Syndicat des employées et employés professionnelles professionnels et de bureau, section locale 573 (CTC-FTQ) c. Québec (Procureur général) |
2011 QCCS 4286 |
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COUR SUPÉRIEURE |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
MONTRÉAL |
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N° : |
500-17-066546113 |
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DATE : |
Le 25 août 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE |
L’HONORABLE |
STÉPHANE SANSFAÇON, J.C.S. |
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SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS |
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PROFESSIONNELS-LES ET DE BUREAU, |
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SECTION LOCALE 573, (CTC-FTQ), |
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et ALS |
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Demandeurs |
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c. |
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU QUÉBEC, |
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ROBERT DUTIL, ES QUALITÉ DE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE |
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Défendeurs |
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FÉDÉRATION DES TRAVAILLEURS ET TRAVAILLEUSES DU QUÉBEC (FTQ), |
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FÉDÉRATION DES TRAVAILLEURS DU QUÉBEC (FTQ-CONSTRUCTION), |
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et |
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COMMISSION DE LA CONSTRUCTION DU QUÉBEC Mis en cause |
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JUGEMENT |
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[1]
Le Tribunal est saisi d’une demande de sursis et d’ordonnances de
sauvegarde présentées par le syndicat accrédité (la Section locale
[2] Cette demande de sursis s’insère dans le cadre d’une demande en nullité de six articles de la Loi concernant la lutte contre la corruption [1] sanctionnée le 13 juin 2011qui entreront en vigueur le premier septembre prochain.
Le mécanisme mis en place par les articles attaqués
[3] Simplement présentés, les articles dont l’inconstitutionnalité est soulevée mettent en place un mécanisme par lequel les employés de la CCQ qui détiennent des pouvoirs d’inspection et d’enquête (ci-après le personnel enquêteur, soit environ 300 des quelques 900 employés de la CCQ) seront regroupés dans une unité de négociation distincte des autres salariés dans le but de les isoler des pressions et de l’influence pouvant provenir des éléments nuisibles susceptibles de s'immiscer dans le monde syndical de la construction.
Les six articles en litige sont reproduits en annexe
[4] Le mécanisme mis en place consiste à regrouper le personnel enquêteur dans une nouvelle unité de négociation distincte que crée la loi, et à imposer au syndicat qui pourra éventuellement être créé afin de les représenter l'interdiction de maintenir des liens avec les associations représentatives des salariés de l’industrie de la construction nommément identifiées à la loi, ou avec une organisation à laquelle est affiliée une telle association représentative. [2]
[5] Ces articles prévoient que ce personnel enquêteur peut se regrouper en syndicat, sans toutefois l’obliger à le faire, et ne lui imposent pas les conditions de travail. Si le personnel enquêteur choisit de se joindre à un syndicat, et que ce nouveau syndicat est accrédité dans les six mois à compter du premier septembre prochain, il se voit conféré tous les droits et obligations de la Section locale 573, et la convention collective en vigueur continue de s’appliquer à ce personnel enquêteur comme s’il n’y avait pas eu de changement de syndicat.
[6] Durant la période intérimaire, soit entre le premier septembre et l’expiration du délai de six mois, ou jusqu’à l’accréditation du nouveau syndicat, selon le plus rapproché, la loi prévoit que la Section locale 573 continue à représenter les membres de cette nouvelle unité à tous égards, sauf quant au droit de conclure une convention collective.
[7] Si le personnel enquêteur ne s’est pas regroupé en syndicat à l’expiration de ce délai de six mois, la convention collective prend fin.
[8] Enfin, les dispositions attaquées mettent en place des modalités de transition et accordent à la Commission des relations de travail le pouvoir de trancher toute difficulté relative à l’application du mécanisme prévu à la loi.
La position des parties
i) Les demandeurs
[9] Les demandeurs soumettent d’abord qu’une analyse préliminaire suffit pour conclure à l'existence d'une question sérieuse à juger.
[10] Ils soutiennent ensuite qu’ils subiront, en l’absence d’une ordonnance provisoire, un préjudice irréparable auquel le jugement final ne pourra remédier, à plusieurs titres détaillés à la requête, en outre au niveau de la représentation par le Syndicat, au plan des relations de travail, au niveau des ressources financières, de l’affiliation et du droit de grève.
[11] Ils soumettent qu’aucune compensation ne pourrait réellement remédier à la violation de leurs droits fondamentaux de pouvoir choisir leur syndicat ainsi que de pouvoir s’affilier à l’organisation de leur choix.
[12] Ils ajoutent que le jugement final ne pourra pas rétablir réellement la situation antérieure puisque s’ils ont gain de cause et que les dispositions attaquées sont invalidées, il en découlerait que « l’employeur serait obligé de remettre en place des conditions de travail telles qu’elles auraient existé alors que des promotions, des transferts, des départs à la retraite, etc. auraient eu lieu et que certaines personnes auraient pu en bénéficier, d’autres non », ce qui pourrait s’avérer difficile sinon impossible.
ii) La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ)
[13] La FTQ, mise en cause, appuie les demandes de la Section locale 573.
[14] Elle soumet que, bien que la FTQ ne constitue pas elle-même « une association représentative ou à une organisation à laquelle est affiliée une telle association » au sens du nouvel article 85 puisqu’elle n’est pas une association représentative au sens de la Loi sur les relations de travail , les dispositions attaquées contreviennent aux chartes puisqu’ils interdissent au personnel enquêteur d’appartenir à l’association de son choix et d’être représenté par elle : la liberté fondamentale d’association, soumet-elle, inclut celle d’être membre de toute centrale syndicale par l’intermédiaire de son association de salariés.
[15] Elle ajoute que la loi contrevient à la liberté d’association également en ce qu’elle entrave substantiellement la capacité des salariés syndiqués de poursuivre collectivement des objectifs communs, droit reconnu par la Cour suprême du Canada.
[16] Par conséquent, la loi contrevenant clairement à la liberté d’association et une violation de ce droit étant irréparable, l’application des dispositions contestées de cette loi devrait être suspendue jusqu’à ce qu’une décision au fond soit rendue.
iii) Le Procureur général du Québec
[17] Le Procureur général du Québec s’oppose à la demande de sursis.
[18] Il soumet d’abord que les demandeurs ne peuvent démontrer un cas manifeste d'inconstitutionnalité étant donné que la liberté d'association protégée par les chartes ne garantit pas le droit à un régime particulier de négociation ou d'accréditation. En l’espèce, et appuyant ce moyen sur une décision récente de la Cour d’appel [3] , la détermination par le législateur d'une unité de négociation ne porterait donc pas atteinte à cette liberté.
[19] Il soumet ensuite que les demandeurs ne subissent aucun préjudice sérieux et irréparable et qu’ils ne peuvent démontrer que la suspension des dispositions législatives contestées serait elle-même dans l'intérêt public étant donné que :
1. Cette loi a pour objet de renforcer les actions de prévention et de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public;
2. Elle s'insère dans le contexte où planent dans la société québécoise plusieurs allégations de corruption touchant le domaine de la construction, notamment dans l'octroi de contrats publics, et fait elle-même suite à une série de mesures mises de l'avant par le Gouvernement pour lutter contre la corruption.
[20] Ainsi, conclut-t-il, dans la mesure où les requérants ne peuvent démontrer un cas manifeste d’inconstitutionnalité, ni que la suspension de l’application des dispositions d'une loi qui vise à renforcer les actions de prévention et de lutte contre la corruption serait elle-même dans l’intérêt du public, la requête pour ordonnance de sursis devrait être rejetée.
Les critères applicables lors d’une demande de sursis
[21] Lors d’une telle demande de sursis, il faut appliquer les trois critères définis par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd [4] , aux pages 126 et ss. : Établir si les demandeurs soulèvent une question sérieuse, démontrent l’existence d’un préjudice irréparable et démontrent que la prépondérance des inconvénients les favorise.
i) Une question sérieuse
[22] À cette étape préliminaire des procédures, le tribunal ne doit pas examiner l’illégalité alléguée comme le ferait le juge du fond, lequel aura eu le loisir de considérer l’ensemble de la preuve, dont celle, au besoin, des justifications qui pourraient être requises sous l’article premier ou 9.1 des chartes canadienne et québécoise, respectivement.
[23] Dans Metropolitan Stores , le juge Beetz écrit qu’en matière constitutionnelle, il est suffisant d’établir que le demandeur soulève une « question sérieuse à juger, par opposition à une demande futile ou vexatoire », à la condition que l’intérêt public soit pris en considération dans la détermination de la prépondérance des inconvénients [5] .
[24] La Cour suprême reconnait deux exceptions à cette approche.
[25] Dans Metropolitan Stores , le juge Beetz, mentionne que la procédure interlocutoire permet rarement à un juge saisi d’une requête en sursis de trancher immédiatement la question de la validité de la loi attaquée, puisque toute la preuve requise pour décider ne lui aura pas été présentée, tant sur la question de l’atteinte que sur la question de la justification, si nécessaire.
[26] Il ajoute que le juge ne pourra trancher définitivement la validité de l’acte attaqué que si la question de la constitutionnalité « se présente sous la forme d’une question de droit purement et simplement » [6] .
[27] Dans RJR MacDonald Inc. c. Canada (P.G.) [7] , la Cour suprême traite de la deuxième exception à l’approche selon laquelle un juge ne devrait pas procéder à un examen approfondi sur le fond : il s’agit du cas où « le résultat de la demande interlocutoire équivaudra en fait au règlement final de l’action » [8] .
ii) Le préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients
[28] Une fois établi que la question soumise à l’attention du tribunal en est une qui peut être qualifiée de « sérieuse » au sens de l’arrêt Metropolitan Stores , il faut ensuite examiner si la partie qui cherche à obtenir le sursis « subirait, si [il] n’était pas accordé, un préjudice irréparable » [9] , puis examiner la prépondérance des inconvénients.
[29] Sur ce dernier critère, le juge Beetz écrit que lorsque la constitutionnalité d’une disposition législative est contestée, le juge ne doit pas se limiter à l’application des critères traditionnels régissant l’octroi ou le refus d’une injonction interlocutoire : Il doit aussi prendre en compte l’intérêt public.
[30] Dans l’arrêt RJR MacDonald [10] , la Cour suprême résume comme suit l’importance de l’appréciation de la prépondérance des inconvénients et de l’intérêt public dans un contexte tel que le nôtre :
« C’est la troisième étape du critère, celle de l'appréciation de la prépondérance des inconvénients, qui permettra habituellement de trancher les demandes concernant des droits garantis par la Charte . En plus du préjudice que chaque partie prétend qu'elle subira, il faut tenir compte de l'intérêt public. L'effet qu'une décision sur la demande aura sur l'intérêt public peut être invoqué par l'une ou l'autre partie. » « Si la nature et l'objet affirmé de la loi sont de promouvoir l'intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet. Il faut supposer que tel est le cas. Pour arriver à contrer le supposé avantage de l'application continue de la loi que commande l'intérêt public, le requérant qui invoque l'intérêt public doit établir que la suspension de l'application de la loi serait elle-même à l'avantage du public.»
[31] À ce stade des procédures, enseigne la Cour suprême dans ce même arrêt [11] , s’il apparaît que la loi a pour objet de promouvoir l’intérêt public, il doit être présumé que la mesure législative dont la validité est attaquée sera à l’avantage du public et la preuve qu’elle le sera n’est pas requise:
« Si la nature et l'objet affirmé de la loi sont de promouvoir l'intérêt public, le tribunal des requêtes ne devrait pas se demander si la loi a réellement cet effet. Il faut supposer que tel est le cas. Pour arriver à contrer le supposé avantage de l'application continue de la loi que commande l'intérêt public, le requérant qui invoque l'intérêt public doit établir que la suspension de l'application de la loi serait elle-même à l'avantage du public.»
[32] Plus tard, dans l’arrêt Harper c. Canada (P.G.) [12] , elle justifiait cette présomption dans les termes suivants [13] :
« Il s’ensuit qu’en évaluant la prépondérance des inconvénients le juge saisi de la requête doit tenir pour acquis que la mesure législative - en l'espèce, le plafond des dépenses imposé par l'art. 350 de la Loi - a été adoptée pour le bien du public et qu'elle sert un objectif d'intérêt général valable. Cela s'applique aux violations du droit à la liberté d'expression garanti par l'al. 2b ); d'ailleurs, il était question d'une violation de l'al. 2b ) dans l'arrêt RJR-MacDonald . La présomption que l'intérêt public demande l'application de la loi joue un grand rôle. Les tribunaux n'ordonneront pas à la légère que les lois que le Parlement ou une législature a dûment adoptées pour le bien du public soient inopérantes avant d'avoir fait l'objet d'un examen constitutionnel complet qui se révèle toujours complexe et difficile. Il s'ensuit que les injonctions interlocutoires interdisant l'application d'une mesure législative dont on conteste la constitutionnalité ne seront délivrées que dans les cas manifestes. »
[33] Ceci est vrai aussi bien lorsque le demandeur cherche à obtenir une exemption à la loi, limitée généralement à un groupe de personnes restreint, que lorsqu’il cherche à en obtenir la suspension, qui a alors effet à l’égard de tous:
« Qu'elles soient ou non finalement jugées constitutionnelles, les lois dont les plaideurs cherchent à obtenir la suspension, ou de l'application desquelles ils demandent d'être exemptés par voie d'injonction interlocutoire, ont été adoptées par des législatures démocratiquement élues et visent généralement le bien commun, par exemple: assurer et financer des services publics tels que des services éducatifs ou l'électricité; protéger la santé publique, les ressources naturelles et l'environnement; réprimer toute activité considérée comme criminelle; diriger les activités économiques notamment par l'endiguement de l'inflation et la réglementation des relations du travail, etc. Il semble bien évident qu'une injonction interlocutoire dans la plupart des cas de suspension et, jusqu'à un certain point, comme nous allons le voir plus loin, dans un bon nombre de cas d'exemption, risque de contrecarrer temporairement la poursuite du bien commun.
Quoique le respect de la Constitution doive conserver son caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants secteurs du public, de la protection et des avantages conférés par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépondérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance qu'il mérite. Comme il fallait s'Y attendre, les tribunaux ont généralement répondu à cette question par la négative. Sur la question de la prépondérance des inconvénients, ils ont jugé nécessaire de subordonner les intérêts des plaideurs privés à l'intérêt public et, dans les cas où il s'agit d'injonctions interlocutoires adressées à des organismes constitués en vertu d'une loi, il sont conclu à bon droit que c'est une erreur que d'agir à leur égard comme s'ils avaient un intérêt distinct de celui du public au bénéfice duquel ils sont tenus de remplir les fonctions que leur impose la loi.» [14]
[34] À propos de la distinction que certains voient entre la demande d’exemption et la demande de suspension, la Cour suprême ajoute :
« Il se dégage de ce qui précède que les cas de suspension et les d'exemptions sont régis par la même règle fondamentale selon laquelle, dans les affaires constitutionnelles, une suspension interlocutoire d'instance ne devrait pas être accordée à moins que l'intérêt public ne soit pris en considération dans l'appréciation de la prépondérance des inconvénients en même temps que l'intérêt des plaideurs privés.» [15]
[35] Enfin, dans le cadre de l’analyse de la prépondérance des inconvénients, le tribunal doit se garder de juger l’efficacité de moyen choisi par le législateur pour atteindre l’objectif visé par la loi:
« En règle générale, un tribunal ne devrait pas tenter de déterminer si l'interdiction demandée entraînerait un préjudice réel. Le faire amènerait en réalité le tribunal à examiner si le gouvernement gouverne bien, puisque l'on se trouverait implicitement à laisser entendre que l'action gouvernementale n'a pas pour effet de favoriser l'intérêt public et que l'interdiction ne causerait donc aucun préjudice à l'intérêt public. La Charte autorise les tribunaux non pas à évaluer l'efficacité des mesures prises par le gouvernement, mais seulement à empêcher celui-ci d'empiéter sur les garanties fondamentales.» [16]
Analyse
i) Une question sérieuse
[36] Les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés prévoient ce qui suit :
Charte canadienne
Libertés fondamentales
2. Chacun a les libertés fondamentales suivantes :
[…]
d) liberté d'association ;
Charte québécoise
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d'association.
[37] Il ne fait pas de doute que certaines des questions soumises à l’attention du tribunal sont sérieuses.
[38] Les demandeurs soumettent que les articles en litige de la Loi concernant la lutte contre la corruption violent substantiellement le droit d’association de la Section locale 573 et des salariés qu’elle représente, lequel droit est protégé par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés. Plus spécifiquement, ils proposent que leurs droits sont ainsi violés puisque les articles en litige :
a) scindent l’unité de négociation existante (articles 61, 68 et 69);
b) empêchent la représentation du personnel d’enquête par l’association de salariés qu’il a choisie (articles 68 et 69);
c) empêchent l’affiliation de l’association de salariés représentant le personnel d’enquête à l’organisation de son choix (article 61);
d) font cesser l’application de la convention collective au personnel d’enquête (article 70);
e) imposent la distribution des fonds appartenant au Syndicat (article 71).
[39]
Par
conséquent, ils demandent par jugement final que les articles
[40] Ils demandent de plus qu’il soit déclaré, comme conséquence à l’annulation de ces articles, que la Section locale 573:
a) demeure l’association accréditée pour représenter l’ensemble des salariés de la CCQ;
b) peut représenter le personnel d’enquête sans restriction;
c) est libre de demeurer affilié à la FTQ,
et que la convention collective qui pourra être conclue par la Section locale 573 à titre d’agent négociateur des salariés de la CCQ sera aussi applicable au personnel enquêteur.
[41] Les demandeurs soumettent de plus que la loi doit nécessairement avoir un tout autre objectif que celui de simplement isoler le personnel enquêteur.
[42] À l’appui de cette prétention, ils soumettent qu’une lecture combinée des articles 61, 68, 69, 70 et 71 démontre que ces dispositions de la Loi concernant la lutte contre la corruption ont pour objet et pour effet de « briser » le Syndicat puisque ses fonds sont répartis, son pouvoir de négociation est divisé et qu’il ne peut plus s’affilier librement.
[43] Ils ajoutent que si le législateur avait réellement voulu isoler le personnel enquêteur des pressions potentielles provenant du milieu syndical affilié au domaine de la construction, il aurait pu limiter son intervention en interdisant simplement l’affiliation sans créer de nouvelle unité de négociation, puisque la Section locale 573 ne maintient elle-même aucune affiliation interdite par la nouvelle loi.
[44] Comme argument additionnel afin de démontrer que l’objet réel de la loi est bien de casser le syndicat, les demandeurs soumettent que la loi vise inutilement le personnel enquêteur : Ses membres ne seraient pas susceptibles d’être soumis aux pressions desquelles on veut les protéger, puisque qu’ils n’ont que le pouvoir d’inspecter les employeurs et les personnes ne détenant pas les attestations de compétence requises, et non les employés syndiqué du monde de la construction.
[45] Ce n’est pas tant la question de l’imposition d’une unité de négociation regroupant le personnel enquêteur qui cause ici problème, que l’interdiction d’affiliation à une association représentative.
[46] En effet, la Cour d’appel s’est récemment prononcée sur le droit du législateur de limiter et régir les unités de négociation dans l’arrêt PGQ c. Confédération des syndicats nationaux (CSN) et al. [17] , Le tribunal note que cet arrêt a été rendue le 8 juillet dernier, soit le lendemain de l’institution du présent recours.
[47] Dans cette affaire, la loi attaquée précisait la configuration des seules unités de négociation qui pouvaient être constituées dans un établissement du secteur des affaires sociales, et en limitait le nombre à quatre types. Elle fixait de plus à quel niveau les négociations auraient lieu, local ou régional, et modifiait substantiellement le processus de négociation.
[48] Bien que les faits et circonstances puissent être différents de ceux de la présente affaire, la Cour d’appel énonce qu’il y a atteinte à la liberté d’association lorsque la loi contraint un salarié à appartenir à une association de salariés que la loi désigne [18] mais non lorsqu’elle ne fixe que le contour des unités de négociation sans contraindre les salariés qui en font partie à devenir membres d’une association désignée. L’unité de négociation se distingue de l’association qui représente les salariés de cette unité. [19]
[49] Si l’effet des dispositions attaquées en l’espèce se limitait à réglementer ou autrement fixer les contours de l’unité de négociation du personnel enquêteur, le tribunal aurait vraisemblablement conclu que la question soulevée n’est pas suffisamment sérieuse pour justifier que l’on passe à l’analyse des autres critères, et aurait rejeté pour ce seul motif la requête en sursis.
[50] Toutefois, les dispositions en litige ont pour effet additionnel d’interdire au personnel enquêteur de se joindre à un syndicat affilié à une association représentative ou à une organisation à laquelle est affiliée une telle association, de même que d’interdire au syndicat auquel il se joindra, le cas échéant, de s’affilier avec une telle association.
[51] Or, cette restriction au droit d’affiliation ne semble pas avoir fait l’objet de décisions de nos tribunaux, si ce n’est qu’en des termes généraux et de principe [20]
[52] Il s’agit là d’une question sérieuse au sens de la jurisprudence citée plus haut.
[53] Cette question devra être soumise à l’attention du juge qui sera saisi du mérite puisque le tribunal n’est pas en mesure, à cette étape préliminaire, de la trancher : d’une part, elle ne se présente pas sous la forme d’une unique question de droit; d’autre part, le résultat de la demande interlocutoire n’équivaudra pas, dans les faits, au règlement final du recours, bien que la mise en place du nouveau régime entraînera des effets potentiellement préjudiciables à la Section locale 573 et à ses membres, comme il en sera traité plus loin.
[54] Rien ici ne permet donc de dévier de la règle générale qui veut que le juge saisi d’une requête en sursis n’examine que de façon sommaire la question de la validité de la loi, sans la trancher de façon définitive.
ii) Le préjudice irréparable
[55] Ayant établi que la question soumise à l’attention du tribunal est sérieuse, il faut maintenant examiner l’étendue du préjudice que subiront la Section locale 573 et ses membres advenant qu'ultimement, les dispositions attaquées soient invalidées.
[56] Il est indéniable que l’application de la loi engendrera des inconvénients aux demandeurs.
[57] La Section locale 573 devra dépenser frais et énergies afin de donner effet aux mesures de transition prévues à la loi. La division du syndicat affectera vraisemblablement les rapports de force dans le cadre de la négociation pour le renouvellement de la présente convention collective, qui ne s’appliquera qu’à l’égard des employés de la CCQ non inclus dans la nouvelle unité de négociation.
[58] Par ailleurs, la situation actuelle d’insécurité chez les membres résiduels sera amplifiée dès l’entrée en vigueur de la loi, situation qui risque de nuire au bon fonctionnement de l’entreprise elle-même en créant des obstacles à la mobilité du personnel en vue d’obtenir des postes occupés par le personnel enquêteur, vu la création de la nouvelle unité de négociation.
[59] Certains des membres du personnel d’enquête qui désireraient se syndiquer pourraient potentiellement perdre les acquis dans l’éventualité où la majorité des membres choisiraient de ne pas se joindre à un syndicat.
[60] Or, tout le démantèlement aura été fait inutilement et certains des droits qui auront été affectés durant la période que durera le litige ne pourront que difficilement être retrouvés advenant que les dispositions attaqués soient annulés.
[61] En contrepartie, certains des droits perdus les plus fondamentaux pourront tout de même être récupérés ou exercés à nouveau, si la loi est invalidée. Bien qu’avec certaines contraintes dont de temps, les membres, à la majorité, pourraient décider éventuellement d’abandonner leur nouveau syndicat et de réintégrer la Section locale 573, dans l’éventualité où ils ne s’y seraient pas joints dès le départ. Certains des droits bafoués, si le jugement final conclut que des droits ont réellement pu être bafoués, pourront être exercés à nouveau dès ce jugement final ou dans les paramètres qui pourront être déterminés par ce jugement.
iii) La prépondérance des inconvénients
[62] C’est à cette étape que le tribunal doit prendre en compte l’intérêt public.
[63] Les dispositions attaquées sont insérées dans une loi dont l’objet annoncé est le renfort des actions de prévention et de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public [21] .
[64] La Loi concernant la lutte contre la corruption en effet fait elle-même suite à une série de mesures mises de l'avant par le Gouvernement pour lutter contre la corruption, dont l'escouade policière "Marteau", créée à l'automne 2009, et la mise sur pied de l'Unité permanente anti-corruption en février 2011 [22] .
[65] D’autres mesures visant à assainir le secteur public ont été prises, notamment l’adoption de codes d’éthique, la révision des règles de financement des partis politiques, le resserrement des mesures lors de l’octroi de contrats par des organismes publics, etc. [23]
[66] Il apparaît aussi des propos du ministre de la Sécurité publique que l’adoption de cette loi s’inscrit dans un contexte d’allégations de corruption dans le domaine de la construction et dans le cadre de l’octroi de contrats publics. [24]
[67] Cette loi, qui dénombre 74 articles et deux annexes, institue la charge de Commissaire à la lutte contre la corruption, lequel «a pour mission d'assurer, pour l'État, la coordination des actions de prévention et de lutte contre la corruption en matière contractuelle dans le secteur public. Il exerce les fonctions qui lui sont conférées par la présente loi, avec l'indépendance que celle-ci lui accorde.» [25]
[68] Un poste de commissaire associé aux vérifications est aussi créé. [26]
[69] La loi octroie au commissaire et au commissaire associé de vastes pouvoirs et responsabilités qui cadrent avec les objectifs visés par loi. En outre, le commissaire définit les devoirs et les responsabilités des membres de son personnel et dirige leur travail. [27] Il désigne, parmi les membres de son personnel, des personnes pouvant agir comme enquêteurs qui agiront au sein d’une équipe spécialisée d’enquête sous son autorité. Certaines immunités sont octroyées au commissaire et aux membres de son personnel, au commissaire associé ainsi qu’aux membres des équipes de vérification et d’enquête.
[70] La loi établit de plus une procédure facilitant la dénonciation d’actes répréhensibles au sens de cette loi [28] et met en place des mesures de protection contre les représailles, dont en outre l’assurance de l’anonymat de la personne qui aura effectué une dénonciation, sous peine d’amendes pouvant atteindre 500 000$ en cas de récidive [29]
[71] Cette loi a par ailleurs une très large portée : Elle s’applique non seulement à tout organisme public ou du gouvernement, mais aussi à divers établissements d’enseignement de tous niveaux, commissions scolaires, centre de la petite enfance, établissements publics ou privés conventionnés visés par la Loi sur les services de santé et les services sociaux , municipalités, villes, MRC, etc. [30]
[72] D’autres mesures sont aussi prévues à la loi, toujours en rapport avec les objectifs poursuivis par la loi.
[73] Par conséquent, non seulement cette loi est-elle présumée être dans l’intérêt public, rien ne laisse croire qu’il pourrait en être autrement.
[74] Il en va nécessairement de même des dispositions attaquées.
[75] Les demandeurs répliquent que malgré cette présomption, les dispositions attaquées visent erronément le personnel enquêteur. L’argument présenté veut que, puisque ceux-ci n’ont pas le pouvoir d’inspecter les travailleurs syndiqués mais uniquement les employeurs et les personnes ne détenant pas les qualifications requises, il n’existerait aucun risque qu’ils puissent être la cible de quelque pression ou intimidation que ce soit de la part de syndicats affiliés au monde de la construction ou de leurs membres.
[76] Ceci étant, soulèvent-ils, le sursis devrait être prononcé puisque le statut quo qui en résulterait ne risquerait aucunement de porter atteinte à l’intérêt public.
[77] Cet argument est mal fondé.
[78] La Loi concernant la lutte contre la corruption n’est qu’une des armes utilisées par le législateur afin de tenter de mettre fin à la corruption dans le secteur public et dans le secteur de la construction. Si la loi s’attaque à la corruption, elle s’attaque nécessairement à l’utilisation de moyens détournés et illégaux qu’utilisent les contrevenants afin d’arriver à leurs fins.
[79] Dans ce contexte, il est facile de s’imaginer des scénarios par lesquels une trop grande proximité entre un représentant syndical et un employeur pourrait amener l’employeur qui fraude ou qui autrement agit illégalement à requérir de ce représentant syndical qu’il intimide ou autrement induise l’enquêteur à se fermer les yeux, à aller enquêter ailleurs, etc. On peut penser, à titre d’exemples, à l’employeur qui paye sous la table certains travailleurs, ou encore à celui qui fait exécuter certains travaux par des travailleurs non qualifiés.
[80] Et on peut aussi aisément s’imaginer que l’inspecteur comprend l’importance de ne pas se mettre en brouille avec son représentant syndical.
[81] Il est par conséquent loin d’être évident que la loi ne vise pas la bonne cible en mettant en place un mécanisme qui veut rendre moins vulnérable certaines des personnes dont la fonction première est l’application de la loi, même si cette fonction n’est pas la recherche de la fraude elle-même.
[82] Par ailleurs, il n’appartient pas au tribunal, à cette étape des procédures, de déterminer si la méthode choisie par le législateur pour arriver à ses fins est la meilleure, ni même la bonne. Le tribunal réfère ici au fait que les dispositions contestées ont un effet immédiat sur un syndicat qui n’a aucune affiliation avec l’une ou l’autre des associations représentatives nommées à la loi, avec lesquelles il sera interdit de s’affilier.
[83] Peut-être le législateur a-t-il choisi de prévenir un problème potentiel, peut-être aurait-il pu choisir une autre méthode moins intrusive : Dans ce domaine, le législateur est souverain et il n’appartient pas au tribunal de substituer une méthode à celle choisie par le législateur, et ce, certainement pas à cette étape du litige.
[84] Le tribunal fait siens les propos du juge Beetz dans Metropolitan Stores:
«Quoique le respect de la Constitution doive conserver son caractère primordial, il y a lieu à ce moment-là de se demander s'il est juste et équitable de priver le public, ou d'importants secteurs du public, de la protection et des avantages conférés par la loi attaquée, dont l'invalidité n'est qu'incertaine, sans tenir compte de l'intérêt public dans l'évaluation de la prépondérance des inconvénients et sans lui accorder l'importance qu'il mérite.» [31]
[85] En l’espèce, même si le groupe visé peut à première vue sembler restreint puisque la nouvelle unité de négociation ne visera directement qu’environ 300 personnes, le Tribunal tient prioritairement en compte l’objectif plus vaste de cette loi, qui est la protection du public par la mise à l’abri du personnel enquêteur des influences indues de certains éléments corrompus du monde syndical de la construction.
[86] Ainsi, la prépondérance des inconvénients favorise le maintien de l’application des dispositions attaquées.
POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
[87] REJETTE la requête pour sursis et pour ordonnances de sauvegarde;
[88] Avec dépens .
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__________________________________ Stéphane Sansfaçon, j.c.s. |
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Me Claude Tardif |
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Me Catherine Masse |
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Procureurs des demandeurs |
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Me Patrice Claude |
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Me Marie-Eve Mayer |
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Procureurs des défendeurs |
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Me Pierre Legault |
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Procureur de la mise en cause Commission de la Construction du Québec |
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Me Gilles Grenier |
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Procureur de la mise en cause, Fédération des travailleurs |
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et travailleuses du Québec (FTQ) |
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Dates d’audience : |
1 et 2 août 2011 |
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ANNEXE
Les six articles en litige se lisent comme suit:
« 61. L’article 85 de cette loi est remplacé par le suivant : 85. Les salariés de la Commission autorisés à exercer les pouvoirs prévus par les articles 7, 7.1 et 7.3, par les paragraphes e et f du premier alinéa de l’article 81 et par l’article 81.0.1 constituent une unité de négociation pour les fins de l’accréditation qui peut être accordée en vertu du Code du travail (chapitre C-27).
L’association accréditée pour représenter les salariés visés par le premier alinéa ne peut être affiliée à une association représentative ou à une organisation à laquelle est affiliée une telle association, ni conclure une entente de service avec l’une d’elles. »
« 68. Sous
réserve des droits prévus par le Code du travail (L.R.Q., chapitre C-27),
l’association accréditée pour représenter l’ensemble des salariés de la Commission
de la construction du Québec le (indiquer ici la date qui précède celle de
l’entrée en vigueur de l’article 61 de la présente loi) continue de représenter
l’ensemble des salariés de la Commission qui ne sont pas visés par l’article
« 69. Malgré
l’entrée en vigueur de l’article 61, l’association accréditée pour représenter
l’ensemble des salariés de la Commission de la construction du Québec le
(indiquer ici la date qui précède celle de l’entrée en vigueur de l’article 61
de la présente loi) représente également les salariés visés par l’article
« 70. La
convention collective applicable à l’ensemble des salariés de la Commission de
la construction du Québec le (indiquer ici la date qui précède celle de
l’entrée en vigueur de l’article 61 de la présente loi) continue de s’appliquer
aux salariés visés par l’article
« 71.
L’association accréditée pour représenter les salariés visés par l’article
« 72. La Commission des relations du travail peut, sur requête, trancher toute difficulté relative à l’application des articles 68 à 71 de la présente loi, notamment celle résultant de la règle prévue par le troisième alinéa de l’article 71 . Les dispositions du Code du travail relatives à la Commission des relations du travail, à ses commissaires, à leurs décisions et à l’exercice de leurs compétences s’appliquent, compte tenu des adaptations nécessaires. »
[1] 2011, chapitre 17
[2] Les associations représentatives auxquelles le syndicat ne pourra pas s’affilier sont la Centrale des syndicats démocratiques (CSD-Construction), la Confédération des syndicats nationaux (CSN-Construction), le Conseil provincial du Québec des métiers de la construction, la FTQ Construction et le Syndicat québécois de la construction (SQC). La FTQ, à laquelle est présentement affiliée la Section locale 573, n’est pas incluse dans cette énumération.
[3]
Québec (P.G.)
c.
Confédération des syndicats nationaux (CSN)
,
[4]
[5] Page 128
[6] Pages 130 et 133
[7]
[8] Pages 338 et 339
[9] Page 128
[10] Page 348
[11] Pages 348 et 349
[12]
[13] Pages 770 et 771
[14] Metropolitan Stores , page 135
[15] Ibid , page 146
[16] RJR MacDonald , page 346
[17] Déjà cité, note 3
[18]
R.
c.
Advance Cutting & Coring Ltd
.,
[19] Paragraphes 92 à 94
[20]
Health Services and Support - Facilities Subsector
Bargaining Assn
. c.
Colombie-Britannique
,
[21] Notes explicatives et article premier de la loi
[22] Voir à ce sujet les propos du ministre de la Sécurité publique le 19 mai 1011, page 2042 à 2045, ceux du 28 juin 2011, pages 3 et 5 sur 62, tous reproduits à la pièce P-36, ainsi que ceux du 8 juin aux pages 2331 à 2333, produits mais non cotés ; voir aussi le Décret 114-2011 (2011, G.O. 2, 956) du 16 février 2011, pièce reproduite à l’onglet 14 du cahier d’autorités des défendeurs, auquel réfère l'article 67 de la loi
[23] Propos du ministre Dutil, 19 mai 1022, pages 2042 et 2043, pièce p-36
[24] Ibid
[25] Articles 4 à 25
[26] Articles 8 et 10
[27] Article 12
[28] Articles 26 à 30
[29] Articles 31 à 35
[30] Article 3
[31] Page 135