TRIBUNAL D’ARBITRAGE

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

 

N o de dépôt :

2011-8753

 

Date :

Le 7 septembre 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

ANDRÉ SYLVESTRE , avocat

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SYNDICAT DES EMPLOYÉ(E)S DU CASINO DE MONT-TREMBLANT, SCFP, LOCAL 4949,

 

 

Et

 

 

SOCIÉTÉ DES CASINOS DU QUÉBEC (CASINO DE MONT-TREMBLANT),

 

 

 

 

 

DANS UNE PLAINTE LOGÉE PAR MADAME NANCY DESRUISSEAUX EN VERTU DE L’ARTICLE 59 DU C.T.Q.

 

 

 

 

 

 

 

 

Procureur du Syndicat

Monsieur Jean-Pierre Proulx

 

 

Procureur de l'Employeur

Me Jean Leduc

 

 

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SENTENCE ARBITRALE

 

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LA PREUVE

[1]            Le 6 mars 2010, monsieur Amyot, un superviseur des opérations, ou SDO, mais agissant comme chef des opérations par intérim a remis cette lettre à madame Desruisseaux :

« Madame,

Pour faire suite à notre rencontre du 6 mars 2010, la présente vise à vous informer que vous êtes suspendue, sans solde, pour fins d’enquête, et ce, pour une période indéterminée.

Nous communiquerons avec vous afin de vous faire part de notre décision relativement aux conclusions de l’enquête. »

[2]            Le 26 mars suivant, monsieur Chartrand, le chef des opérations du Casino, ou CDO, a informé la plaignante de la fin de son emploi, d’où le dépôt du grief, le 8 avril :

« Madame,

La présente fait suite à votre suspension pour fins d’enquête du 6 mars 2010 suite aux événements survenus lors de votre quart de travail du 27 février 2010.  Ainsi, nous désirons vous faire part de la décision de la Société des Casinos suite à l’analyse des faits pertinents.

·          Considérant que les explications que vous nous avez fournies contreviennent directement à votre obligation d’intégrité;

·          Considérant la politique sur la conduite du personnel ainsi que la nature et la gravité du geste reproché;

·          Considérant que la nature de vos fonctions de préposée à l’accueil et au confort au Casino de Mont-Tremblant requiert un haut niveau de confiance;

·          Considérant la réputation d’honnêteté et d’intégrité que notre établissement doit maintenir;

·          Considérant que pour ces motifs, le lien de confiance qui se doit d’exister entre vous et votre employeur a été définitivement rompu;

Nous vous avisons que nous mettons fin à votre emploi rétroactivement au 6 mars 2010, date de votre suspension pour fins d’enquête.

Votre relevé d’emploi et les sommes qui vous sont dues, s’il y a lieu, vous seront acheminés à votre domicile. »

[3]            Me Leduc a produit la plaignante comme premier témoin.  L’employeur l’a embauchée le 11 juin 2009, avant même l’ouverture de son établissement, comme préposée à la gestion du confort des clients.  Auparavant, elle avait travaillé comme caissière au Casino de Montréal.  Au jour de sa suspension, elle occupait le même emploi.  Son travail lui demandait d’accueillir les clients au vestiaire et de prendre charge de ce qu’ils lui confiaient, manteaux, parapluies, sacs à dos et objets de valeur, dont des appareils-photos et des ordinateurs.  Elle travaillait toujours avec une compagne, sauf durant les pauses et en semaine, lorsqu’elle demeurait seule après une certaine heure.  Elle recevait des pourboires de la clientèle qu’elle partageait avec sa collègue et les autres préposés au vestiaire affectés à un quart différent et en fonction des heures travaillées.  Les deux préposées procédaient à ce décompte à la fin de leur quart de travail ou, en l’absence d’une d’entre elles, en présence d’un SDO.  Le 22 octobre 2009, madame Desruisseaux et les autres préposés au vestiaire ont signé ce document :

«  *** IMPORTANT ***

Lors du décompte du pourboire , il est dorénavant très important d’être toujours 2 préposés « Accueil et Confort » pour effectuer la tâche.

Par contre, si vous êtes seul(e) , veuillez demander le soutien du superviseur attitré.

Lorsque vos boîtes à pourboire sont pleines et que l’achalandage ne permet pas le décompte immédiat; il suffit de mettre la totalité des boîtes dans un « sac scellé » (qui se trouve sous votre comptoir) avec vos initiales (2), numéros d’employés (2) et heure .  Lorsque le moment sera plus convenable, il vous suffira tout simplement d’ouvrir le sac scellé et de procéder au décompte. 

(s) Boisvert, Suzanne

(s) Chouinard, Stéphanie

(s) Daoust, Normand

(s) Desruisseaux, Nancy

(s) Fugère, Isabelle

(s) Lavoie, Michelle

Veuillez SVP signer à côté de votre nom lorsque vous aurez pris connaissance des rappels ci-haut. »

[4]            En général, madame Desruisseaux et sa compagne commençaient, deux ou trois heures avant la fermeture des lieux, à ranger et à enrouler les pièces de monnaie reçues comme pourboire.  Vers la fin du quart, elles procédaient au décompte de ces rouleaux, des jetons et des pièces non enroulées.   Cette opération terminée, l’une ou l’autre inscrivait le total obtenu sur un « post-it » et se rendait à la caisse principale procéder à l’échange de ces pourboires contre des billets de banque.  La caissière procédait alors à son propre décompte et, cela fait, lui remettait les billets en échange du montant des pourboires.  Il n’était jamais arrivé à la plaignante qu’une préposée à la caisse centrale lui apprenne que son décompte ne correspondait pas au sien.  Elle avait rencontré cette situation qu’à une seule occasion mais à une caisse-client et non à la caisse principale.  De retour au vestiaire, elle validait ce que reçu avec sa collègue.  À la fin du quart, elles quittaient toutes les deux avec leur part des pourboires après avoir déposé celle de chacun des absents dans un contenant identifié à son nom ensuite placé dans une armoire verrouillée.

[5]            Le samedi 28 février, le Casino a fermé ses portes à 3h00, heure de la fin du quart de la plaignante.  Ce soir-là, elle travaillait avec madame Chouinard.  La soirée avait été fort occupée car les clients avaient été si nombreux que sa collègue et elle avaient « la broue dans le toupet » .  Entre 2h00 et 2h30, il restait encore de 100 à 150 manteaux de clients dans le vestiaire.  Vers la fin de la soirée, leur duo n’avait pas encore réussi à rouler toutes les pièces de monnaie données en pourboires.  De plus, faute de rouleaux de plastique suffisants, des grippe-sous, elles avaient dû se servir de papier blanc pour rouler la plupart des pièces de monnaie reçues.  Peu avant la fermeture, elle a procédé au décompte de ce que reçu et inscrit ce montant sur un « post-it » .  Normalement, sa compagne et elle-même procédaient à ce décompte à deux reprises mais, ce soir-là, faute de temps à cause de l’importante clientèle à desservir, elles ne l’ont fait qu’une fois.

[6]            Cette opération terminée, madame Desruisseaux s’est rendue à la caisse principale qu’occupait madame Soucy, la caissière.  Madame Lord, une SDO, était à ses côtés.  Madame Soucy était sur le point de fermer sa caisse mais elle a consenti à lui rendre le service d’échanger les rouleaux et les jetons contre des billets de banque.  Après avoir procédé à leur décompte à deux ou trois reprises, elle a appris à madame Desruisseaux le résultat qu’elle venait d’obtenir et lui a demandé s’il correspondait au sien.  La plaignante a hésité quelques instants, car ce total ne concordait pas tout à fait, mais, finalement, elle a confirmé.  En effet, sa collègue et elle avaient compté rapidement et tout en répondant aux clients alors que la caissière avait compté lentement, au moins deux fois, et en présence de madame Lord.  Elle a conclu que madame Soucy avait raison même si ce montant qu’elle venait de calculer était supérieur de 40$ à ce qu’elle avait obtenu comme total dans le vestiaire.  Incidemment, elle avait retenu que son montant se terminait par 3$ alors que madame Soucy en arrivait à un solde de 4$.  Cependant, madame Lord est intervenue et a confirmé que le solde était de 3$, d’où la conclusion de madame Desruisseaux que celle-ci avait bel et bien assisté au décompte de la caissière.  Finalement, celle-ci lui a remis en billets de banque le montant qu’elle venait de confirmer.

[7]            La plaignante est retournée au vestiaire pour apprendre à madame Chouinard qu’elles avaient mal compté les pourboires et qu’elles touchaient un surplus de 40$.  Sa collègue lui a confié qu’effectivement, elle avait trouvé que le montant auquel elles en étaient arrivées avait été plus faible que prévu.  Finalement, elles ont séparé cette somme entre elles et les autres préposés qui y avaient droit.  Quelques minutes plus tard, elle a fait part à madame Chouinard vouloir toucher un mot à madame Soucy sur l’écart pour s’assurer que sa caisse balançait.  Sa collègue a trouvé qu’il s’agissait d’une bonne idée.

[8]            De là, la plaignante s’est rendue au vestiaire des employés attendre madame Soucy qu’elle covoiturait.  Celle-ci a mis du temps à la rejoindre.  Quand elle s’est finalement présentée, elle s’est excusée en expliquant avoir rencontré un écart de caisse de 55$.  Madame Desruisseaux s’en est étonnée car madame Soucy était une caissière d’expérience.  Incidemment, il s’agissait d’une amie depuis qu’elles s’étaient connues comme caissière du Casino de Montréal.  Sur ce, la plaignante lui a fait part qu’une partie de cet écart pouvait s’expliquer car le montant qu’elle lui avait remis était de 40$ supérieur à celui qu’elle avait calculé avec madame Chouinard.  Madame Soucy a répliqué que ça ne pouvait être le cas car elle était sûre de l’exactitude de son calcul.  Madame Desruisseaux lui a alors conseillé de téléphoner à madame Lord pour demander de soumettre le déroulement de la transaction, capté par une caméra-vidéo, à un visionnement par le service de la surveillance.  Madame Soucy a fait la démarche mais pour ensuite lui apprendre que, selon la SDO, il était trop tard pour s’adresser à la surveillance.  Finalement, madame Desruisseaux a rassuré son amie en ajoutant que, le lendemain, comme elle travaillerait avec madame Lord, elle discuterait de l’incident avec elle.

[9]            Le lendemain, un dimanche, la plaignante s’est présentée au meeting précédant le quart de soirée.  Elle a croisé madame Lord et lui a demandé de la rencontrer dès qu’elle aurait quelques minutes libres.  Son quart a débuté mais, après au-delà d’une heure d’attente, sa supérieure n’était pas encore venue la voir.  Elle l’a appelée et, finalement, madame Lord l’a rejointe.  Elle lui a décrit la situation rencontrée la veille pour ensuite lui demander d’envoyer le DVD du décompte à la sécurité.  La SDO lui a répondu qu’il était trop tard pour le faire, que la présence des rouleaux blancs masquerait le visionnement de la bande et que, de toute façon, elle n’avait pas l’autorité nécessaire pour soumettre cette demande à la sécurité.  En effet, seul un CDO, monsieur Amyot en l’occurrence, détenait cette autorité.

[10]         Madame Desruisseaux a alors rejoint ce dernier qui s’est immédiatement rendu à sa rencontre.  Elle lui a d’abord rappelé que, la veille, madame Chouinard et elle avaient, faute de temps, à cause du volume de la clientèle à desservir, procédé au décompte des pourboires mais trop rapidement.  Elle s’était ensuite rendue à la caisse principale avec le contenant des rouleaux, des pièces et des jetons qu’elles venaient de compter.  Madame Soucy avait procédé à ce décompte plus lentement que sa compagne et elle l’avaient fait et lui avait finalement fait part d’un montant de 40$ supérieur à ce qu’elles avaient calculé dans le vestiaire.  Madame Lord avait assisté à cette opération et souligné à madame Soucy qu’elle lui devait un solde de 3$ et non 4$.  Près d’une heure plus tard, dans le vestiaire des employés, madame Soucy l’avait rejointe et mentionné un débalancement de caisse de 55$.  La plaignante lui avait suggéré qu’il s’agissait peut-être, en grande partie, de l’écart de 40$ entre ce qu’elle-même avait compté et son calcul à la caisse principale.  Madame Soucy avait répondu par la négative à cette suggestion.  La plaignante avait ensuite suggéré à madame Lord de faire appel aux services de la surveillance mais celle-ci avait décliné, un refus qu’elle lui a répété le lendemain.  Suite à cette déclaration et en la quittant, monsieur Amyot lui a appris qu’il était déçu de son comportement, reproché d’avoir commis une erreur de jugement et prévenue qu’elle aurait des suites.  Elle a ensuite croisé madame Soucy qui lui a appris que le CDO venait de cueillir sa version.  Elle a aussi croisé un autre préposé au vestiaire, monsieur Chabot, qu’il lui faudrait peut-être mettre 10$ de côté à cause d’une erreur possible commise dans son calcul de la veille.

[11]         Une semaine plus tard, le 6 mars, madame Desruisseaux n’a pu accéder au meeting précédant le quart de soirée.  Plutôt, monsieur Amyot lui a présenté monsieur Desaulniers, un enquêteur, en l’informant qu’il verrait à recueillir sa version de l’incident du 28 février.  Le CDO, qui les avait quittés pendant un certain temps, est revenu lui remettre la lettre de suspension.  Le 13 mars, elle a à nouveau rencontré l’enquêteur qui a repris un autre interrogatoire.

[12]         La plaignante a maintenu que, le 28 février, madame Lord s’est tenue aux côtés de la caissière, du début à la fin de la transaction et, plus précisément, du moment où elle a déposé les rouleaux de pièces sur le comptoir et celui où madame Soucy lui a remis les billets de banque.

[13]         À ce stade, l’arbitre a visionné le DVD reproduisant la transaction intervenue à la caisse principale.  On remarquait, à gauche de l’écran, la calculette de madame Soucy.  Madame Lord n’y était pas lorsque madame Desruisseaux a déposé le contenant des pourboires mais elle s’y est présentée un peu plus d’une minute plus tard pour assister à la fin de la transaction.  Après son décompte, la caissière a ensuite remis à la plaignante les billets de banque qu’elle a déposés dans son contenant.  À ce stade, cette dernière a dû reconnaître que madame Lord n’avait pas assisté au déroulement complet de la transaction mais elle ne décelait pas assez clairement, à l’écran, si celle-ci était présente au moment du décompte et de la remise des billets.

[14]         Le DVD révélait que, de 1h45 à 2h30, l’achalandage de la clientèle était faible.  Comme il n’y avait pas grand monde, les préposées au vestiaire avaient le temps de jaser entre elles.  Pendant de longues minutes, tout était tranquille au vestiaire car aucun client ne s’y présentait.  Ceux-ci s’y rendaient, un ou deux à la fois, mais leur arrivée était suivie d’intervalles de plus ou moins cinq minutes.  Un client s’est présenté à 1h54, suivi par deux autres à 1h56.  À 1h59, madame Desruisseaux a pris possession des deux contenants de l’argent des pourboires.  Un client s’est présenté au vestiaire à 2h00, un second à 2h01, trois autres à 2h03 et quatre autres à 2h04.  À 2h05, cinq clients sont entrés dans le Casino et trois autres à 2h06 alors que deux clients sont sortis au même moment.  Cinq clients sont entrés à 2h08, deux sont sortis à 2h09, et deux autres à 2h10, trois sont entrés à 2h11, trois sont sortis à 2h13 et deux à 2h15.  Puis, personne ne s’est présenté au vestiaire avant 2h24.  Environ une quinzaine de clients sont sortis à 2h25, suivis par quatre autres, à 2h26, par deux, à 2h27, par trois, à 2h30 et deux, à 2h35.  À ce moment, madame Desruisseaux a quitté le vestiaire pour se déplacer vers la caisse.

[15]         Celle-ci, après avoir visionné ce DVD pendant 45 minutes, a maintenu son témoignage que le fait de répondre à cette clientèle lui avait fait « monter la broue dans le toupet » .  Sa compagne a fait 17 interventions et elle-même en a fait sept suite à une entente intervenue entre elles.  On ne la voyait pas dans le vestiaire entre 2h09 et 2h24 car elle a consacré ce temps à procéder au décompte des pourboires.  Elle a pu compter environ 700$ en pièces de monnaie dont elle a dû rouler la plupart dans du papier blanc.  Normalement, le décompte se fait à deux.  Durant cette nuit-là, le fort volume de la clientèle à qui répondre les a fatiguées au point qu’elles ont manqué de concentration.  Elles n’ont pas eu le temps de tout compter à deux reprises car entre autres, elles avaient perdu du temps, faute de grippe-sous, à rouler les pièces dans du papier blanc.  Dans un premier temps, la plaignante a conservé le souvenir que madame Lord a assisté à toute la transaction mais, après le visionnement, elle a constaté que tel n’a pas été le cas.  Puis, à son retour au vestiaire, elle a comparé avec madame Chouinard le montant inscrit au « post-it » avec la somme que madame Soucy venait de lui remettre, soit la somme de 40$ versée en trop. 

[16]         Quand madame Desruisseaux a revu madame Lord, le dimanche, elle lui a appris que les deux montants correspondaient mais ne se souvenait plus du montant inscrit sur le « post-it » qu’elle avait perdu.  Quelques minutes plus tard, monsieur Amyot l’a rencontrée.  Elle ne se souvenait pas lui avoir confié qu’elle-même avait demandé à madame Soucy si sa caisse balançait.  Elle n’avait pas davantage souvenir si cette dernière lui a appris, pour justifier son retard à la rejoindre dans le vestiaire des employés, que sa caisse ne balançait pas.  Dans sa déclaration du 6 mars à madame Godin, sa représentante syndicale, elle a mentionné que l’écart était de 43,35$.  Cependant, elle lui a fourni cette précision sous toutes réserves.

[17]         Madame Desruisseaux a rencontré monsieur Désaulniers pour la première fois le 6 mars.  Ce dernier lui a appris d’emblée qu’il agissait comme enquêteur venu cueillir sa version de l’incident du 28 février.  Elle a refusé la présence d’un délégué qu’il lui préposait.  Elle s’est questionnée sur la pertinence de cette démarche car elle ne se sentait nullement soupçonnée d’avoir commis un geste fautif.  Elle imaginait lui avoir confié que madame Soucy lui avait appris avoir été retardée par un écart de caisse.  Elle a revu l’enquêteur, une semaine plus tard.  Il lui a posé les mêmes questions pour ensuite l’entretenir sur le travail qu’elle exécutait à Montréal.  Elle a probablement reconnu que, si son amie, madame Soucy, ne lui avait pas appris son déficit, elle ne lui aurait pas mentionné l’écart de 40$ à son avantage.

[18]         Monsieur Proulx a interrogé la plaignante.  Après avoir passé deux ans comme caissière au Casino de Montréal, elle s’est portée candidate à deux postes offerts par celui de Mont-Tremblant, dont un emploi de SDO.  On lui a répondu qu’on la choisirait, éventuellement, mais pas immédiatement.  Elle a également sollicité celui de caissière.  Elle a réussi un test d’anglais mais subi un refus à cause du trop grand nombre d’erreurs commises au Casino de Montréal alors qu’elle y occupait cet emploi.  Comme préposée au vestiaire, elle était dépositaire d’objets de valeur et personne n’a jamais logé de plaintes contre elle.

[19]         L’accès à la caisse principale est exclusivement réservé aux employés.  La consigne ci-haut concernant le décompte des pourboires et qu’elle a signée le 22 octobre 2009 était le seul document portant sur l’opération du décompte des pourboires.  À Montréal, la procédure imposée aux caissières face aux employés à pourboires était documentée et beaucoup plus stricte.  D’ailleurs, on y retrouvait des grippe-sous mais absents à Mont-Tremblant.

[20]         Le 28 février, madame Desruisseaux a quitté son vestiaire vers 2h37.  Madame Soucy l’a rejointe dans le vestiaire des employés vers 3h15, donc plus de 30 minutes après l’échange d’argent à la caisse centrale.  La balance du montant demandé à madame Soucy s’établissait à 3$.  Lorsque celle-ci lui a remis 4$, madame Lord est intervenue, car elle avait suivi l’échange, pour lui souligner que le solde était plutôt de 3$.  Enfin, durant les deux enquêtes menées par monsieur Désaulniers, jamais ne lui a-t-on mentionné le véritable écart entre le montant des pourboires recueillis au vestiaire et celui calculé par madame Soucy.

[21]         À son retour au travail, le dimanche, et avant d’entreprendre le quart de nuit, monsieur Amyot l’a rencontrée et elle lui a donné sa version de l’incident.  Elle n’en a pas eu de nouvelles durant la semaine suivante.  Elle a travaillé jusqu’au 6 mars, date à laquelle monsieur Amyot lui a remis l’avis de suspension.  Elle en a aussitôt compris qu’il s’agissait de son arrêt de mort.  Jusqu’à ce jour-là, elle ne se croyait nullement soupçonnée car elle n’avait commis aucun geste répréhensible.  Finalement, elle a appris que le reproche adressé par madame Lord et messieurs Amyot et Désaulniers avait été de ne pas avoir aussitôt appris l’écart de 40$ à madame Soucy dès après la fin de son décompte.  Elle a reçu la lettre de congédiement par la poste mais sans avoir jamais rencontré monsieur Chartrand à ce sujet.

[22]         Suite à son renvoi, son conjoint et elle ont déménagé de Laval à Mont-Tremblant et il a dû vendre son restaurant.  En janvier 2011, elle a accouché après être tombée enceinte au lendemain de son congédiement.  Avant d’être embauchée par le Casino de Montréal et comme prévu par la loi, elle avait été soumise à une enquête de caractère menée par la Sûreté du Québec.  Madame Desruisseaux y a déjà été suspendue à cause de ses erreurs de caisse. 

[23]         Réinterrogée, madame Desruisseaux a relaté que lorsque madame Soucy lui a remis la somme de 40$ de plus que le résultat de son propre décompte des pourboires, elle n’a jamais cru que celle-ci pourrait être passible d’une mesure disciplinaire.  En effet, elle estimait qu’elle s’était livrée à un meilleur calcul que le sien.  Ce fut dans le vestiaire des employés qu’elle a réagi à cette nouvelle.  Enfin, durant le déroulement des opérations, la direction peut entreprendre des recherches pour tenter de trouver la raison d’un écart mais beaucoup plus important qu’une somme de 55$.

[24]         Le 6 mars, madame Desruisseaux a donné sa version à madame Godin, sa représentante syndicale, et celle-ci a rédigé le résumé de cette déclaration.  On a admis que, si cette dernière était entendue, elle reprendrait dans son témoignage l’essentiel de ce document :

«RÉSUMÉ DE RENCONTRE EN DATE DU SAMEDI, 6 MARS 2010

PRÉSENTS :  Nancy Desruisseaux et France Godin

Je fus demandée à titre de représentante du syndicat pour rencontrer une employée, Nancy Desruisseaux, laquelle avait été rencontrée par un enquêteur suite à un événement survenu le 27 février 2010, à la Caisse principale du Casino de Mont-Tremblant.

À noter que je n’ai pas assisté personnellement à l’interrogatoire puisque Mme Desruisseaux avait refusé la présence d’un représentant et avait signé le formulaire à cet effet.  Cette dernière s’est ravisée par la suite et c’est pourquoi ma présence fut requise.

Selon la version de Mme Desruisseaux, les faits se sont produits de la façon suivante :

Samedi, le 27 février 2010, entre 02 :30 hres et 03 :00 hres du matin, soit à la fin du quart de travail, Mme Desruisseaux, en compagnie d’une collègue de l’accueil et confort, Stéphanie, ont fait le décompte des pourboires de la soirée et ont dû utiliser du papier blanc pour rouler les pièces de monnaie, parce que le Casino n’avait plus de rouleaux pour ces pièces.

Par la suite, Mme Desruisseaux s’est présentée à la Caisse principale afin  d‘encaisser les pourboires et d’en faire le partage avec les autres employés de son service.  Martine Soucy travaillait à la Caisse principale ce soir-là et a procédé au décompte de l’argent, jetons et rouleaux.  La superviseure, Karine Lord, était présente durant toute la durée de cette opération.

Après avoir fait le décompte, Martine Soucy a confirmé un montant de 743,39$ à Mme Desruisseaux, qui a hésité un peu pour finalement le confirmer.  Après avoir encaissé l’argent, Mme Desruisseaux a terminé son quart de travail et est allée au vestiaire, car elle attendait Martine Soucy pour la ramener chez elle.  Lorsque Martine Soucy est arrivée au vestiaire, Mme Desruisseaux lui a alors demandé si tout était correct, ce à quoi Mme Soucy lui a dit qu’elle avait un écart de caisse.

Mme Desruisseaux s’est alors empressée de dire à Martine que l’écart pouvait peut-être être relié aux pourboires qu’elle était venue échanger plus tôt et, ensemble, elles ont décidé d’appeler tout de suite la superviseure, Karine Lord, qui leur a répondu qu’elle ne pouvait rien faire à ce stade-ci, il devait être à peu près 3 :30 hres du matin.

Le lendemain, Mme Desruisseaux est revenue au travail et a demandé à voir Karine Lord afin de lui parler.  Elle a dû attendre longtemps (environ 1 hre à 1 :30 hre) pour la voir, elle lui a expliqué que peut-être l’écart était dû aux pourboires de la veille, qu’elle n’en était pas sûre, puisque, lorsqu’elle est allée échanger l’argent, elle n’avait pas compté tout à fait la même chose que Martine Soucy, mais qu’étant donné que Martine avait compté à deux reprises, Martine devait avoir raison et Mme Desruisseaux s’était trompée dans le décompte.  Cette dernière a même mentionné que si l’écart était dû aux pourboires, de l’aviser et que tous les employés concernés rembourseraient le trop payé.  Mme Karine Lord a dit qu’il était trop tard de toute façon, qu’elle ne pouvait absolument rien faire.

Suite à cela, Nancy Desruisseaux fut convoquée samedi, le 6 mars 2010, afin de l’informer qu’elle était suspendue sans solde, pour fins d’enquête.

Dimanche, le 7 mars 2010, j’ai personnellement discuté avec Martine Soucy qui m’a dit avoir rempli un rapport d’événement sur lequel elle mentionne que peut-être l’écart pourrait être relié aux pourboires que Mme Desruisseaux était venue échanger le 27 février 2010.  Elle a aussi mentionné que Karine Lord était présente tout le long de la transaction puisqu’elle s’apprêtait à compter la caisse de Martine pour la fermer.  Il faudrait voir la déclaration que Mme Lord a faite vs cet événement puisque, selon nos informations, elle aurait déclaré ne pas avoir été présente durant toute la transaction, mais serait arrivée à la fin seulement, ce qui est faux.  Les caméras pourront de toute évidence confirmer le tout.

Mme Desruisseaux a aussi parlé à normand Daoust, un employé de son service, pour lui dire de garder un montant de 10$ de côté au cas où l’écart de caisse serait dû à leurs pourboires, pour rembourser.  Monsieur Daoust aurait aussi été chargé de passer le mot aux autres employés qui travaillaient ce soir-là, et il a accepté de le faire.

En fait, ce qui est reproché à Mme Desruisseaux, c’est de ne pas avoir dit tout de suite, sur le moment, lorsqu’elle était à la Caisse principale, qu’elle avait un doute sur le montant.  Elle a hésité puis a accepté l’argent.

Martine Soucy a été rencontré également par un enquêteur afin d’avoir sa version des faits.  Cette dernière n’était accompagnée d’aucun représentant du syndicat.  De plus, lorsque l’événement s’est produit, Jean-François Amyot a dit à Martine que le tout était de la faute de Nancy Desruisseaux et qu’il allait s’en occuper personnellement.  Martine Soucy doit obtenir une copie du rapport et nous la remettre. »

[25]         Madame Soucy a suivi dans la boîte.  Son embauche comme caissière remontait au 7 janvier 2009.  Auparavant et ce, pendant une quinzaine de mois, elle avait occupé le même emploi au Casino de Montréal.  Le 5 mars et à la demande de monsieur Désaulniers, elle a rempli cette déclaration:

« …

Madame Desruisseaux est venue faire l’échange du pourboire du vestiaire à la CPI samedi 27-02-2010, 2.30am.  Comme il n’y avait plus de grippe-sous, madame Desruisseaux a dû faire des rouleaux avec des feuilles blanches.  Donc les rouleaux des différentes dénominations étaient presque identiques donc difficile de les différencier.  J’ai donc fait le calcul pour lui remettre 743,35$.  Là, madame Karine Lord était présente et témoin de la transaction.  Comme il y avait beaucoup de monnaie, rouleau et jeton, j’ai demandé à Mme Desruisseaux si le total était le même que le sien.  C’était le cas.  Tout de suite après, moi et la SDO procédions à la fermeture de la caisse.  J’avais un écart de 55$ en moins. Après avoir longuement cherché, on a fermé la caisse comme ça.  Rendue au vestiaire des femmes vers 3h15 am, Mme Desruisseaux, qui m’attendait car c’était mon lift, je me suis excusée de la faire patienter en lui disant que c’était au fait que je ne balançais pas et qu’on avait cherché l’écart.   Mme Desruisseaux m’a demandé le montant et après lui avoir dit elle m’a affirmé qu’elle et sa collègue croyaient que je leur avais donné 40$ en trop.  J’ai immédiatement appelé Karine Lord pour lui faire part de la situation et lui ai demandé si c’était possible de demander une vérification auprès de la surveillance.  Ce n’était pas possible semble-t-il car on ne pouvait différencier les rouleaux.  Donc le SDO n’a pas demandé à la surveillance et je suis partie chez moi.  Le lendemain soir, J.F. Amyot et venu me rencontrer pour lui relater les faits.  Fin de l’histoire. »

[26]         Le 27 février, madame Soucy en était à fermer la caisse principale lorsque madame Desruisseaux l’a approchée pour échanger ses pourboires en monnaie contre des billets.  Bien que fatiguée, elle s’est mise à la tâche mais en mettant du temps à s’acquitter de ce décompte.  En effet, ce dépôt se composait en bonne partie de nombreux rouleaux de pièces de monnaie non conformes car enroulés dans des feuilles de papier blanc.  Elle a procédé à cette opération à trois reprises tout en jasant avec son amie.  Après avoir terminé le troisième décompte, elle a décidé que le résultat de son calcul était correct.  Elle a demandé à madame Desruisseaux si le montant qu’elle venait d’obtenir était conforme au sien et celle-ci l’a confirmé.  Madame Soucy ne pouvait expliquer l’écart de 55$ car il pouvait avoir été causé par une ou plusieurs erreurs de sa part.  Elle a revérifié avec madame Lord le contenu de sa caisse mais elles n’ont pas davantage découvert la cause de ce manque de 55$.  Elle a ensuite rejoint la plaignante, qui l’attendait dans le parking car elle la voiturait, et s’est excusée de son retard en soulignant l’écart de 55$ dans sa caisse.  Celle-ci lui a alors suggéré qu’il pouvait en grande partie s’expliquer par le montant de 40$ qu’elle lui aurait peut-être remis en trop.

[27]         Monsieur Proulx a contre-interrogé madame Soucy.  Madame Lord a assisté à la fin du décompte car elle s’est présentée une minute après le début de l’opération.  Ce soir-là et depuis quelques semaines, la direction savait qu’il lui manquait régulièrement de grippe-sous.  Après avoir constaté l’écart négatif de sa caisse, madame Soucy a demandé à madame Lord de faire vérifier le déroulement de l’opération par le visionnement de la bande-vidéo en possession du service de la sécurité.  Celle-ci lui a répondu qu’il était impossible car l’opération était embrouillée à cause de la présence de trop nombreux rouleaux de papier blanc.  Elle ignorait si elle avait commis une erreur dans son échange avec madame Desruisseaux.  Elle savait que des erreurs de cette nature peuvent entraîner l’imposition de mesures disciplinaires à une caissière défaillante.  Elle a discuté de cet incident avec monsieur Amyot, lorsque celui-ci lui a demandé sa version des faits, et précisé que l’omission de son amie de lui signaler l’écart de 40$ avait été volontaire.

[28]         À ce stade, les procureurs ont admis que si madame Chouinard était entendue, elle reprendrait les explications fournies à l’enquêteur Désaulniers et reproduites dans le DVD que l’arbitre a visionné.  Au début de leur rencontre, l’enquêteur lui a proposé la présence d’un délégué syndical mais elle a refusé.  Cet interrogatoire, dont madame Chouinard ignorait la raison, a eu lieu le 6 mars 2010, vers 16h30.  Il a duré environ 10 minutes et porté sur l’incident des pourboires survenu le 28 février.  Madame Chouinard a relaté qu’à son retour de la caisse principale, madame Desruisseaux lui a appris avoir reçu 40$ de plus que ce qu’elles avaient calculé.  Cette nouvelle l’a surprise car elle trouvait que cet écart était bizarre, voire même louche.

[29]         Madame Lord a été le prochain témoin.  Elle occupe un poste de SDO et supervise tous les départements.  Elle a été en devoir, durant la soirée du 27 au 28 février 2010.  Le lendemain, elle a rédigé ce rapport de l’incident survenu à cette occasion :

«…

Selon le superviseur des opérations

Je venais de compter la caisse principale pour la fermeture, et celle-ci ne balançait pas de 55$ en moins.  Martine voyageait avec Nancy à la fin de leur quart de travail.  Martine a sûrement dit à Nancy qu’elle ne balançait pas.  Donc, Nancy m’a appelé pour me dire que c’était peut-être lors de son échange de pourboires à la fin de la soirée.  Je lui ai dit que c’est la responsabilité du caissier de vérifier lors de transaction.  Je suis arrivée à la CP lorsqu’elle avait terminé de compter le détail de tous les rouleaux (il y en avait fait de papier blanc) et le compte que Martine a donné et de 743,35$.  Je n’ai pas compté derrière elle si le montant était exact.

Le lendemain soir, soit le 28 février 2010, Nancy est venue me reparler de cette fameuse transaction.  Elle se sentait très mal, et pensait qu’elle aurait pu se mélanger de 40$.  Elle voulait qu’on vérifie à la caméra le compte. Elle m’a expliqué ensuite que habituellement elle compte les pourboires, le marque sur un post it (total) et va l’échanger à la caisse pour avoir des billets.  À son retour du vestiaire, elle n’a pas confirmé le montant qu’elle avait marqué et a mis à la poubelle le dit papier (l’autre préposée qui était en poste était Stéphanie Chouinard).  Elle ne se rappelle plus du montant qui était marqué sur le papier.  J’ai contacté Jean-François Amyot (CDO en devoir) pour qu’elle lui explique l’histoire et qu’il prenne la décision si oui ou non on allait voir aux caméras.

…   »

[30]         Cette nuit-là, peu avant la fermeture du Casino, madame Lord n’a pas assisté au début de la transaction entre mesdames Soucy et Desruisseaux.  En effet, elle est arrivée lorsqu’elles en étaient à échanger les rouleaux de pièces de monnaie contre des billets de banque.  Elle n’est intervenue qu’à la toute fin, lorsque la caissière a mis le compteur du système MCV sur le mode calculatrice et que l’écran a affiché le montant de 743,35$.  Lorsque madame Soucy a voulu remettre 4$ à la plaignante sous forme de deux pièces de 2$, elle lui a souligné que le solde était plutôt de 3$.

[31]         Aucun cadre ne s’implique dans une transaction de cette nature qui a lieu entre une caissière et un employé à pourboires.  Madame Lord, qui ne s’était pas rendue à madame Soucy que pour assister à la fermeture de sa caisse, n’a pas été témoin des échanges entre cette caissière et madame Desruisseaux.  Deux personnes doivent toujours procéder à la fermeture de la caisse.  La caissière et elle ont procédé à un premier décompte et constaté qu’elle ne balançait pas d’un montant de 55$.  Elles ont repris l’opération en vérifiant, particulièrement, si toutes les transactions avaient été effectuées et constaté que tel avait été le cas.  Elles ont donc fermé la caisse avec ce déficit de 55$.  Une nouvelle vérification aurait lieu le lendemain mais cet incident serait porté au dossier de madame Soucy.  Un peu plus tard durant la même nuit, madame Lord a reçu un appel de la plaignante qui lui a souligné qu’une erreur avait pu se produire durant l’échange de ses pourboires avec madame Soucy.

[32]         Le lendemain, madame Desruisseaux l’a rappelée pour lui passer le même message, celui de faire vérifier l’échange par le service de la surveillance en visionnant la bande que la caméra-vidéo avait filmée.  Normalement, les préposées au vestiaire calculent leurs pourboires et en inscrivent le total sur un « post-it » .  Cependant, son interlocutrice lui a admis avoir égaré ce papier et ne pas se souvenir du montant des pourboires reçus la veille.  De toute façon, il est rare qu’un employé demande un tel service à la surveillance.  Par la suite, madame Lord s’est rendue consulter monsieur Amyot, son CDO, pour ensuite lui confier le dossier.  Elle n’avait jamais rencontré une telle situation, celle qu’un échange entre une caissière et une préposée au vestiaire ne balance pas.  Plus tard dans la soirée, madame Desruisseaux a rencontré madame Lord dans le vestiaire et elle lui est semblée très mal à l’aise.  Elle lui a répété avoir perdu le « post-it » et oublié le montant des pourboires de la veille mais reconnu avoir possiblement reçu en trop la somme de 40$ de madame Soucy.

[33]         Contre-interrogée, madame Lord a précisé avoir rédigé son rapport le lendemain de l’incident mais sans pouvoir en préciser l’heure.  Fait à souligner, ce ne fut pas la plaignante mais plutôt madame Soucy qui l’a appelée, après la fin du quart, d’où son admission d’une erreur commise dans son rapport.  Durant la nuit du 28 février, elle s’est rendue à la caisse principale lorsque le décompte avait été complété et qu’il ne restait qu’à procéder à l’échange des rouleaux contre les billets de banque.  Il s’est écoulé 45 minutes entre la fermeture de la caisse et la réalisation de l’écart négatif de 55$.  Elle ne se souvenait pas avoir appris à madame Soucy qu’il serait inutile d’avoir recours à la bande-vidéo à cause de la présence de trop nombreux rouleaux de papier.  Le 28 février, vers 3h00, lorsqu’elle a constaté l’écart, madame Lord n’en a pas immédiatement parlé à monsieur Amyot.  Elle a plutôt attendu au lendemain pour le faire, suite à sa discussion avec madame Desruisseaux qui lui avait suggéré de vérifier l’échange en visionnant la bande filmée par la caméra-vidéo.  Celui-ci ne lui a rien répondu car il voulait d’abord parler à la plaignante.  L’implication de madame Lord dans le dossier a pris fin sur cette conversation.

[34]         Monsieur Amyot est passé à la barre à son tour.  D’entrée de jeu, il a produit son rapport :

«…

Selon l’employé

Nancy me rencontre dimanche soir 20h.  Elle m’explique qu’hier vers 2h30 du matin, elle est allée changer les pourboires du vestiaire à la CP (caissière Martine Soucy).  M’explique qu’elle avait compté les pourboires en arrière dans le vestiaire, comme à l’habitude et inscrit le montant total sur un «post it ».  Va changer les pourboires et revient, compte l’argent et vérifie le «post it ».  Je lui demande c’était combien le montant, ne s’en souvient plus.  Elle continue et me dit qu’elle rencontre Martine dans les vestiaires et lui demande si elle balançait ce soir, elle se fait répondre que non.  Nancy lui demande de combien ?  Martine lui répond de 55$.  Nancy m’explique qu’il y avait peut-être erreur dans le paiement qu’elle sait fait faire de 40$.  Martine à ce moment a appelé Karine Lord SDO qui était aux caisses ce soir-là.  Je lui ai demandé qu’est-ce qu’elle avait fait du «post it », est-ce qu’il balançait avec le montant changé à la caisse ?  Me répond   « je ne trouve pu le «post it » et me souviens pu si ça balançait ».  Je lui dis « si tu ne savais pas si ton montant était correct et que Martine t’avait dit qu’elle balançait, est-que tu m’en aurais parlé ? »   Elle n’a pas vraiment répondu si ce n’est des explications du genre «si elle s’est trompée et qu’on a eu trop d’argent, nous le rembourserons. »   À noter et à vérifier, on m’a dit que ces 2 dames covoituraient ensemble cette nuit-là.  Rien de son explication ne tenait, je suis allé voir Karine pour lui demander ses explications par rapport au coup de téléphone d’hier vers 3h00 du matin, voir rapport de Karine Lord.  J’ai ensuite été voir Martine Soucy, m’a expliqué la transaction en détail et se souvient exactement du montant changé avec les dénominations, elle m’explique que le problème vient du fait que les pièces d’argent (0,25$, 1$, 2$) étaient roulées dans des feuilles de papier blanc.  Je lui ai mentionné qu’à l’avenir, elle se devait de ne jamais répondre à qui que se soit si sa caisse balançait et si non de combien, question de sécurité…  Je suis parti rencontrer Michel Langlois dans son bureau pour l’informer de cet événement.

»

[35]         À l’époque, monsieur Amyot agissait comme CDO par intérim et remplaçait l’un des quatre CDO permanents.  Son poste régulier était celui de SDO.  Il était familier avec le milieu d’un casino pour avoir travaillé à celui de Montréal pendant 15 ans.

[36]         Vers 20h00, au lendemain de l’incident survenu dans la nuit du 28 février, madame Desruisseaux l’a rencontré pour lui décrire ce qui s’était alors produit.  La caisse principale ne balançait pas et l’erreur provenait peut-être du fait que madame Soucy lui avait remis 40$ en trop.  Le témoin lui a posé quelques questions élémentaires et elle lui a répondu que celle-ci lui avait appris ce débalancement.  Normalement, selon la procédure, la préposée au vestiaire compte les pourboires, en inscrit le total sur un « post-it » et se rend à la caisse.  Or, questionnée à ce propos, l’employée lui a répondu avoir perdu ce billet et qu’elle n’avait plus souvenir du montant des pourboires reçus la veille.  Il lui a demandé si elle aurait parlé de ce surplus de 40$ si la caisse avait balancé et elle n’a pas vraiment répondu à sa question.  Il a ensuite rencontré madame Soucy qui lui a donné sa version mais en ajoutant que, dorénavant, elle refuserait d’échanger des pièces roulées dans du papier blanc.  Comme monsieur Amyot ne comprenait rien à ce qui s’était passé, il a contacté un superviseur-enquêteur à qui il a confié le dossier.  Celui-ci, à son tour, l’a transféré à son confrère Désaulniers.  L’implication du témoin a alors pris fin.

[37]         Monsieur Proulx a contre-interrogé monsieur Amyot.  Il était sûr, à 90%, d’avoir rédigé son rapport dans la soirée du lendemain de l’incident.  Dans ce document, il a écrit que ce fut madame Desruisseaux qui a demandé à madame Soucy si sa caisse balançait et que celle-ci lui a répondu par la négative.  La première étape de la procédure de l’échange des pourboires demande aux deux préposées au vestiaire de compter le montant reçu dans la soirée et d’en inscrire le total sur un «post-it » pour ensuite remettre le tout à la caissière.  Il ne s’agit cependant pas d’une procédure écrite dont, d’ailleurs, madame Lord a reconnu l’inexistence.  Il était possible que la plaignante ait perdu le «post-it » mais surprenant qu’elle ait oublié le montant des pourboires reçus cette soirée-là.  Incidemment, ce n’est pas parce qu’une procédure n’est pas écrite qu’elle n’existe pas.  En l’espèce, cette procédure était verbale mais bel et bien connue de tous.

[38]         La lettre de suspension du 6 mars était signée de sa main même si lui-même n’a pas participé à cette prise de décision.  Plutôt, elle a été le fruit du consensus atteint par les quatre CDO permanents, messieurs Chartrand, Richer, Sénécal et Dorval.  La rédaction de ce document terminée, ils lui ont demandé de le signer après l’avoir informé devoir suspendre madame Desruisseaux pour fins d’enquête.  Monsieur Amyot ignorait la procédure relative aux pourboires appliquée dans les autres casinos.  Depuis l’incident, il croyait que la direction a adopté une procédure écrite mais dont il ignorait le contenu.  Suite à sa suspension, la direction a congédié madame Desruisseaux.  La seule intervention du témoin dans le dossier a été sa rencontre de cette dernière au lendemain de l’incident, la signature de la lettre du 6 mars et sa remise à la plaignante.

[39]         Me Leduc a produit monsieur Désaulniers.  Occupant le poste de superviseur-enquêteur chez l’employeur, il agit comme enquêteur et assume la gestion du personnel de la surveillance, de la sécurité et des services techniques.  Son affectation au Casino de Mont-Tremblant remontait à 2009.  À l’époque de l’ouverture de l’établissement, cinq superviseurs-enquêteurs étaient en poste et placés sous l’autorité d’un cadre intermédiaire.  Durant la semaine précédant le 28 février, la direction a procédé à la mise à pied de trois d’entre eux et seuls le témoin et son collègue Ogelman sont restés en poste.  Cependant, la direction a prolongé d’un mois l’emploi des trois employés licenciés de sorte qu’au lendemain du 28 février, monsieur Amyot a confié le dossier à monsieur Langlois, l’un d’entre eux.   Quelques jours plus tard, celui-ci l’a transféré au témoin.

[40]         L’implication de monsieur Désaulniers dans l’affaire a débuté le 4 mars.  Il a alors pris connaissance de certaines pièces contenues au dossier que monsieur Amyot avait rassemblées et adressées par courriel à un premier enquêteur, le DVD de l’incident et le rapport de madame Lord et de monsieur Amyot.  Le lendemain, il a rencontré madame Soucy qui lui a fourni les informations la concernant et rédigé son rapport ci-haut.  Le 6 mars, il a rencontré, tour à tour, mesdames Chouinard, à 16h30, et Desruisseaux, à 18h30.  Celle-ci a accepté que leur conversation soit enregistrée sur une bande-vidéo.  Le lendemain, il en a rédigé un résumé après avoir visionné le DVD de la veille :

« Complément de dossier

Interrogatoire, Nancy Desruisseaux

Il est à mentionner, qu’avant de débuter la rencontre avec l’employée, je lui ai proposé d’être accompagnée soit d’un délégué syndical ou d’une personne de son choix ce qu’elle a refusé.  Je lui ai également fait comprendre qu’à tout moment, durant la rencontre, elle pouvait demander la présence d’un délégué ou d’une personne de son choix.  Une déclaration indiquant son refus a été signée par l’employée.  Le formulaire est placé en pièce jointe au dossier.

Également, j’ai expliqué à l’employée que le son et l’image de notre rencontre étaient enregistrés dans le but de nous protéger et d’éviter des mauvaises interprétations.  Dans le cas où elle n’était pas à l’aise avec l’enregistrement, une déclaration écrite sous forme de question réponse devait être rédigée.  Elle a accepté l’enregistrement.

Résumé de la rencontre, samedi 6 mars 18H30, bureau des enquêtes RC :

·          À ma question, sais-tu pourquoi je te rencontre, elle répond : À cause de l’écart.  Je n’ai rien à cacher, je n’ai rien volé et j’ai même tenté de réparer l’écart.

·          L’employée m’explique que lorsqu’elle travaille avec sa collègue Stéphanie Chouinard, elle compte toujours les pourboires à deux.

·          Le montant des pourboires à changer à la caisse est inscrit sur un papier jaune, laissé au vestiaire et l’employé qui se déplace à la caisse doit mémoriser le montant pour s’assurer de l’exactitude du change.

·          Au moment du change avec le caissier, lorsqu’il y a des erreurs avec le montant qu’elle a mémorisé et celui que le caissier lui remet, elle utilise la phrase « es-tu certaine ? » afin que l’erreur soit corrigée.  Elle me signale que des erreurs de petit montant (1$-2$) arrivent régulièrement.

·          Elle m’explique qu’elle est tr ès visuelle et très organisée lorsqu’elle compte les pourboires en fin de quart.

·          Au retour des pourboires suite au décompte de la caisse, le montant est comparé avec celui inscrit sur le papier jaune avant d’être séparé entre tous les employés ayant travaillé dans la journée.

·          L’employée était caissière au Casino de Montréal avant de travailler au Casino de Mont-Tremblant.  Elle m’explique que comme caissière, elle n’a pas à divulguer aux autres employés lorsqu’il y avait des écarts à la fermeture de sa caisse.  Elle reconnaît aussi savoir qu’une note est inscrite au dossier de l’employé lorsqu’il y a écart suite à la fermeture de la caisse.

Pour ce qui est de la situation de samedi le 27 février  :

·          L’employée me confirme qu’elle a compté les pourboires avec sa collègue Stéphanie Chouinard et que le résultat du montant a été inscrit sur un papier jaune qui est demeuré au vestiaire.

·          C’est elle qui a mémorisé le montant et qui s’est présentée à la caisse principale avec les pourboires pour en faire le change.

·          Elle ne se souvient plus du montant.  Déjà le lendemain de l’incident, lors de sa rencontre avec le CDO Jean-François Amyot, elle n’avait pas idée des montants impliqués.  Par contre, sans hésiter, elle me confirme le montant des pourboires de sa journée d’hier, 852$ et me rappelle qu’elle est très visuelle, organisée et qu’elle prend le montant en note. 

·          L’employée me confirme que lors du change avec la caissière Martine Soucy #16868, elle a aussitôt réalisé qu’il y avait un écart de 40$ entre le montant remis et celui mémorisé et inscrit au vestiaire.  (« Je clique tout de suite qu’il y a 40$ de trop » ) .  Alors qu’elle insistait pour refaire compter le change suite à des écarts de 1$ ou 2$, elle n’a pas signalé l’écart à la caissière.  Elle justifie son silence par le fait que la SDO Karine Lord était présente lors du change et que puisqu’elle était fatiguée, l’erreur de 40$ pouvait provenir d’elle ou de sa collègue Stéphanie.  Alors qu’elle travaille toujours de façon très organisée, le soir du 27, elle a compté les pourboires de façon « brique à braque », en vitesse, presque à la « butch » .  On compte vite, ça n’a pas de bon sens notre affaire.  Elle m’explique de quelle façon les rouleaux de monnaie sont disposés dans le vestiaire lors du compte.  Quand on a le temps de le faire, on les dispose comme ça et ce soir-là, nous l’avons fait.  Elle se détache de l’écart et se dit pas responsable puisque la caissière et la SDO ont à prendre leurs responsabilités.  En parlant de la caissière : « Elle aurait dû faire attention, elle a une job à faire, elle a pas vraiment regardé ce qui était écrit sur les rouleaux.  Puisqu’elle a deux ans d’expérience, je n’ai pas cru bon lui dire de faire attention. »

·          À son retour au vestiaire, elle a informé sa collègue Stéphanie Chouinard de  l’écart de 40$.  Elle ne lui dit pas que la caissière s’est trompée, mais que ce sont elles qui ont fait l’erreur.  Le montant a été séparé parmi les employés ayant travaillé à l’accueil et confort durant la journée du 27 février.

·          À la fin de son quart de travail, elle a rencontré la caissière Martine Soucy dans le vestiaire des femmes (employées) et lui a demandé si sa caisse balançait.  La caissière lui a répondu que non.  Elle lui a demandé le montant et la caissière lui a répondu 55$.  L’employée a donc informé la caissière qu’l y avait peut-être une erreur de 40$ dans le montant reçu en échange des pourboires du vestiaire.  Elle me dit qu’elle s’est tout de suite sentie mal et qu’avoir connu l’écart, elle l’aurait mentionné directement à la caisse.  Sachant que la caissière allait aviser le SDO Karine Lord, Mme Desruisseaux n’a tout de même pas expliqué à son gestionnaire qu’elle avait été consciente de l’erreur durant le change à la caisse. 

(Si la caissière avait fait un paiement en moins durant son quart de travail, le paiement en trop lors du change des pourboires aurait fait balancer la caisse de la caissière et l’employée n’aurait pas cru bon mentionner l’argent reçu en trop.)

·          Le lendemain, l’employée a demandé à parler de la situation avec la SDO Karine Lord puisqu’elle avait réfléchi davantage à la situation.  Ce soir-là, elle n’a pas dormi de la nuit (nuit du 28 et non du 27).

·          Elle reconnaît son erreur de ne pas avoir signalé l’écart à la caissière alors qu’elle était à la caisse.  Elle reconnaît qu’un gestionnaire devait être avisé de l’écart.  Elle reconnaît qu’elle a toujours demandé que les pourboires soient comptés de nouveau lorsqu’il y a écart, peu importe le montant impliqué.

·          Elle reconnaît aussi qu’elle n’avait pas à s’informer de la condition de fermeture de la caisse de Martine Soucy.  Elle reconnaît les conséquences de l’écart de la caissière à la fermeture de sa caisse.  Il est à mentionner que la caissière et Mme Desruisseaux font du covoiturage. »

[41]         La première étape de son enquête terminée, monsieur Désaulniers a transmis le dossier aux gestionnaires et aux responsables du service des ressources humaines.  À leur demande, le 13 mars, il a à nouveau interrogé différents témoins et en a rédigé ce nouveau rapport dont il a repris l’essentiel dans le témoignage rendu devant l’arbitre:

« Samedi, 13 mars, 12H00¸

Après avoir soumis le dossier à Mme Julie Bécu des ressources humaines, différents éléments nécessitent d’être éclaircis.  En voici un résumé.

Rencontre avec Mme Karine Lord  #16828, SDO :

Mme Lord m’explique qu’elle n’a pas porté attention à la transaction des pourboires entre l’employée du vestiaire et la caissière.  Sa présence à la caisse principale était dans le but de procéder à la fermeture de la caisse avec la caissière.  Par contre, lors de la transaction, la caissière a utilisé la calculatrice de son ordinateur et un montant de 743,55$ y était affiché.  La caissière allait remettre à l’employée du vestiaire 2 pièces de 2$.  La SDO a donc corrigé la situation puisque 3.35$ et non 4$ était à remettre.  Elle n’a pas souvenir d’un mélange entre les rouleaux de 0.25$ versus ceux de 1$.

Malgré qu’elle ait inscrit dans sa déclaration que c’est Nancy Desruisseaux qui lui a téléphoné pour l’informer d’une différence de 40$ dans les pourboires du vestiaire, Mme Lord m’explique qu’elle n’est pas certaine de cette information et qu’il est possible que ce soit la caissière qui lui a téléphoné.

Elle me confirme qu’à la rencontre pré-quart du lendemain, 28 février, l’employée Nancy Desruisseaux est venue la voir au sujet du différend.  Elle a aussi souvenir d’avoir rencontré Mme Desruisseaux au vestiaire, mais sans savoir si c’est l’employée qui lui a rappelé qu’elle voulait lui parler ou si elle est allée à sa rencontre de sa propre initiative.  L’employée a entre autres expliqué le conflit des pourboires et expliqué qu’elle connaissait les conséquences sur le dossier de la caissière impliquée.  Mal à l’aise avec les vérifications à faire, elle a informé le CDO Jean-François Amyot de la situation.

Rencontre avec Mme Stéphanie Chouinard # 40901, ancienne employée de l’accueil et confort :

L’employée a quitté la région pour retourner dans Charlevoix et le numéro de téléphone pour la rejoindre n’est plus actif.  Elle et son conjoint étant d’anciens employés au Casino de Charlevoix, je me suis informé aux enquêtes de Charlevoix et j’ai obtenu 4 différents numéros de téléphone pour les rejoindre.  Aucun des 4 numéros n’était relié soit à Mme Chouinard, soit à son conjoint M. Simon Noël.

Rencontre avec Mme Martine Soucy # 16868, caissière (voir vidéo de la rencontre) :

La caissière m’explique que, suite à la transaction des pourboires, Mme Desruisseaux lui a confirmé que le montant remis était le bon montant.  Elle ne lui a pas signalé qu’elle s’attendait à recevoir 40$ de moins.  Elle ne peut pas me dire si Mme Desruisseaux a compté avec elle et sait que la SDO était présente pour la fermeture de sa caisse, non pour assister à la transaction.  Elle se souvient d’avoir réalisé qu’un rouleau de 0.25$ était avec les 1$ sans être capable, sur le moment, de faire de lien avec l’écart à sa fermeture.

Mme Soucy et Mme Desruisseaux effectuaient du covoiturage le soir du 27 février.  Elle m’explique que puisque sa caisse ne balançait pas à la fermeture, elle a terminé plus tard qu’à l’habitude pour finalement rejoindre Mme Desruisseaux au vestiaire des femmes.  Elle a excusé et justifié son retard par le fait que sa caisse ne balançait.  Elle est certaine que c’est elle qui a avisé Mme Desruisseaux de l’écart et non le contraire.  Mme Desruisseaux lui a demandé le montant de l’écart avant de lui dire qu’il était possible qu’elle ait reçu 40$ en trop.  Suite à cette information, la caissière a pris l’initiative d’en informer sa gestionnaire, Mme Karine Lord, ce qu’elle a fait par téléphone.

Rencontre avec Mme Nancy Desruisseaux # 16862, employée de l’accueil et confort (voir vidéo de la rencontre) :

À la caisse principale, Mme Desruisseaux dit ne pas avoir compté l’échange avec la caissière, mais lui avoir confirmé qu’il s’agissait du bon montant alors qu’il y avait, selon elle, une différence de 40$.  Dans un premier interrogatoire, elle me parle qu’elle avait réalisé qu’un rouleau de 0.25$ était avec les rouleaux de 1$ sans en avoir fait un cas.  Aujourd’hui, elle reprend cette affirmation et m’indique que c’est la caissière qui lui a parlé des rouleaux, ce qu’elle n’avait pas eu connaissance.

À son arrivée au vestiaire, elle a mentionné l’écart à sa collègue Mme Chouinard, et elle lui dit qu’elle allait vérifier avec la caissière, ce qu’elle n’a pas fait directement à la caisse.  Il n’a pas été possible de valider cette information avec Mme Chouinard.

Au moment où elle rencontre la caissière Martine Soucy dans le vestiaire des femmes, elle ne remarque pas que la caissière a pris plus de temps pour fermer sa caisse et la caissière ne lui justifie pas son retard.  C’est elle qui demande à la caissière si sa caisse balance et de combien elle ne balance pas.  Mme Desruisseaux m’explique que si la caisse de Mme Soucy avait balancé, elle ne lui aurait pas fait part des 40$ reçus en trop.  Je  lui demande, puisqu’elle est une ancienne caissière, si c’est possible, dans un soirée qu’elle dit elle-même très achalandée, que la caissière puisse faire une transaction en moins de 40$, et une en plus de 40$ et que sa caisse balance à la fin du quart.  Qu’en conséquence, elle a reçu 40$ en trop et que cet argent ne lui revient pas.  Après en rire, elle me répond que oui, cette situation est possible.

Vérifications à la surveillance (voir narration du technicien Maxim Gagnière) :

Les objectifs des vérifications sont de voir l’achalandage au vestiaire entre 02H00 et 03H00 dans la nuit du 27 au 28 février.  Vérifier si les deux employées du vestiaire sont impliquées dans le service aux clients et le décompte des pourboires.  Vérifier lors du décompte à la caisse si, en plus de la caissière, l’employée du vestiaire et la SDO sont attentionnées au décompte. »

[42]         Monsieur Proulx a contre-interrogé monsieur Désaulniers.  Même s’il a agi comme technicien de surveillance au Casino de Montréal de 2004 à 2009, il ignorait tout de la procédure entourant l’échange des pourboires.  Suite à la remise à la direction de son rapport du 13 mars, il n’a plus été impliqué dans le dossier sauf pour établir un contact avec le personnel de la surveillance pour le charger de commenter l’achalandage du 27 au 28 février et d’analyser le DVD de la transaction.

[43]         Comme dernier témoin, Me Leduc a produit monsieur Chartrand, un CDO depuis octobre 2008.  Il relève de monsieur Champagne, le directeur des opérations.  Il s’est impliqué dans le dossier actuel mais non pas de façon immédiate car il était en congé à la fin de février.  À son retour, on l’a informé que madame Desruisseaux, le 28 février, avait bénéficié de la remise d’un montant de 40$ auquel elle n’avait pas droit et n’avait rien dit.  Monsieur Amyot l’en avait informé par une note inscrite dans le livre de bord qui l’invitait à prendre connaissance de son rapport et de celui de madame Lord.  Il s’est alors interrogé sur l’honnêteté du comportement d’une employée qui reçoit une somme qui ne lui est pas due et ne la déclare pas.   Un des rôles du témoin est de s’assurer de l’intégrité de ses employés.  Il a donc éprouvé un doute à ce sujet chez la plaignante.  Cependant, comme le dossier avait déjà été confié à un enquêteur, il a choisi de ne pas intervenir durant cette investigation.  Il en attendrait le rapport final pour valider ou écarter le doute qu’il entretenait.  Déjà à ce moment, il avait constaté la présence de nombreuses contradictions entre les versions.  Enfin, si son doute s’avérait fondé, il perdrait toute confiance en cette employée qui avait gardé le silence sur un écart en sa faveur.

[44]         La lecture du premier rapport de monsieur Désaulniers, le 6 mars, n’a évidemment pas dissipé le doute de monsieur Chartrand.  Lui-même, les autres CDO et les responsables des ressources humaines ont alors décidé de suspendre la plaignante car leur doute sur son honnêteté interdisait de la conserver dans son poste tant que l’enquête ne serait pas terminée.  Monsieur Désaulniers a donc poursuivi son travail.  Finalement, après avoir pris connaissance du rapport du 13 mars et de la version des autres témoins inconciliable avec celles données par la plaignante, le témoin a à nouveau consulté les autres CDO et les responsables des ressources humaines pour conclure ne plus pouvoir avoir confiance en elle pour le même motif, son silence sur une erreur la favorisant.

[45]         Au sein de la Société qui exploite quatre casinos, l’intégrité est la première qualité recherchée chez son personnel  Il s’agit d’une des valeurs fondamentale de l’entreprise.   Or madame Desruisseaux avait reconnu que si elle recevait 40$ en trop et que la caisse centrale balançait, elle ne mentionnerait pas un tel écart.  En outre, elle avait rendu différentes versions, oublié le montant des pourboires de la veille et confié à madame Chouinard que tout était beau lorsque madame Soucy lui avait confirmé que la somme des pourboires était supérieure de 40$ à ce qu’elle avait calculé.

[46]         Monsieur Chartrand attend des préposées au vestiaire une honnêteté à toute épreuve car elles sont les dépositaires des biens de la clientèle, non seulement des manteaux mais aussi des objets de valeur tels des portefeuilles et des appareils-photo.  La directive d’octobre 2009 donnée à ces employées interdit aux gestionnaires de s’ingérer dans le décompte des pourboires.  La direction émet des procédures pour sécuriser les opérations.  Or, ce qui est demandé aux préposées au vestiaire ne relève pas des opérations, sauf lorsqu’elles procèdent à leur décompte à deux.  En ce qui a trait à l’usage du « post-it » identifiant le montant du départ et celui du retour, il ne s’agit pas d’une procédure.  Quant à l’échange des pourboires à la caisse principale, il ne s’agit pas d’une opération mais d’un simple service rendu à ces préposées.

[47]         Contre-interrogé, monsieur Chartrand a précisé qu’une procédure vise à assurer la sécurité des opérations.  Ainsi, aucune procédure ne couvre l’échange des pourboires car il ne s’agit pas d’une opération mais d’un service rendu aux employés.  Monsieur Chartrand, entre 1996 et 2005, a reçu une formation en matière disciplinaire qui lui a appris qu’on devait plutôt privilégier l’aspect correctif que l’aspect punitif.  Par ailleurs, il a reconnu que, contrairement à ce qui apparaissait à la lettre de congédiement, le geste reproché à la plaignante n’avait pas terni l’image d’intégrité du Casino.  Enfin, avant l’embauche de la plaignante, la S.Q., suite à une enquête, avait attesté de son intégrité.

POSITION DES PARTIES

[48]         Dans un premier temps, Me Leduc a rappelé à l’arbitre qu’il est saisi d’une plainte logée en vertu de l’article 59 du C.T.  Ainsi, son rôle ne lui permet pas de juger en équité, comme s’il devait décider du sort d’une mesure disciplinaire.  Plutôt  il ne peut intervenir que s’il juge la mesure abusive, discriminatoire ou déraisonnable.  La preuve a révélé que madame Desruisseaux, comme monsieur Chartrand le lui a reproché dans sa lettre du 26 mars, a dérogé à son obligation d’intégrité de telle sorte que, considérant la nature de ses fonctions qui requiert un haut niveau de confiance, ce lien était rompu.  Bref, dans les circonstances révélées par la preuve, la décision de mettre un terme  à l’emploi de la plaignante a été tout à fait juste et raisonnable.

[49]         En réponse, monsieur Proulx a invoqué, parmi d’autres arguments, les nombreuses contradictions et invraisemblances contenues dans la version des témoins patronaux.  Par exemple, madame Lord a affirmé ne pas avoir assisté au décompte des pourboires.  Or, le DVD de cette opération, qui dure six minutes, a révélé qu’elle est apparue dans le tableau une minute et 17 secondes après le début de la transaction.  Elle n’a pu qu’en être le témoin.  Dans sa version écrite, madame Soucy a affirmé que ce fut elle qui a demandé à son amie si son montant correspondait au sien.  En contre-interrogatoire, elle ne s’en souvenait plus.

[50]         La direction a mis un terme à l’emploi de la plaignante parce que la caisse ne balançait pas.  Or, cette nuit-là, rien ne balançait.  Ainsi, madame Desruisseaux a expliqué que sa compagne et elle avaient mal compté les pourboires.  Madame Lord, contrairement à ce qu’elle a affirmé, s’est ingérée dans ce décompte et elle en est arrivée au même résultat que madame Soucy, moins un dollar.  De toute façon, madame Desruisseaux a rapidement reconnu l’écart de 40$ à madame Soucy alors que l’erreur était imputable à cette dernière.  On devait conclure que le congédiement était dû à cette erreur.  Enfin, et alors que la procédure appliquée au décompte par les préposés au vestiaire est écrite, au Casino de Montréal, il n’en était rien à celui de Mont-Tremblant.  D’ailleurs, monsieur Chartrand l’a reconnu.  Pour tout résumer, l’employeur ne pouvait se limiter à alléguer la rupture du lien de confiance mais il devait plutôt la prouver, ce qu’il n’a pas réussi à faire en l’espèce.

 

MOTIFS ET DÉCISION

[51]         La plainte dont l’arbitre doit disposer a été logée en vertu des articles 59 et 100.10 du C.t. :

«  59.  Maintien des conditions de travail

À compter du dépôt d’une requête en accréditation et tant que le droit au lock-out ou à la grève n’est pas exercé ou qu’une sentence arbitrale n’est pas intervenue, un employeur ne doit pas modifier les conditions de travail de ses salariés sans le consentement écrit de chaque association et, le cas échéant, de l’association accréditée.

100.10    Arbitrage quant au maintien des conditions de travail

Une mésentente relative au maintien des conditions de travail prévues à l’article 59 ou à l’article 93.5 doit être déférée à l’arbitrage par l’association des salariés intéressée comme s’il s’agissait d’un grief. »

[52]         L’arbitre Carol Jobin a traité de ces dispositions dans une sentence AIMTA, district 11 et Les produits Addico inc. , AZ-02141296 , pp. 30 et sq. :

« L’article 59 alinéa 1 C.t. crée une obligation pour l’employeur de maintenir les conditions de travail existantes au moment du dépôt d’une requête en accréditation.  L’article 100.10 crée le recours remédiateur en faveur de l’association de salariés intéressée en instituant le référé à l’arbitrage de la mésentente « comme s’il s’agissait d’un grief » .  Ce recours fait que l’arbitre déterminera si une ou des conditions de travail ont été modifiées et, si tel est le cas, y remédiera en rétablissant la solution telle qu’elle aurait été si l’obligation de maintenir les conditions de travail avait été respectée comme le prescrit l’article 59 C.t.

Autrement dit, l’arbitre ne peut pas, en principe traiter une mésentente alléguant une modification à une condition de travail à l’occasion de l’imposition d’une sanction disciplinaire comme s’il s’agissait d’appliquer une convention collective échue comportant les dispositions classiques en la matière en lui accordant en équité les pouvoirs de substituer à la sanction une décision qui lui paraît juste et raisonnable.

Ainsi, s’il est établi qu’en imposant une sanction disciplinaire, un employeur a dérogé aux conditions de travail en vigueur dans l’entreprise (i.e. normes, règles, attitudes, pratiques et usages ou, à défaut ou s’il y a lacune, à ceux qu’observerait l’employeur raisonnable en pareilles circonstances) ou à ses obligations civiles fondamentales (devoir d’exercer son droit de gérance de façon non déraisonnable, non abusive, non discriminatoire, pour des motifs réels et sérieux) alors l’arbitre accueillant la plainte pourra réviser la sanction pour la rendre conforme aux normes en vigueur (ou, à défaut, à celles qu’observerait l’employeur raisonnable en pareilles circonstances). »

[53]         Il se dégage de cette décision, à laquelle souscrit le soussigné, que l’arbitre saisi d’une mésentente de la nature de l’actuelle n’a pas la même latitude en matière d’intervention que s’il s’agissait de disposer d’un grief.  Monsieur Proulx a soulevé avec raison que Me Jobin a reconnu que cet arbitre a le pouvoir d’accueillir la plainte et de réviser la sanction.  Cependant, Me Jobin a souligné l’existence d’une contrainte à ce pouvoir remédiateur en précisant que l’arbitre peut intervenir mais pour rendre la sanction « conforme aux normes en vigueur » .  Quelques lignes plus haut, il avait écrit que cet arbitre ne peut traiter une plainte telle l’actuelle qui conteste le bien-fondé d’une sanction disciplinaire « comme s’il s’agissait d’appliquer les dispositions classiques en la matière lui accordant en équité à la sanction une décision qui lui paraît juste et raisonnable » .

[54]         L’employeur, dans sa preuve, n’a présenté aucun précédent qui aurait pu donner une idée des normes et conditions de travail appliquées en matière d’intégrité aux employés du Casino de Mont-Tremblant.  Cependant, dans son témoignage, monsieur Amyot a indirectement confirmé les attentes de la direction de son personnel en cette matière.  En effet, dès avoir appris le geste de madame Desruisseaux, il lui a aussitôt fait part de sa réprobation et transmis le dossier à un enquêteur.  Monsieur Chartrand a directement traité du sujet en soulignant que l’honnêteté est la qualité prioritaire attendue de chacun des employés de la Société des casinos.  En l’espèce, la faute reprochée à madame Desruisseaux a amené ce témoin à conclure à son manque d’honnêteté et de loyauté, d’où la décision de mettre un terme à son emploi.

[55]         Les deux procureurs ont invoqué une importante jurisprudence.

[56]         Monsieur Proulx a d’abord cité l’arbitre Denis Nadeau qui, le 10 septembre 2000, a rendu une sentence TUAC, local 486 et Super « C » , AZ-0014,294 accueillant partiellement deux griefs.  Dans cette affaire, l’employeur avait congédié deux employés pour avoir volé un contenant de comprimés de marque Tylenol d’une valeur d’environ 3,00$.  Preuve en ayant été faite, l’arbitre s’est prononcé sur la sévérité de la sanction.  Après avoir souligné l’évolution de la jurisprudence sur la peine appropriée en matière de vol, il a commenté la position de l’employeur invoquant la rupture du lien de confiance.  Ayant procédé à son analyse de la preuve, il a conclu que l’employeur n’avait pas établi cette rupture.  En effet, après avoir été informé du larcin commis par ses deux employés, au lieu de les suspendre immédiatement, il les avait gardés en poste pendant au-delà de 10 jours avant de les rencontrer et de les suspendre.  Ce retard était de nature à contredire la perte de confiance invoquée dans l’avis de congédiement.  Me Nadeau a donc accueilli partiellement le grief et cassé les congédiements pour leur substituer une longue suspension.

[57]         Dans une sentence SEPB, local 57 et Caisse populaire Desjardins de Vanier , AZ-01141119 , rendue le 17 mars 2001, l’arbitre Fernand Morin a cassé un congédiement pour lui substituer une suspension d’une durée de 13 mois.  La plaignante, une caissière, avait été congédiée pour s’être livrée à du « kiting » avec d’autres institutions financières.  L’arbitre est intervenu après avoir considéré quatre circonstances atténuantes, l’aveu de la plaignante libre, volontaire et répété, le fait de la direction de laisser continuer le manège reproché durant plus d’une semaine suite à l’aveu, l’absence de tout dégât, préjudice réel ou éclaboussure subi par l’employeur et le dossier vierge de la plaignante.  Pour ces raisons, Me Morin a conclu que l’employeur n’avait pas démonté la rupture du lien de confiance invoquée pour justifier le renvoi de son employée.

[58]         Le soussigné en est arrivé à la même conclusion dans une sentence TUAC, local 500 et Super « C » , rendue le 28 mai 2002, AZ-02141179 .  Il a conclu, après avoir résumé et commenté la preuve, p. 14 :

« Contrairement à la situation rencontrée par les arbitres ci-haut cités, il n’a pas cherché à tromper l’arbitre ou même à minimiser le sérieux de sa faute.  Enfin, monsieur Bertrand a fait la démonstration des regrets du geste posé.  À moins qu’il n’ait joué la comédie, ce repentir de monsieur Bertrand est apparu réel et sincère.  Cette attitude est un indice que la rupture du lien de confiance ne s’est pas complètement rompue (sic). »

[59]         Le soussigné est intervenu pour casser le renvoi et lui substituer une suspension sans traitement au temps fait.

[60]         L’arbitre Gilles Lavoie, dans une sentence SEPB, local 57 et La Caisse populaire des Sources , AZ-50234388 , a partiellement accueilli le grief logé par une caissière contestant son renvoi pour avoir pris des sommes d’argent appartenant à un membre et qui avaient servi à des fins personnelles.  Il a cassé le congédiement et lui a substitué une suspension de 12 mois.  La principale circonstance atténuante qui a amené monsieur Lavoie à cette conclusion a été la condition dépressive de la plaignante lorsqu’elle avait posé le geste reproché.  Il a jugé que ce facteur interdisait  à l’employeur d’invoquer la rupture du lien de confiance.

[61]         Dans une sentence rendue le 2 mai 2006, Les Métallurgistes unis d’Amérique, local 215 et Briques Hanson Ltée , AZ-50375006 , l’arbitre Diane Fortier a cassé le congédiement imposé au plaignant pour avoir frauduleusement obtenu une permission d’absence, « ce qui a eu pour conséquence de briser irrémédiablement le lien de confiance qui doit exister entre la Compagnie et tous ses employés » .  Cette arbitre a substitué au congédiement une suspension de 20 jours.  Pour justifier sa conclusion, elle a invoqué la règle de la progression des sanctions que l’employeur n’avait pas respectée.

[62]         Me Fortier a également cassé le congédiement du plaignant dans une sentence Syndicat des travailleurs (euses) de l’Hôtel Le Reine Élizabeth (CSN) et Hôtel Fairmont Le Reine Élizabeth , 2007, CanLii 50295 (QCSAT).  Pour en arriver à cette décision de substituer à cette sanction une suspension d’une durée de 10 mois, elle a à nouveau invoqué le même argument que dans sa décision précédente:

« (200) Cela étant également, je ne crois pas que l’Employeur, compte tenu de toutes les circonstances, était autorisé ou justifié d’imposer la peine capitale.  Une mesure disciplinaire sévère était nécessaire, mais un congédiement était trop sévère.  Ce n’est pas parce que des fautes sont graves qu’on doive exclure automatiquement le principe de la gradation des sanctions avant d’en arriver au congédiement. »

[63]         La dernière sentence invoquée par monsieur Proulx a été Syndicat des employées et employés de la Société des casinos du Québec - CSN- (Unité générale) et Société des casinos du Québec , 2008, CanLii 30795 (QCSAT), rendue par l’arbitre Jacques Doré.  Les trois plaignants occupaient l’emploi d’hôte du Salon des hautes mises du Casino de Montréal.  Les pourboires y étaient formellement interdits et une directive à cet effet était régulièrement rappelée à ces employés.  Comme ils avaient accepté des pourboires donnés par les clients, l’employeur les avait congédiés, considérant, p. 6 :

« … la politique sur la conduite du personnel ainsi que la nature et la gravité des gestes reprochés ;

… le rappel des directives et procédures que nous vous avions fait, notamment le 20 avril 2005 ;

… la réputation d’honnêteté et d’intégrité ainsi que l’image de marque que notre établissement doit maintenir ;

… la nature de vos fonctions ;

… que l’acceptation de pourboires de la part de clients dans le contexte préalablement décrit justifie en soi la rupture de votre lien d’emploi ;

… »

[64]         L’arbitre est intervenu pour casser les trois congédiements et leur substituer une longue suspension en reprochant à l’employeur de ne pas avoir respecté la règle de la progression des sanctions.

[65]         De son côté, Me Leduc a cité plusieurs décisions où la Société des Casinos du Québec était l’employeur.  Dans une sentence Syndicat des employé-e-s de la Société des casinos du Québec (CSN) section Resto-Casino inc. et Resto-Casino inc. rendue par l’arbitre André Dubois le 25 mai 2001, celui-ci a maintenu le congédiement du plaignant, un serveur de la salle à manger du restaurant Via Fortuna, au motif qu’il avait, à deux reprises, « fraudé son employeur en exigeant de lui des sommes auxquelles il n’avait pas droit » .  La faute ayant été prouvée, l’arbitre Dubois s’est penché sur le degré de la sévérité qu’elle méritait.  Il a écrit que la fonction de serveur exigeait un degré élevé d’intégrité et de loyauté de la part de son titulaire.  Or, comme le plaignant avait fait preuve d’un manquement à son obligation d’intégrité, l’employeur pouvait, vu l’ampleur et la nature de ses activités, prendre telle décision.  Il a précisé, p. 14 :

« La Société des Casinos du Québec est non seulement habiletée mais également tenue, de par sa loi constitutive, d’adopter des normes de gestion élevées en matière d’intégrité et de loyauté de la part de ses employés. »

[66]         Le juge Pierre Isabelle, de la Cour supérieure, a rejeté l’action du demandeur dans un jugement Émond c. Société des casinos du Québec , no 500-17-000289-981.  Le demandeur avait reproché à l’employeur sa mauvaise foi et la façon dont il avait été congédié et lui réclamait des dommages de 93 839,00$.  On l’avait accusé d’avoir transgressé une consigne en complétant faussement la fiche d’évaluation d’un joueur.  Il avait indiqué dans son formulaire de suivi des informations permettant à ce client d’obtenir une gratuité au restaurant Banco en remplaçant un coupon expiré.  La faute ayant été prouvée, le juge a conclu que le congédiement était justifié.  Il a écrit:

« (149) Or, le haut standard d’intégrité exigé des employés d’un Casino est justifié par les opérations particulières d’un tel établissement.  En effet, les activités menées par un Casino diffèrent énormément de celles qu’on retrouve habituellement dans d’autres secteurs économiques.

(150) La circulation de sommes d’argent importantes et l’intégrité des jeux qui s’y déroulent nécessitent pour l’employeur d’avoir une confiance entière en ses employés.  Ceux-ci doivent avoir une conduite irréprochable afin que l’employeur et la clientèle du Casino puissent avoir confiance dans l’intégrité des jeux qui s’y déroulent.

(151) Le lien de confiance entre l’employeur et l’employé peut donc être plus facilement rompu par les agissements d’un employé à la solde d’un Casino que dans tout autre genre d’entreprise.  Il est primordial pour la défenderesse de pouvoir congédier un employé qui a volontairement enfreint ses règles de conduite et mis en péril la crédibilité de ses opérations. »

[67]         Dans une sentence inédite et rendue le 8 décembre 2005, l’arbitre Joëlle L’Heureux a rejeté un grief contestant le congédiement d’une préposée à l’entretien ménager qui avait falsifié le formulaire «  Déclaration du médecin  » en modifiant la date de son retour au travail, du 18 au 19 août 2004.  Après avoir conclu à la commission de la faute, l’arbitre a décidé, dans cette sentence Syndicat des employé(e)s des casinos du Québec (CSN) et Société des casinos du Québec inc. :

« (77) La lecture de la lettre de congédiement remise à la plaignante le 30 août permet de constater que l’employeur a pris en considération tous ces éléments : l’absence injustifiée, la falsification, les explications mensongères, la politique sur la conduite du personnel, les fonctions de la plaignante, et l’image d’intégrité de l’employeur, pour conclure que le lien de confiance était rompu.  Cette décision tient compte de la nature et de la gravité du geste dans le contexte de la Société des casinos du Québec.  Compte tenu que le tribunal est arrivé à la conclusion, en plus des éléments déjà pris en considération par l’employeur, que la plaignante avait objectivement l’intention de bénéficier d’une journée d’absence sans justification, et malgré la faible valeur de l’avantage recherché, rien ne permet au tribunal de conclure que le lien de confiance n’est pas définitivement rompu.  En conséquence, le congédiement est maintenu et le grief est rejeté. »

[68]         L’arbitre Denis Provençal a traité d’une question analogue dans une sentence Syndicat des casinos du Québec, section Resto-Casino inc. (CSN) et Resto-Casino inc. , 2008-113.  La direction avait congédié le plaignant, un préposé au bar, pour avoir fait de fausses déclarations à un agent de sécurité en lui indiquant qu’un client était parti sans payer la totalité de sa facture et ce, dans le but de s’éviter une perte monétaire due à son erreur de facturation.  La somme en question était de 14$.  L’employeur ayant démontré la faute, l’arbitre s’est penché sur la sévérité de la sanction.  Il a écrit pour justifier le rejet du grief:

« (62) Il faut nécessairement prendre en compte la nature particulière des activités de l’entreprise lorsqu’il s’agit d’évaluer la mesure imposée au plaignant.  Dans le cadre de l’exploitation de son activité principale, le jeu, le Casino met à la disposition de sa clientèle un service de bar et de restauration et présente aussi des spectacles.  Toutes ces activités impliquent la manipulation et l’échange d’argent par ses employés et un nombre imposant de transactions quotidiennes sont effectuées par ceux-ci et impliquent de petites ou de grosses sommes d’argent.  L’exploitation d’une telle entreprise est essentiellement fondée sur la confiance.  La clientèle doit avoir confiance en l’intégrité des jeux et l’employeur doit prendre pour acquis que ses employés lui seront loyaux. »

[69]         L’arbitre Denis Nadeau a rejeté le grief dans une sentence S.C.F.P., local 3892 (unité générale) et Société des casinos du Québec inc. , 2009, Can Lii 47586 (QcAG).  L’employeur avait congédié le plaignant, un voiturier, qui avait exigé de l’argent à quelques clients pour un service qui était gratuit.  L’arbitre a conclu que l’employeur avait prouvé cette faute.  S’interrogeant ensuite sur le degré de sévérité de la sanction, Me Nadeau a écrit, avant de rejeter le grief:

« 55. La partie syndicale a soulevé, tout au long de sa plaidoirie, un argument de fond important.  Selon elle, le Casino est un employeur comme les autres et il serait erroné de le dispenser des mêmes obligations qui valent à l’égard de tous les employeurs en matière disciplinaire.

56. A priori, je partage cette analyse.  Aucune disposition législative n’écarte, en effet, le présent employeur de l’ensemble des règles applicables, en droit du travail, à tous les employeurs québécois.  Ceci dit, lorsqu’il s’agit d’évaluer une mesure disciplinaire, la fonction du salarié visé et, par la force des choses, la nature de l’entreprise pour laquelle il travaille constituent des éléments qui, parmi d’autres, doivent être pris en considération.

57. En l’espèce, l’employeur est une société d’État qui, en raison de son activité principale, est « tenue, de par sa loi constitutive, d’adopter des normes de gestion élevées en matière d’intégrité et de loyauté de la part de ses employés » . (Syndicat des employé-e-s de la Société des Casinos du Québec et Resto-Casino inc., A. Dubois, 25 mai 2001, p. 14).

58. Par ailleurs, le plaignant occupait la fonction de voiturier portier.  Que ce soit à titre de portier ou de voiturier, on comprend que ce poste représente souvent, pour les clients de l’établissement, le premier contact avec le Casino.  Plus particulièrement comme voiturier, la personne a accès, sans surveillance, au véhicule automobile des clients, conduit celui-ci au stationnement réservé, a la responsabilité de le verrouiller et de placer les clés en lieu sûr.  Compte tenu de cette importante marge d’autonomie avec un bien appartenant à des clients, la confiance est de mise.  Il en est tout autant lorsque, comme en l’espèce, les voituriers doivent effectuer des tâches plus délicates qui supposent à la fois de la courtoisie, un bon jugement et beaucoup d’honnêteté.  Selon la preuve entendue, le plaignant a failli à l’égard de ce dernier volet qui, la preuve le révèle clairement (E-3 à E-5 et le témoignage du chef Monfette), occupe une place importante dans l’ensemble de l’entreprise de l’employeur. »

[70]         L’ensemble de ces décisions représente autant de cas d’espèce.  Dans l’affaire TUAC, local 486 , l’arbitre Nadeau est intervenu à cause du retard mis par l’employeur à se départir des services d’employés congédiés pour rupture du lien de confiance.  Dans les affaires Caisse populaire Desjardins de Vanier et TUAC, local 500 , les arbitres ont cassé les congédiements en considérant certaines circonstances atténuantes, dont les aveux spontanés et sincères des plaignants, mais absentes dans le dossier actuel.  L’arbitre Lavoie, la sentence La Caisse Populaire des Sources , a pris en considération la condition dépressive de la plaignante, un facteur absent du présent dossier.  Finalement, dans les sentences Briques Hanson , Hôtel le Reine Elizabeth et Société des Casinos du Québec , les arbitres ont cassé les congédiements en reprochant à l’employeur de ne pas avoir respecté la règle de la progression des sanctions.  Or, à ce dernier chapitre, le soussigné est d’avis que cette règle ne peut s’appliquer dans une affaire où l’employeur est une entité exigeant de son personnel une probité sans failles.

[71]         Dans  les sentences produites par Me Leduc, les responsabilités confiées aux plaignants et les gestes reprochés qui ont entraîné leur congédiement étaient tous de nature différente.  Dans l’affaire décidée par monsieur Dubois, le montant en jeu était insignifiant et l’employé sanctionné était serveur de restaurant.  Le demandeur Émond, dans le jugement du juge Isabelle, était un chef de table et le geste reproché avait été de fausser les données d’un formulaire pour avantage indûment un client.  L’arbitre L’Heureux a maintenu le renvoi d’une préposée à l’entretien ménagère qui avait falsifié un certificat médical.  Me Provençal en est arrivé à la même conclusion dans le cas d’un barman qui avait triché l’employeur de 14$.  Enfin, le montant en jeu, dans l’affaire décidée par Me Nadeau, était également d’une faible importance.  Cependant, il existe un lien commun, entre toutes ces décisions, la vocation particulière du casino et le très haut niveau de probité attendu de tous les employés.

[72]         En résumant le témoignage de la plaignante de la façon la plus favorable à son endroit, son comportement a été au-delà de tout soupçon.  Le 28 février, peu avant la fin de leur quart et comme prévu par la directive, madame Chouinard et elle-même ont procédé au décompte des pourboires de la soirée.  Cependant, elles l’ont fait d’une façon plus ou moins appliquée.  En effet, les clients affluaient à leur comptoir au point qu’elles avaient « la broue dans le toupet » .  D’autre part, elles manquaient de grippe-sous de sorte qu’elles devaient rouler les pièces de monnaie dans des feuilles de papier blanc ce qui, évidemment, leur prenait plus de temps qu’habituellement.  Bref, le résultat de leur décompte a été plus ou moins approximatif.

[73]         Cette opération terminée, madame Desruisseaux s’est rendue à la caisse centrale remettre les pourboires à madame Soucy pour les échanger contre des billets de banque.  Celle-ci, une caissière d’expérience, a entrepris de tout compter et s’y est reprise à trois fois.  Bien plus, madame Lord l’a observée pendant qu’elle y procédait.  Finalement, madame Soucy lui a appris qu’elle en était arrivée à un total de 743,55$ et madame Lord n’a pas réagi.  Elle a demandé à la plaignante si ce montant correspondait au sien.  Celle-ci, après avoir considéré que sa compagne et elle avaient compté de façon moins attentive que normalement et que cette caissière d’expérience avait procédé deux ou trois fois à son décompte, a confirmé que les deux montants ne pouvaient que s’équivaloir.  Madame Desruisseaux est retournée au vestiaire apprendre à madame Chouinard la bonne nouvelle, qu’elles avaient, durant la soirée, récolté en pourboires 40$ de plus que ce qu’elles avaient compté.

[74]         Environ trois quarts d’heure plus tard, madame Soucy a rejoint la plaignante qui l’attendait dans le vestiaire des employés.  Elle a justifié son retard du fait qu’elle avait rencontré un débalancement de caisse de 55$.  Madame Desruisseaux lui a aussitôt suggéré qu’elle lui avait peut-être remis 40$ en trop mais celle-ci l’a détrompée.  La plaignante lui a conseillé de rejoindre madame Lord par téléphone pour lui demander de charger le personnel de la sécurité de visionner le DVD de l’opération de ce décompte.  Elle s’est fait répondre qu’il était trop tard.  Le lendemain soir, la plaignante a rencontré madame Lord pour lui décrire l’incident de la veille mais celle-ci a décliné toute implication et l’a renvoyée à monsieur Amyot.  Le CDO a écouté sa version puis, en la quittant, s’est dit fort déçu de son geste.  Quelques jours plus tard, elle a subi un premier interrogatoire de monsieur Désaulniers, à qui elle a donné la même version.   Le 13 mars, il l’a à nouveau questionnée et elle a maintenu sa position. 

[75]         Monsieur Proulx a rappelé que madame Desruisseaux, avant d’entrer au service de l’actuel employeur, avait travaillé comme caissière au Casino de Montréal.  Or, elle avait connu des écarts de caisse et en avait été sanctionnée.  Ce fut d’ailleurs la raison pour laquelle on lui a refusé ce même emploi au Casino de Mont-Tremblant pour l’affecter comme préposée au vestiaire, un emploi moins exigeant en matière de gestion d’argent.  Pourtant, l’employeur l’a congédiée, même si son poste n’avait pas du tout terni l’image de son établissement.  La cause de cette décision était le débalancement de la caisse principale alors que, cette nuit-là, rien ne balançait.  Or lorsque madame Desruisseaux a appris à madame Soucy, moins d’une heure après la transaction, que l’écart était possiblement dû en partie au 40$ versé en trop, celle-ci lui a répondu qu’elle ne croyait pas que c’était le cas.  De plus, aucune procédure n’encadrait l’opération de l’échange des pourboires au Casino Mont-Tremblant et ce, contrairement à ce qui est appliqué dans d’autres établissements de la Société des casinos.

[76]         Cependant, au jugement de l’arbitre, une analyse plus attentive de l’ensemble de la preuve a révélé, de la part de la plaignante, un comportement autre que celui qu’elle a tenu à décrire pour démontrer son honnêteté à toute épreuve.  Au départ, durant la nuit du 28 février, l’achalandage a été beaucoup moins important que ce que relaté par madame Desruisseaux.  Ainsi, le DVD a révélé que, cette nuit-là, durant une période de 20 minutes, elle n’a pratiquement reçu aucun client.  Elle a donc eu tout le loisir de procéder à son décompte des pourboires de façon appliquée et ce, même si, faute de grippe-sous, elle a dû rouler de très nombreuses pièces de monnaie dans des feuilles de papier blanc.  L’arbitre ne peut que présumer que le décompte a été fait de façon attentive et son résultat était exact et ce, comme il en avait toujours été.

[77]         Cette opération terminée, madame Desruisseaux s’est rendue à la caisse principale munie du « post-it » identifiant le montant calculé avec madame Chouinard.  Plus tard, elle a expliqué à quelques reprises avoir perdu ce document, ce qui était possible.  Une fois rendue à la caisse, elle a demandé à madame Soucy de procéder au décompte de ses pourboires.  Selon elle, madame Lord y a participé, ce que celle-ci a nié, ce que le DVD a corroboré.  Celle-ci ne s’est approchée de la caissière qu’à la toute fin de l’opération.  Cette SDO, contrairement à ce que prétendu par la plaignante, n’a donc jamais participé au décompte.  Lorsque madame Soucy a l’informée du résultat de son calcul et lui a demandé s’il correspondait au sien, madame Desruisseaux a aussitôt confirmé.  Selon l’arbitre, elle ne pouvait invoquer la compétence de madame Soucy pour conclure que son résultat était plus fiable que le sien.  Compte tenu de son expérience et du temps dont elle-même et sa collègue Chouinard avaient bénéficié pour calculer le montant des pourboires, elle n’a pu que conclure immédiatement à un cadeau de 40$.  L’arbitre ne peut croire qu’elle a conclu à une erreur de sa part compte tenu de l’exactitude du décompte de madame Soucy qui était une caissière d’expérience.  D’ailleurs, lorsque de retour au vestiaire, elle a annoncé à madame Chouinard la bonne nouvelle de ce surplus de 40$, celle-ci s’est montrée sceptique au point de qualifier cette information de louche.  À ce chapitre, la preuve a établi qu’il n’était jamais arrivé qu’un tel écart se rencontre entre le décompte des pourboires d’une préposée au vestiaire et celui de la responsable de la caisse principale.

[78]         Par la suite, madame Desruisseaux s’est rendue au vestiaire des employés où elle a attendu madame Soucy qu’elle voiturait.  Cette dernière s’est fait attendre pour finalement se présenter, trois quarts d’heure plus tard, en expliquant avoir été retardée par un déficit de caisse de 55$.  La plaignante lui a alors suggéré qu’une partie de cet écart pouvait être due à la somme de 40$ qu’elle aurait pu lui verser en trop.  Incidemment, l’arbitre a de la difficulté à croire que, le lendemain, elle eût oublié le montant des pourboires qu’elle avait calculé alors qu’elle-même a pu conclure immédiatement suite au décompte de madame Soucy, à un écart positif de 40$.  Celle-ci l’a assurée du contraire vu le soin qu’elle avait mis à calculer le montant de ses pourboires.

[79]         Le lendemain, madame Desruisseaux a décrit l’incident, d’abord à madame Lord, puis à monsieur Amyot.  Celui-ci lui a fait part de son étonnement qu’elle n’ait pas avisé immédiatement madame Soucy de cet écart après avoir appris le résultat obtenu par celle-ci.  Plus tard, elle a repris le même récit et ce, à deux reprises, auprès de l’enquêteur Désaulniers. 

[80]         Devant cette preuve, l’arbitre ne peut que partager la conclusion de la direction que madame Desruisseaux a fait preuve d’un manque de probité, le 28 février, en ne rapportant pas immédiatement à madame Soucy que le montant auquel elle venait d’arriver ne correspondait pas au sien et qu’il y aurait lieu de procéder à un nouveau décompte.  Fait étonnant mais qui confirmait la largesse de sa conscience, elle a même reconnu à monsieur Desaulniers que si la caisse de madame Soucy avait balancé, elle n’aurait jamais déclaré le surplus que celle-ci lui accordait.

[81]         Cette faute d’avoir tu l’écart lorsque madame Soucy lui a appris son résultat a-t-il justifié le congédiement de la plaignante ?  Après réflexion, l’arbitre doit répondre par l’affirmative.  Comme l’a souligné Me Jobin dans la sentence ci-haut, il ne lui appartient pas de juger en équité.  Plutôt, comme il doit décider d’une plainte logée en vertu de l’article 59 C.T., il ne peut intervenir que si la décision contestée lui apparaît arbitraire, injustifiée ou discriminatoire.  Or, compte tenu de la nature des activités de l’employeur et de l’exigence de ses attentes en matière d’honnêteté de la part de tous ses employés, comme d’ailleurs la jurisprudence ci-haut le confirme, l’arbitre doit conclure que le lien de confiance s’est rompu.

[82]         Pour toutes ces raisons, l’arbitre doit rejeter le grief.

 

 

 

 

 

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ANDRÉ SYLVESTRE, avocat