D É C I S I O N A R B I T R A L E
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SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES
Et
SYNDICAT DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DES POSTES
Procureur pour la Société : Madame Johanne Gagnon
Procureur pour le Syndicat : Monsieur David St-Onge
Arbitrage formel / régulier : régulier
Griefs numéros : 450-07-000287, 305, 306, 310, 315, 320
et 335
Plaignant(e) : S.T.T.P.
Date et lieu de l’audition : 13 mai 2011 à Trois-Rivières. Qc
[ 1 ] Ils sont tous libellés dans les mêmes termes, tout en étant de dates différentes :
«La société-employeur néglige de souscrire à ses obligations de prendre des mesures efficaces et appropriées afin de s’assurer qu’aucun (e) employé (e) à l’extérieur de l’unité de négociation urbaine du STTP n’accomplisse du travail dans les fonctions de P.O. 4 du STTP lorsque, au bureau de Trois-Rivières, du 10 mai au 4 juin 2010 (grief 320), des employé (s) (es) à l’extérieur de l’unité de négociation, soit les employés (es) F.F.R.S. ont exécuté du travail dans les fonctions de l’unité de négociation urbaine en procédant à la ségrégation et au redressement du courrier. La convention collective n’est pas respectée.
Redressement : Conformément à la convention collective, le Syndicat demande que la société-employeur prenne des mesures efficaces afin de s’assurer qu’aucun(e) employé (e) à l’extérieur de l’unité de négociation n’effectue des fonctions de l’unité de négociation. Le Syndicat demande aussi une déclaration à l’effet que la société-employeur a violé la convention collective et, de plus, une ordonnance à l’effet que cesse immédiatement cette pratique et qu’aucun (e) employé (e) à l’extérieur de l’unité de négociation n’exécute les travaux ci-dessus décrits et que la société-employeur verse aux employés (es) susnommés(es) un montant égal au temps accompli par les employés (es) F.F.R.S., et ce, au taux approprié, y incluant tous bénéfices et avantages. Le syndicat demande également que la société-employeur se voie condamnée à payer des dommages-intérêts à chaque employé (e) de l’unité de négociation et au Syndicat pour tous les préjudices causés par cette façon d’agir de la société-employeur. La Syndicat se réserve le droit de demander tout autre redressement approprié selon les circonstances.» (sic)
[ 2 ] Ces griefs ont été soumis à mon arbitrage aux termes de la convention collective intervenue entre la Société canadienne des Postes et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes venant à échéance le 31 janvier 2011.
[ 3 ] Les factrices et facteurs ruraux suburbains (F.F.R.S.) sont régis par la convention collective conclue entre la Société canadienne des Postes et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des Postes dont la date d’expiration est le 31 décembre 2011.
Le Moyen de Droit
[ 4 ] Dès le début de l’audition du 13 mai 2011, la porte-parole de la Société a annoncé un moyen de droit basé sur le principe de la chose jugée (res judicata).
[ 5 ] Madame Gagnon a représenté que la question soulevée par les griefs ci-dessus avait déjà été tranchée par une décision rendue par l’arbitre François Hamelin le 19 novembre 2010, aux termes de la convention collective F.F.R.S. Nous y reviendrons.
[ 6 ] La partie syndicale, pour sa part, soumet que cette décision du 19 novembre 2010 ne constitue pas chose jugée parce que la règle des trois identités n’est pas respectée. En particulier, il ne s’agit pas du même groupe de travailleurs.
[ 7 ]
Subsidiairement,
le syndicat soumet que la décision en question n’a pas été déposée à la Cour
fédérale conformément aux dispositions de l’article
[ 8 ]
(A ce sujet,
soulignons tout de suite qu’en marge du paragraphe (1) de cet article
Décision
[ 9 ] La situation examinée par l’arbitre Hamelin était exactement l’inverse de celle à laquelle je suis maintenant confronté.
[ 10 ] Je m’explique : les griefs dont je suis saisi s’échelonnent du 22 mars au 7 juillet 2010, alors que ceux qui ont été soumis à l’arbitre Hamelin, au nombre de 56, couvraient la période du 15 mars au 23 avril 2010. Autant dire qu’ils étaient concomitants, du moins quant aux deux premiers (450-07-000287, 22 mars 2010, et 450-07-000305, 7 avril 2010).
[ 11 ] Voici comment l’arbitre Hamelin résume les griefs levés par les F.F.R.S. :
Paragraphe (3) : « Entre le 15 mars et le 23 avril 2010, le syndicat dépose 56 griefs individuels au nom de facteurs ruraux et suburbains de la région de la Mauricie pour contester cette directive qui les oblige à trier le courrier qu’ils ramènent au bureau de poste, selon qu’il s’agit de «courrier local» - destiné à la région - ou « courrier d’acheminement » destiné à une autre région . »
[ 12 ] Au paragraphe 104 de cette même décision, l’arbitre Hamelin expose succinctement la prétention du Syndicat :
« Le procureur syndical a d’autre part fait valoir que le tri du courrier de départ constituait une tâche incluse dans la description de fonction des commis qui sont membres d’une autre unité de négociation et, par conséquent, couverts par une autre convention collective.»
[ 13 ] Sans entrer dans les détails de la «ratio decidendi» , qu’il suffise de dire que l’arbitre a rejeté ces griefs des F.F.R.S.
[ 14 ] Force nous est de reconnaître que le S.T.T.P. , par les griefs sous étude, recherche un redressement qui, s’il était accordé, irait carrément à l’encontre de la décision du 19 novembre 2010.
[ 15 ] En effet, ces griefs dont je suis saisi contestent justement la façon de faire de la Société, alors qu’elle se conforme à cette décision.
[ 16 ] L’arbitre Hamelin a refusé de retenir la prétention de F.F.R.S. à l’effet que certaines des tâches qui leur étaient assignées appartenaient aux commis. Ceux-ci me demandent de déclarer que ces tâches sont de leur compétence exclusive. C’est blanc bonnet, bonnet blanc.
[ 17 ] En d’autres termes, le courrier apporté au bureau de poste par les employés «ruraux et suburbains» doit être trié avant d’être distribué dans la région ou acheminé dans d’autres régions.
[ 18 ] L’arbitre Hamelin a décidé que ce travail était «une tâche incidente» au travail de «livraison et cueillette du courrier» de F.F.R.S. (paragraphe 107 de la décision).
[ 19 ] D’où il conclut, au paragraphe 116 :
« C’est donc à bon droit que dans son Guide, la Société a établi que les entrepreneurs devaient séparer le courrier qu’il ramassait (sic) sur leur route, selon qu’il était destiné à leur région ou à une autre région. »
[ 20 ] Ces directives ont par la suite été transmises aux F.F.R.S. lors de la mise en vigueur de leur convention collective, en 2004.
[ 21 ] Et l’arbitre Hamelin a pris en compte cette situation, comme on peut le constater à la lecture du deuxième membre du paragraphe 128 :
«Ce qu’il importe de retenir en l’espèce, c’est que cette politique existe, qu’elle relève légalement du droit discrétionnaire de direction de la Société et que cette dernière est en droit d’en exiger l’application à tout moment.»
[ 22 ] Or si, aux termes de cette décision du 19 novembre 2010, il revient aux F.F.R.S. de préparer le courrier qu’ils ramassent sur leurs routes avant de le confier aux commis en place au bureau, on voit mal comment ces derniers pourraient prétendre qu’il s’agit là d’un travail qui est leur apanage exclusif.
[ 23 ] Si je rendais une décision favorable au syndicat, la Société ne saurait plus «sur quel pied danser» , vu que cette décision serait en contradiction flagrante avec celle de l’arbitre Hamelin.
[ 24 ] Dans une décision du 5 octobre 2009 (2009-7480, SOQUIJ AZ-505 859 30, Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 9400, et Host International) l’arbitre André Sylvestre cite avec approbation un extrait de l’ouvrage La Preuve Civile (Les Editions Yvon Blais, 1995) du Professeur Jean-Claude Royer :
Paragraphe 789 : «La présomption légale de l’autorité de la chose jugée a pour but de préserver un intérêt privé et public. D’une part, elle protège des droits acquis à la suite d’un jugement. D’autre part, elle empêche de renouveler et de perpétuer des litiges, assure la stabilité des rapports sociaux, et évite les jugements contradictoires.»
[ 25 ] La partie syndicale a représenté ici qu’il n’y avait pas identité de parties. Sur ce point, je me contenterai de citer l’extrait du Précis de la Preuve (Montréal, Wilson et Lafleur, 2005) du professeur Léo Ducharme que l’arbitre Sylvestre souligne avec approbation au paragraphe 22 de sa décision :
615 «Un jugement ne vaut pas seulement à l’égard des parties à ce jugement mais également à l’égard de toutes les personnes que ces parties représentent.
616 «Lorsqu’un organisme est habilité à agir en justice pour et au nom d’une autre personne, tout jugement auquel cet organisme est partie jouit de l’autorité de la chose jugée à l’égard de la ou des personnes qu’elle représente.»
[ 26 ] Ce que la partie syndicale recherche ici, c’est un redressement qui, a contrario, est le même que celui qu’elle recherchait dans l’affaire mue devant l’arbitre Hamelin. C’était la situation constatée par l’arbitre Sylvestre dans l’affaire Host International :
Paragraphe 25 : «… Comme cette qualification des faits était identique dans l’un et l’autre de ces recours, l’arbitre doit en arriver à la conclusion qu’il rencontre identité de cause.»
[ 27 ] Enfin, sur l’exigence de l’identité d’objet, l’arbitre Sylvestre cite encore le professeur Ducharme :
620 : «Il faut que la chose demandée soit la même dans les deux causes. L’objet d’une instance, c’est le droit qu’on veut faire reconnaître. L’identité d’objet n’a pas à être absolue. Il suffit que le droit recherché dans une première action se trouve compris comme une partie nécessaire de la seconde demande.»
[ 28 ] La tâche convoitée appartient à l’un ou l’autre des groupes d’employés. Elle ne peut pas appartenir aux deux.
[ 29 ] Or l’arbitre Hamelin a décidé qu’elle faisait partie du travail des F.F.R.S. Là-dessus, il y a chose jugée, et le syndicat ne saurait être admis à se prévaloir de la procédure de grief pour rechercher une décision contraire. Ce serait une atteinte au principe de la stabilité des décisions arbitrales.
[ 30 ] Il existe un forum où un tel débat peut être engagé : c’est celui de la table de négociation.
[ 31 ] C’est là une proposition soutenue par l’arbitre Jean-Louis Dubé dans une décision du 4 avril 2008 (T.U.A.C. et Sobeys Québec Inc. 2008, 1577, S.O.Q.U.I.J. AZ-504 865-60) :
Paragraphe 36 : «… Si une partie n’est pas satisfaite d’une décision, son seul recours est la révision judiciaire et non la reprise du même débat devant un autre arbitre. Et si, pour quelque raison, la révision judiciaire n’est pas possible, il ne reste plus qu’à tenter d’obtenir en temps et en lieu par la négociation collective, à l’aide de compromis et/ou de moyens de pression légaux plus ou moins douloureux, une modification de la situation.»
(mes soulignés)
[ 31 ] Je ne saurais dire mieux.
[ 32 ] Pour toutes ces raisons, j’en arrive à la conclusion que le litige soulevé par les présents griefs a été tranché par la décision de l’arbitre Hamelin le 19 novembre 2010.
[ 33 ] Dans le respect de l’autorité de la chose jugée, je me vois donc dans l’obligation de me déclarer sans compétence pour les fins des présents griefs.
Dispositif
[ 34 ] En conséquence, les griefs sont rejetés.
Montréal, ce 2 juin 2011
CLAUDE LAUZON
ARBITRE.