et malheureusement, il a perdu ce client dans les jours qui ont suivi la plainte de madame Conti.

[9]            Madame Carbone reconnaissait que l’incident du 17 mars était probablement un incident isolé mais le syndicat et les membres de l’équipage de la compagnie Colgan Airlines ont décidé de quitter l’hôtel (courriel du 24 mars 2010 produit sous E-2).

[10]         Il commente le document E-2 qui est une communication entre Jessica Carbone et lui-même, communication en date du 24 mars 2010 et une communication également entre lui et madame Jessica Carbone en date du 22 mars 2010.  Il se disait en état de choc et assurait madame Carbone qu’un tel incident ne se reproduirait plus jamais.

[11]         Suite à cette plainte, il a rencontré madame Joseph avec monsieur Luis Millard, le représentant syndical et Dina Roumanis, sa directrice des ressources humaines.  Au départ, on avait l’intention de congédier madame Joseph.  Cette dernière n’a pas admis s’être brossée les dents dans la salle de bain de madame Conti.  Elle a admis s’être gargarisée dans le lavabo de la salle de bain de la cliente.

[12]         De toute façon, la femme de chambre ne doit jamais utiliser la toilette ou la chambre d’une cliente.  Madame Joseph aurait dû, si elle devait se gargariser, se rendre à la cafétéria ou à un endroit accessible aux syndiqués. Les employés ne doivent jamais utiliser la chambre d’un client à des fins personnelles.

[13]         Il produit le document E-3 qui fait état des affaires transigées par l’hôtel avec Colgan Airlines.  En 2010, pour trois (3) mois seulement, l’hôtel atteint des revenus de 50 100.00$ avec Coglan Airlines et il a perdu la clientèle de Colgan Airlines dès le  24 mars 2011.

[14]         Pour l’année 2009, le chiffre d’affaires avec la compagnie Colgan fut de 66 890.00$ et en 2008, 82 269.00$.  Avant 2008, Colgan Airlines ne faisait pas affaires avec son hôtel.

[15]         Nous sommes en présence de pertes considérables qu’il qualifie, pour son entreprise, de véritable désastre.

Témoignage de Linda Conti

[16]         Linda Conti, le 4 février 2011, n’était pas à Montréal et il fut convenu de la rejoindre par téléphone à Bethleem Pennsylvanie où elle habite.

[17]         Madame Conti fut rejointe.  Il y eut appel en main libre et tout le monde a compris ce que madame Conti a déclaré suite aux questions du procureur patronal, Me Patry.

[18]         En février 2010, madame Conti allait à Montréal pour son travail environ une (1) fois par semaine.

[19]         Le 17 mars 2010, elle séjournait à l’hôtel Quality de Dorval et ce, pour une durée d’environ 30 heures.  Il faisait beau ce jour-là et elle a pris une longue marche autour de l’hôtel.  Après sa marche, elle a eu faim et elle est retournée à sa chambre pour chercher de la nourriture.  En entrant dans sa chambre, elle a vu la femme de ménage qui se brossait les dents avec sa brosse à dents qui était selon elle, rose.

[20]         Elle a vérifié sa valise car elle craignait qu’on ait pu y accéder et elle s’est rendue immédiatement  au bureau de la réception pour demander une autre brosse à dents.  Elle a également rapporté l’incident à la personne en charge au comptoir de la réception et elle a raconté ce fait aux gens de son équipe.  Elle a fait état de l’incident à son capitaine et son syndicat fut également impliqué dans la décision à être prise.

[21]         Elle était très choquée, étonnée de cette conduite pour le moins inacceptable et c’est pour cette raison que Colgan Airlines a décidé de déplacer ses pénates pour l’avenir au Holiday Inn Crowne Plaza, un autre hôtel situé pas très loin du Quality Dorval.

[22]         Elle est certaine d’avoir vu la femme de chambre se brosser les dents avec sa brosse à dents, au lavabo de la salle de toilette.

Témoignage de monsieur Daulat Dipshan

[23]         Entendu à nouveau, monsieur Dipshan reconnaît que c’est rare que l’on reçoit des plaintes de clients.

[24]         Il est mis au courant par son personnel de toutes les plaintes et à chaque fois, il mène son enquête.  Si on avait reçu des commentaires positifs sur le travail de madame Joseph, ces commentaires seraient à son dossier.  Il y a peut-être eu des plaintes mineures concernant madame Joseph mais c’est la première fois qu’on avait une plainte de cette importance.

[25]         Madame Joseph a admis s’être gargarisée dans la chambre de la cliente, ce qui est contre la politique de l’entreprise.

PREUVE SYNDICALE

Témoignage de Jocelyne Joseph

[26]         Jocelyne Joseph est préposée aux chambres.  Elle travaille à l’hôtel depuis le 4 octobre 1993 et elle est présidente du syndicat local depuis neuf (9) ans.

[27]         Elle fut suspendue un (1) mois le 31 mars 2010, pièce S-3.  Elle se dit humiliée par cette mesure disciplinaire car elle fait toujours attention aux autres, particulièrement en regard avec le respect qu’elle doit toujours porter aux individus qu’elle côtoie et qu’elle doit servir dans le cadre de son travail.

[28]         Elle explique que le 9 mars 2010, elle ne se sentait pas bien.  Elle est allée voir son médecin et souffrait d’une pneumonie.  Le médecin lui a prescrit des antibiotiques pour une période de dix (10) jours.  Elle exhibe à l’arbitre le document sur lequel lui ont été prescrits les médicaments qu’elle prenait et qui lui furent prescrits le 9 mars 2010, pièce S-9.

[29]         Elle venait travailler quand même et en regard avec l’accusation qu’elle se serait brossée les dents avec la brosse à dents de la cliente, elle nie avec véhémence.

[30]         Lors de l’incident, elle ressentait une chaleur qui lui sortait de la bouche.  Elle traîne toujours avec elle une bouteille d’eau dans son chariot.  Elle a bu de l’eau qu’elle a gardée un peu dans sa bouche et elle s’est gargarisée.  Elle portait alors des gants orange car elle était à laver le lavabo et l’eau du lavabo coulait.  La porte de la chambre était ouverte et le chariot était devant la porte de la chambre.

[31]         Madame Conti est arrivée et les deux (2) femmes se sont saluées : « bonjour, comment allez-vous? » .  Elle prétend que madame Conti s’est rendue au fond de la chambre pour y chercher un petit pot de nourriture chinoise sèche.  Madame Conti est restée au maximum cinq (5) minutes dans la chambre et elle a quitté.

[32]         Elle a terminé de nettoyer la chambre et cela a pu prendre environ vingt (20) minutes pour compléter l’opération.

[33]         Un peu plus tard, l’assistante à l’entretien ménager Nicha est arrivée pour lui parler.  Elle lui a demandé : « qui a fait la chambre 4195? » .  Elle lui a répondu que c’était elle, c’était une chambre qu’elle nettoyait chaque jour, c’était une de ses chambres.

[34]         Elle a dit à Nicha : « ne vient pas me dire que la chambre n’a pas été bien faite ».  Nicha a répondu : « tu ne vas pas croire ce que la cliente a dit à la réception » .  La cliente a dit : « que tu te brossais les dents avec sa brosse à dents » .  Au début, les deux (2) femmes ont ri de la situation car cela semblait totalement absurde.

[35]         Elle affirme qu’elle est très dédaigneuse et que jamais, elle ne prendrait la brosse à dents d’une cliente.  Elle n’utiliserait même pas, à la maison, la brosse à dents de son mari.

[36]         Dans la salle de bain, elle avait remarqué une petite brosse à dents de dépannage, qu’elle n’a pas utilisée de toute façon.

[37]         L’incident a pu se passer vers 11h00, 11h30 le matin.

[38]         Toute cette affaire constitue une véritable honte pour elle.  Ses collègues de travail parlent de ça.  On ne comprend pas comment on peut poser un tel geste.  Ses compagnons de travail la voie comme une personne qui a un problème mental.  C’est pour elle une honte, une humiliation et on ne retrouve rien à son dossier.

[39]         Elle a reçu une nouvelle prescription le 22 mars, prescription produite sous S-9.

[40]         Lorsqu’elle a rencontré la direction, le 31 mars 2010, elle était stupéfaite des reproches qu’on lui adressait et de sa suspension pour un (1) mois.

[41]         Elle a expliqué sa version à monsieur Dipshan et à Dina Roumanis.  Elle a admis s’être gargarisée et a émis l’hypothèse que la cliente ait pu entendre qu’elle se gargarisait.

Témoignage de Linda Conti

[42]         À la demande du procureur syndical, madame Linda Conti est venue à Montréal le 21 juin 2011, pour témoigner.

[43]         Elle reparle de l’incident du 17 mars 2010, incident dont elle avait parlé par téléphone conférence le 4 février 2011.  L’incident s’est passé entre 13h00 ou 14h00.  Elle est restée dans la chambre environ cinq (5) minutes.

[44]         Elle avait fait une marche autour de l’hôtel et elle avait faim.  Elle est montée à sa chambre pour se prendre une soupe.  En entrant dans sa chambre, la femme de chambre était dans la salle de bain.  Elle a entendu que l’eau du lavabo coulait.  Elle a vu la femme de chambre et elle se brossait les dents avec sa brosse à dents.  Elle fut surprise et lui a dit : « bonjour ».  La femme de chambre avait même de la pâte à dents dans la bouche et se brossait les dents.

[45]         Elle n’a pas vu de bouteille d’eau sur le chariot de la femme de chambre et Colgan Airlines ne donne pas de brosse à dents de courtoisie au personnel de l’équipage.

[46]         Quelle couleur était sa brosse à dents? Elle hésite.  Elle était soit bleue, rose ou mauve.  À première vue, elle croit que sa brosse à dents était mauve mais à la fin, elle croit qu’elle était plutôt rose.

[47]         Elle était très troublée de cette situation.  Cela l’a choquée, c’était une invasion de son intimité personnelle et c’est vraiment inacceptable.

[48]         Elle a regardé sa valise pour voir si la femme de chambre avait pu toucher à autre chose.  Elle s’est rendue au bureau de la réception pour demander une nouvelle brosse à dents.

[49]         Elle n’a jamais déposé aucune plainte avant cet incident pas plus à cet hôtel que dans d’autres hôtels.

[50]         Retournée à sa chambre, elle a jeté son maquillage, son déodorant, son mascara et son savon. Elle craignait qu’on ait pu utiliser ses items personnels.

[51]         Le 18 mars, elle s’est plainte de la situation à son capitaine et au premier officier de l’équipage.  Elle a fait également une plainte à son syndicat et à son superviseur et il fut décidé qu’on changerait d’hôtel. On n’est plus retourné depuis cet incident.

ARGUMENT PATRONAL

[52]         Le procureur patronal fait une révision de la preuve administrée.

[53]         Une femme de chambre n’a aucunement le droit d’utiliser la chambre d’une cliente à des fins personnelles.  La chambre d’une cliente est un endroit totalement privée et on ne peut pas utiliser la chambre ou l’équipement qui s’y retrouve à des fins personnelles.

[54]         Madame Joseph a nié s’être brossée les dents avec la brosse à dents de madame Conti mais elle a au moins admis s’être gargarisée, en crachant de l’eau dans le lavabo de la salle de bain.

[55]         Il fut dit que madame Joseph avait de la nourriture dans la bouche.

[56]         Bref, madame Conti n’a aucun intérêt dans l’affaire et elle est venue à Montréal pour témoigner.  Elle a vu madame Joseph se brosser les dents, elle était surprise, choquée et Colgan Airlines a décidé de changer d’hôtel.

[57]         La perte pour l’hôtel est considérable, si l’on considère le document E-3.  Pour les trois (3) premiers mois seulement de 2010, Colgan Airlines a rapporté à l’hôtel 50 100.00$ et le client fut perdu.  Colgan a rapporté en 2009, 66  890.00$ et 80 269.00$ en 2008.

[58]         Comme a dit monsieur Dipshan, lors de son témoignage, c’est un désastre pour son entreprise.

ARGUMENT SYNDICAL

[59]         Le syndicat plaide que madame Joseph travaille à l’hôtel depuis 18 ans, préposée aux chambres depuis 1993 et présidente du syndicat depuis neuf (9) ans.

[60]         Le 9 mars 2011, madame Joseph est malade et elle consulte un médecin qui lui prescrit des antibiotiques.  Madame Joseph travaille quand même à l’hôtel et le 17 mars 2011, elle sent une chaleur dans sa bouche due à son infection.  Elle prend l’eau dans la bouteille de son chariot, eau qu’elle porte à sa bouche et elle garde l’eau dans sa bouche un certain temps.

[61]         Lorsque la cliente est entrée, madame Joseph était à laver le lavabo, l’eau coulait et madame Joseph portait des gants orange.

[62]         S’il est vrai que madame Joseph utilisait la brosse à dents de la cliente, pourquoi cette dernière n’a-t-elle pas directement reproché à madame Joseph ce comportement inacceptable?  Elle ne dit rien, elle salue madame Joseph et elle quitte la chambre.

[63]         Madame Joseph se dit insultée, blessée, humiliée.  Elle nie l’incident et il faut la croire.  Il apparaît invraisemblable qu’une femme comme madame Joseph utilise la brosse à dents d’une cliente.

[64]         Madame Conti n’a pas remarqué que madame Joseph portait des gants orange.  Elle ne se souvient pas non plus quelle était la couleur de sa brosse à dents. Cela lui a pris du temps avant d’affirmer que sa brosse à dents était rose.

[65]         Il faut que l’arbitre intervienne et casse tout simplement la mesure disciplinaire et indemnise madame Joseph pour toutes les sommes d’argent perdues.

DÉCISION

[66]         Nous sommes fondamentalement en présence d’une version contradictoire.  Madame Conti affirme avoir vu madame Joseph se brosser les dents avec sa brosse à dents.  Devant l’arbitre, elle a même dit avoir remarqué de la pâte à dents dans la bouche de madame Joseph.

[67]         Madame Joseph nie avec véhémence.  Elle se dit blessée et insultée car jamais elle n’aurait fait un tel accroc à l’intimité d’une cliente.  Elle reconnaît toutefois qu’elle avait de la chaleur dans la bouche due à son infection, qu’elle se gargarisait avec l’eau de sa propre bouteille et qu’elle a craché dans le lavabo.

[68]         Regardons la lettre de suspension du 31 mars 2010 produite sous S-3.  Cette lettre est signée de madame Roumanis.  Dans la version française de la lettre, au paragraphe 2, on y lit ce qui suit : « madame Conti est immédiatement descendue à la réception pour acheter une nouvelle brosse à dents car elle était inquiète que la préposée aux chambres avait employé la sienne » .

[69]         Il y a, dans ce deuxième paragraphe, une déclaration pour le moins imprécise.  Madame Conti aurait dit quelques minutes après l’incident qu’elle était inquiète, que la préposée aux chambres avait utilisé sa brosse à dents.  On ne retrouve pas là, une déclaration formelle de la cliente.  Elle était inquiète, elle croyait, il y avait donc, dès le moment où madame Conti s’est plainte à la réception, une hésitation de sa part, une indécision.

[70]         Un autre document est intéressant.  C’est le document produit en liasse sous E-1.  À la page 2 du document, on remarque un message du « front desk manager » Nader Abdel Nour, message envoyé le 22 mars 2010 à 10h45 AM à madame Jessica Carbone de la compagnie Colgan Airlines.  Monsieur Nader Abdel Nour, premièrement, s’excuse et il déclare ce qui suit :  « once Ms. Linda Conti came to the desk to express that she was not sure but thought that the housekeeper was brushing her teeth with her tooth brush ».

[71]         Il y a là un élément important.  Bien sûr, monsieur Nader Abdel Nour n’a pas témoigné mais son message, par courriel, fut produit au dossier.  Madame Conti lui aurait déclaré qu’elle n’était pas sûre que la femme de chambre utilisait sa brosse à dents et qu’immédiatement, on a vérifié avec madame Joseph qui a admis s’être gargarisée.

[72]         Il y a, dès le début de l’enquête, un élément d’incertitude.  Madame Roumanis dit que madame Conti était inquiète qu’on ait pu utiliser sa brosse à dents et au bureau de la réception, madame Conti aurait dit qu’elle n’était pas certaine. « She was not sure »

[73]         Ces deux (2) documents émanent de l’employeur.  En plus de ça, il y a le témoignage véhément et passionné de madame Joseph qui nie s’être brossée les dents avec la brosse à dents de la cliente.

[74]         Elle est humiliée de l’accusation.  On pense qu’elle est une malade mentale pour avoir fait un tel geste.  Jamais elle n’aurait osé le faire, elle est dédaigneuse et tout cela ne se fait tout simplement pas.  Elle admet, sans hésiter, qu’elle se gargarisait à cause de son infection à la bouche.

[75]         Là encore, on peut dire que madame Joseph a semblé tout à fait sincère.  Elle a parlé de chaleur dans sa bouche, d’antibiotiques et d’infection.

[76]         L’arbitre la croit lorsqu’elle dit qu’elle a pris de l’eau de sa propre bouteille pour se rafraîchir la bouche mais il n’y a pas de preuve que madame Joseph ne pouvait pas quitter la chambre de la cliente pour se rendre à la cafétéria pour régler son problème à la bouche et se gargariser.

[77]         Madame Joseph avait pris la décision sur elle de travailler pendant sa maladie.  Si elle avait décidé de travailler, elle devait appliquer les règles intégralement.  Elle devait faire son travail comme si elle n’était pas malade.  À partir du moment où madame Joseph décide de travailler, elle se doit de bien faire son travail et respecter les consignes et une des consignes, c’est de ne pas utiliser la chambre d’une cliente pour se gargariser ou utiliser une médication.

[78]         Il n’y a aucune preuve que madame Joseph ne pouvait pas se rendre à la cafétéria quelques minutes pour boire de l’eau, se rafraîchir, se gargariser.  Le fait qu’elle se gargarise et qu’elle crache dans le lavabo de la cliente est une faute, faute mineure bien sûr mais c’est une faute quand même.

[79]         Madame Joseph avait accepté de venir travailler et elle devait tout faire correctement.

[80]         L’arbitre veut pénaliser madame Joseph pour s’être gargarisée dans la salle de bain de la chambre de madame Conti et pour avoir craché dans le lavabo.  L’arbitre lui impose une suspension de trois (3) jours, c'est-à-dire les trois (3) premières journées de travail qu’elle aurait faites en avril 2010.

[81]         L’arbitre retient le témoignage de madame Joseph qui dit ne pas s’être brossé les dents.  Madame Conti s’est peut-être trompée.  Madame Joseph portait des gants orange.  Madame Conti dit que sa brosse à dents était rose et ce, après beaucoup d’hésitation.

[82]         Madame Joseph se gargarisait et madame Conti, de bonne foi, a peut-être pensé qu’on utilisait sa brosse à dents sauf que l’arbitre retient le témoignage de madame Joseph sans toutefois prétendre que madame Conti veut induire les parties en erreur, de mauvaise foi.

[83]         Si madame Conti avait été absolument certaine que madame Joseph se brossait les dents avec sa brosse à dents, on peut croire et penser qu’elle se serait adressée à elle directement sur le champ, dans la chambre.

[84]         J’imagine que je suis dans ma chambre d’hôtel et que la femme de chambre utilise ma brosse à dents.  Je lui adresserais immédiatement un reproche à chaud, lui disant que ce comportement est inacceptable.  Peut-être que je pardonnerais mais une chose est certaine, je dirais à la femme de chambre qu’elle n’a pas à utiliser ma brosse à dents pour son hygiène personnelle.

[85]         Madame Conti a pris sa soupe.  Elle a fermé sa valise car elle craignait qu’on touche à ses biens et elle a quitté sans plus.  Les deux (2) femmes se sont même saluées d’une façon assez cordiale.

[86]         En résumé, l’arbitre retient le témoignage de madame Joseph.  Dans S-3, on dit que madame Conti était inquiète que la préposée aux chambres avait employé sa brosse à dents.

[87]         Dans le document E-1, monsieur le gérant du comptoir, Nader Adbel Nour, écrit le 22 mars à Jessica Carbone que Linda Conti est venue à la réception pour expliquer qu’elle n’était pas sûre que la femme de chambre avait utilisé sa brosse à dents mais que de toute façon, elle voulait une nouvelle brosse à dents.

[88]         Il y a là, des documents émanant de la compagnie qui font état que madame Conti, au départ, n’était pas certaine d’avoir bien vu, qu’il y avait un doute dans son esprit.

[89]         Madame Joseph avait accepté de travailler.  Elle devait faire son travail d’une façon parfaite.  Elle aurait dû se rendre à la cafétéria des employés pour se rafraîchir la bouche, boire de l’eau et se gargariser.

[90]         Il n’est pas indiqué de se gargariser dans la salle de bain d’une cliente pour ensuite cracher dans le lavabo et ce, même si on est malade.  Madame Joseph était malade mais elle acceptait de faire ses journées comme si elle ne l’était pas.

[91]         La mesure S-3 est cassée et l’arbitre impose à madame Joseph une suspension de trois (3) jours, suspension de trois (3) jours qui est sévère dans les circonstances.

[92]         La compagnie devra rembourser à madame Joseph les sommes perdues dans les dix (10) jours de la présente décision et ce, avec un intérêt au taux de 5%.  La suspension d’un (1) mois est modifiée en une suspension de trois (3) jours.

[93]         Vu la suspension de trois (3) jours, le grief S-5 est de ce fait rejeté.

[94]         Le 1 er avril était à la première journée de sa suspension de trois (3) jours et madame Joseph ne pouvait pas représenter le syndicat à la journée de conciliation.  De toute façon, le syndicat n’a pas insisté sur le grief S-5.

[95]         Relativement au grief S-4, il devient académique.  Madame Joseph n’a pas pu se présenter au bureau syndical le 16 avril, car à l’époque elle était en pleine suspension de trente (30) jours.

[96]         Le grief est accueilli.  La mesure S-3 est cassée purement et simplement.  L’arbitre impose à madame Joseph une suspension de trois (3) jours, les trois (3) premiers jours de travail d’avril 2010 pour avoir utilisé la salle de bain de la chambre de madame Conti, pour s’être gargarisée dans la salle de bain et pour avoir craché dans le lavabo.

[97]         Rien n’indique que madame Joseph  ne pouvait pas se rendre à la cafétéria pour régler ce problème de chaleur à la bouche.  Elle a préféré utiliser la salle de bain de la cliente, ce qui est contraire aux règles.

[98]         L’arbitre réserve sa compétence pour disposer de toute difficulté pouvant découler de l’application de la présente décision et pour établir le montant des sommes dues à madame Joseph, s’il y avait litige à ce sujet.

[99]         Si les parties sont incapables de s’entendre pour le montant des sommes dues, elles reviendront devant l’arbitre.

[100]      Madame Joseph doit donc subir une suspension de trois (3) jours au lieu de la suspension de trente (30) jours dont on parle dans S-3.

[101]      La suspension de trois (3) jours vaut pour les trois (3) jours de travail d’avril 2010 et la compagnie devra indemniser madame Joseph pour toutes les autres journées où elle aurait dû travailler en avril 2010 avec paiement d’un intérêt de 5%.

 

 

 

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Me Nicolas Cliche, Arbitre