Thibault c. Colangelo (Succession de) |
2011 QCCQ 12046 |
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JD 2786
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« Division des petites créances » |
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE LONGUEUIL |
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« Chambre civile » |
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N° : |
505-32-026748-104
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DATE : |
21 septembre 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE L’HONORABLE MONIQUE DUPUIS, J.C.Q.
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MICHEL THIBAULT MICHELINE BONIN |
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Demandeurs |
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c. |
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SUCCESSION PHILIPPE COLANGELO CLAIRETTE BEAUCHAMP |
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Défenderesses
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JUGEMENT |
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[1] Alléguant que la résidence achetée de Philippe Colangelo et Clairette Beauchamp, en 2009, est affectée de vices cachés, les demandeurs Michel Thibault («Thibault») [1] et Micheline Bonin («Bonin»), réclament de la succession de chacun des vendeurs la somme de 5 460,29$, en réduction du prix de vente.
[2] Ils allèguent que la cheminée qui relie le poêle à combustion lente située au sous-sol, ne respecte pas les normes en vigueur depuis 1980 : ils ne peuvent pas l'utiliser.
[3] Dans leur demande, Thibault et Bonin réclament la somme de 500,00$, en raison de vices cachés affectant la plomberie de la salle de bain : à l'audience cependant, ils retirent cette réclamation, notamment parce qu'ils n'ont jamais avisé les défendeurs de l'existence du problème, avant de faire effectuer les travaux correctifs.
Question en litige
[4]
Les problèmes allégués par les demandeurs, affectant le système de
chauffage d'appoint, constituent-ils un vice caché au sens de l'article
[5] Le cas échéant, à quelle somme les demandeurs ont-ils droit?
Les faits
[6] Le 20 avril 2009, Thibault et Bonin achètent de Philippe Colangelo et Clairette Beauchamp la résidence située au […] à Delson, pour la somme de 195 000,00$; construite en 1978, elle est pourvue d'un poêle à combustion lente qui se trouve au sous-sol; son installation date vraisemblablement de sa construction.
[7] Dans un document remis aux demandeurs, les vendeurs déclarent n'avoir utilisé ce poêle qu'à deux ou trois reprises dans les années qui précèdent, et d'en avoir effectué le ramonage une fois par année.
[8] À l'audience, Paulette et André Colangelo, les enfants des vendeurs décédés, déclarent qu'en raison de l'état de santé de leur père, qui ne pouvait monter et descendre au sous-sol, leurs parents ne se sont pas servis du foyer dans les années précédant la vente.
[9] À l'audience, Thibault et Bonin, qui occupent la résidence dès avril 2009, témoignent que c'est lors du ramonage de la cheminée, à l'automne de la même année, qu'ils sont informés par le ramoneur que la cheminée ne respecte pas les normes actuelles.
[10] Le 20 novembre 2009, ils reçoivent une lettre de leur assureur (pièce P-4), les informant que la cheminée n'est pas homologuée selon la norme ULC S-629M; ils doivent la remplacer par une cheminée conforme aux normes actuelles, et retourner un formulaire attestant de cette conformité. L'assureur les avertit que la signature de ce formulaire sans avoir donné suite à la recommandation de remplacer la cheminée, pourrait constituer une fausse déclaration de leur part. Bref, ils ne peuvent se servir de l'installation actuelle, sans risquer un problème de couverture d'assurance.
[11] Le 2 février 2010, Thibault et Bonin avisent la Succession Colangelo de la non-conformité de la cheminée avec les normes récentes, et la nécessité de la changer; ils réclament la somme de 3 360,20$ pour le remplacement de la cheminée, et 1 600,00$ pour le remplacement du poêle, puisqu'ils ne peuvent raccorder la nouvelle cheminée avec un poêle de marque différente.
[12] À l'audience, les demandeurs ont déposé un devis relativement au remplacement de la cheminée (pièce P-5) sans que le signataire de ce devis n'ait été entendu.
[13] Ils ont également produit des catalogues concernant le prix des poêles à combustion lente, qui varient de 1 590,00$ à 3 777,00$ (pièce P-7 en liasse).
[14] À l'audience, les représentants des successions Colangelo et Beauchamp ont fait entendre Michel Gadbois («Gadbois»), inspecteur spécialisé dans les appareils de chauffage depuis 1985.
[15] Le 13 mai 2011, il a visité la résidence de Thibault et Bonin et a examiné l'installation de chauffage d'appoint : selon lui, la cheminée, de marque "Selkirk" de type "A", répondait aux normes d'avant 1980, mais ne répond plus à la norme actuelle S-629, plus exigeante.
[16] À son avis, cette non-conformité était apparente : la cheminée de métal, telle qu'elle apparaît sur les photos prises par Gadbois (pièce D-1), est de couleur gris souris, ce qui est un indice certain d'une cheminée d'avant 1980.
[17] Dans le rapport écrit transmis à Paulette Colangelo, daté du 13 mai 2011 (pièce D-3), Gadbois ajoute que plusieurs anomalies tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la résidence, étaient visibles : protection de plancher inexistante à l'avant de l'appareil, appareil sans plaque d'homologation, tuyau de raccordement tout près d'être en contact avec des matériaux combustibles.
[18] Gadbois est d'avis que la cheminée et le poêle ont une durée de vie utile de 25 à 30 ans; en 2009, ils avaient donc presque atteint cette limite.
Droit applicable
[19]
L'article
" Art. 1726 . Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.
Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. "
[20] En vertu de cet article, le vendeur est légalement tenu de garantir que le bien vendu est exempt de vices cachés.
[21] Pour conclure à la mise en œuvre de cette garantie, le Tribunal analyse généralement quatre critères :
1. Le vice doit être grave , c'est-à-dire qu'il doit causer des inconvénients sérieux à l'usage du bien; l'acheteur ne l'aurait pas acheté ou donné si haut prix s'il l'avait connu;
2. Le vice doit être inconnu de l'acheteur au moment de la vente. La bonne foi se présumant, il appartient au vendeur de faire la preuve de la connaissance du vice par l'acheteur;
3. Le vice doit être caché ce qui suppose qu'il ne soit pas apparent, c'est-à-dire qu'il n'a pu être constaté par un acheteur prudent et diligent sans devoir recourir à un expert, et qu'il n'ait pas été dénoncé ou révélé par le vendeur. L'expertise de l'acheteur sert à évaluer si le vice est caché ou apparent; plus l'acheteur connaît le bien qu'il acquiert, plus le vice est susceptible d'être considéré comme apparent;
4. Le vice doit être antérieur à la vente .
[22] La jurisprudence constante est à l'effet que l'examen attentif de l'acheteur ne nécessite pas pour celui-ci de prendre les mesures exceptionnelles pour la recherche de vices cachés potentiels : il n'a pas à défaire les cloisons, soulever des lattes de plancher, creuser [2] .
[23]
La vérification de l'acheteur s'apprécie selon une norme objective, en
évaluant l'examen fait par ce dernier en fonction de ce qu'aurait fait un
acheteur prudent, diligent de même compétence
[3]
.
L'article
[24] Cependant, certains indices peuvent suggérer au promettant acheteur qu'il y a des problèmes dans l'immeuble qu'il compte acheter : il ne peut rester passif, il doit se renseigner sur la cause des problèmes; il en va de même pour l'expert dont il a retenu les services pour l'inspection pré-achat.
[25] De plus, lorsque le rapport d'inspection pré-achat contient certaines mises en garde et avertissements, et que les examens suggérés auraient permis de révéler un vice dont est affecté l'immeuble acheté, on ne peut en conclure qu'il s'agit d'un vice caché.
[26] Quant à la compensation payable à l'acheteur, si le Tribunal en vient à la conclusion que l'immeuble est affecté d'un vice caché et grave, antérieur à la vente, il faut retenir les enseignements des auteurs Baudouin et Deslauriers :
" La jurisprudence tente de réaliser un équilibre entre deux impératifs. Le premier est de voir à ce que l'indemnisation ne soit pas une source d'enrichissement pour la victime. Le second est, au contraire, d'éviter de la laisser dans une situation ne reflétant pas une réparation intégrale. (p.313)
(…)
Lorsque l'objet avait déjà subi les assauts du temps il n'était donc pas neuf au moment où le dommage a été subi : accorder la pleine valeur de remplacement est, dans un sens, enrichir la victime qui se retrouve avec un objet complètement neuf et non dévalué. C'est pourquoi, en général, les Tribunaux compensent ce fait en tenant compte de la dépréciation selon les circonstances. (p. 315)
(…)
Les réparations confèrent parfois (en matières immobilières par exemple) une plus-value aux biens et augmentent sa valeur économique. Les Tribunaux déduisent alors du coût des réparations une certaine somme pour tenir compte de celle-ci. (p. 317) [4] "
Analyse et décision
[27]
Thibaut et Bonin avaient le fardeau de prouver, par prépondérance, que
la cheminée reliée au poêle à combustion lente était affectée de vices cachés,
au sens des dispositions de l'article
[28] Or, ils n'ont fait entendre aucun témoin expert, quant à l'existence de ces vices.
[29] Par ailleurs, Gadbois, expert en défense, témoigne à l'effet que la cheminée répondait aux normes qui prévalaient lors de son installation, mais non celles en vigueur après 1980.
[30] Or, lorsque le défaut reproché par un acheteur est à l'effet que des normes de constructions n'ont pas été respectées, il doit s'agir des normes en vigueur lors de la construction, ou lors de l'installation de l'appareil, En l'instance, la cheminée était conforme aux normes d'avant 1980, lors de son installation, et le fait qu'elle ne réponde pas aux normes plus actuelles, ne constitue pas nécessairement un vice caché.
[31] De plus, selon l'expert en défense Gadbois, la non-conformité de la cheminée aux normes d'après 1980 était apparente, pour un acheteur prudent et diligent.
[32] Par conséquent, vu l'absence de preuve prépondérante présentée par les demandeurs, le Tribunal ne peut faire droit à leur demande.
[33] Cependant, même si le Tribunal en était venu à la conclusion qu'il s'agissait d'un vice caché, il n'aurait pu leur accorder la somme réclamée pour une installation neuve. En effet, l'expert Gadbois est d'avis que la cheminée et le poêle ont une durée de vie utile de 25 à 30 ans; en l'instance, l'installation avait atteint cette limite.
[34] Le Tribunal n'aurait pu, par l'octroi de la somme réclamée, enrichir injustement Thibault et Bonin, en remplaçant une installation qui n'avait plus aucune valeur, par une neuve.
[35] Les défendeurs ont payé à leur expert Gadbois, des honoraires de 142,41$, tel qu'en atteste la facture produite à l'audience : les défendeurs ont droit d'être remboursés de ce frais, à titre de frais d'expert.
[36] POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :
REJETTE l'action des demandeurs;
CONDAMNE les demandeurs à payer à la Succession Philippe Colangelo et à la Succession Clairette Beauchamp, les frais judiciaires au montant de 146,00$, et les frais d'expert au montant de 142,41$.
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__________________________________ MONIQUE DUPUIS, J.C.Q. |
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Date d’audience : |
13 juin 2011 |
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[1] L'utilisation des seuls noms ou prénoms dans le présent jugement a pour but d'alléger le texte et il ne faut y voir aucune discourtoisie à l'égard des personnes concernées.
[2] Beaudet c. Bastien, déjà cité.
[3] ABB inc. c. Domtar inc., déjà cité.
[4] Baudouin, Jean-Louis et Deslauriers, Patrice, Les obligations - Cowansville , Les Éditions Yvon Blais inc., 2003, 6 e édition.