Bell c. Pakdel

2011 QCCQ 9160

 

  JD1234

 
COUR DU QUÉBEC

( CHAMBRE CIVILE )

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

 

N° :

200-22-041675-075

 

DATE :

 21 mars 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L'HONORABLE JACQUES DÉSORMEAU, J.C.Q.

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ROBERT BELL, […], Québec (Qué.) […].

 

Demandeur,

c.

 

HOOSHANG PAKDEL, […], Québec (Qué.) […].

 

Défendeur.

 

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JUGEMENT

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[1]                  Le demandeur réclame du défendeur à titre de dommages la somme de 69 999 $.

[2]                  En 2002, le demandeur était chimiste, spécialisé en alcoolémie; il était membre de l'Ordre des chimistes du Québec, membre de l'Institut de chimie du Canada et de l'Association internationale des chimistes; il témoignait fréquemment à titre d'expert devant les tribunaux de juridiction criminelle.

[3]                  En octobre 2002, le syndic adjoint de l'Ordre des Chimistes du Québec a déposé devant le Comité de discipline et une plainte et une requête en radiation immédiate contre le demandeur.

[4]                  Me Sarto Landry qui avait représenté le demandeur dans un dossier antérieur, a alors conseillé au demandeur de faire appel aux services d'un expert afin de préparer un rapport pour contrer l'expertise de l'expert Robitaille dont le rapport était déposé devant le Comité de discipline en appui à la plainte du syndic.

[5]                  Me Landry a alors suggéré au demandeur de retenir les services du défendeur, chimiste, chercheur associé au Département de génie chimique de l'Université Laval de Québec.

[6]                  Me Landry, le demandeur et le défendeur se rencontrent à quelques reprises en vue de la confection de la contre-expertise du défendeur.  Selon le demandeur, les honoraires du défendeur sont fixés au taux horaire de 100 $ et de 600 $ par journée d'assistance du défendeur à l'audition de la plainte devant le comité.  Selon le demandeur, il a été convenu d'un coût variant entre 3 000 $ et 6 000 $ incluant le témoignage du défendeur devant le comité; selon ce dernier, il n'y avait aucune limite quant au montant de ses honoraires.

[7]                  Les journées d'audition de la plainte par le comité se sont échelonnées du 27 août 2004 au 9 février 2005 et la contre-expertise préparée par le défendeur a été déposée devant le comité le 19 octobre 2004.

[8]                  Le 3 décembre 2004, le demandeur a révoqué le mandat de Me Sarto Landry et a retenu les services de Me Michel Croteau.

[9]                  Le 10 décembre 2004, le défendeur a fait parvenir au demandeur une note d'honoraires au montant de 14 750 $; les parties se sont rencontrées à ce sujet et le demandeur a alors offert au défendeur de lui verser le maximum prévu selon lui à l'entente, soit 6 000 $; le défendeur a refusé et a déclaré au demandeur que s'il n'était pas payé de la somme de 14 750 $, il ne se présenterait pas devant le comité pour soutenir son rapport; il exige également du demandeur que Me Sarto Landry, révoqué par ce dernier le 3 décembre 2004, soit présent devant le comité.

[10]               Le 18 décembre 2004, le défendeur reçoit un subpoena afin de témoigner lors d'une audition prévue le 21 décembre 2004.

[11]               La veille, soit le 20 décembre 2004, le défendeur fait parvenir à Me Jean Paquet, procureur du Comité de discipline de l'Ordre des chimistes, la lettre suivante:

"Monsieur,

La présente fait suite au subpoena que j'ai reçu le 18 décembre 2004 à ma résidence.

Premièrement, je tiens à vous aviser que monsieur Robert Bell refuse de remplir ses engagements concernant vos honoraires suite à trois mois de travail acharné.

De plus, je tiens à vous mentionner que son comportement m'amène à m'interroger sérieusement sur les propos qu'il m'a entretenus et qui viennent soutenir mon rapport.

Espérant que vous saurez tirer les conclusions appropriées.  Considérant votre bonne compréhension.

Bien à vous,

Hooshang Pakdel"

 

[12]               Le 21 décembre 2004, le défendeur s'est présenté devant le comité accompagné de Me Sarto Landry, le demandeur était présent ainsi que son procureur, Me Michel Croteau.

[13]               Ce dernier, estimait que la lettre du 20 décembre 2004 émanant du défendeur et portée à la connaissance du comité, créait "une appréhension raisonnable que la force probante du rapport du défendeur serait sérieusement affectée par le contenu de la lettre du défendeur".

[14]               Me Croteau, avec l'accord du demandeur, a soumis au comité une requête pour lui permettre de retirer le rapport du défendeur du dossier; la requête a été accordée par le comité qui s'est d'abord informé auprès de Me Croteau s'il avait besoin d'un expert supplémentaire pour pouvoir compléter la défense du demandeur devant le comité, ce à quoi Me Croteau a répondu par la négative.

[15]               Me Landry et le défendeur ont alors été libérés par le comité et l'audition de la plainte s'est continuée le 22 décembre 2004.

[16]               Le 11 octobre 2005, le demandeur a été déclaré coupable des huit chefs d'accusation indiqués dans la plainte et le 19 juin 2006, le demandeur était sanctionné par le comité par une amende totalisant 7 000 $ et par une radiation temporaire de cinq ans.

Discussions et décision

[17]               La preuve démontre qu'un contrat de services est intervenu entre les parties; l'obligation contractuelle du défendeur était de préparer une contre-expertise et de la soutenir devant le Comité de discipline.

[18]               La lettre que le défendeur a expédiée au procureur du Comité de discipline soulève deux griefs, soit le refus du demandeur de payer ses honoraires et le comportement du demandeur et les propos qu'il aurait tenus au défendeur pour soutenir son rapport.

[19]               La preuve démontre de façon prépondérante que le refus de témoigner du défendeur résultait d'une mésentente quant au paiement de ses honoraires.

[20]               À cet égard, le défendeur dans son témoignage, s'est limité à répéter que le refus du demandeur de lui payer ses honoraires était malhonnête et que toute discussion à ce sujet était inadmissible et intolérable.

[21]               Le défendeur, dans son témoignage, n'a pas élaboré sur le comportement du demandeur pas plus que sur les propos que ce dernier lui aurait communiqués quant à son rapport comme il l'allègue dans sa lettre.

[22]               Bien que la preuve ne démontre pas quel était le comportement du demandeur ni quels propos ce dernier aurait tenus au défendeur quant au soutien de son rapport, il ressort du contenu de ce document que dans de telles circonstances, le rapport risquait d'être nuisible au demandeur et ce dernier a jugé bon de le retirer du dossier avec l'assentiment du Comité de discipline.

[23]               Le défendeur a clairement manœuvré pour que son rapport ne soit d'aucune utilité pour le demandeur.

[24]               La lettre du défendeur citée plus haut constituait de sa part une résiliation unilatérale du contrat de service intervenu entre les parties et en qualité de prestataire de services, sa conduite doit être examinée à la lumière de ce qu'énonce l'article 2126 du Code civil du Québec :

            "2126.  L'entrepreneur ou le prestataire de services ne peut résilier unilatéralement le contrat que pour un motif sérieux et même alors, il ne peut le faire à contretemps, autrement, il est tenu de réparer le préjudice causé au client par cette résiliation."

[25]               À l'égard de ces dispositions du Code civil du Québec, il apparaît que le motif invoqué par le défendeur n'est pas sérieux; le demandeur n'a jamais refusé de payer le défendeur, mais contestait simplement le montant réclamé.  À ce sujet, la prétention du procureur du défendeur à l'effet que le paragraphe 5 de l'article 33 du Code de déontologie des chimistes, lui permet de cesser d'agir si le client refuse de payer ses honoraires, doit être écartée.

[26]               D'autre part, le défendeur, en signifiant la veille de l'audition, sa volonté de ne pas témoigner, a résilié le contrat à contretemps; il doit donc réparer le préjudice causé au demandeur par cette résiliation unilatérale.

Les dommages réclamés par le demandeur

[27]               Le demandeur a libellé comme suit les dommages qu'il prétend avoir subis:

"Perte de la carrière                                                                                        30 000 $

Dépens                                                                                                             10 000 $

Troubles, ennuis et inconvénients                                                                  10 000 $

Dommages et intérêts exemplaires                                                              10 000 $

Dommages et intérêts moraux                                                                       6 999 $"

[28]               À cet égard, le demandeur a fait état d'une fin possible de sa carrière, de la difficulté pour lui de devenir chimiste et il a fait également état des inconvénients et du stress que la conduite du défendeur lui a fait subir.

[29]               Une partie des dommages réclamés résulte directement de la sanction qui a été imposée au demandeur par le Comité de discipline alors que ce dernier n'a jamais pris connaissance du rapport du défendeur; à cet égard, il n'y a aucun lien entre la décision du comité et le rapport du défendeur.  D'ailleurs, rien n'indique dans la preuve que la décision du comité eût été différente si le rapport du défendeur avait été produit et soutenu.

[30]               Cependant, le demandeur a subi un stress, des ennuis et des inconvénients mineurs suite à la volte-face du défendeur et le Tribunal accorde au demandeur à ce chapitre la somme de 5 000 $.

[31]               Quant à la demande reconventionnelle, il n'a pas été établi que le demandeur ait agi de mauvaise foi et que sa requête constituait un abus de procédures; il pouvait croire, de bonne foi, que la conduite du défendeur lui causait des dommages et qu'il avait des droits à faire valoir.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

ACCUEILLE la requête en partie;

CONDAMNE le défendeur à payer au demandeur la somme de 5 000 $ avec intérêt au taux légal de 5% majoré de l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec à compter de la mise en demeure;

CONDAMNE le défendeur aux dépens;

REJETTE sans frais la demande reconventionnelle.

 

 

 

JACQUES DÉSORMEAU, J.C.Q.

 

Dates d’audience :

7 et 8 octobre 2010

 

Me Michel Croteau

GAULIN CROTEAU  (CASIER # 204)

Procureur du demandeur

 

Me Guylaine Gauthier

GAUTHIER AVOCATS  (CASIER # 780)

Procureure du défendeur