CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o de dépôt : 2011-9091
Date : 27 septembre 2011
DEVANT L’ARBITRE : M e MARCEL MORIN
syndicat DES EMPLOYÉE DE MAGASINS ET DE BUREAUX DE LA SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC(CSN)
Ci-après appelé « le Syndicat »
ET
SOCIÉTÉ DES ALCOOLS DU QUÉBEC
Ci-après appelée « l’Employeur »
Plaignant(e) : Jean Laplante
Grief : N o du syndicat : Qm2010-15-0379
Nature du grief : Congédiement
Convention collective : 2010-2017
SENTENCE ARBITRALE
(Art.
[01] L'arbitre soussigné a été désigné par les parties pour entendre le présent grief. L'Employeur a soumis une objection, non pas à ma compétence pour entendre et disposer du présent grief, mais quant à la portée de cette compétence, objection dont le tribunal verra à disposer ultérieurement.
LE GRIEF
[02] Le 18 mai 2010, le Syndicat déposait un grief contestant le congédiement du plaignant, Jean Laplante, caissier-vendeur à la succursale de Rivière- du- Loup.
[03] La lettre de congédiement signée par la directrice de la succursale, Madame Ginette Rochefort, se lit ainsi (S-3) :
« Objet : congédiement
Monsieur,
Notre enquête nous a permis de démontrer que le 14 et 21 mars 2010 vous avez enfreint les modalités du programme d'escompte et des procédures de succursale. En fait, le 14 mars, vous avez acquitté votre facture d'employé (escompte) avec une carte de crédit appartenant à une autre personne que vous et avez même signé le nom de ce dernier. Le 21 mars 2010, la COS vous a demandé, lors de vos prochaines emplettes avec votre escompte, d'acquitter vous-même votre facture et de suivre les modalités du programme. Malgré cela, durant cette même journée, vous avez fait acquitter une partie de la facture d'employé (escompte) par une autre personne que vous, et ce, avec une carte de crédit qui ne vous appartenait pas et vous avez fait signer la personne détentrice de cette carte.
De plus, en juillet 2007, nous avons convenu d'une entente avec vous faisant part que vous compreniez et reconnaissiez l'importance de suivre et de respecter toutes les politiques et directives de la SAQ et qu'une récidive en ce sens pourrait entraîner une mesure disciplinaire plus importante allant même jusqu'au congédiement.
Ces manquements aux modalités du programme d'escompte et de procédures de succursale constituent donc une faute grave et le lien de confiance nécessaire au maintien de votre emploi est définitivement rompu. En conséquence, nous sommes dans l'obligation de procéder à votre congédiement.
Cette mesure prend effet immédiatement, soit le 26 avril 2010 ».
LA QUESTION EN LITIGE
[04] Le plaignant a-t-il commis les manquements qu'on lui reproche et, si oui, ces manquements méritent-ils une sanction ? Dans l'affirmative, le tribunal peut-il considérer l'entente intervenue entre l'Employeur, le Syndicat et le plaignant signée le 5 juillet 2007 pour les fins de la détermination de la sanction appropriée en tenant compte de toutes les circonstances de l'espèce ?
LA PREUVE
[05] L'Employeur a fait entendre le plaignant, Monsieur Jean Laplante, Madame Nathalie Paradis, caissière-vendeuse COS, Madame Ginette Rochefort, directrice de la succursale alors que la partie syndicale a fait entendre Madame Maude Murray Bernier, caissière-vendeuse, Monsieur Jonathan Aubé, voisin et ami du plaignant, Monsieur François Breton, ami et colocataire du plaignant, Monsieur Pierre Saint-Laurent, délégué régional du Syndicat et enfin a fait réentendre le plaignant.
[06] Monsieur Laplante est à l'emploi de la Société des alcools du Québec depuis le 29 septembre 2002. Son horaire de travail n'est que de12h à 17h le dimanche puisqu'il a un emploi à temps plein dans un bar de la ville pendant la semaine.
[07] Dans ses fonctions, il exécute les principales fonctions d'un caissier-vendeur soit d'assurer le service à la clientèle et à la caisse. Il a été appelé à remplacer la directrice comme coordonnateur aux opérations (COS) au rythme d'un dimanche sur deux ou sur quatre (E-1). À ce titre, il veille au bon fonctionnement de la succursale en étant alors le bras droit du directeur qui, ce jour-là, est en congé hebdomadaire. Il était alors en charge de la « bureaucratie », de veiller à ce que tout le monde soit à sa place. Il ouvre et ferme la succursale. Il s'assure que les directives et procédures de l'entreprise soient appliquées et respectées. Il doit lui-même les respecter au meilleur de ses connaissances. Dans ce rôle, il se doit d'être un modèle. Comme il ne travaillait qu'à temps partiel, il ne connaissait pas toutes les procédures de l'entreprise mais il se devait d'appliquer celles qu'il connaissait de façon exemplaire.
[08] Son congédiement est motivé par le non-respect de procédures et plus particulièrement de la procédure concernant les achats effectués par les employés SAQ (E-9), procédure prévoyant un programme d'escompte en succursale dont les modalités d'achat apparaissent à la pièce E-10 :
« MODALITÉS D’ACHAT
Programme d’escompte en succursale 2009-2010
En vigueur du 29 mars 2009 au 27 mars 2010
1. Cet escompte doit être considéré comme un privilège personnel. Il ne peut être transféré à aucun autre employé ou à toute autre personne;
2. Les produits achetés ne peuvent faire l’objet de revente;
3. L’employé doit se présenter lui-même en succursale et effectuer ses achats avec discrétion. Il doit fournir son numéro d’employé ainsi qu’une pièce d’identité avec photo et signer la facture. Il ne peut bénéficier ni du service de livraison ni des transferts inter-succursales.
4. L’escompte s’applique sur les produits vendus au prix réguliers et ne peut pas être combiné à aucune autre promotion.
5. L’employé bénéficie de ce privilège dans toutes les succursales du réseau, à l’exception des succursales SAQ Vins en vrac, SAQ Dépôt, SAQ.com et les agences;
6. L’employé ne peut se prévaloir de ce privilège pour des achats faits :
- les 24, 26 et 31 décembre;
- les jeudis et les vendredis après 18h;
- les samedis après 12h;
7. L’employé doit acquitter lui-même la facture :
· Tous les modes de paiement autorisés aux consommateurs sont offerts à l’employé;
· Tout dépassement de la limite maximale d’escompte devra être déboursé par l’employé;
· L’utilisation de l’escompte pour l’achat de cartes-cadeaux n’est pas permise;
8. Tout solde à la fin de l’année financière ne pourra être reporté à l’année financière suivante;
9. La SAQ se réserve le droit d’annuler, en tout temps et sans préavis, ce privilège de façon globale ou individuelle ou encore d’en modifier les modalités
10. Toute de mande de révision au sujet de ce privilège devra être soumise par écrit, soit par télécopieur au (514) 864-3590, à l’attention du Service Rémunération globale et SIRH ou à inforh@saq.qc.ca et ce, avant le 30 avril 2009. »
[09] Monsieur Laplante dit connaître vaguement les modalités de cette politique et se demande même si elle est prévue à la convention collective. Il avait bénéficié de l'escompte depuis son embauche soit 40 % s'appliquant sur des achats en succursales d'un montant égal aux heures travaillées l'année précédente. C'est ainsi que pour l'année financière de 2009-2010, Monsieur Laplante avait droit à des achats de 1 197 $ pour fins de calcul de son escompte (E-2). Cette somme était de 1 031 $ pour l'année 2010-2011 (E-3). Il savait de cette politique que les achats sous escompte devaient être pour son usage personnel, qu'il devait les faire et les payer lui-même.
Le 14 mars 2010
[10] Le plaignant habite avec un colocataire, Monsieur François Breton, cuisinier dans un restaurant de la ville. Il a également un voisin et ami, Monsieur Jonathan Aubé, avec qui il organise régulièrement des repas chez lui le dimanche soir en compagnie de son colocataire.
[11] Le dimanche 14 mars 2010, Monsieur Aubé est venu à la succursale et le plaignant a choisi, dit-il, six ou sept bouteilles de vin alors que la transaction concerne deux bouteilles de vin. Il a fait faire une facture d'employé et, à un moment donné, il s'est rendu compte qu'il n'avait pas en sa possession sa carte de débit. Il n'a pas de carte de crédit. Il devait payer les bouteilles de sorte qu'il a appelé son colocataire pour lui dire qu'il n'avait pas sa carte de débit et qu'elle se trouvait sur le comptoir de la cuisine ou dans sa chambre à coucher. Vers 16h, il a rappelé Monsieur Aubé pour lui dire qu'il n'avait pas sa carte de débit. Ce dernier devait venir le chercher à la succursale car le plaignant n'a pas de voiture et son appartement est situé à environ 10 km de la succursale.
[12] L'heure de la fermeture approchait et Monsieur Laplante n'avait toujours pas reçu sa carte de débit. À l'arrivée de ses amis à la succursale, la porte de l'entrée était barrée et Madame Paradis se tenait à côté de la porte pour la fermeture. Monsieur Aubé a voulu entrer par la porte de sortie.
[13] Le plaignant relate que Jonathan Aubé lui a remis sa propre carte de crédit devant Madame Paradis. Il a vu Jonathan s'entretenir avec cette dernière mais ne sait pas ce qui s'est dit. Jonathan lui a dit d'utiliser sa carte pour payer la transaction.
[14] Monsieur Laplante s'est ensuite rendu à la caisse de Sébastien Dubé pour payer la transaction et celui-ci a passé la carte de crédit. Le plaignant lui a demandé s'il devait signer son nom ou celui de Jonathan Aubé, le caissier lui répondant de signer du nom de Jonathan en lui précisant que tout le monde fait cela et que lui-même le faisait avec la carte de son amie. Le plaignant était mal à l'aise d'utiliser la carte de Jonathan. Il ne croyait pas contrevenir à la politique mais pouvait croire que cela pouvait entraîner des conséquences telles un avis disciplinaire. Pour lui, c'était un prêt lorsqu'il a payé avec la carte de crédit de Jonathan Aubé. C'était le seul moyen de sortir les bouteilles de la succursale. Il ne pouvait les payer ultérieurement.
[15] Lorsqu'il a payé à la caisse, Nathalie Paradis était placée derrière les caisses. Il en a été question entre Sébastien Dubé, Madame Paradis et lui-même. Madame Paradis a dit : « Vous ne devriez pas faire ça, les gars, vous allez en entendre parler », mais la transaction était déjà faite lorsqu'elle a dit cela. Monsieur Laplante reconnaît qu'il n'aurait pas dû faire cette transaction. Ultérieurement, Jonathan Aubé lui a précisé que Madame Paradis était au courant qu'il s'agissait de sa carte de crédit.
[16] La transaction est de 14. 91 $ (E-4) et concerne deux bouteilles (E-5).
[17] Entre le 14 et le 21 mars 2010, Monsieur Laplante n'a jamais vu la politique d'achat pour les employés et s'il y en a une qui a été mise dans son pigeonnier, il n'en a pas pris connaissance.
[18] Le 14 mars 2010, Madame Paradis agissait à titre de COS et remplaçait la directrice. Elle devait voir au bon respect des politiques. Elle connaît bien la politique d'escompte accordée aux employés. Cette politique s'applique du 1er avril aux 31 mars de l'année suivante. Après avoir choisi des produits en vente dans la succursale, il est nécessaire de se faire faire une facture d'employé et, par la suite, la transaction est complétée à la caisse par le paiement effectué par l'employé lui-même.
[19] Les modalités d'achat sont communiquées aux employées par lettre. Elle est affichée dans la salle des employés sur le babillard et aux postes de travail. Elle a également été déposée dans le pigeonnier de chaque employé.
[20] Le 14 mars vers 14h, tout le monde était sur le plancher des ventes. Elle a constaté que Monsieur Laplante conseillait l'un de ses amis puisque le visage de ce dernier lui était familier. Monsieur Laplante s'est fait faire une facture d'employés vers 15h par Josée Nadeau.
[21] Vers 16h50, Madame Paradis se rend dans l'entrepôt pour faire la vérification des portes et fermer les lumières en vue de la fermeture de la succursale à 17h. À son retour dans l'aire de vente, elle voit Monsieur Laplante qui passe à la caisse et il lui semble très nerveux. Monsieur Laplante se promenait et se frottait la tête. Il est alors 17h. Elle se rend barrer la porte d'entrée. Un client est présent en succursale. Une auto arrive dans le stationnement et Monsieur Laplante lui fait signe que cette personne a une carte dans la main et lui dit que c'est un de ses amis. Celui-ci remet une carte à Jean Laplante. Cet ami n'a rien dit à Madame Paradis. Elle l'a reconnu puisque c'était la même personne que Monsieur Laplante avait conseillée plus tôt. On ne lui alors pas dit pourquoi il passait une carte. Par la suite, Monsieur Laplante s'est rendu à la caisse de Sébastien Dubé pour payer la transaction. Monsieur Laplante lui paraissait tellement nerveux qu'il y avait quelque chose qui ne fonctionnait pas. Elle attendait que le plaignant quitte la succursale. Elle n'a fait aucune vérification à la suite de l'achat de Monsieur Laplante mais elle a demandé à Sébastien Dubé, après le départ du plaignant, avec quelle carte il avait payé et le caissier lui a répondu que c'était avec une carte de crédit. Après quoi elle ferme la succursale.
[22] Le mardi suivant, 16 mars 2010, elle appelle Madame Rochefort pour faire son rapport de COS sur la fin de semaine. Elle demande à Madame Rochefort de vérifier les factures et lui explique la situation concernant Monsieur Laplante, lui précisant l'heure de la transaction. De fait, Madame Rochefort a vérifié et il appert que Monsieur Laplante avait utilisé une carte de crédit qui n'était pas la sienne et avait même signé le nom du propriétaire de la carte. Pour elle, il s'agit d'une fraude et cela contrevenait à la procédure.
[23] Madame Paradis précise que l'entreprise venait de renouveler la politique d'escompte pour la prochaine année. Elle avait reçu une lettre à la maison à cet effet, lettre qui était également affichée au babillard et qui a été mise dans le pigeonnier de chacun des employés.
[24] Madame Rochefort témoigne que la politique d'escompte pour les employés existe depuis de très nombreuses années. Pour des employés à temps partiels, ils reçoivent une lettre à la maison en mars les informant du maximum d'achat permis en vertu de cette procédure. Ce privilège est personnel à l'employé et ne peut être utilisé par d'autres membres de la famille ou des amis. D'ailleurs, elle a affiché cette politique sur le babillard et en a mis une copie dans le casier de chaque employé. Elle parlait de cette politique lors des « flashs meeting » et demandait à son COS de faire le point sur chacun de ses « flashs meeting ». Elle confirme avoir reçu l'appel de Madame Paradis le 16 mars lui demandant de vérifier la facture de Monsieur Laplante car elle considérait que quelque chose de suspicieux s'était produit lorsqu'il a acquitté sa facture. De fait, la facture avait été acquittée par une carte de crédit appartenant à Monsieur Jonathan Aubé. Elle comprenait que Monsieur Laplante ne s'était pas acquitté personnellement de cette facture de sorte qu'il s'agissait d'une infraction à la politique voulant que l'on doive s'acquitter soi-même de la facture. Elle a dit à Madame Paradis de s'assurer que Monsieur Laplante comprenne bien la procédure. Elle ne voulait pas faire une enquête pour le premier incident. Elle n'a pas alors regardé le dossier personnel de l'employé mais seulement la transaction faite par celui-ci.
[25] Monsieur Jonathan Aubé est le voisin d'en face de Monsieur Laplante et a déjà travaillé avec lui dans une autre entreprise. Il a, avec celui-ci, des activités culinaires. C'est Jean Laplante qui apporte le vin.
[26] Le 14 mars 2010 il s'est présenté à la succursale où travaille Jean Laplante et a fait avec celui-ci des choix de vins. Il précise qu'il n'avait pu entrer plus tard dans la succursale et n'avait pas retrouvé la carte de débit du plaignant qui avait appelé son colocataire. Il a voulu payer en lui prêtant sa carte et l'on devait s'arranger par la suite.
[27] Contre interrogé, Monsieur Aubé n'a pas souvenir d’être venu choisir du vin en après-midi du 14 mars. Il n'avait pu entrer dans la succursale lorsqu'il est venu chercher son ami. Il a décidé d'acquitter la facture. Le colocataire de Jean Laplante attendait dans la voiture et on était sur le point de fermer la succursale. La porte d'entrée était déjà barrée et il a voulu entrer par la porte de sortie. Il suppose que la dame qui était à la porte devait savoir. Jean Laplante est venu le voir et il lui a remis sa carte de crédit. On devait s'arranger ensemble par la suite.
[28] Monsieur François Breton, colocataire et ami du plaignant se souvient que ce dernier a appelé pour avoir sa carte de débit, carte qu'il n'a pas retrouvée. Il s'est rendu avec Jonathan Aubé à la succursale et l'on est arrivé à l'heure limite. Jonathan Aubé s'est rendu à la porte et au retour on avait le vin.
[29] Contre interrogé, il dira ne pas avoir magasiné le vin ce jour-là mais on s'en était parlé au téléphone et l'on savait ce qu'on voulait. De fait, Jean Laplante l'a appelé pour sa carte de débit. Il ne s'est pas rendu dans la chambre à coucher du plaignant pour vérifier si elle y était. Il précise que c'est avec Jonathan Aubé que le paiement s'est réglé lors du même appel téléphonique. Par la suite, Jonathan lui a dit qu'on allait chercher le vin. Il s'attendait à ce que Jonathan s'occupe du paiement du vin. Ce dernier a remis sa carte à Jean. Il s'inquiétait si l'on aurait ou non du vin. Il précise enfin qu'il n'y a pas eu de discussion concernant le paiement du vin puisqu'on s'arrange entre nous.
[30] Entre 14 et le 21 mars, Monsieur Breton n'a pas souvenir que son colocataire lui ait parlé de problèmes concernant l'achat du vin.
Le 21 mars 2010
[31] Le 21 mars 2010 constitue le quart de travail suivant de Monsieur Laplante. La COS est Madame Paradis. Monsieur Laplante est arrivé à 11h55. Madame Paradis a fait deux mentions de rappel de la politique d'escompte, une fois dans le bureau. Elle a dit à Monsieur Laplante qu'il devait payer sa facture lui-même car elle savait ce qui s'était passé la semaine d'avant. La deuxième fois, Monsieur Laplante était assis à un poste de travail pendant que les employés allaient chercher leur tiroir-caisse. Elle lui a dit au début de son quart de travail lorsqu'il attendait pour prendre sa caisse : « Jean, tes Ostie de crosses comme la semaine passée, ça marche pas ». Le plaignant lui a répondu « oui, oui, oui ». Monsieur Laplante dira avoir été surpris que Madame Paradis lui parle de la transaction de la semaine précédente. Il s'agissait d'un emprunt et pour le 14 mars il croit avoir agi correctement. Il savait qu'il devait payer lui-même mais il a payé avec la carte de quelqu'un d'autre soit avec celle de Jonathan Aubé, mais il a par la suite remboursé celui-ci d'une façon ou d'une autre. La COS était en autorité et ne pouvait lui remettre une mesure disciplinaire.
[32] Monsieur Laplante relate que vers 13h30, Madame Paradis lui a précisé que la politique d'escompte est pour usage personnel et que seulement les employés ont droit à cet escompte. Sébastien Dubé dit qu’il était présent et a été témoin de cela. Monsieur Laplante a alors expliqué à Madame Paradis qu'il s'agissait d'un emprunt mais que les bouteilles de vin avaient été achetées pour lui. Il a compris qu'il devait payer lui-même ses bouteilles lorsque c'était des bouteilles achetées avec un escompte. Il ne se souvient pas que Madame Paradis lui ait dit : « Tes maudite crosses... ». Toutefois, il n'avait pas considéré ces propos importants.
[33] Le 21 mars 2010, Monsieur Laplante précise qu'il lui restait 20 $ d'escompte en vertu de la politique d'escompte pour les employés. Il n'avait pas vérifié l'exactitude de ce montant. Vers 15h, Jonathan Aubé et François Breton sont venus à la succursale. Il est toutefois possible qu'il soit arrivé plutôt à 16h30. C'était le choix de vins en vue de fêter l'anniversaire de François Breton. C'est ainsi qu'il s'est choisi trois bouteilles pour lui et le reste des bouteilles Jonathan s'est porté volontaire pour les payer. Il a fait le choix des bouteilles pendant son quart de travail puisque c'était assez tranquille dans la succursale. Au total, sept bouteilles ont été achetées et les sept bouteilles ont été placées sur sa facture d'employé. C'est Caroline Pelletier qui a fait la facture au service à la clientèle. Par la suite, il a passé la transaction à la caisse de Maude Murray Bernier. De fait, c'est quatre bouteilles de vin et une bouteille de Brandy qui ont été achetées ce jour-là (E-6) pour un montant total de 57,95 $ après escompte de 14 $. Pourtant, 40 % de 71,95 $ c'est 28 $. Ainsi, il se pourrait qu'il n'ait pas payé la totalité de l'escompte. Rendu à la caisse, Monsieur Laplante a utilisé trois modes de paiement : une carte cadeau de 25 $, 4,25 $ en monnaie et Jonathan Aubé a sorti sa carte de crédit pour une somme de 28,70 $ pour payer sa contribution (E-7). Il ne se rappelle pas s'il avait sa carte de débit. Toutefois, il avait assez d'argent pour payer toute la facture. Il précise que ses amis étaient là lorsqu'il a payé. Ils n'ont pas quitté la succursale pour revenir plus tard. Jonathan Aubé avait proposé de payer et compte tenu que lui-même avait payé toute la nourriture, il considérait qu'il s'agissait d'un beau geste de sa part.
[34] Monsieur Laplante ne croit pas avoir contrevenu à la politique puisqu'il a payé son escompte. La partie payée par Jonathan Aubé ne bénéficie pas d'escompte. S'il lui restait 35 $ d'escompte au lieu de 20 $ il ne croit pas avoir enfreint la politique car c'était pour des achats personnels et c'était à lui de les payer. Le fait de payer avec la carte de crédit d'un autre n'était pas correct mais il ne croyait pas que cela contrevenait à la politique.
[35] Après avoir entendu témoigner Madame Paradis, Monsieur Laplante dira que pour le 21 mars, pendant qu'il choisissait le vin avec ses deux amis, il est faux de dire que Jonathan Aubé ait dit qu'il en paierait une partie. Cette offre n'est survenue que lors du paiement. Il avait l'argent nécessaire et il restait 28 $ d'escompte alors qu'il avait payée de ses deniers pour plus que nécessaire pour afin de couvrir ses achats. Il a alors eu la réflexion qu'il était correct avant de passer à la caisse. Ce n'était nullement prémédité. Pendant le magasinage des vins il n'a nullement été question de qui paierait quoi. À la caisse, Jonathan Aubé s'est proposé et il ne s'est pas objecté. Pourtant il avait tout l'argent nécessaire sur lui et aurait dû payer. Il est possible que ce même jour il ait remis la carte de crédit de Jonathan Aubé à la caissière mais il avait sur lui sa carte de débit. Il ajoute qu'il est fréquent qu'il utilise la monnaie qu'il a sur lui pour payer avant d'utiliser sa carte de débit. De même, après avoir entendu ses deux amis il est possible qu'ils soient restés dans la succursale jusqu'au départ. Il précise que le 21 mars il ne s'est pas caché et ne croyait pas avoir fait d'erreur à cette date mais admet avoir en avoir fait une le 14 mars. Il reconnaît maintenant qu'il s'agit pour le 21 mars d'une erreur mais que celle-ci ne mérite nullement le congédiement.
[36] Madame Paradis relate que le 21 mars, Jean Laplante a conseillé le même client que la semaine précédente et ce au début de l'après-midi. Elle a ensuite vu le plaignant se faire faire une facture d'employé par Gilles Côté,un collègue de travail, et a ensuite vu Jonathan Aubé quitter la succursale. Le plaignant ne va pas payer sa facture tout de suite à la caisse. À la fin de la journée, Pierre Rehel, un employé de la SAQ, vient lui dire que Jean Laplante s'est fait faire une facture et qu'il est en train de passer à la caisse. Elle ne lui avait pas demandé de surveiller le plaignant. Elle retournera dans l'aire de vente et elle constate que le plaignant est avec deux de ses amis à la caisse de Maude Bernier. Elle porte attention sur la façon dont la transaction va être payée. Elle y voit de l'animosité et des échanges de regards. En effet, lorsque que Monsieur Laplante a payé sa facture il l'a regardée et elle faisait de même. Monsieur Laplante avait l'air mal à l'aise. La transaction se fait et tout le monde s'en va. Elle demande à Madame Bernier la façon dont le plaignant a payé cette transaction. Elle lui répond qu'il y a eu trois modes de paiement soit comptant, carte cadeau et carte de crédit. Elle demande à qui appartient la carte de crédit et elle lui répond qu'il s'agit de celle de Jonathan Aubé. Madame Bernier confirme la façon dont c'est déroulé la transaction à sa caisse. Elle précise qu'elle n'avait pas fait attention au titulaire de la carte de crédit. En effet, Monsieur Laplante a remis le document de transaction de carte de crédit à son ami qui l'a signé. Mme Bernier ne se souvient pas avoir entendu une conversation entre Monsieur Laplante et son ami. C'est son erreur d'avoir passé la carte d'un autre que celle de Monsieur Laplante. Madame Bernier dira qu'elle n'était pas au courant de la procédure d'escompte pour les employés dans tous ses détails. Madame Paradis a ensuite transmis l'information à la directrice le mardi 23 mars suivant.
[37] Madame Paradis précise que dans l'après-midi elle n'a pas eue d'autre échange avec Monsieur Laplante. Elle reconnaît qu'il y a beaucoup de procédures à la caisse soit de 30 à 40.
[38] Monsieur Aubé témoigne que le 21 mars il est entré à la succursale et a sélectionné des vins pour la soirée en compagnie de Jean Laplante. Ce dernier a acquitté les bouteilles et les a apportées avec lui alors qu'on l'attendait dans le stationnement. Il arrivait fréquemment que Messieurs Aubé, Breton et Laplante soupent ensembles. C'était d'ailleurs la fête de François Breton et l'on était cinq pour le souper. Jean Laplante devait se faire faire une facture d'employé mais il ne sait pas à combien s'élève le rabais dont il bénéficie. M Aubé a acheté des vins sans l'intervention de Jean Laplante. Questionné s'il s'était entendu sur la façon de payer, Monsieur Aubé dira qu'il payait avec sa carte et il était convenu qu'il allait en payer en partie. D'ailleurs, il a remis lui-même la carte au caissier et a signé le récépissé. Cette transaction serait survenue vers la fin de l'après-midi et l'on aurait attendu le plaignant pour lui donner un « lift ». Jean Laplante devait le rembourser par la suite. Ce n'était pas prévu d'avance. Jean Laplante a probablement dit qu'il n'avait pas assez d'argent. Il précise n'avoir pas été remboursé le soir même mais plus tard.
[39] Monsieur Breton précise qu'on a fêté son anniversaire ce jour-là. Le vin était apporté par Jean Laplante et le témoin préparait le repas. C'est dans le milieu de l'après-midi qu'il est passé avec Jonathan Aubé à la succursale pour choisir les vins selon les conseils de Jean Laplante. Comme c'était son anniversaire, ses deux amis ne voulaient pas qu'il paie. En fin d'après-midi, ils sont revenus chercher Jean Laplante. Par la suite, Monsieur Breton a fini par savoir ce qui était arrivé à son colocataire qui a été congédié. Il lui arrivait de lui prêter de l'argent. Lors du paiement à la caisse, il se souvient que Jean Laplante avait une carte cadeau et Jonathan Aubé une carte de crédit. Il s'est rendu par la suite directement dans la voiture. Comme il avait de l'argent dans ses poches, il a même offert de payer.
[40] Après avoir été informée par Madame Paradis de la transaction du 21 mars, Madame Rochefort a rencontré Madame Paradis, Sébastien Dubé, Maude Bernier et Monsieur Laplante pour avoir sa version. Ce dernier était accompagné de Monsieur Jacques Saint-Laurent, délégué syndical alors qu'elle-même était en présence de Monsieur Jacques Michaud pour toutes les entrevues.
[41] C'est le 11 avril 2010 qu'elle a rencontré Monsieur Laplante. Sachant qu'il avait été avisé suite à la transaction du 14 mars et qu'il avait récidivé le 21 mars, son lien de confiance était rompu. En effet, Monsieur Laplante avais déjà fait l'objet d'un congédiement et à la suite d’une entente (E-8) ce congédiement a été transformé en une suspension de six mois. Elle ne sait toutefois pas jusqu'à quand la suspension a eu lieu mais c'est aux environs de deux ans. Les ressources humaines ne lui ont pas mentionné une autre mesure sauf la suspension de six mois. Madame Paradis n'a pas eu de mesure disciplinaire. Elle a fait part de ses doutes à sa directrice mais n'était pas certaine de sorte qu'elle a agi correctement. Lors de son contre-interrogatoire, la partie syndicale a fait déposer les documents : Éthique de vente.
[42] (S-6-A) et les procédures de succursale (S-6-B). Tous ces documents sont disponibles sur le site intranet de la Société. Le tribunal est à même de constater qu'il s'agit d'une documentation comprenant de très nombreuses pages.
[43] Monsieur Laplante dira que lorsqu'il a été rencontré le 11 avril 2010 par Madame Rochefort il était accompagné par Monsieur Saint-Laurent. On lui a posé des questions auxquelles il a répondu. Il n'avait pas le droit de parole. On lui a demandé s'il avait contrevenu à la politique de la Société le 21 mars mais ce n'était pas une erreur. Il avait acquitté son escompte personnel. Il aurait dû refuser à Jonathan Aubé de payer le solde de la transaction avec sa carte de crédit. C'était une erreur. Toutefois, cette erreur ne mérite pas un congédiement. Lorsqu'il n'y a plus d'escompte, n'importe qui peut payer ses achats. Bien qu'il ait un pigeonnier dans la succursale, il n'y va pas sauf pour aller chercher ses bordereaux de payes. Cette rencontre a duré environ dix minutes .Il aurait aimé élaborer plus mais il n'a pas eu l'occasion de le faire. Il n'a jamais nié les faits qu'on lui a reprochés et n'a pas eu l'occasion d'émettre des regrets.
[44] Madame Rochefort a également rencontré Sébastien Dubé, le caissier lors de la transaction du 14 mars 2010. Ce dernier a reçu un avis disciplinaire (E-12) alors qu'il avait un dossier disciplinaire vierge. Madame Bernier, caissière lors de la transaction du 21 mars, a elle aussi reçu un avis disciplinaire (E-14).
[45] Comme mentionné précédemment, l'Employeur a indiqué à l'arbitre qu'il avait une objection quant à la portée de sa compétence, et ce, en regard d'une lettre d'entente signée par le plaignant le 5 juillet 2007 (E-8). Il ressort de cette lettre d'entente que Monsieur Laplante a été congédié le 27 juillet 2006 pour le motif d'avoir enfreint les procédures en succursale. Plus précisément, il a dissimulé un écart de caisse sur plusieurs semaines. Il a reconnu son manquement et confirme qu'il désire se conformer aux procédures en vigueur à la Société des alcools du Québec.
[46] Dans son témoignage, Monsieur Laplante dira avoir déjà eu une mesure disciplinaire. Il n'a jamais été congédié avant mais suspendu. Il a fait une erreur qui a entraîné son congédiement qui s'est réglé par une suspension de six mois, lettre d'entente qu'il regrette d’avoir signée. Il ne croyait pas avoir enfreint les procédures. Il avait oublié de balancer sa caisse mais il a reconnu avoir enfreint les procédures de caisse. Il croyait qu'après avoir signé une telle lettre d'entente celle-ci serait effacée de son dossier après six mois. Il croyait que son dossier redevenait vierge mais ça ne lui donnait certes pas le droit de contrevenir aux politiques pour autant. Il dira avoir signé cette lettre d'entente avec beaucoup de regrets et c'était le meilleur moyen de revenir au travail le plus rapidement possible. Il précise que lors de la formation qu'il a reçue on ne lui a pas dit de faire un dénombrement. C'était une erreur. Il ne travaillait que cinq heures par semaine seulement depuis quelques mois. Il n'avait pas fait la grève en 2004 et est considéré comme la source du conflit à la succursale. Il reconnaît avoir fait ce qui est mentionné au premier attendu de la lettre d'entente :
« Attendu que : M. Laplante a été congédié en date du 27 juillet 2006 pour le motif d'avoir enfreint les procédures de succursale en omettant volontairement de déclarer un écart de caisse et en tentant de dissimuler ledit écart sur plusieurs semaines; »
[47] De fait, il a dissimulé un écart de caisse de 25 $ et il s'est fait reprocher de l'avoir volé. Il a commis une erreur de bonne foi. Il aime son travail et est prêt à le reprendre. Il reconnaît l'importance de respecter les politiques de l'Employeur. Cet écart de caisse, c'était un manque de 25 $ dans sa caisse, manque qui s'est reproduit sur quelques semaines. Il attendait pour voir ce qui était arrivé, mais il admet qu'il aurait dû le déclarer tout de suite. Il a cru que peut-être un client viendrait lui dire avoir reçu 25 $ de trop !
[48] Monsieur Pierre Saint-Laurent, à titre de délégué régional du Syndicat, précise que les nouveaux employés ont 20 heures de formation mais ce n'est pas uniforme. Dans ces 20 heures, il donne une heure de formation syndicale.
[49] En regard des nombreuses politiques et procédures déposées en S-6, il précise qu'un employé doit connaître les politiques de la Société des alcools du Québec. Toutefois, ça prend beaucoup de temps pour prendre connaissance de telles procédures. Il connaît assez bien la politique d'escompte aux employés et ajoute que cette politique n'est pas vraiment appliquée textuellement.
[50] Monsieur Saint-Laurent a été présent lors de l'interrogatoire de certains salariés et du plaignant. Depuis 2006, il y a eu des mesures sur la politique S-6 pour oubli de payer avant de partir. Le cas de Monsieur Laplante est le premier cas sur les règles de la politique d'escompte applicable aux employés et d'autres sont survenus par la suite.
[51] Contre interrogé, Monsieur Saint-Laurent dira que sa connaissance de cette politique d'escompte veut que le salarié doive payer lui-même mais il a déjà vu la conjointe d'un employé venir chercher les produits. Il reconnaît que des mesures disciplinaires ont été prises dans d'autres secteurs sur cette politique d'achat des employés.
ARGUMENTATION DES PARTIES
PATRONALE
[52] Suite à la lettre d'entente signée le 5 juillet 2007 (E-8) l'Employeur soumet que la compétence de l'arbitre voit sa portée limitée par les termes mêmes de cette entente. En effet, Monsieur Laplante a été congédié le 27 juillet 2006 pour le motif d'avoir enfreint les procédures en succursale. Plus précisément, il a dissimulé un écart de caisse sur plusieurs semaines. Il a reconnu son manquement et a confirmé qu'il désire se conformer aux procédures en vigueur à la SAQ et en conséquence, la Société accepte de substituer au congédiement de Monsieur Laplante une suspension de six mois. Monsieur Laplante comprend et reconnaît l'importance de suivre et de respecter toutes les politiques et directives de la SAQ. Il reconnaît que le non-respect d'une politique ou d'une directive de la SAQ pourra entraîner son congédiement. La clause 7 de cette entente précise qu'advenant un grief contestant une mesure disciplinaire en lien avec les événements cités à la lettre d'entente, l'arbitre de grief sera lié par cette entente. En conséquence, la SAQ soumet que la compétence de l'arbitre se limite à prendre acte de la lettre d'entente, de reconnaître que Monsieur Laplante a été congédié pour le motif d'avoir enfreint les procédures de succursale et se déclarer lié par la lettre d'entente et en conséquence, de rejeter le présent grief.
[53] Le syndicat soutient que la lettre d'entente est obsolète et pour ce faire il réfère à la clause d'amnistie de six mois prévus à la convention collective, clause 21.05 qui se lit ainsi :
« 21.05 toute mesure disciplinaire versée au dossier d'un employé est prescrite après une période de six (6) mois, sauf s'il y a eu mesure disciplinaire pour une offense similaire durant ladite période. »
[54] Or, la lettre d'entente ne donne aucune limite la portée des clauses 5 et 6 qui se lisent ainsi :
« 5. L'employé comprend et reconnaît l'importance de suivre et de respecter toutes les politiques et directives de la SAQ;
6. Le non-respect de la clause ci-haut énoncée pourra entraîner une mesure disciplinaire plus importante allant jusqu'au congédiement; »
[55] Le procureur de la SAQ soumet que la lettre d'entente est valide et applicable pendant toute la relation d'emploi entre la SAQ et Monsieur Laplante, ou à tout le moins pendant un délai raisonnable tel que défini par la jurisprudence citée, ce qui est respecté en l'espèce.
[56]
La lettre d'entente constitue un
accord particulier en lien avec un cas d'espèce précis. La convention
collective constitue un contrat de travail collectif et général. Or, il est
reconnu par la doctrine et la jurisprudence que l'application particulièrement l’emporte
sur l'application générale : François Gendron, l'interprétation des contrats,
Montréal, éditions Wilson et Lafleur Ltée, 2002, page 78. Quant à l'utilisation
du verbe « pourra » à la clause 6 précitée, l'arbitre Diane Fortier dans la
sentence : Union des routiers, brasseries, liqueurs douces et ouvriers de
diverses industries, section locale 1999 (Teamsters Québec) et Loews Hôtel
Vogue,
« (166) Comme le soulignaient les arbitres dans les affaires citées par la partie patronale, lorsqu’une entente de « dernière chance » intervient entre l'employeur, le syndicat et un salarié, tous y sont liés, y compris l'arbitre s'il y a contestation. Ce type d'entente, comme le mentionne la pièce P-3, constitue une transaction au sens du Code civil. Autant l'arbitre n'a pas le droit de modifier les dispositions d'une convention collective qui contient la volonté des parties, autant il doit respecter leur volonté dans leurs transactions.
(167) La partie syndicale a plaidé que l'utilisation par les parties des termes « pourra signifier son congédiement » laisse à arbitre la possibilité d'intervenir puisque la sanction n'est pas automatique et, qu'en conséquence, la juridiction prévue au Code du travail n'est pas restreinte ni limitée.
(168) Avec respect, je ne peux souscrire à cette interprétation. Je crois, au contraire, que cette entente confère automatiquement à l'employeur une discrétion de sévir et de congédier. La disposition au paragraphe 4 de P-3 indique que le salarié a accepté à l'avance que, s'il y avait manquement de sa part, l'employeur pouvait le congédier. Il m'apparaît clair que les parties ont convenu que cette discrétion appartenait exclusivement à l'employeur. Ce terme « pourra » comporte cet aspect discrétionnaire et ne contient aucune réserve.
(169) Cette entente P-3 n'est pas simplement une substitution d'une suspension à un congédiement. Elle est aussi une entente de réintégration conditionnelle. Si les conditions ne sont pas respectées, il n'y a plus de réintégration. C'est ce que les parties ont convenu au paragraphe 4, et je n'ai pas le droit de modifier cette équation.
(170) Mon rôle se limite donc à déterminer, selon la preuve soumise, si le plaignant a contrevenu à ses engagements. S'il a respecté les conditions, la réintégration conditionnelle continue. Sinon, elle n'existe plus compte tenu des termes de la transaction.
(...)
(182) Même si je retenais l'interprétation restrictive de cette entente P- 3 amenée par la partie syndicale, et que j'en venais à la conclusion que j'ai toujours le pouvoir d'intervenir, ce que je ne dis pas, il est loin d'être sûr que je modifierais la décision de l'employeur.
(183) Le plaignant détenait très peu d'ancienneté; il a subi une suspension de trois (3) jours et une autre convenue entre les parties de sept (7) mois. Il y a, me semble-t-il, une limite à la gradation des sanctions. Les événements des 25 et 26 novembre 2000 me paraissent correspondre à la théorie de l'incident culminant.
(184) Quoi qu'il en soit, j'estime que l'entente P-3 ne m’autorise pas à m'immiscer dans les accords des parties et à les modifier. Dans un cas semblable, je dois déterminer si oui ou non, le plaignant a respecté ses engagements. La preuve a démontré que non. »
[57]
Malgré l'absence de durée dans
l'entente, la jurisprudence arbitrale a décidé que de telles ententes doivent
recevoir application pour un délai raisonnable. C'est ainsi que dans la
sentence : Travailleuses et travailleurs unis de l'alimentation et du
commerce, section locale 501 - FTQ et Leblanc et Lafrance Inc.,
[58]
Le procureur de l'Employeur soumet que
le plaignant n'a pas respecté la politique d'escompte applicable aux employés
de sorte que le tribunal doit donner plein effet à l'entente intervenue en
juillet 2007. Il cite à l'appui de son argument la sentence de Me Jean M.
Morency dans : Métallurgistes unis d'Amérique, section locale 7287 et
Pélomart Inc.,
« Comme la jurisprudence l'a reconnu à maintes reprises, l'employeur qui a des valables motifs de discipliner à nouveau un employé, peut invoquer l'engagement pris pour imposer la sanction prévue à l'entente ou à l'engagement pris antérieurement. Le plaignant a perdu les bénéfices de la « dernière chance » qui lui avait été accordée en agissant comme il l'a fait le 29 mars 2003 et il n'y a pas de raison de ne pas donner plein effet à l'engagement pris. »
[59] Lors de son témoignage à la première journée d'audience, Monsieur Laplante a témoigné sur les écarts de caisse et a dit avoir fait une erreur de jugement. Il regrettait d'avoir signé cette lettre d'entente. En regard des manquements des 14 et 21 mars 2010, il prétend la même chose aujourd'hui : une erreur de jugement. Il manque de sérieux lorsqu'il est temps d'apprécier ses gestes. Pourtant il avait pris l'engagement de respecter toutes les politiques et directives de la SAQ. Il ressort de la preuve qu'il admet avoir contrevenu à la politique les 14 et 21 mars de sorte que l'Employeur avait discrétion pour appliquer la clause 6 de cette entente.
[60] Le Syndicat est en désaccord et plaide que l'arbitre ne peut tenir compte de la lettre d'entente de 2007 en raison de la clause d'amnistie et du fait que la lettre d'entente ne peut être invoquée. Il s'agit d'un argument irrecevable. La lettre d'entente est un engagement contractuel, tripartite qui s’écarte de la convention collective de sorte qu'elle ne comporte pas de délai, pas de limite dans le temps. Un tribunal d'arbitrage ne peut modifier cette entente. Le tribunal n'a pas compétence pour ajouter à cette lettre d'entente.
[61] Subsidiairement, la clause 21.05 de la convention collective précise qu'il s'agit d'une mesure disciplinaire qui est effacée. Il s'agirait d'une suspension de six mois mais la lettre d'entente c'est beaucoup plus qu'une suspension de six mois, c'est un contrat, un engagement et une telle entente n'est pas visée par la clause d'amnistie. À tout le moins, cette lettre d'entente peut être invoquée dans un délai raisonnable ce qui est le cas en l'espèce. Ainsi, il n'est pas déraisonnable de tenir cette lettre d'entente en vigueur deux ans et neuf mois après les événements de sorte que le congédiement n'est pas déraisonnable, Monsieur Laplante étant au courant de la politique.
[62] Après avoir résumé la preuve sur le fond, il en ressort que Monsieur Laplante ne connaissait pas toutes les procédures de la SAQ mais celles qu'il connaissait, il devait les appliquer de façon modèle. Il connaissait la politique sur les achats effectués par les employés de la SAQ. Lorsqu'il dira qu'il se doutait qu'il pouvait y avoir des conséquences mais pas au point d'être congédié, Monsieur Laplante savait qu'il pourrait y avoir un avis disciplinaire, ou une autre mesure. À chaque fois il a, dit-il, hésité avant d'utiliser la carte de crédit de son ami Jonathan Aubé. De toute façon, il a contrevenu à la politique d'escompte en succursale en pleine connaissance de cause étant même prêt à assumer les conséquences qui en résulteraient. Il a voulu tester l'Employeur pour voir son niveau de tolérance. Ainsi, un salarié qui a déjà été congédié pour manquement aux procédures et qui est signataire d'une lettre d'entente ne commet simplement pas une erreur de jugement lorsqu'il contrevient sciemment de nouveau à une procédure de la SAQ.
[63] D'une part, la preuve a démontré que le plaignant s'est fait rappeler la procédure applicable lors de la révision annuelle de l'escompte en succursale. Il a reçu de la correspondance à cet effet qu'il dit ne pas avoir lu. D'autre part, il y a des « flashs meeting » qui sont effectués par la directrice et par la COS. Cette dernière a rencontré le plaignant le 21 mars 2010 dans le bureau de la directrice pour lui rappeler le respect de cette procédure et un peu plus tard dans un langage imagé faisant référence à la façon dont cela s'était déroulé le dimanche précédent.
[64] Ainsi, du témoignage de Monsieur Laplante, celui-ci prétend avoir simplement commis une erreur, laquelle a mené à son congédiement, puis finalement à la signature d'une d'entente et une suspension de six mois. Il a simplement commis une erreur le 14 mars 2010 et également simplement commis une erreur le 21 mars 2010. Donc, il ne reconnaît aucunement l'importance de suivre les procédures en succursale et les conséquences qui peuvent entraîner le défaut de suivre celles-ci, croyant avoir toujours le droit à une nouvelle chance.
[65]
La jurisprudence arbitrale traite du
non-respect des procédures dans les sentences suivantes : Gagné et Teinturerie
Française division de Lumax Inc., DTE 87 T-743 et Dubé et Zeller's Inc.,
[66] En considérant l'engagement pris par Monsieur Laplante dans la lettre d'entente, le manquement du 14 mars 2010 à la politique d'escompte en succursale qu'il connaissait, le rappel de cette politique par Madame Paradis le 21 mars 2010, le plaignant a malgré tout manqué de nouveau à la politique d'escompte le 21 mars 2010. Or, Monsieur Laplante occupe un poste de caissier et parfois de COS lesquels sont des postes de confiance demandant un niveau élevé d'intégrité. Monsieur Laplante a fait montre d'une absence totale de remords puisqu'il considère toujours ses gestes de simples erreurs de jugement malgré le fait qu'il a déjà une suspension de six mois. Il a sciemment et en pleine connaissance de cause manqué à la politique d'escompte en succursale de sorte que son grief doit être rejetée.
B) SYNDICALE
[67] La lettre d'entente E-8 est assez explicite. Il s'agit d'une entente tripartite ayant pour objet la réintégration de Monsieur Laplante. Le tribunal n'a pas à apprécier les faits ayant mené à la conclusion d'une telle entente. L'Employeur a accepté d'annuler le congédiement et de réintégrer Monsieur Laplante après une suspension de six mois. Les paragraphes 3 et 4 de cette entente précisent que Monsieiur Laplante ne pourra pas postuler sur un poste vacant de coordonateur des opérations en succursale, et ce, pour une période de deux ans soit jusqu'aux 27 janvier 2009 inclusivement et également il ne pourra être affecté ou assigné sur un remplacement de coordonnateur des opérations en succursale pour une période de deux ans. Les paragraphes 6 et 7 de la lettre d'entente prévoient que :
« 6. Le non-respect de la clause ci-haut mentionnée pourra entraîner une mesure disciplinaire plus importante allant jusqu'au congédiement ;
7. Dans l'éventualité où le syndicat dépose un grief pour contester toute mesure disciplinaire en lien avec les événements cités dans la présente, les parties s'entendent que l'arbitre saisi du grief est lié par la présente entente ».
[68] Or, cette lettre d'entente n'a pas été déposée à la CRT pour modifier la convention collective. Il s'agit d'un cas d'espèce.
[69] Le Syndicat s'est opposé au dépôt de cette lettre d'entente et à cet effet le représentant syndical réfère aux autorités jurisprudentielles suivantes : Permacon Montco et Métallurgistes unis d'Amérique, locale 7625, sentence de Me René Lippé du 3 mai 1995; Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, section locale 503 et Marché du Mail centre-ville Inc., sentence de Me Jean Guy Ménard du 4 avril 2003; Bombardier aéronautique et Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale, district 11, section locale 712, sentence de Me Jean-Yves Durand du 30 novembre 2004 et Aliments Delîsle Ltée et Association des employés des Aliments Delisle Limitée - CSD, sentence de Me Pierre Descoteaux du 12 juillet 1993. Ces autorités jurisprudentielles font ressortir que de telles ententes ne limitent pas le pouvoir de l'arbitre et une lettre d'entente ne peut se substituer à la convention collective. Toutefois, après avoir analysé la preuve, le tribunal pourra considérer que telle lettre d'entente constitue un facteur aggravant dont il va tenir compte.
[70] Les autorités doctrinales suivantes sont déposées : Lynda Bernier, Guy Blanchet, Lukas Granosik et Éric Séguin, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs du travail, deuxième édition, mise à jour 2009.1, éditions Yvon Blais, au paragraphe 1. 158.
[71] Le représentant syndical soumet que le tribunal doit écarter complètement cette lettre d'entente et entendre uniquement la preuve sur le fond. Le grief S-1 est clair tout comme le mandat de l'arbitre.
[72] Le congédiement est une mesure démesurée dans les circonstances. Le tribunal a à trancher une affaire fort simple. L'Employeur a-t-il choisi la bonne mesure disciplinaire ? A-t-il usé et démontré qu'il a tout fait pour que ça ne se reproduise plus, sachant que la discipline a un but correctif ?
[73] Le plaignant, Jean Laplante, est à l'emploi depuis septembre 2002. L'on retrouve dans son dossier la suspension de six mois de 2006 et ensuite les deux incidents de mars 2010. L'Employeur a mis l'emphase sur la fraude à la SAQ.
[74] Qu'en est-il des politiques de l'entreprise ? La pièce E-11 constitue le résumé des modalités d'escompte pour les employés. Le fait d'avoir acquitté une bouteille de vin par un tiers peut-il constituer un motif raisonnable pour congédier un employé ? La cause est l'achat fait par Monsieur Laplante qui doit être réservé pour lui. Le seul but est d'éviter que les employés fassent la contrebande. Parmi les modalités d'achat l'on retrouve le privilège personnel, l'interdiction de la revente. Ce qu'on reproche au plaignant c'est le fait de ne pas avoir acquitté lui-même la facture. Aucune règle du paragraphe 7 de la lettre d'entente n'a été violée par le plaignant.
[75] Le verbe acquitter se définit comme étant payer pour prendre possession d'un bien. Monsieur Laplante n'a pas volé. Il a utilisé les modes de paiements prévus dans les modalités de la politique. La preuve est très claire que les achats l'ont été pour consommation personnelle. D'ailleurs, l'Employeur ne peut contrôler ce qui se passe dans les résidences de ses employés. Les modalités ne peuvent être interprétées comme voulant dire que seul l'employé de la SAQ doit boire le vin.
[76] La deuxième transaction a mis fin à l'escompte. Il a payé lui-même les produits. Est-ce raisonnable pour l'Employeur de congédier un employé pour avoir acheté un produit que l'Employeur vend ? Est-ce que les gestes commis justifient la peine capitale ? Il n'y a pas de gradation dans les sanctions et l'Employeur a tout de suite conclu que le lien de confiance était définitivement rompu en raison de la lettre d'entente. Si, lors de l'enquête, les parties s'étaient parlé, elles n'en seraient pas arrivées au congédiement. Le représentant syndical réfère aux auteurs Lynda Bernier, Guy Blanchet, Lukasz Granosik et Éric Séguin, dans leur ouvrage précité, sur la sévérité de la sanction. L'Employeur n'a pas fait ses devoirs à ce chapitre. Il n'a pas tenu compte des circonstances entourant l'acte reproché. Il n'y a aucune preuve de fraude.
[77] La clause 21.05 de la convention collective, précitée, lie les parties. Le but recherché est de corriger un comportement déviant. La clause 21.06 constitue un engagement de l'Employeur à enlever les mesures prescrites du dossier de l'employé. Or, la lettre d'entente est prescrite et l'Employeur ne pouvait y fait référence. Il s'agit d'un manque flagrant de rigueur. Elle ne peut être indéfiniment invocable à l'encontre du salarié.
[78] Les pouvoirs de l'arbitre sont énoncés à la clause 22.06 de la convention collective. Il a pleine compétence pour modifier la sanction prise.
[79] En regard de la pièce E-7, l'Employeur n'a pas prouvé que la carte n'appartenait pas au plaignant. D'ailleurs, il n'a jamais évoqué ce fait. Le plaignant n'a pas participé à l'époque à un « flash meeting ». Il y avait incompatibilité entre Madame Paradis et Monsieur Laplante alors qu'elle était en autorité. Madame Rochefort s'est appuyée sur elle pour imposer une mesure disciplinaire.
[80] Pour tous ces motifs, le tribunal devrait accueillir le grief, annuler la lettre de congédiement, ordonner la réintégration du plaignant et ordonner la compensation que l'arbitre jugera appropriée.
C) RÉPLIQUE
[81] En regard de la lettre d'entente, la jurisprudence a très clairement disposé que telle lettre d'entente n'avait pas à être déposée à la CRT. L'arbitre est lié par une telle lettre d'entente. Si tel n'était pas le cas et que l'arbitre puisse ne pas en tenir compte, ça enlève la possibilité que les parties ont de faire des relations de travail. Pourquoi conviendraient-elles de telles ententes de dernière chance si un tribunal d'arbitrage pouvait ne pas en tenir compte. D'ailleurs, les auteurs précités ne font pas du courant défendu par la partie syndicale le courant majoritaire, bien au contraire.
[82] Quant au fond du litige, le plaignant a admis les reproches qui lui sont adressés. Il a admis ne pas avoir déboursé avec son argent tous les achats qui ont été effectués les 14 et 21 mars 2010. On ne peut faire indirectement ce qu'on ne peut faire directement. Le Syndicat mêle deux réalités : être présent lors de l'achat et de payer soi-même ses achats. L'Employeur a rencontré le plaignant par l'intermédiaire de la COS mais celui-ci a récidivé le même jour. Comme le plaignant travail cinq heures par semaine, l'Employeur a fait ce qu'il fallait. Quant à l'enquête, tous les salariés ont été rencontrés de sorte que c'est une enquête exemplaire. Quant à l'argument d'absence d'intention frauduleuse, le plaignant avait l'intention de faire ce qu'il a fait. Il n'a été induit en erreur par personne. Toutefois, il ne s'attendait pas aux conséquences de ses gestes. La carte de crédit utilisée pour les paiements aux deux dates a fait l'objet d'une admission du plaignant voulant que ce soit la carte de crédit de Jonathan Aubé qui a été utilisée. Il a admis avoir signé son nom le 14 mars et a admis que pour le 21 mars une partie de la facture a été payée par Jonathan Aubé qui a utilisé sa carte de crédit. L'aveu constitue la meilleure preuve. Quant à la frustration de Madame Paradis, on ne peut l'interpréter autrement que comme un message clair.
MOTIFS ET DÉCISION
[83] Dans un premier temps, le tribunal doit disposer du fond du litige. Comme dans tous les litiges de ce genre, le tribunal doit se demander dans un premier temps si l'Employeur à qui appartient le fardeau de la preuve a fait la preuve d'un ou de manquements de la part du salarié, et si oui, si les manquements méritent une sanction disciplinaire. Si tel est le cas, ce ne sera qu'à cette étape que le tribunal devra se pencher sur les arguments présentés par les parties en regard de la lettre d'entente E-8.
[84] La politique d'escompte accordée aux employés est très claire. Un salarié à temps plein bénéficie d'un escompte de 40 % sur des achats de 1 500 $. Le salarié à temps partiel bénéficie lui aussi de l'escompte de 40 % mais calculé en fonction du nombre d'heures travaillées pendant l'année précédente. C'est ainsi que pour l'année 2009-2010, Monsieur Laplante avait droit à des achats totaux de 1 031 $ sur lesquels l'escompte de 40 % pouvait être appliqué. Il s'agit d'un privilège personnel qui ne peut être transféré à aucun autre employé ou à toute autre personne. Les produits achetés ne peuvent faire l'objet de revente. L'employé doit se présenter lui-même en succursale et effectuer ses achats. Il doit acquitter lui-même la facture en utilisant tous les modes de paiement autorisés au consommateur.
La transaction du 14 mars 2010
[85] La preuve fait ressortir très clairement que la transaction effectuée le 14 mars 2010 l’a été en utilisant la carte de crédit de Jonathan Aubé. Le plaignant Jean Laplante l'a admis. Ainsi, il n'a pas respecté la règle voulant qu'il effectue lui-même ses achats avec son argent. Lorsqu'il a constaté qu'il n'avait pas en sa possession sa carte de débit, le plaignant a tenté qu'on la lui apporte mais son colocataire ne s'est pas rendu dans sa chambre à coucher pour la retrouver. C'est ainsi que l'heure de la fermeture arrivant, Jonathan Aubé lui a passé in extremis sa carte de crédit sous le nez de Madame Paradis. Il a utilisé cette carte et a signé du nom de Jonathan Aubé. Ce n'était certainement pas une fraude car c'est le détenteur de la carte qui l'a prêtée à un ami pour qu'il utilise. Tout cela s'est fait avec le consentement du détenteur de la carte. Toutefois, ce n'est pas lui qui dicte les règles du jeu. La situation aurait été beaucoup plus simple si Monsieur Laplante avait demandé à son ami de lui prêter la somme d'argent en liquide nécessaire pour effectuer la transaction. Il aurait probablement pu demander aussi à l'un de ses collègues de travail de lui prêter la somme d'argent nécessaire pour finaliser la transaction, et ce, en raison du faible montant impliqué. Madame Paradis s'est rendu compte qu'il se passait quelque chose d'irrégulier et par la suite a vérifié avec le caissier qui lui a confirmé que le détenteur de la carte n'était pas Monsieur Laplante. Elle a fait rapport à Madame Rochefort qui avait décidé non pas de sévir mais de lui faire un rappel de la politique par Madame Paradis.
[86] Madame Paradis a témoigné avoir fait ce rappel à Monsieur Laplante le dimanche suivant 21 mars 2010. Le premier rappel s'est fait au tout début du quart de travail alors qu'un deuxième rappel, beaucoup plus coloré celui-ci, ne laissait place a aucun doute dans l'esprit du plaignant. De plus, le langage utilisé par Madame Paradis permet d'affirmer que les relations n'étaient pas des plus harmonieuses entre ces deux personnes. Or, vers la fin de l'après-midi les amis de Monsieur Laplante se sont présentés à la succursale et ils ont choisi ensemble quatre bouteilles de vin et une bouteille de spiritueux. Ces produits ont été achetés pour fêter l'anniversaire de François Breton. Lorsqu'ils choisissaient les produits, Madame Paradis a entendu Jonathan Aubé dire qu'il paierait une partie de la facture, affirmation niée par Monsieur Laplante lors de son réinterrogatoire. Quoi qu'il en soit, c'est effectivement ce qui s'est produit lorsque Monsieur Laplante s'est présenté à la caisse pour acquitter les produits. Le plaignant a témoigné que Jonathan Aubé s'est alors proposé pour acquitter une partie de la facture après qu'il eut lui-même versé 4,25 $ en monnaie et remis une carte cadeau de 25 $ laissant un solde de 28,70 $ qui a été acquitté par Jonathan Aubé. Ceci est d'autant plus incompréhensible que le plaignant a témoigné avoir ce jour-là sa carte de débit sur lui et qu'il était capable de payer toute la transaction. Il savait pourtant qu'il devait payer lui-même toute la transaction. Il aurait dû refuser l'offre de son ami et éventuellement régler ses comptes à la maison si Jonathan Aubé voulait faire sa part pour les frais du repas.
[87] Tout en admettant les faits, Monsieur Laplante a témoigné que la partie qu'il a payée soit 29,25 $ couvrait les achats effectués pour lesquels il bénéficiait de l'escompte. En effet, sur une transaction de 71,95 $ il n'a eu droit qu'à un escompte de 14 $ de sorte que le reste de la transaction ne bénéficiait pas de l'escompte. Pour arriver à une telle conclusion, il faut comprendre que la transaction de 71,95 $ aurait normalement généré un escompte de 28, 78 $ alors qu'il a été effectivement de 14 $. C'est donc dire que le solde de son escompte n'était que de 14 $. Indépendamment du solde d'escompte en banque, c'est une transaction de 35 $ qui génère un escompte de 14 $. Et, comme il a payé de ses deniers la somme de 29,25 $, il n'aurait pas contrevenu à la politique d'escompte puisque ce qui a été payé par Jonathan Aubé l'a été au prix régulier. C'est un argument de haute voltige, digne du Cirque du Soleil. Mais c'est un argument construit par la suite pour minimiser la faute. Ce n'est que par le fait que le solde d'escompte n'était que de 14 $ et non de 20 $ comme le croyait Monsieur Laplante qu'un tel argument peut être présenté. Un escompte à 28, 78 $ aurait complètement anéanti cet argument.
[88] Ceci étant dit, comme il s'agit d'une seule et même transaction, il y a contravention à la politique d'escompte, aussi séduisant que puisse être l'argument du plaignant. D'ailleurs, le témoignage de Madame Paradis fait ressortir que lors de son passage à la caisse, Monsieur Laplante lui semblait nerveux et ils se sont mutuellement regardés.
[89] En soi, les deux contraventions à la politique d'escompte ne méritent certes pas le congédiement. Ces agissements ne constituent pas une contravention fondamentale aux principes de cette politique d'escompte. S'il avait un motif pour le 14 mars soit de ne pas avoir avec lui sa carte de débit, il n'en avait absolument pas pour le 21 mars. D'avoir récidivé quelques heures à peine après un sérieux rappel de la part de Madame Paradis fait ressortir un certain je-m'en-foutisme de la part de Monsieur Laplante. Lorsqu'on bénéficie d'un privilège aussi intéressant que celui-ci l'on doit faire en sorte de respecter les règles du programme mis en place par l'Employeur.
[90] Étant arrivé à la conclusion que les contraventions de Monsieur Laplante méritent une sanction, la recevabilité ou non en preuve de la lettre d'entente de juillet 2007 ou plutôt de son opposabilité à l'arbitre doit être tranchée à ce stade-ci.
[91] En premier lieu, la lettre de congédiement réfère nommément à cette entente de juillet 2007. Les auteurs de Lynda Bernier, Guy Blanchet, Lukas Granosik et Éric Séguin, dans leur ouvrage précité, énoncent clairement que le courant jurisprudentiel majoritaire reconnaît que le tribunal d'arbitrage est lié par une renonciation expresse à la procédure de grief ainsi que par la sanction convenue par les parties et contenue dans l'entente.
[92] L'entente que les parties ont signée en juillet 2007 ne précise pas expressément qu'il s'agit d'une entente de dernière chance. L'Employeur accepte de substituer au congédiement une suspension de six mois pour ne pas avoir déclaré un écart de caisse pendant plusieurs semaines et en tentant de le dissimuler. Les parties ont signé avec le plaignant une telle entente que le soussigné ne peut d'aucune manière remettre en question. On retrouve donc une suspension de six mois au dossier de Monsieur Laplante, suspension qui a été imposée un peu plus de deux ans avant les manquements pour lesquels les parties me demandent d'arbitrer le litige.
[93] Cette lettre d'entente peut certes être opposée au présent Tribunal. En effet, cette entente ne comporte pas de durée bien que certaines des clauses prévoient pour Monsieur Laplante l'interdiction de poser sa candidature à un poste vacant de coordonnateur des opérations succursale pour une période de deux ans ni être assigné sur un remplacement à un tel poste pour une durée également de deux ans. La prétention voulant que la clause 21.05 de la convention collective mette en échec le droit de l'Employeur de s'en prévaloir ne peut être retenu. D'une part, cette entente particulière à laquelle le plaignant est lui-même intervenu ne fait pas partie de la convention collective. Elle est une entente particulière qui n'avait pas besoin d'être déposée au bureau de la CRT comme s'il s'agissait d'un amendement la convention collective. Ce n'en est définitivement pas un. D'autre part, seules les mesures disciplinaires imposées conformément à la convention collective et pour lesquelles il n'y a pas eu d'entente particulière de la nature de celle que l'on retrouve dans le présent dossier (E-8) sont visées par la clause 21.5 de la convention collective. Au surplus, si cette entente était survenue il y a de très nombreuses années et que le comportement de l'employé soit devenu satisfaisant, qu'il n'ait pas fait l'objet de mesures disciplinaires entre-temps, la jurisprudence arbitrale fait très nettement ressortir que même si une telle entente peut s'appliquer pendant toute la durée du lien d'emploi d'un salarié, les arbitres vont lui donner une durée utile qui soit raisonnable dans le temps. La lecture des autorités déposées par les parties fait ressortir qu'une entente remontant à moins de trois ans respecte ce caractère de raisonnabilité. En conséquence, ce tribunal doit tenir compte du fait que le dossier disciplinaire de Monsieur Laplante comporte une suspension de six mois imposée en juillet 2007.
[94] La lettre d'entente E-8 prévoit à son paragraphe 6 que : « Le non-respect de la clause ci-haut énoncée pourra entraîner une mesure disciplinaire plus importante allant jusqu'au congédiement ». Une lecture attentive de la lettre d'entente permet d'affirmer que l'on réfère à la clause précédente, la clause 5, soit de l'importance de suivre et de respecter toutes les politiques et directives de la SAQ.
[95]
L'exercice du pouvoir disciplinaire
est susceptible de varier grandement en raison de la nature et des opérations
de l'entreprise. Une bonne gestion disciplinaire, ayant pour but non pas de
punir mais de corriger, implique généralement le respect de la gradation des
sanctions à moins que l'on soit en présence d'un manquement à ce point grave
qu'il mérite immédiatement le congédiement sans passer par des mesures plus
clémentes. Après une suspension de six mois, la marge de manœuvre pour un
tribunal d'arbitrage devient un peu plus mince. Il faut alors trouver dans la
preuve des éléments que l'on peut associer aux facteurs atténuants. En
l'espèce, bien que le plaignant ait admis les faits, il n'a cessé de se
chercher des justifications pour ne pas avoir respecté les règles imposées. Il
a émis des regrets mais ils sont véritablement venus tardivement. . Le
plaignant dit aimer beaucoup son travail mais ce n'est pas tout. Une présence
aussi ténue, cinq heures par semaine, n'est pas susceptible de permettre de
développer des liens profonds avec une entreprise. Il a reconnu avoir manqué de
jugement. Toutefois, je suis d'avis que dans les circonstances le congédiement
est une mesure trop sévère. Les manquements ne violent pas une condition
essentielle du contrat de travail, ne constitue pas un abus de la confiance
inhérente à l'emploi ou est fondamentalement ou directement incompatible avec
les obligations de l'employé envers son Employeur pour reprendre les termes du
juge Iacobucci de la Cour suprême dans l'affaire McKinley c. BC Tel,
POUR CES MOTIFS, L'ARBITRE :
FAIT DROIT EN PARTIE au grief de Monsieur Jean Laplante;
ANNULE le congédiement imposé au plaignant le 26 avril 2010;
SUBSTITUE au congédiement une suspension devant prendre fin 15 jours de la date de la présente sentence;
ORDONNE à l'Employeur de réintégrer le plaignant Jean Laplante au terme de sa suspension.
Me Marcel Morin
Arbitre de griefs C.A.Q.
Pour le Syndicat : Monsieur Éric Laurin
Pour l’Employeur : Me Sébastien Gobeil
Dates d’audience : 17 février, 18 et 19 juillet 2011