TRIBUNAL D’ARBITRAGE

(en vertu de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail )

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

YM 2707-8567

 

Date : 20 juillet 2011

 

 

Devant l’arbitre : M e Jean Gauvin, avocat

 

 

LUC MÉTHOT, […], Grande-Rivière Ouest, (Québec), […]

ci-après appelé « LE PLAIGNANT »

c.

 

PREMIÈRE NATION MALÉCITE DE VIGER, 217, rue de la Grève, Cacouna, (Québec), G0L 1G0

ci-après appelée « L’EMPLOYEUR »

 

 

OBJET :  Arbitrage en vertu de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail - Plainte de congédiement injuste de Luc Méthot c. Première nation malécite de Viger , Cacouna, Québec

                  - Dossier YM2707-8567.

 

Date de réception de la plainte : 28 avril 2010

Date de la nomination de l’arbitre : 13 août 2010

Date de l’audience : 21 juin 2011

Date de la décision : 19 juillet 2011

 

N/D : 2100-50-G/10

_________________________________________________________________________

 

DÉCISION ARBITRALE

_________________________________________________________________________

I-          LA PROBLÉMATIQUE

[1]            Le plaignant prétend avoir fait l’objet d’un congédiement injuste. De son côté, l’Employeur affirme, dans un premier temps, que le plaignant ne peut se prévaloir de l’article 240 C.c.t. puisqu’il n’a pas été à son emploi pendant au moins 12 mois sans interruption avant sa fin d’emploi, et, dans un deuxième temps, que de toute façon le plaignant a purement et simplement démissionné de son emploi de son plein gré et de sa propre initiative le 8 avril 2010.

II-         AUDITION EX-PARTE

[2]            Il s’agit d’une matière où, à prime abord, l’Employeur aurait le fardeau de la preuve dans l’hypothèse où j’en viendrais à la conclusion que le plaignant a droit au recours que prévoit l’article 240 C.c.t.

[3]            L’enquête et l’audition en ont été fixées aux 21 et 22 juin 2011 par communications téléphoniques aux parties et confirmées par lettre à chacune d’elles mallée le 17 février 2011.

[4]            Entre le 6 et le 13 juin 2011, plusieurs appels téléphoniques sont logés chez la mère et la sœur du plaignant afin d’aviser ce dernier du lieu exact de l’audition des 21 et 22 juin 2011, et le 7 juin 2011, une lettre lui est adressée par poste recommandée à son domicile pour le lui confirmer.

[5]            Le 15 juin 2011, le plaignant laisse dans la boîte vocale de l’arbitre soussigné un numéro de téléphone cellulaire auquel il peut être rejoint, ce que l’arbitre fait le même jour.

[6]            Au cours de cette conversation téléphonique, le plaignant se fait préciser le lieu exact de l’audition et reconfirmer les dates des 21 et 22 juin 2011.

[7]            Le 20 juin 2011, le plaignant demande par téléphone une remise aux motifs que son témoin, qu’il n’a pas assigné par subpoena, se dit non disponible et que lui-même a d’autres choses à faire.

[8]            Cette demande est alors immédiatement refusée étant donné les nombreux frais déjà encourus pour la location d’une salle d’audition, pour l’assignation par l’Employeur de ses témoins dont au moins un est de l’extérieur de Rimouski et pour les frais de transport et vacations des procureurs de l’Employeur qui seraient alors déjà vraisemblablement partis de Montréal pour rencontrer leurs témoins à Rimouski.

[9]            Le plaignant est dès lors requis d’être présent à l’audience telle que fixée puisqu’autrement la partie adverse sera séance tenante autorisée à procéder malgré son absence.

[10]         Le 21 juin 2011, le plaignant est absent.

[11]         Après une attente de quelque 15 minutes, l’arbitre soussigné tente un appel au plaignant afin de savoir si ce dernier est en route et sur le point d’arriver à l’audience.

[12]         Lorsqu’il lui pose les questions susdites, le plaignant, comme toute réponse, raccroche, sans plus.

[13]         Défaut est dès lors constaté contre le plaignant et l’Employeur, autorisé à procéder.

III-        PREUVE DE L’EMPLOYEUR à l’effet que le plaignant ne peut se prévaloir de l’article 240 C.c.t. puisqu’il ne satisfait pas à l’exigence suivante stipulée à l’alinéa a) du paragraphe 1) de cet article, à savoir : « si, d’une part, elle travaille sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur; »

•     M. Sébastien Thibault

[14]         Il est directeur-coordonnateur des Pêcheries malécites dont la production commerciale génère 85 % des revenus de la Première nation malécite de Viger.

[15]         Les Pêcheries malécites exploitent trois types de pêche, soit celle des crevettes nordiques, à Rivière-au-Renard, celle du crabe des neiges, à Rimouski, et celle des oursins, à Cacouna.

[16]         À Rivière-au-Renard, 10 pêcheurs y œuvrent, répartis sur trois bateaux; à Rimouski, en raison d’une amputation des quotas de pêche de l’ordre de 50 % imposée il y a quelques années, il n’y a qu’un seul bateau en service avec cinq pêcheurs; à Cacouna, il n’y a également qu’un seul bateau.

[17]         Tous les pêcheurs sont engagés en vertu d’un contrat d’une durée déterminée de même type qui débute avec les activités de préparation à la saison de pêche et qui se termine avec l’atteinte des quotas et le nettoyage, le peinturage et l’hivernage du bateau.

[18]         En 2009, à l’instar du contrat de tous les autres pêcheurs ou aide-pêcheurs à l’emploi de la Première nation malécite de Viger, le contrat du plaignant comportait, à l’article 3, les clauses 3.1 à 3.3 suivantes (pièce E-2) :

« 3.1       L’horaire de travail peut être variable selon les nécessités du service et de l’aspect particulier des fonctions.

3.2       Le présent contrat est à durée déterminée. Il débute le 24 mars 2009 et se termine avec la participation de l’employé au remisage du bateau et des agrès de pêche, de même que les travaux d’hivernage exigés par l’Employeur.

3.3       L’Employeur n’a pas l’obligation de réembaucher l’employé à l’ouverture de la prochaine saison de pêche. »

[19]         En 2010, tout comme le contrat d’embauche de tous les autres pêcheurs ou aide-pêcheurs à l’emploi de la Première nation malécite de Viger, le contrat du plaignant, signé le 22 mars 2010 et débutant le 23 mars 2010 (pièce E-3), comportait, à l’article 3, deux clauses additionnelles aux clauses 3.1, 3.2 et 3.3 précitées et désormais répétées dans ce nouveau contrat comme étant les clauses 3.1, 3.2 et 3.5, à savoir les clauses 3.3 et 3.4 suivantes :

« 3.3       L’Employeur s’engage à remettre la dernière période de paie après les travaux d’hivernage et après inspection.

3.4       Une non-participation au remisage sera considérée comme un départ volontaire. »

[20]         Les relevés d’emploi (pièces E-4 en liasse) du plaignant pour les années 2008, 2009, 2010, couvrant ainsi la période du 23 mars 2008 au 12 juillet 2008, en 2008, celle du 23 mars 2009 au 10 juillet 2009, en 2009, et celle du 22 mars 2010 au 7 avril 2010, en 2010, indiquent tous qu’il n’y est prévu aucun rappel au travail, et ce, parce qu’il s’agit d’une fin de contrat, en 2008 et 2009, et d’un départ volontaire, en 2010.

[21]         En d’autres termes, chaque fin de contrat, en 2008 et 2009, donnait lieu à une rupture du lien d’emploi, et tel fut également le cas le 8 avril 2010 par la démission volontaire du plaignant, lequel n’a par la suite donné aucun signe de vie avant le 28 avril 2010.

[22]         Le témoin explique le motif de l’expression explicite dans le contrat d’embauche de l’intention des parties à l’effet que chaque fin de contrat donne lieu à une rupture du lien d’emploi, par le fait qu’il est essentiel qu’aucun pêcheur ou aide-pêcheur n’ait droit à un rappel au travail l’année suivante, et ce, afin que les autochtones, une fois initiés à la pêche par les non autochtones, puissent y prendre la place de ces derniers au fur et à mesure qu’ils en acquièrent la compétence.

[23]         En effet, tel serait l’un des objectifs de l’entente intervenue entre l’Employeur et le ministère des Pêches et Océans, laquelle vise à favoriser l’embauche des autochtones sur ses bateaux de pêche et à aider ainsi au développement de l’économie locale comme l’indique cette entente du 16 février 2000, en ses dispositions 1(2), 2(2), 6(3) et 7 (pièce E-5), intervenue dans la foulée de l’arrêt Marshall (pièce E-6) qui reconnaissait les droits de pêche des autochtones et le pouvoir et le devoir du gouvernement fédéral d’en réglementer l’exercice en raison d’impératifs de conservation et d’autres objectifs réels et impérieux.

[24]         Ainsi, à chaque année, le recrutement se fait par le biais du bulletin communautaire «  Les Pêcheries malécites  » (pièce E-12) qui est envoyé à tous les membres de la PNMV ainsi qu’aux non autochtones qui ont travaillé aux pêches l’année précédente.

•     M. Michel Jenniss

[25]         Actuellement matelot à l’emploi de C.N.M. Navigation depuis cinq ans, il a travaillé à la pêche au crabe, pour l’Employeur, en 2001, 2002, 2003, 2004, 2005 et 2006.

[26]         En 2008, il est témoin dans une cause opposant le Conseil de la Première nation malécite de Viger c. La crevette du Nord Atlantique inc. et al , en Cour supérieure, dossier 250-17-000343-0058.

[27]         Les extraits pertinents des pages 234 à 256 de la transcription fidèle et exacte de son témoignage entendu lors de l’enregistrement numérique sont à l’effet :

a)      que les pêcheurs et aide-pêcheurs voulaient un contrat de travail qui leur garantirait 16 semaines de travail;

b)      qu’il n’y a pas eu de contrats de signés en 2005 car celui proposé n’offrait aucune protection aux pêcheurs et aide-pêcheurs;

c)      qu’il y a rupture de leur lien d’emploi à la fin de chaque saison de sorte qu’ils doivent d’une année à l’autre rappeler l’Employeur pour savoir s’il est intéressé à les reprendre;

d)      qu’ils souhaitaient un contrat qui leur assurerait un rappel au travail d’année en année sauf en cas de congédiement justifié;

e)      que ce souhait ne s’est toutefois jamais réalisé;

f)       que malgré l’absence de telles garanties les pêcheurs et aide-pêcheurs réembauchés sont repartis en mer d’année en année, à tout le moins, à sa connaissance personnelle, tant en 2004 qu’en 2005;

g)      qu’en 2006 un contrat a été signé mais sans que leur soit accordée, comme autochtone, une préséance d’embauche sur les non autochtones;

h)      que malgré leur désir que la Première nation malécite de Viger ne s’immisce ni dans leur embauche ni dans leur travail sur les bateaux, mais que ce soit le capitaine qui mène son équipe et que la priorité d’embauche soit assurée aux autochtones qui font bien leur travail, ce désir ne s’est pas alors réalisé.

•     M. Richard Hins

[28]         Il est aide-pêcheur à l’emploi de la Première nation malécite de Viger depuis 2008.

[29]         Il est embauché pour la pêche au crabe qui dure huit semaines et qui s’est donc terminée, en 2011, vers la fin de mai.

[30]         Il confirme l’être en vertu d’un contrat qui implique la préparation de la pêche, la pêche elle-même et le remisage du bateau à la fin de la saison et dont la durée, une fois le travail prévu complété, se termine en donnant lieu à une rupture du lien d’emploi et à la remise d’un relevé d’emploi ne prévoyant aucun rappel au travail même s’il est possible qu’il soit réengagé, s’il en manifeste l’intérêt, l’année suivante, en répondant à l’invitation qui est alors faite dans le bulletin communautaire.

IV-       PREUVE DE L’EMPLOYEUR relativement à la démission pure et simple, de son plein gré et de sa propre initiative, du plaignant

•     M. Sébastien Thibault

[31]         Le 7 avril 2010, M me Marcelle Jenniss, conjointe du plaignant, est suspendue avec solde le temps nécessaire pour dénouer une impasse entre elle et l’équipage du bateau sur lequel elle travaille à titre de capitaine en second.

[32]         Au fait, l’équipage lui reproche de ne pas avoir la compétence requise pour assumer l’entière responsabilité du navire en remplacement du capitaine, d’être sujette au mal de mer et ainsi de refuser de prendre la mer par mauvais temps, de s’être livrée à des altercations verbales et même à des menaces de mort à l’endroit de l’équipage.

[33]         Le 8 avril 2010, M me  Jenniss n’est pas à bord du bateau lorsque celui-ci, a trois heures du matin, quitte le quai, mais elle est néanmoins présente à son départ, y fait du grabuge et se livre à des altercations verbales avec l’équipage.

[34]         De son côté, le plaignant, qui continue de faire partie de l’équipage en dépit de la suspension de sa conjointe, est alors à bord pour y effectuer ses tâches et y passera la journée du 8 avril 2010.

[35]         Au cours des quelque 25 minutes avant la fin de cette sortie en mer, alors que le bateau s’approche du quai, le plaignant et M me  Jenniss, qui se trouve alors sur le quai, se parlent tout d’abord au téléphone, puis le plaignant, visiblement de mauvaise humeur, ramasse tous ses effets personnels comme quelqu’un qui en est à son dernier voyage.

[36]         Lorsque le bateau accoste, à marée basse, celui-ci est plus bas que le quai de sorte que l’équipage, dont le plaignant, devra prendre l’échelle pour accéder au quai à partir du pont du bateau.

[37]         À ce moment-là, alors qu’il y a environ de 20 à 25 personnes sur le quai qui assistent au débarquement, le témoin relate que M me  Jenniss se met à vociférer et à l’injurier pendant que le plaignant, tout en montant dans l’échelle avec tous ses effets personnels, l’insulte lui aussi, menace de le battre et traite tous les malécites de « pêcheurs de chez Wallmart » et d’incompétents.

[38]         En outre, sous le regard de toutes ces personnes et des autres membres de l’équipage, le plaignant prend son couteau, met en lambeaux son ciré tout neuf, qui lui est fourni par l’Employeur au début de la saison de pêche, en vociférant : « Voici comment on quitte un bateau en Gaspésie », puis furieux, les yeux sortis de la tête, lui place son couteau à la six pouces de la gorge en lui disant : « T’es chanceux qu’il y ait du monde autour », pendant que sa conjointe y va de ses encouragements : « Vas-y, règle lui son compte ».

[39]         À la suite de ce départ manifestement volontaire et sans intention de retour au travail du plaignant, ce dernier ne se présente effectivement pas au travail les 9, 10, 11, 12 et 13 avril 2010, ce qui confirme sa démission pure et simple et amène l’Employeur à lui signifier par lettre recommandée du 13 avril 2010 (pièce E-9) sa fin d’emploi, comme conséquence de son départ volontaire du 8 avril 2010, plutôt que d’avoir à le congédier pour inconduite grave comme les gestes posés et les paroles prononcées le 8 avril 2010 l’auraient de toute façon justifier de le faire.

[40]         Enfin, la première nouvelle que l’Employeur reçoit du plaignant après sa démission du 8 avril 2010 est celle d’une plainte logée par ce dernier contre lui auprès de la CSST (pièce E-11) le 30 avril 2010 en vertu de l’article 227 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail , une plainte dont le dossier a toutefois fait subséquemment l’objet d’une fermeture administrative, faute par le plaignant d’y avoir donné suite (pièce E-11), le 13 septembre 2010.

•     M. Richard Hins

[41]         Le 8 avril 2010, il fait partie du même équipage que le plaignant qui n’est pas alors jasant mais qui fait bien son travail tout en se retirant souvent ce jour-là pour aller téléphoner en cachette.

[42]         Au retour, peu avant l’arrivée au quai, le plaignant ramasse tous ses effets personnels puis, une fois le bateau accosté, s’écrie en montant dans l’échelle pour accéder au quai : « Je vais leur montrer comment on ferme ça une saison de pêche en Gaspésie ».

[43]         En le voyant apporter tous ses effets personnels et son ciré, alors que durant la saison de pêche tout ce qu’on apporte en débarquant du bateau c’est notre boîte à lunch et notre linge sale, on comprend tous, compte tenu également de ses propos, qu’il a décidé de quitter son emploi et qu’il ne reviendra pas.

[44]         En outre, tout comme sa conjointe, hystérique, il crie et vocifère alors à l’endroit du directeur-coordonnateur, M. Sébastien Thibault.

•     Déclaration du procureur de l’Employeur

[45]         À ce stade-ci, le procureur de l’Employeur déclare qu’il avait prévu faire entendre, demain le 22 juin, M. Laval Dionne, le capitaine du bateau, qui viendrait confirmer les versions de MM. Sébastien Thibault et Richard Hins quant aux faits et gestes et aux propos du plaignant au moment où il a quitté le bateau et accédé au quai, ainsi que M me  Nathalie Caron, la directrice générale du Conseil de bande lors de la rédaction des contrats de travail des années 2009 et 2010, qui viendrait confirmer les témoignages de MM. Sébastien Thibault et Michel Jenniss relativement au fait que l’Employeur n’a jamais voulu acquiescer aux demandes des pêcheurs et aide-pêcheurs portant sur une priorité de rappel lors de la saison suivante, et ce, afin de pouvoir conserver une flexibilité dans l’embauche permettant de favoriser le plus possible l’emploi des autochtones et leur initiation au métier de pêcheur.

[46]         Toutefois, il décide de ne pas le faire vu les frais additionnels que cela occasionnerait et la simple redondance qui en résulterait, puisque les témoignages de MM. Sébastien Thibault, Richard Hins et Michel Jenniss n’ont aucunement été contredits ou infirmés par une preuve contraire et qu’ils doivent en conséquence être retenus comme véridiques.

V-        ARGUMENTATION

•     Position de l’Employeur

[47]         Dans un premier temps, le procureur de l’Employeur invoque l’arrêt Beatuk, sur les contrats saisonniers.

[48]         Il fait valoir qu’il y est énoncé que ce qu’il faut rechercher en regard de l’effet des contrats à durée déterminée sur le maintien ou non du lien d’emploi, c’est l’intention des parties exprimée clairement.

[49]         Or, en l’espèce, cette intention est clairement exprimée par les clauses 3.2 et 3.3, pour le contrat de 2009, et 3.2 et 3.5, pour le contrat de 2010, puis réaffirmée dans les relevés d’emploi émis à l’occasion de la fin de ces contrats par les mots « retour non prévu » tant en 2008 qu’en 2009 et 2010.

[50]         Dans un deuxième temps, il plaide qu’il n’y a pas eu de congédiement, bien que l’Employeur aurait pu congédier le plaignant pour inconduite grave, mais démission volontaire de ce dernier d’abord manifestée par ses faits, gestes et paroles du 8 avril 2010, ensuite confirmée par ses absences des 9, 10, 11, 12 et 13 avril suivants, d’une part, et par son défaut de toute communication quelconque avec l’Employeur entre le 8 avril 2010 et le 30 avril 2010, date d’une plainte auprès de la CSST que le plaignant a lui-même abandonnée et qui a alors donné lieu à une fermeture du dossier le 13 septembre 2010, d’autre part.

[51]         La présente plainte doit donc être rejetée, d’abord, parce que le plaignant ne satisfait pas à l’exigence d’avoir travaillé sans interruption pendant au moins 12 mois pour l’Employeur, ensuite, parce qu’il n’a aucunement été congédié mais qu’il a de lui-même volontairement démissionné le 8 avril 2010 et qu’il a confirmé sa décision par son comportement subséquent, d’abord des 9 au 13 avril suivants, ensuite de l’époque qui a suivi la date du 13 avril 2010.

VI-       MOTIFS ET DÉCISION

[52]         La première question dont je dois ici disposer est celle portant sur la notion de service ininterrompu depuis au moins 12 mois.

[53]         En d’autres termes, il s’agit ici de se demander si lors de la rupture de son lien d’emploi en avril 2010 le plaignant était à l’emploi de l’Employeur depuis au moins 12 mois.

[54]         Ceci dit, même si le libellé de l’article 240 (1) (a) du Code canadien du travail utilise les termes « travaille sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur », ce qui suggère de prime abord que la personne aura alors fourni sa prestation de travail convenue pendant 12 mois consécutifs, ce n’est cependant pas tant la prestation de travail comme telle que la durée elle-même du lien d’emploi qui devra alors être considérée, selon la doctrine et la jurisprudence, pour déterminer s’il y a eu interruption ou non dans la période travaillée.

[55]         En effet, sur cet aspect de la question, il y a tout d’abord lieu de constater que le concept qu’énoncent les mots « travaille sans interruption depuis au moins 12 mois pour le même employeur », de l’article 240 (1) (a) C.c.t., équivaut à la notion de « service continu » que l’on trouve à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail du Québec et qui est définie au paragraphe 12 de l’article 1 de cette dite loi, ce que j’ai du reste déjà reconnu, après examen des autorités qui m’avaient alors été soumises, dans une décision rendue dans l’affaire Vigneault c. Conseil de la Nation innu de Mastimekiosh et Lac John , rapportée à DTE 2001T-239 et à 2001 R.J.D.T.

[56]         Il y a également lieu de prendre en compte que la notion de « service continu » présuppose la continuité du lien d’emploi comme l’a souligné le commissaire du travail, Raymond Gagnon, dans l’affaire Bélanger -et- Commission scolaire des Rives-du-Saguenay, rapportée à DTE 2008T-574 , dont le jugé peut être ci-après résumé en ces termes :

« La continuité du lien d’emploi est l’assise fondamentale du "service continu" qui est décrit à l’article 1, paragraphe 12, de la L.N.T. comme étant "la durée ininterrompue pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail, même si l’exécution du travail a été interrompue sans qu’il y ait résiliation du contrat, et la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permette de conclure à un non renouvellement de contrat."

Néanmoins, la simple succession de contrats ou de prestations de travail ne constitue pas en soi une continuité d’emploi : un lien juridique non interrompu est requis et ce lien se fonde notamment sur le fait qu’il existe une possibilité réelle de retour au travail dans un avenir prévisible. »

[57]         Cette décision précitée est d’ailleurs conforme aux extraits suivants, tirés du résumé d’un jugement rendu par la Cour d’appel du Québec dans la cause Fruits de mer Gascon ltée c. Commission des normes du travail , rapporté à DTE 2004T-433 et confirmant un jugement de l’honorable juge Claude-Henri Gendreau, de la Cour supérieure, rapporté à DTE 2003T-136 , à savoir :

« Le service continu se définit comme étant la période pendant laquelle le salarié est lié à l’employeur par un contrat de travail, même si l’exécution du travail a été interrompue sans qu’il y ait résiliation du contrat.

C’est aussi la période pendant laquelle se succèdent des contrats à durée déterminée sans une interruption qui, dans les circonstances, permette de conclure à un non renouvellement de contrat.

Ces circonstances sont d’ordre géographique, social et économique. Elles sont également intimement liées à l’organisation de l’entreprise. »

[58]         En cette cause avaient alors été considérés comme étant des circonstances permettant de conclure à une période de service continu, une succession de contrats à durée déterminée, les faits suivants :

1)         La tenue à jour d’une liste, par rang d’ancienneté, des salariés concernés;

2)         Le rappel, à la fin de chaque hiver, de chacun de ces salariés selon leur rang d’ancienneté afin de les inviter à reprendre le travail dès le mois d’avril suivant, et ce, en dépit du relevé d’emploi indiquant « retour non prévu » qui leur était remis à la fin de leur contrat, à chaque mois de juillet;

3)         Le fait que ce rituel existait depuis 15 ans et que, d’une part, ces salariés s’attendaient d’une année à l’autre à être réembauchés puisqu’ils n’avaient à peu près aucun autre débouché et que celui-ci allait être leur seul véritable emploi de l’année, et que, d’autre part, l’Employeur ne pouvait fonctionner sans eux et qu’il les rappelait effectivement à chaque année, ce qui indiquait clairement l’intention de l’Employeur, en dépit de l’indication « retour non prévu » inscrite à leur relevé d’emploi, de faire appel à eux sur une base périodique et régulière.

[59]         Ainsi, pareille inscription sur le relevé d’emploi ne suffisait pas en de telles circonstances, selon la Cour d’appel, pour indiquer une volonté de rompre le lien d’emploi puisque celle-ci procédait d’un geste unilatéral de l’Employeur que contredisaient au surplus ses pratiques courantes.

[60]         Quant au Code canadien du travail , bien qu’à la différence de la L.N.T. il ne contienne pas une définition du « service continu »; ce concept, qui présuppose une période ininterrompue d’emploi, se retrouve dans plusieurs articles de la partie III de ce code, notamment aux articles 183, 210 (2), 230 (1), 235 et 239 (1) (a) des sections IV, VIII, X, XI, XIII et XIV de cette partie III, et l’article 29 du Règlement du Canada sur les normes du travail (C.R.C. 1978, c. 986) apporte les éclaircissements suivants quant aux absences du travail qui n’ont pas pour effet d’interrompre le service continu chez l’Employeur :

Article 29 :      Pour l’application des sections IV, VII, VIII, X, XI, XIII, XIV et XV.2 de la Loi, n’est pas réputée avoir interrompu la continuité d’emploi l’absence d’un employé qui est :

a)      soit attribuable à une mise à pied qui n’est pas un licenciement aux termes du présent règlement;

b)      soit autorisée ou acceptée par l’Employeur.

[61]         Dès lors, il s’ensuit que chaque cas où une personne prétend avoir maintenu pendant au moins 12 mois un lien continu d’emploi avec le même employeur, malgré qu’elle ait été engagée en vertu de contrats de durée déterminée de moins de 12 mois à chaque fois, doit conséquemment être étudié et apprécié à la lumière du comportement de l’Employeur et des motifs qui le sous-tendent révélés par la preuve.

[62]         En l’espèce, la preuve a révélé à ce sujet les faits pertinents suivants :

1)         À la lumière de l’arrêt de la Cour suprême du Canada rendu dans la cause R. c. Marshall et rapporté à [1999] 3R.C.S. 456 , une entente visant à établir des arrangements concernant la pêche a été conclue le 16 février 2000 entre Sa Majestée la Reine du chef du Canada, représentée par le Ministre des Pêches et des Océans (le M.P.O.) et la Première nation malécite de Viger.

2)         À cette fin, ces arrangements prévoyaient un accès à la pêche et à de l’aide pour le développement de ses capacités, notamment celles des membres de la PNMV désireux d’acquérir la formation et l’entraînement requis pour occuper les emplois de pêcheurs et d’aide-pêcheurs.

3)         Conséquemment, il était dans la logique de cette entente que les emplois sur les bateaux de pêche de la PNMV soient dans la mesure du possible occupés par des membres de la PNMV, à savoir des autochtones, et que ce ne soit que pour les nécessités de la formation et de l’entraînement des membres de la PNMV, ainsi que pour permettre à cette dernière de rencontrer ses quotas de pêche malgré les carences de ses membres en la matière, que des non autochtones puissent être embauchés.

4)         C’est ce qui explique à ladite entente la clause 6.2 qui, sous la rubrique « Aide au développement des capacités », stipule :

« Des non-membres de la PNMV désignés conformément à l’annexe B peuvent aider la PNMV en donnant de la formation sur la pêche au crabe et à la crevette ».

5)         C’est ce qui explique également à ladite entente, sous la rubrique « Désignation des pêcheurs et distribution des bénéfices de la pêche commerciale », l’article 7 qui se lit comme suit :

« Il incombe à la PNMV de désigner, conformément à l’annexe B, les pêcheurs pratiquant la pêche pour le bénéfice de la PNMV ».

6)         Depuis l’an 2000, l’Employeur a toujours embauché ses pêcheurs et aide-pêcheurs pour une durée déterminée commençant par les travaux nécessaires aux préparatifs à la période de pêche et se terminant par ceux de remisage du bateau à la fin de la saison de pêche.

7)         À compter de l’an 2004, les pêcheurs et aide-pêcheurs ont exercé des pressions pour obtenir un contrat contenant une clause leur assurant une priorité de rappel au travail la saison de pêche suivante, mais en vain, l’Employeur ayant toujours refusé d’acquiescer à cette demande afin de pouvoir d’une année à l’autre embaucher le maximum d’autochtones possible membres de la PNMV et de pourvoir ainsi au remplacement des non autochtones par des autochtones désormais en mesure de donner la formation et l’entraînement et d’assurer l’atteinte des quotas.

8)         Lorsqu’arrive le temps de recruter les pêcheurs et aide-pêcheurs, la PNMV ne dispose pas d’une liste d’ancienneté tenue à jour à partir de laquelle seraient effectués des rappels : elle procède par le biais des bulletins communautaires qui sont envoyés à tous les autochtones membres de la PNMV, ainsi qu’aux non autochtones qui ont travaillé l’année précédente, et l’embauche est effectuée dans le but premier de favoriser le développement au sein de la PNMV d’une main-d’œuvre qualifiée en matière de pêcherie.

9)         Il est expressément stipulé dans le contrat d’embauche en vigueur depuis à tout le moins 2008 que celui-ci se termine avec la participation de l’employé au remisage du bateau et des agrès de pêche et aux travaux d’hivernage exigés par l’Employeur et que ce dernier n’a aucune obligation de réembaucher l’employé à l’ouverture de la prochaine saison de pêche, ce qui confirme de façon manifeste l’intention de l’Employeur d’interrompre toute continuation du lien d’emploi dans l’hypothèse que l’employé serait néanmoins réembauché l’année suivante.

10)      Bref, il n’y a aucune contradiction entre les pratiques courantes de l’Employeur et la mention « retour non prévu » inscrite au relevé d’emploi qu’il remet à ses employés à la fin de leur contrat et qu’il a notamment remis au plaignant en 2008, 2009 et 2010.

[63]         Ceci dit, il n’est pas impossible qu’en raison de d’autres circonstances dont la preuve pourrait établir l’existence, les contrats d’embauche des autochtones membres de la PNMV puissent donner lieu à une non interruption du lien d’emploi, malgré les stipulations du contrat et la mention du relevé d’emploi, advenant qu’il y ait contradiction par rapport aux pratiques courantes de l’Employeur, mais tel n’est pas ici le cas : l’intention de l’Employeur de conserver toute la flexibilité possible à son processus d’embauche afin de favoriser la communauté autochtone que constitue la PNMV est manifeste et conforme à la finalité de l’entente intervenue en février 2000.

[64]         POUR TOUS CES MOTIFS, le plaignant ne peut prétendre avoir travaillé sans interruption pendant au moins 12 mois pour l’Employeur et il n’a dès lors pas droit au recours fondé sur l’article 240 du Code canadien du travail .

[65]         Quant au deuxième point soulevé par l’Employeur, vu la présente décision rendue sur le premier point et mettant fin à ma compétence juridictionnelle aux termes de cet article 240, il n’y a pas lieu d’en disposer.

 

Québec, ce 20 juillet 2011.

 

 

 

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M e JEAN GAUVIN, avocat

Arbitre de griefs