Agences Jacques Parent inc. c. Meubles Concordia ltée

2011 QCCA 1694

COUR D’APPEL

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

GREFFE DE

 

QUÉBEC

N° :

200-09-007003-103

(200-17-009117-078)

 

DATE :

 Le 16 septembre 2011

 

 

CORAM :

LES HONORABLES

LORNE GIROUX, J.C.A.

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

JACQUES VIENS, J.C.A. (AD HOC)

 

 

LES AGENCES JACQUES PARENT INC.

 

APPELANTE / INTIMÉE INCIDENTE - demanderesse

c.

 

MEUBLES CONCORDIA LTÉE

 

INTIMÉE / APPELANTE INCIDENTE - défenderesse

 

 

ARRÊT

 

 

[1]            L'appelante se pourvoit contre le jugement prononcé le 1 er mars 2010 par la Cour supérieure (l'honorable J. Claude Larouche) qui condamne l'intimée Meubles Concordia Ltée (Concordia) à payer à l'appelante Les Agences Jacques Parent Inc. (Parent) 17 000 $ avec intérêts et l'indemnité additionnelle depuis l'assignation pour avoir mis fin à leur relation d'affaires sans donner un préavis raisonnable.

[2]            L'appelante demande que l'intimée soit condamnée à lui payer 85 000 $ à titre de dommages-intérêts, dont 45 000 $ pour compenser le défaut de préavis raisonnable, 30 000 $ pour les pertes de revenus à la suite de la résiliation du contrat et 10 000 $ à titre de dommages, troubles et inconvénients.

[3]            Par son appel incident, l'intimée demande à la Cour de :

QUALIFIER le contrat verbal intervenu entre les parties comme un contrat de service;

CONSTATER le droit de l'intimée de résilier unilatéralement le contrat conformément à l'article 2125 C.c.Q.;

SUBSIDIAIREMENT, CONSTATER le droit de l'intimée de résilier le contrat pour un motif sérieux dans le cadre d'une progressivité de sanction et :

SUBSIDIAIREMENT, RÉDUIRE le droit à un préavis raisonnable de résiliation en prenant en compte les avis préalables (pièces D-5 et D-6) et les montants payés à l'intimée équivalant à trois (3) mois;

CONSTATER que les avis préalables donnés par l'intimée et le paiement du préavis de trois (3) mois constituent un préavis raisonnable;

Les faits

[4]            L'appelante opère une agence manufacturière oeuvrant dans le domaine du meuble dont l'unique actionnaire, administrateur et employé est Jacques Parent.

[5]            Jacques Parent a d'abord travaillé de 1962 à 1980 pour son oncle qui était agent manufacturier.  À partir de 1980, il a travaillé à son compte pendant 10 ans avant de faire incorporer Les Agences Jacques Parent Inc.

[6]            La relation d'affaires de Jacques Parent avec l'intimée Concordia a débuté vers 1982-1983 et s'est poursuivie pendant 25 ans sans entente écrite entre les parties.

[7]            La rémunération de Jacques Parent et, par la suite, celle de l'appelante provenaient de commissions versées par Concordia sur les ventes effectuées par leur intermédiaire auprès des marchands de meubles dans le territoire qui leur était alloué.  Jacques Parent, qui visitait et visite encore ses clients toutes les 6 ou 8 semaines en défrayant les dépenses afférentes, avait réussi vers l'année 1985, après plusieurs démarches, à faire entrer les produits manufacturés par Concordia chez Les Ameublements Tanguay (Tanguay).

[8]            Parent desservait, pour les produits fabriqués par Concordia, tous les magasins Tanguay, y compris ceux situés en dehors de son territoire.  Les relations entre Parent et Concordia ont toujours été bonnes jusqu'aux événements survenus au mois de mai 2004.

[9]            Tanguay était la plus importante cliente de Parent pour les meubles manufacturés par Concordia.  En fait, avant mai 2004, les ventes faites à Tanguay représentaient entre 70% et 75% de l'ensemble des ventes des produits Concordia effectuées par l'intermédiaire de Parent.

[10]         Mais, à compter du mois de mai 2004, Tanguay a cessé d'acheter les meubles fabriqués par Concordia, même si Parent continuait à lui vendre des meubles fabriqués par d'autres manufacturiers qu'elle représentait.

[11]         Jacques Parent apprend d'un acheteur à l'emploi de Tanguay la fin des relations d'affaires entre Concordia et Tanguay.

[12]         Il communique alors avec James Florio, responsable des ventes et du marketing chez Concordia et actionnaire de l'entreprise avec son frère, afin de savoir pourquoi Tanguay n'achète plus les produits fabriqués par Concordia.  On lui répond que ça ne le concerne pas, mais qu'on l'aiderait en lui permettant de faire profiter ses autres clients des mêmes prix qui étaient consentis à Tanguay.

[13]         Toutefois, à cause de la fin de la relation d'affaires entre Concordia et Tanguay, Parent a subi une baisse de revenus de l'ordre de 30 000 $ à 35 000 $ par année et a été incapable d'augmenter suffisamment son chiffre d'affaires auprès de ses autres clients pour compenser cette perte.

[14]         De plus, à partir de la fin de la relation d'affaires entre Concordia et Tanguay, les relations entre Parent et Concordia se sont détériorées.

[15]         En novembre 2004, lorsque Jacques Parent rencontre James Florio afin de s'informer de ce qui s'était passé avec Brault & Martineau, propriétaire de Tanguay, M. Florio lui remet une lettre par laquelle Concordia demande que Parent indique les actions concrètes mises en place afin d'augmenter ses ventes.

[16]         Mais, en raison de l'arrivée des téléviseurs plasma et ACL à écran plat, le marché des bibliothèques a changé, alors que c'était le produit de Concordia qui se vendait le mieux.  De plus, Tanguay faisait beaucoup de publicité sur des produits fabriqués par d'autres manufacturiers, ce qui a eu une incidence sur le volume des achats faits par les petits marchands de meubles qui ne voulaient plus acheter les produits Concordia antérieurement vendus par Tanguay.

[17]         Parent ne réussissait donc pas à atteindre les objectifs fixés par Concordia et, le 31 octobre 2006, Concordia lui adresse une deuxième lettre.  On lui indique que les ventes ont chuté de 427 190 $ en 2001 à 207 712 $ pour les 10 premiers mois de l'année 2006 et on lui donne un délai de 60 jours pour corriger la situation.  Malgré ses efforts pour vendre à ses autres clients plus de produits fabriqués par Concordia, les objectifs recherchés par Concordia ne sont pas atteints et Parent reçoit le 18 mai 2007 une lettre signée par M. Florio l'avisant que Concordia met fin, à compter de ce jour, à leur relation d'affaires.

[18]         Parent a donc avisé ses clients qu'elle ne représentait plus Concordia, ce qui n'a rien changé aux relations qu'elle avait avec ses clients, y compris avec Tanguay, pour les produits d'autres manufacturiers qu'elle représentait.

[19]         Le juge de première instance retient que Concordia n'a pas fait bénéficier Parent des mêmes avantages consentis à d'autres agents manufacturiers pour compenser les pertes significatives de revenus qu'ils ont subies en raison de la fin de la relation d'affaires entre Concordia, d'une part, et Brault & Martineau et Tanguay, d'autre part.

Les questions en litige

[20]         Le juge de première instance a-t-il erré :

A)  en qualifiant le contrat verbal intervenu entre les parties de contrat innommé?

B)  en omettant de prendre en compte les avis préalables comme motifs sérieux de résiliation du contrat ou, le cas échéant, de réduction du délai de préavis raisonnable?

C)  dans le calcul de l'indemnité accordée à l'appelante pour compenser le défaut de préavis raisonnable?

D)  en considérant que la réclamation pour la perte de revenus suivant la rupture de la relation d'affaires entre Concordia et Tanguay est incluse dans l'indemnité accordée à l'appelante pour compenser le défaut de préavis raisonnable?

E)  en refusant d'accorder à l'appelante une indemnité pour troubles et inconvénients?

*******************************

A)  La qualification du contrat liant les parties

[21]         Le juge de première instance s'est exprimé ainsi relativement à la qualification de l'entente verbale intervenue entre Parent et Concordia :

[44]      L'entente qui a régi les relations des parties jusqu'à ce que CONCORDIA décide d'y mettre fin unilatéralement le 18 mai 2007, peut être qualifiée de contrat innommé ou «sui generis ».

[45]      C'est d'ailleurs de cette façon que la Cour d'appel a qualifié une entente de cette nature dans l'arrêt E. & S. Salsberg inc. [1] prononcé le 3 septembre 1992.

[46]      Monsieur le juge Roger Chouinard qui a rédigé les motifs de la cour, y écrit:

"Avec égards pour l'opinion du premier juge, je partage celle de l'appelante que les éléments relatés précédemment révèlent que les parties avaient conclu un contrat verbal d'une durée indéterminée, en dépit du fait qu'aucun écrit n'existait entre elles.  Un tel contrat peut être qualifié d'innomé ou sui generis"

[47]      Il s'agit en la présente instance d'une entente verbale à durée indéterminée de sorte que l'une ou l'autre des parties qui veut la résilier doit, tel que le reconnaît la jurisprudence sur cette question, donner un préavis raisonnable pour y mettre fin à moins d'avoir des motifs juridiques d'y déroger.

[22]         Selon l'intimée, le juge de première instance a commis une erreur de droit en omettant de conclure que les parties étaient liées par un contrat de service au sens de l'article 2098 C.c.Q.  Il s'agit, selon elle, d'une erreur déterminante au point d'infirmer le jugement de première instance, puisque si le Tribunal avait conclu qu'il s'agissait d'un contrat de service, il aurait, en conséquence, reconnu le droit de l'intimée de le résilier unilatéralement et sans motif selon l'article 2125 C.c.Q. :

Art. 2125.   Le client peut, unilatéralement, résilier le contrat, quoique la réalisation de l'ouvrage ou la prestation du service ait déjà été entreprise.

[23]         Pour l'appelante, le contrat qui liait les parties ne rencontre pas les critères d'un contrat de service; il s'agit plutôt d'un hybride entre le contrat de travail, le contrat de service et le mandat, de sorte que le juge de première instance l'a correctement qualifié de contrat innommé.

[24]         Pour que le contrat intervenu entre les parties puisse être considéré comme un contrat de service au sens des articles 2098 C.c.Q. et suivants, il doit en posséder tous les attributs.

[25]         Les principaux éléments qui distinguent le contrat de service des autres types de contrat sont, d'une part, la liberté dont jouit le prestataire de services dans les moyens d'exécution de son contrat et, d'autre part, dans l'absence totale de subordination entre le prestataire de services et son client :

Art. 2099.   L'entrepreneur ou le prestataire de services a le libre choix des moyens d'exécution du contrat et il n'existe entre lui et le client aucun lien de subordination quant à son exécution.

[26]         En l'espèce, Concordia est une manufacturière de meubles et le contrat intervenu entre les parties permettait à Parent de représenter Concordia auprès des marchands de meubles à l'intérieur d'un territoire déterminé.

[27]         Pour ce faire, Parent disposait d'un catalogue de produits, d'une liste de prix et d'échantillons de bois fournis par Concordia.  Parent n'avait aucun contrôle sur le prix de vente des produits, le prix étant établi unilatéralement par Concordia.

[28]         Ainsi, le rôle de Parent consistait à représenter Concordia afin de vendre ses produits, sans pour autant contrôler les prix ou encore la distribution des produits.

[29]         Il existe donc un certain lien de subordination entre Concordia et Parent qui n'avait certes pas l'entière liberté du choix des moyens d'exécution.  C'est pourquoi, il apparaît que le contrat intervenu entre les parties ne constitue pas un contrat de service au sens des articles 2098 C.c.Q. et suivants, de sorte que le juge de première instance avait raison d'écarter la prétention de l'intimée qu'il s'agissait d'un contrat de service et, du même coup, les règles afférentes à la résiliation de ce type de contrat.

[30]         Il ne s'agit pas non plus d'un mandat ni d'un contrat d'emploi, mais plutôt d'un contrat innommé ou «sui generis » , selon le juge de première instance.  En l'absence d'erreur manifeste ou déterminante de sa part, il n'y a pas lieu d'intervenir relativement à la qualification qu'il a faite du contrat liant les parties.

B)  Les avis préalables

[31]         L'intimée soulève que le juge de première instance aurait omis de prendre en compte les avis préalables du 26 novembre 2004 et du 31 octobre 2006 comme motifs sérieux de résiliation du contrat liant les parties ou, encore, le cas échéant, d'en tenir compte en réduisant le délai du préavis raisonnable.

[32]         Concordia soulève en effet qu'elle avait un motif raisonnable le 18 mai 2007 pour résilier le contrat verbal liant les parties puisque, notamment, Parent n'avait pas réussi à atteindre les objectifs fixés malgré deux avis préalables.

[33]         Or, cette prétention de l'intimée n'est pas fondée.  En effet, non seulement le juge de première instance n'a pas omis de prendre en compte les avis préalables, mais il a plutôt décidé que, dans les circonstances, la diminution des ventes réalisées par Parent des produits manufacturés par Concordia ne constituait pas un motif valable pour résilier le contrat liant les parties, puisque cette baisse des ventes avait été provoquée par la fin des relations d'affaires de Concordia avec Brault & Martineau ainsi qu'avec Tanguay, événement qui n'est pas attribuable à Parent et sur lequel elle n'avait aucun contrôle.

[34]         À ce sujet, le juge de première instance s'exprime ainsi :

[51]      Cette situation conflictuelle qui a entraîné la fin de la relation d'affaires entre CONCORDIA et Brault et Martineau ainsi que TANGUAY n'est aucunement imputable ni de près ni de loin aux AGENCES JACQUES PARENT.

[52]      Tous les efforts faits pendant plusieurs années par AGENCES JACQUES PARENT auprès de TANGUAY pour y placer les produits manufacturés par CONCORDIA ont été réduits à néant sans qu'elle puisse y faire quoi que ce soit.

[53]      Il est particulièrement étonnant que CONCORDIA reproche aux AGENCES JACQUES PARENT une baisse des ventes alors que cette dernière a perdu son plus gros client pour les produits de CONCORDIA sans qu'elle en soit responsable.

[54]      Il faut ajouter à cela que les autres marchands desservis par AGENCES JACQUES PARENT ne voulaient pas acheter les produits manufacturés par CONCORDIA qui étaient auparavant vendus par TANGUAY.

[55]      Certes, il y a bien eu certaines doléances de la part d'un ou deux marchands desservis par AGENCES JACQUES PARENT ainsi que des reproches lorsque Jacques Parent a dû s'occuper de son épouse malade mais rien ne justifiant une résiliation de cette nature après tant d'années.

[56]      En outre, AGENCES JACQUES PARENT n'a pas reçu le soutien que lui avait promis CONCORDIA bien que celle-ci l'ait fourni à ses autres agents ou représentants dans une tentative de les compenser de la perte importante des commissions qui leur étaient versées pour les ventes effectuées à Brault et Martineau.

[57]      De plus, la preuve administrée ne démontre pas que les résultats des AGENCES JACQUES PARENT aient été dans les circonstances inférieurs à ceux des autres représentants affectés par la perte des ventes effectuées à Brault et Martineau.

[58]      Il importe de souligner que la preuve ne démontre aucunement que CONCORDIA ait transmis à ses autres représentants faisant affaires avec Brault et Martineau, une lettre de la même nature de celle reçue par les AGENCES JACQUES PARENT (D-5) le 26 novembre 2004.

[61]      Le tribunal est d'avis que la décision de CONCORDIA de résilier l'entente avec AGENCES JACQUES PARENT est une décision d'affaires qu'elle pouvait prendre mais cela ne la dispensait pas pour autant de lui donner un préavis raisonnable.

[62]      En définitive, le tribunal, à partir de son analyse de la preuve, en arrive à la conclusion que les motifs invoqués par CONCORDIA dans la lettre qu'elle a fait remettre par messager aux AGENCES JACQUES PARENT le 18 mai 2007, ne peuvent être retenus juridiquement de sorte que cette dernière aurait eu droit à un préavis raisonnable.

[35]         Ces avis préalables ne peuvent non plus justifier une réduction de la durée du préavis qui aurait dû être donné à l'appelante.  Le but d'un préavis est de fournir un délai au cocontractant afin qu'il puisse pallier le manque à gagner à la suite de la résiliation du contrat.  En l'espèce, ce n'est que le 18 mai 2007 que l'appelante a été informée par l'intimée de la résiliation de son contrat.  Auparavant, elle n'avait jamais été avisée qu'elle devait cesser de représenter l'intimée sur le territoire qui lui était attribué.

[36]         Le délai du préavis devait donc se calculer à partir du 18 mai 2007 et, par ailleurs, l'intimée n'a pas démontré que le juge de première instance commettait une erreur manifeste et déterminante en retenant qu'un préavis d'un an était raisonnable dans les circonstances.

C)  L'indemnité pour compenser le défaut de préavis raisonnable

[37]         L'appelante plaide que le juge de première instance a erré en accordant 17 000 $ au lieu de 45 000 $ à titre d'indemnité afin de compenser l'absence de préavis pour mettre fin au contrat liant les parties.

[38]         Pour établir le montant de l'indemnité qu'il accorde à l'appelante, le juge de première instance s'exprime ainsi :

[66]      Monsieur le juge Banford, dans un jugement rendu le 5 mars 2001 dans l'affaire de Jobin c. Bertrand Croft inc. [2] , a basé ses calculs sur un profit net réajusté consistant dans une moyenne d'un tel profit sur une période de quatre ans.

[67]      Monsieur le juge Luc Lefebvre, dans un jugement rendu le 26 octobre 2009, dans l'affaire des Agences Claude Frappier inc. c. Raymond Lanctôt ltée [3] , a déterminé le montant qu'il a accordé en calculant le rendement de l'entreprise, et ce, avant versement des salaires et en retenant la moyenne des cinq dernières années.

[73]      Le tribunal, pour établir le montant qu'il accorde aux AGENCES JACQUES PARENT, s'est inspiré des méthodes utilisées par les juges Banford et Lefebvre en y faisant les adaptations appropriées.

[74]      La méthode utilisée pour établir le montant accordé aux AGENCES JACQUES PARENT est celle qui nous est apparue la plus appropriée dans les circonstances.

[75]      Nous avons d'abord choisi une année de référence, à savoir 2003.  L'examen des états financiers de 2003 (P-6) démontre un chiffre d'affaires de 152 918 $ provenant de toutes les commissions reçues par les AGENCES JACQUES PARENT.  Les commissions versées par CONCORDIA en 2003 (P-5) pour les produits vendus par l'intermédiaire des AGENCES JACQUES PARENT sont de 47 452,95$, ce qui représente un peu plus de 31% du chiffre d'affaires.

[76]      Nous avons par la suite calculé le revenu net moyen par année sur une période de cinq ans comprenant six mois en 2002 et six mois en 2007 :

2002 (6 mois)                          25 786 $

2003 :                                      58 578 $

2004 :                                      55 400 $

2005 :                                      61,355 $

2006 :                                      53 100 $

2007 (6 mois)                          17 324 $

TOTAL :                                271 543$

[77]      La moyenne annuelle pour la période concernée est de 54 308,60 $.

[78]      En appliquant à ce montant de 54 308,60 $ un pourcentage d'un peu plus de 31%, le résultat obtenu est de 17 000 $ que le tribunal accorde à titre de dommages.

[39]         Or, dans Jobin c. Bertrand Croft inc . [4] , le juge Banford, après avoir établi que le préjudice s'évaluait «en fonction de la perte de profit net prévisible pour la période » , ajoutait que «ce principe devait s'adapter à la situation particulière de chaque cas » .  C'est ainsi qu'en considérant que les revenus de l'entreprise étaient majoritairement constitués du produit du travail de son principal actionnaire, le rendement de l'entreprise devait être calculé avant le versement des salaires et, avant impôt.

[40]         Dans l'affaire Agences Claude Frappier inc . c. Raymond Lanctôt ltée [5] , le juge Lefebvre, dans une situation semblable, a lui aussi choisi de calculer la perte nette subie par la demanderesse selon les revenus de l'entreprise avant versement des salaires et avant impôt, tout comme dans l'affaire Jobin .

[41]         En l'espèce, le juge de première instance, bien qu'il mentionne s'être inspiré des affaires Jobin et Agences Claude Frappier inc ., utilise le revenu net après impôt de l'appelante (sauf pour l'année 2005), sans additionner les salaires et avantages marginaux, afin d'établir l'indemnité qu'il lui accorde.

[42]         Nous estimons que le juge de première instance a erré en calculant l'indemnité devant être versée à l'appelante à partir seulement des revenus nets après impôt, sans additionner les salaires et avantages marginaux.

[43]         S'il convient de soustraire les dépenses des revenus afin de calculer l'indemnité devant être versée à l'appelante, il y a lieu, puisque les revenus de l'entreprise sont majoritairement constitués du produit du travail de son principal actionnaire, Jacques Parent, d'ajouter au revenu net pour chaque année les salaires et avantages sociaux, tout comme dans les affaires Jobin et Agences Claude Frappier inc.

[44]         C'est ainsi qu'en retenant le bénéfice net avant impôt sur une période de 5 ans s'étendant de 2002 à 2007, tout comme le juge de première instance l'avait fait, et en ajoutant salaire et avantages marginaux, on obtient une moyenne annuelle de 112 900 $ :

Année

Bénéfice net avant

impôts

Salaire et avantages

Total

2002 (6 mois)

33 400 $

27 223 $

60 623 $

2003

75 898 $

47 001 $

122 899 $

2004

71 529 $

45 229 $

116 758 $

2005

61 355 $

40 937 $

102 292 $

2006

69 632 $

46 838 $

116 470 $

2007 (6 mois)

21 823 $

23 635 $

45 458 $

TOTAL

 

 

564 500 $

[45]         En appliquant un pourcentage de 31%, tout comme le juge de première instance aux paragraphes 75 et 78 de son jugement, l'indemnité à laquelle l'appelante a droit afin de compenser le défaut de préavis avant la résiliation du contrat qui la liait avec l'intimée représente 34 999 $.

[46]         Par ailleurs, l'intimée invoque aussi que le juge de première instance a omis de soustraire de l'indemnité pour défaut de préavis les commissions payées par Concordia à Parent découlant des ventes générées pour les mois de juin, juillet et août 2007, soit 1 772,52 $.

[47]         Manifestement, le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en ne diminuant pas cette somme de 1 772,52 $ du montant dû à titre de préavis raisonnable étant donné qu'il s'agit de commissions relatives à des ventes effectuées par l'appelante avant la résiliation du contrat survenue le 18 mai 2007.

[48]         C'est ainsi qu'il y a lieu d'intervenir et d'accorder à l'appelante une indemnité de 34 999 $ au lieu de 17 000 $ afin de compenser le défaut de préavis raisonnable.

D)  La réclamation pour perte de revenus

[49]         L'appelante invoque aussi que le juge de première instance a commis une erreur en rejetant sa réclamation de 30 000 $ pour perte de revenus à la suite de la rupture de la relation d'affaires avec Tanguay survenue en mai 2004.

[50]         Le juge de première instance a rejeté cette réclamation en s'exprimant ainsi :

[79]      Par ailleurs, le tribunal n'accorde pas le montant réclamé pour pertes de revenus car il s'agit d'un élément qui a été considéré dans la détermination des dommages accordés pour compenser le défaut de préavis raisonnable.

[51]         L'appelante plaide que le juge s'est mépris sur l'objectif de ce chef de réclamation.  Elle prétend qu'elle n'a jamais été indemnisée pour les pertes de revenus subies à compter de l'année 2004 à la suite de la rupture des relations entre Concordia, d'une part, et Brault et Martineau et Tanguay, d'autre part.

[52]         Ce moyen d'appel doit être rejeté.

[53]         Tout d'abord, même si Parent n'a pas été invitée à intervenir dans les discussions entre Concordia et Brault et Martineau préalablement à la rupture de leur relation d'affaires survenue en mai 2004, aucune faute n'a été commise par Concordia envers Parent en relation avec la perte de la clientèle de Tanguay.  En effet, la rupture de la relation d'affaires entre Concordia et Tanguay provient d'une décision de la compagnie mère, Brault et Martineau, et découle du refus de Concordia de boycotter un nouveau distributeur, soit un ancien acheteur à l'emploi de Brault et Martineau.

[54]         Bien que cette rupture des relations d'affaires avec Tanguay ne soit aucunement imputable à Parent et que cet événement a définitivement entraîné une perte de revenus considérable pour Parent sans qu'elle puisse y remédier, cette perte de revenus ne résulte pas d'une faute de Concordia.

[55]         Il n'y a aucune raison de croire que cette rupture de la relation d'affaires entre Concordia et Brault et Martineau (Tanguay) aurait pu être évitée si Parent avait été préalablement informée et consultée.

[56]         Par ailleurs, lorsque le juge de première instance mentionne aux paragraphes 53 et suivants de son jugement que Concordia a agi différemment avec d'autres représentants qu'avec Parent à la suite de la rupture de la relation d'affaires avec Brault et Martineau, il le fait dans le cadre de son analyse des motifs invoqués par Concordia pour résilier son contrat avec Parent.

[57]         Dans l'évaluation des dommages-intérêts, il prend en compte les conséquences des événements du mois de mai 2004 sur les relations entre Concordia et Parent pour conclure que la baisse des ventes par Parent des produits Concordia ne justifie pas la résiliation sans préavis de l'entente liant les parties.  Toutefois, si le juge conclut que cette situation n'est pas imputable à Parent, il n'en conclut pas pour autant que Concordia aurait commis une faute envers Parent.

[58]         Enfin, comme pour évaluer les dommages le juge de première instance retient une période de référence antérieure aux événements de mai 2004, à savoir l'année 2003, il apparaît tout à fait logique qu'il n'accorde pas le montant additionnel réclamé pour perte de revenus étant donné, par ailleurs, qu'il s'agit d'un élément qu'il considère en établissant le montant des dommages qu'il accorde pour compenser le défaut de préavis raisonnable.

E)  La réclamation pour troubles et inconvénients

[59]         L'appelante invoque que le juge de première instance commettait une erreur en refusant de lui accorder une compensation de 10 000 $ pour troubles et inconvénients vu l'attitude désinvolte, cavalière et de mauvaise foi de l'intimée à son égard.

[60]         Le juge de première instance conclut que cette réclamation n'est aucunement justifiée par la preuve administrée.

[61]         L'appelante n'a pas démontré que le juge a commis une erreur manifeste et déterminante dans son appréciation de la preuve à cet égard.

POUR CES MOTIFS, LA COUR :

[62]         ACCUEILLE l'appel à la seule fin de substituer au paragraphe 84 du jugement dont appel la somme de 34 999 $ à celle de 17 000 $;

[63]         REJETTE l'appel incident;

[64]         Avec dépens contre l'intimée et appelante incidente.

 

 

 

 

LORNE GIROUX, J.C.A.

 

 

 

 

 

JEAN BOUCHARD, J.C.A.

 

 

 

 

 

JACQUES VIENS, J.C.A. (AD HOC)

 

Me Éric Savard

Gravel Bernier Vaillancourt

Pour l'appelante / intimée incidente - demanderesse

 

Me Serge Bouchard

Morency, société d'avocats

Pour l'intimée / appelante incidente - défenderesse

 

Date d’audience :

7 avril 2011

 



[1]   E. & S. Salsberg inc. c. Dylex ltd., C.A., Montréal, no 500-09-001584-879 , 3 septembre 1992, j. Chouinard, Rothman et Proulx, AZ-92011893 .

[2]   Jobin c. Bertrand Croft inc., 150-05-000880-973, REJB 2001-23433 (C.S.), district de Chicoutimi.

[3]   Agences Claude Frappier inc. c. Raymond Lanctôt ltée, (C.S., 2009-10-26), 2009 QCCS 4918 , SOQUIJ AZ-50582006 .

[4] Précitée, note 2.

[5] Précitée, note 3.