Côté Boutin c. Lamothe

2011 QCCQ 10435

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

QUÉBEC

LOCALITÉ DE

QUÉBEC

« Chambre civile »

N° :

200-32-052961-108

 

 

 

DATE :

14 septembre 2011

______________________________________________________________________

 

SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q. [JB3844]

 

______________________________________________________________________

 

 

COLETTE CÔTÉ BOUTIN, […], Neuville (Québec) […]

 

Demanderesse

c.

 

DANIEL LAMOTHE, […], Pont-Rouge (Québec) […]

 

Défendeur

 

 

______________________________________________________________________

 

JUGEMENT

______________________________________________________________________

 

[1]            La réclamation de la demanderesse, madame Colette Côté Boutin, concerne une coupe de 4 arbres matures effectuée par le défendeur, monsieur Daniel Lamothe. Ces arbres étaient situés en partie sur chacun des terrains contigus et propriétés respectives des parties. Ils avaient été plantés par monsieur Lamothe, il y a près de 25 ans.

[2]            Madame Boutin réclame la valeur estimée de ces 4 gros arbres, soit 8 974,53 $, réduite à 7 000 $.

[3]            La demande de madame Boutin conclut aussi à ordonner à monsieur Lamothe de réparer une clôture et de ne plus empiéter sur le terrain de madame Boutin. Il n'y aura aucune ordonnance à ce sujet par le présent Tribunal qui n'a pas juridiction à cet effet, de sorte qu'il ne sera décidé que de la responsabilité à l'égard des arbres coupés.

[4]            La propriété de madame a été achetée par elle pour sa retraite dans un des très beaux coins du Québec. Son voisin, monsieur Daniel Lamothe, opère depuis plus de 40 ans, son père en étant le fondateur, un garage où est aussi exploité un centre de recyclage pour automobiles, obligeant monsieur Lamothe à y entasser de vieilles carcasses de véhicules. Certaines pièces d'équipement lourd sont utilisées par monsieur Lamothe sur son terrain.

[5]            Bref, il y a une profonde différence entre l'utilisation des deux terrains, ce qui est à l'origine d'importantes mésententes entre ces voisins.

[6]            En 1986 ou 1987, monsieur Lamothe nous dit avoir planté 4 arbres à la limite de sa propriété et celle de l'auteur de madame Boutin. Il s'agit de 3 érables à Giguère et un peuplier Baumier. La pousse de ces arbres s'est fait à angle, de sorte que si leurs racines et leurs bases se situent du côté du terrain de monsieur Lamothe, la très grande partie de leur croissance se situe sur le terrain de madame Boutin.

[7]            Le certificat de piquetage de l'arpenteur-géomètre, Éric Lortie, daté du 14 mai 2010, situe même les souches des arbres dans 3 cas sur la ligne de division et dans 1 cas totalement sur le terrain de madame Boutin.

[8]            Ce qu'il faut comprendre de l'écoulement du temps depuis la plantation de ces arbres, c'est qu'ils représentaient un agrément pour madame Boutin, cachant le garage de monsieur Lamothe et les nombreux véhicules de toutes sortes qui pouvaient s'y trouver.

[9]            Monsieur Lamothe, qui était bien conscient de cette commodité, nous dit avoir coupé ces arbres pour la protection des véhicules de ses clients qui se trouvaient sur son terrain puisque les résidus se trouvant sur les feuilles ou provenant des arbres endommageaient parfois la carrosserie et la peinture de ces véhicules.

[10]         Lorsque monsieur Lamothe décide de couper les arbres, il prend bien soin d'aller chercher le consentement de madame Boutin et mandate son locataire, monsieur Mike Royer, en juillet 2009, pour lui faire signer un papier l'autorisant à couper ces arbres. D'après madame Boutin, elle n'a pas signé cette autorisation mais a fait part à monsieur Royer que monsieur Lamothe pouvait couper les branches qui se situaient sur son terrain, ce que ce dernier a fait.

[11]         Monsieur Royer qui était et qui est toujours le locataire de monsieur Lamothe, dans son témoignage, dit avoir rencontré madame Boutin à l'été 2010 plutôt, que cette dernière aurait donné une autorisation verbale à la coupe dont il a fait part à monsieur Lamothe. Toutefois, ce dernier a demandé la préparation d'un document que la conjointe de monsieur Royer a rédigé et qu'il est allé porter chez madame Boutin, mais que celle-ci n'a jamais signé. Ce document autorisait pleinement monsieur Boutin à couper les arbres.

[12]         Ce serait suite à un autre conflit à l'égard de la haie de cèdres et de la clôture qui a donné lieu à une lettre d'avocat de madame Boutin à monsieur Lamothe que, le 30 avril 2010, ce dernier a coupé les 4 arbres matures dont il s'agit.

[13]         Madame Boutin en a subi un choc nerveux.

[14]         Voilà les faits qui donnent lieu à la présente réclamation, laquelle sera décidée comme suit.

[15]         Si les arbres sont effectivement la propriété de monsieur Lamothe qui les a plantés lui-même en 1986, leur pousse qui a eu lieu en très grande partie sur la propriété de madame Boutin ou de ses auteurs procurait à ces derniers un bénéfice que monsieur Lamothe reconnaissait. Il est facile d'imaginer ce bénéfice. Monsieur Lamothe le réalisait pleinement. D'ailleurs, même s'il était le propriétaire de ces arbres, il a tenté en toute conscience d'obtenir le consentement écrit, libre et éclairé de madame Boutin avant de procéder à leur coupe.

[16]         Il y a témoignage contradictoire à l'effet que madame Boutin ait donné son consentement verbal à la coupe ou non. Cette dernière le nie sauf à l'égard d'un arbre qui n'est pas concerné par la présente réclamation. Monsieur Royer prétend qu'elle a donné cet accord. Toutefois, ce que le Tribunal remarque c'est que monsieur Lamothe ne se contentait pas de cette prétendue autorisation verbale, puisqu'il a demandé la signature d'un document par madame Boutin qui a refusé de le signer, ce qui donne poids à la position de cette dernière qu'elle ne consentait pas à l'abattage.

[17]         Monsieur Lamothe savait ou devait savoir à ce moment-là que le consentement verbal de madame Boutin était incertain et il aurait dû s'abstenir, tout en continuant les négociations avec elle pour obtenir un accord clair.

[18]         Lorsque monsieur Lamothe coupe les 4 arbres dont il s'agit, il pose un geste répréhensible qui va à l'encontre des règles de conduite qu'il devait respecter pour ne pas causer préjudice à madame Boutin. Il s'agit là de la règle fondamentale de la responsabilité civile prévue à l'article 1457 du Code civil du Québec , lequel se lit comme suit:

1457.  Toute personne a le devoir de respecter les règles de conduite qui, suivant les circonstances, les usages ou la loi, s'imposent à elle, de manière à ne pas causer de préjudice à autrui.

Elle est, lorsqu'elle est douée de raison et qu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice qu'elle cause par cette faute à autrui et tenue de réparer ce préjudice, qu'il soit corporel, moral ou matériel.

[…]

[19]         Ainsi donc, peu importe que ce soit lui qui ait planté ces arbres et qu'ils soient sa propriété, les arbres avaient effectué leur croissance sur la propriété de madame Boutin et de ses auteurs qui les avaient certainement bien acceptés vu tout le bénéfice qu'ils lui procuraient. Il y avait donc présomption d'accord entre ces deux voisins que ces arbres ne pouvaient disparaître par la volonté de l'un seul. D'ailleurs, monsieur Lamothe, par ses démarches, a reconnu ce fait.

[20]         Reste maintenant à décider du montant des dommages qui doivent être accordés à madame Boutin. L'évaluation des arbres comme telle conclut à une valeur de 8 974,53 $ par un ingénieur forestier. Il ne peut être accordé ce montant puisque les arbres appartenaient à monsieur Lamothe.

[21]         Par contre, devant la Cour des petites créances, il faut « faire apparaître le droit et en assurer la sanction » , devoir du Tribunal selon les dispositions de l'article 977 du Code de procédure civile . Il sera accordé une indemnité qui permettra à madame Boutin de constituer une nouvelle barrière-écran naturelle d'arbres là où la coupe a eu lieu. Usant de sa discrétion, le Tribunal évalue à une somme de 2 000 $ la reconstitution de cette barrière d'arbres abattus.

[22]         De plus, le Tribunal comprend les troubles et inconvénients qu'a causé à madame ce geste condamnable de monsieur Lamothe. Madame Boutin est une personne âgée de 79 ans à l'audition du présent recours et qui a subi un choc de la réalisation du geste brutal de monsieur Lamothe. Elle a dû accepter de vivre pendant un certain temps sans arbre à la limite de son terrain. Elle en a subi un traumatisme psychologique.

[23]         Elle aurait donc droit à une somme de 1 500 $ pour ses dommages personnels.

[24]         Ainsi, la réclamation de la demanderesse sera accueillie pour une somme de 3 500 $ en plus des intérêts et frais.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

CONDAMNE le défendeur, monsieur Daniel Lamothe, à payer à la demanderesse, madame Colette Côté Boutin, la somme de 3 500 $ avec l'intérêt au taux légal de 5 % l'an depuis le 3 août 2010.

AVEC FRAIS limités à la somme de 159 $.

 

 

 

 

__________________________________

ANDRÉ J. BROCHET, J.C.Q.

 

 

Date d’audience :

6 septembre 2011