TRIBUNAL D’ARBITRAGE
CANADA
PROVINCE DE QUÉBEC
N o de dépôt : 2012-0136
Date : Le 1 er novembre 2011
DEVANT L’ARBITRE : JEAN-LOUIS DUBÉ
Syndicat des travailleurs et travailleuses du CSSS Haut-Richelieu/Rouville - CSN
Ci-après appelé « le syndicat »
Et
Centre de santé et de services sociaux Haut-Richelieu/Rouville
Ci-après appelé « l’employeur »
Réclamante : Francine Forcier
Grief n o 2011-25 du 25 janvier 2011
Convention collective : CPNSSS et FSSS (CSN) 2006-2010 et prolongation
DÉCISION ARBITRALE
(En vertu du Code du travail du Québec, art. 100)
[1] J’ai été désigné par les parties pour procéder à l’enquête et audition et rendre décision dans la présente affaire.
1- LE CONGÉDIEMENT ET LE GRIEF
[2] Le 21 janvier 2011, l’employeur faisait parvenir à la réclamante une lettre de congédiement signée par Marie-Claude Cartier, chef de production et distribution alimentaire et Gérard Pezet, conseiller en gestion des rapports avec les employés. Déposée comme pièce S-1, cette lettre se lit comme suit :
« Objet : Congédiement
Madame,
Vous occupez le poste de caissière au service alimentaire. Le 28 décembre, vous avez quitté l’établissement avec un montant d’environ 1 200 $ provenant des machines distributrices. À cause de problème de santé, vous avez dû communiquer avec la personne qui vous remplaçait pendant votre absence pour lui expliquer que vous aviez pris de l’argent et que votre fille passerait par un guichet automatique et viendrait apporter un montant de 400 $ et que le reste serait apporté plus tard.
Vous avez été suspendu sans solde pour enquête et nous vous avons convoqué à une rencontre le 17 janvier 2011. Vous avez alors admis avoir eu cet argent en votre possession. Cet argent provenait des machines distributrices et, le 28 décembre, vous avez pris avec vous un montant d’environ 1 200 $. Vous avez reconnu que ce geste constituait une faute, mais selon vos prétentions, votre intention était d’aller à la banque chercher de la monnaie pour les machines distributrices. Vous avez déclaré ne pas avoir eu l’intention de voler. Vous nous avez remis le reste de l’argent que vous aviez pris lors de notre rencontre du 17 janvier 2011 alors que vous l’aviez en votre possession depuis le 28 décembre 2010.
Or, vous avez un poste de caissière. Vous avez la responsabilité de manipuler des sommes d’argent importantes et de compléter les formulaires pour le décompte de ces sommes ainsi que le contrôle. Nous avons aussi une procédure pour les dépôts de l’argent et pour obtenir de la monnaie. Nous gardons une réserve de monnaie suffisante pour répondre à nos besoins. Les 28 et 29 décembre, vous pouviez obtenir de la monnaie au service de comptabilité. Notre enquête a révélé que des montants d’argent manquaient, que le dépôt de la machine à café du 23 décembre n’avait pas été fait. Dans le passé, nous avons constaté des problèmes à balancer la caisse.
Votre version des faits n’est pas, à notre avis, une explication valable. Vous vous êtes approprié d’un montant d’argent appartenant à l’établissement ce qui constitue une faute très grave. La relation de confiance avec vous, surtout si vous occupez un poste de caissière, est une condition essentielle du contrat de travail et cette relation a été brisée. Nous avons donc décidé de vous congédier à compter de ce jour.
Veuillez agréer, madame Forcier, nos sincères salutations. »
[3] Ce congédiement a été contesté par le grief n o 2011-25 du 25 janvier 2011.
2- LA PREUVE
[4] Je ne rapporterai de la preuve que ce qui est pertinent pour la solution du litige en omettant les faits secondaires.
[5] Le premier témoin entendu dans le cadre de la preuve patronale a été la réclamante elle-même, Francine Forcier. Elle a travaillé pour l’employeur comme aide en alimentation depuis 1999. À la suite d’un congé maladie et tenant compte de ses limitations fonctionnelles, elle a obtenu et occupe un poste de caissière à la cafétéria depuis février 2010. Elle travaille du lundi au vendredi de 10 h 30 à 19 h 15. Elle explique que son travail consiste essentiellement à faire la caisse et la collecte de sept (7) machines distributrices. Elle s’occupe aussi de deux monnayeurs qui contiennent respectivement 700 $ et 1 300 $. Sa routine de travail (ou plan de match) pour chaque jour de la semaine et pour chaque activité a été déposée comme pièce P-2 et commentée par la réclamante en précisant les sommes d’argent impliquées : « ouvrir la boîte à argent avec une clé, mettre le contenu dans un sac, prendre la lecture du compteur, l’inscrire sur une feuille, remettre le compteur à zéro, remplir le monnayeur de la machine avec les rouleaux de change présents dans la machine, gérer le contenu de son chariot, l’usage de sa poche d’argent, le dépôt des recettes quotidiennes (2 000 $ à 5 000 $) au service de la comptabilité, [...] ».
[1] Pour avoir du « change », vers 14 h 45, avec sa « poche d’emprunt », elle remettait au service de la comptabilité 1 000 $ de billets et on lui remettait surtout des rouleaux de pièces pour la même somme.
[2] Marie-Claude Cartier, chef du département, était sa supérieure immédiate. Quand M me Cartier n’était pas présente, sa supérieure était la technicienne, Manon Rochette. Quant elle faisait la fermeture à 19 h 15, ni l’une ni l’autre n’était présente. Elle était donc alors sans supervision.
[3] Elle admet qu’elle n’avait pas le droit d’emprunter l’argent qu’elle manipulait. Elle dit qu’elle ne l’a jamais fait, puis ajoute un peu plus tard qu’elle a emprunté 5 $ pour payer son dîner à quelques reprises, sans en avoir le droit et sans autorisation de sa supérieure.
[4] Elle dit avoir toujours fait les dépôts conformément à l’horaire prévu (P-2). Puis, un peu plus tard, elle admet ne pas avoir, le 23 décembre 2010, fait le dépôt d’une somme de 363,75 $ pour la machine à café (pièce P-3). Elle admet que ce dépôt aurait dû être fait le 23 décembre 2010. Elle dit qu’elle ne l’a pas fait parce qu’elle voulait garder ce montant en réserve au cas où, dans la période des Fêtes, elle manquerait d’argent pour les caisses, les machines distributrices et les monnayeurs. Dans un premier temps, elle dit que c’était pour avoir des pièces et, dans un deuxième temps, elle renie cela et dit que c’était pour faire changer cela en des pièces de 1 $.
[5] Elle ajoute qu’elle aurait plutôt pu faire l’opération avec le service de comptabilité et admet qu’elle n’avait pas eu l’autorisation d’agir comme elle l’a fait, c’est-à-dire ne pas faire ainsi le dépôt le 23 décembre 2010.
[6] Le 28 décembre 2010, elle dit qu’elle s’est reconstituée sa poche de change (1 000 $) « en faisant le ménage dans le plus de poches possible ». Elle dit que cela implique beaucoup de travail. Elle dit être allée, le 28 décembre 2010, au service de la comptabilité vers 14 h 15, c’est-à-dire plus tôt que d’habitude parce que, le 23 décembre, la responsable, Ginette Larochelle, lui avait dit que, le 28 décembre, elle fermerait plus tôt en raison d’un souper de bureau.
[7] C’est à ce moment-là, à 14 h 15 le 28 décembre, qu’elle a fait ses dépôts. Elle dit que, depuis le matin, mais surtout depuis le midi, elle ne « se sentait pas bien, suffoquait, manquait d’air ». C’est pour cela que, vers 14 h 30, elle a quitté l’établissement. Elle admet être alors partie avec 1 200 $ appartenant à l’employeur. Cet argent provenait des machines distributrices. Ce jour-là, elle avait vidé toutes les machines distributrices et roulé la monnaie qu’il y avait.
[8] En revenant de la comptabilité, elle a appelé Manon Rochette pour qu’elle lui trouve une remplaçante parce qu’elle suffoquait. Puis elle est allée porter son chariot dans le bureau de la sécurité et a quitté pour se rendre à la maison croyant qu’elle faisait une crise d’asthme et qu’elle contrôlerait cela avec ses « pompes à la maison », ce qui finalement n’a pas été le cas. La réclamante dit plusieurs choses concernant ces 1 200 $ qu’elle a apportés chez elle. Elle commence par dire que ça venait de sept (7) machines distributrices, puis seulement de quatre (4). Elle dit avoir inscrit sur un papier la somme qui venait de chacune des machines. Elle a commencé par dire que c’était en monnaie et en billets pour dire ensuite que c’était presque exclusivement en monnaie. C’était de la monnaie qu’elle avait enlevée des machines distributrices puis roulée. Elle a mis le sac (8 ½ “ x 12“) contenant cet argent dans sa boîte à lunch et, posant cela sur le chariot, elle est allée porter ce dernier à la sécurité. Elle dit que ce sac était « pas mal pesant ». Elle dit ne pas avoir laissé le sac d’argent à la sécurité parce que ses « papiers étaient tout mal faits » et qu’elle n’avait pas le temps de faire les inscriptions nécessaires sur une feuille. Elle ne voulait pas tout expliquer à ses supérieurs et à la sécurité tellement elle était essoufflée.
[9] Le 29 décembre 2010, elle est entrée en ambulance à l’urgence de l’hôpital. Elle y est restée de 7 h 30 jusqu’en après-midi du lendemain le 30 décembre. Elle a eu un arrêt de travail d’une semaine pour bronchite chronique.
[10] Ce 29 décembre vers 9 h, elle a appelé Manon Rochette pour qu’elle lui envoie la caissière de jour, Gisèle Thibault, à son chevet. Le procureur patronal lui demande si elle a dit M me Rochette qu’elle avait 1 200 $ de monnaie chez elle et elle répond : « Non, j’avais le souffle court ». Gisèle Thibault est venue la voir à l’urgence. Elle lui a expliqué qu’elle avait chez elle de l’argent des machines distributrices en lui demandant de mentionner cela à Marie-Claude Cartier. Elle lui a proposé de lui remettre 400 $ retiré de son compte personnel par sa fille. Elle a donné deux (2) versions complètement contradictoires sur l’affectation que devait faire Gisèle Thibault de cette somme. Elle a dit avoir offert 400 $ et non 1 200 $ parce qu’elle n’avait pas ce montant à la banque. Elle dit qu’elle ne sait pas pourquoi elle n’a pas plutôt impliqué Manon Rochette dans cela, ajoutant que cette dernière « panique à rien ».
[11] Effectivement, sa fille est allée porter 400 $ à Gisèle Thibault un peu plus tard dans une enveloppe. Cette enveloppe a été déposée comme pièce P-6. Il s’agit d’une enveloppe de dépôt de la BMO sur laquelle est écrit ce qui suit :
« Gisèle excuse mon écriture. Je vais venir porter ce qui manque bientôt. Merci Gisèle pour tout. Je te souhaite une très belle année 2011.
Merci beaucoup beaucoup.
(Signé) Francine »
[12] La réclamante admet que c’est elle qui a écrit cela.
[13] Elle est sortie de l’hôpital le 30 décembre. Elle avait toujours 1 200 $ à la maison. Du 30 décembre au 7 janvier, elle ne se sentait pas capable d’aller porter cet argent à l’hôpital. Elle ne se souvient pas si, pendant cette période, elle a appelé un de ses supérieurs. Elle dit qu’elle ne répondait pas au téléphone parce qu’elle en était incapable. Cette affirmation aurait normalement dû rappeler à son souvenir qu’elle n’a sûrement pas appelé un de ses supérieurs. Puis, elle dit que le 6 janvier, elle commençait à mieux respirer et qu’elle voulait donc rapporter l’argent le 7 janvier. Puis, elle se ravise et dit que ce n’est pas le 7, mais bien le 10 janvier. Et elle dit aussi que ça lui a pris une (1) semaine pour se remettre, puis elle dit dix (10) jours. Du 30 décembre au 10 janvier, elle n’a pas demandé à sa fille d’aller porter l’argent à l’hôpital comme elle l’avait fait pour les 400 $, car elle avait peur qu’on la dise irresponsable. Elle ajoute qu’elle n’a pas pu aller à l’hôpital le 10 janvier car, par courrier recommandé, c’est ce jour-là qu’elle a reçu la lettre suivante déposée comme pièce P-7 :
« Le 7 janvier 2010
[...]
Objet : Convocation à une rencontre le 17 janvier 2011
Madame,
Compte tenu de certains événements survenus dans le cadre de l’exercice de vos fonctions, nous avons décidé de faire une enquête. Vous êtes convoquée à une rencontre à notre bureau au 365, rue Normand, bureau 1 à Saint-Jean-sur-Richelieu, le 17 janvier 2011 à 15 heures.
Vous êtes suspendue avec solde à compter du 16 janvier 2011 pour fin d’enquête. Vous ne devez pas vous présenter au travail ni à l’établissement pendant cette période.
Veuillez croire, madame Forcier, à nos sincères salutations.
(Signé) Gérard Pezet
Gérard Pezet
Conseiller en gestion des rapports avec les employés
Direction des ressources humaines »
[14] Donc, le 10 janvier 2011, elle ne va pas à l’hôpital, mais va chercher cette lettre au bureau de poste. À la lecture de cette lettre, elle se doutait qu’il s’agissait de la somme de 1 200 $ qu’elle avait à la maison. Elle n’a cependant pas tenté d’appeler un supérieur immédiat, car elle trouvait cela injuste. L’interrogatoire se poursuit de la façon suivante :
« Q. Vous n’êtes pas non plus allée porter l’argent ?
R. Non, vous savez pas vous ce que c’est de ne pas être capable de respirer. »
[15] Elle s’est rendue à la rencontre du 17 janvier 2011 où étaient présentes, en plus d’elle-même, les personnes suivantes : Gérard Pezet, Marie-Claude Cartier, Nicole Lauzon, supérieure immédiate de M me Cartier, et Michel Pietrantonio, agent de grief. Elle y a dit qu’elle était partie avec l’argent en donnant l’explication qu’elle avait dû partir vite et qu’elle n’avait donc pas eu le temps ni la capacité d’expliquer alors son geste. Elle se souvient d’avoir dit qu’elle avait eu peur de manquer de change, mais admet qu’elle aurait toujours pu en demander à la comptabilité.
[16] Le 17 janvier, elle a rapporté tout le reste de l’argent, c’est-à-dire environ 800 $. Elle n’a pas apporté intégralement ce qu’il y avait dans le sac d’argent qu’il y avait dans sa boîte à lunch, mais elle l’a fait essentiellement en billets, c’est-à-dire le contraire de ce qu’il y avait dans le sac d’argent le 28 décembre. Elle a plutôt changé des rouleaux de 1 $ et 2 $ pour des billets, en partie à la banque et en partie au dépanneur. Elle a fait cela parce que « c’était pesant à apporter ».
[17] Elle se souvient qu’à cette rencontre, les représentants de l’employeur lui ont dit qu’ils ne croyaient pas sa version.
[18] Elle est revenue à l’hôpital le 21 janvier pour une rencontre où on lui a remis la lettre de congédiement (S-1). La fin de l’interrogatoire a porté sur chaque phrase de cette lettre de congédiement. On lui a demandé si elle était d’accord ou non avec chaque phrase. Elle a dit que tout le paragraphe 1 est exact. Elle est d’accord avec les trois (3) premières phrases du paragraphe 2. Le début de la quatrième phrase se lit comme suit :
« Vous avez reconnu que ce geste constituait une faute [...]. »
[19] La réclamante reconnaît qu’elle a fait un tel aveu.
[20] Cette phrase se continue comme suit :
« [...] mais selon vos prétentions, votre intention était d’aller à la banque chercher de la monnaie pour les machines distributrices. »
[21] La réclamante dit que, si elle a dit cela, elle ne s’en souvient plus, mais que ce n’était pas pour aller à la banque.
[22] Elle reconnaît tout le reste du paragraphe 2. Elle est d’accord avec les trois (3) premières phrases du paragraphe 3. La quatrième phrase se lit comme suit :
« Nous gardons une réserve de monnaie suffisante pour répondre à nos besoins. »
[23] La réclamante dit que ce n’est pas exact pour la période des Fêtes de 2010, car on lui a dit qu’il en avait manqué.
[24] Elle est d’accord qu’elle pouvait obtenir la monnaie le 28 décembre, mais qu’elle n’était pas au travail le 29.
[25] Elle est d’accord avec l’avant-dernière phrase du paragraphe 3, mais ajoute que ses problèmes de débalancement de caisse étaient pour quelques centimes et pas plus fréquents que pour les autres caissières.
[26] Le deuxième témoin produit dans le cadre de la preuve patronale a été M me Gisèle Thibault qui travaille pour l’employeur depuis 2002 comme aide en alimentation. En 2009 et 2010, elle a agi comme remplaçante au poste de caissière. Le 3 janvier 2011, elle a fait une déclaration écrite à l’employeur. Son interrogatoire est pour l’essentiel conforme à cette déclaration écrite qui, déposée comme pièce P-8, se lit comme suit :
« Le mercredi 29 décembre 2010, je remplaçais le poste de caisse pour maladie et Manon est venue me voir car Francine avait téléphoné.
Elle voulait me voir pour explication pour les machines et elle a dit à Manon que je lui dise après pourquoi elle voulait me voir.
Alors c’est là qu’elle m’a dit, j’ai fait des avances avec l’argent des machines et qu’elle irait à la banque, mais je ne peux pas sortir plus que 500,00 $, alors ma fille va aller te donner l’argent cet après-midi. Et elle m’a dit tu n’as pas beaucoup d’argent dans la machine à coke et je lui ai dit que j’avais rien de compté encore. Et je lui dis ok, mais à vrai dire je ne comprends rien.
Et je suis retournée au bureau et c’est là j’ai tout compris sur les avances. Je suis allée voir Manon et je lui ai dit tout cela. Et Manon m’a demandé si je pouvais compter les monnayeurs, et celui de l’urgence était de 700,00 $ et à la cafétéria 1 050,00 $ au lieu de 1 300,00 $.
Et en plus en regardant les papiers, on a vu qu’il manquait un dépôt qui n’a pas été fait de la machine à café.
Et plus tard dans l’après-midi, la fille à Francine est venue donner une enveloppe avec 400,00 $ à Manon. »
[27] Dans son interrogatoire, elle a précisé que c’est à l’urgence de l’hôpital qu’elle a vu la réclamante. Dans sa vérification, elle a constaté qu’il manquait de l’argent dans presque toutes les machines. Elle admet avoir dit à la réclamante de prendre son temps pour régler le problème. Mais elle affirme avoir dit cela parce qu’elle ne comprenait pas ce que la réclamante lui disait et elle pensait plutôt « que c’était elle qui avait fait l’avance dans les machines ».
[28] En contre-interrogatoire, elle est certaine et catégorique à l’effet que la réclamante ne lui a pas dit de dire à Manon Rochette qu’elle avait de l’argent de l’employeur chez elle.
[29] Le troisième témoin produit dans le cadre de la preuve patronale a été Manon Rochette. Elle travaille pour l’employeur depuis dix (10) ans. Elle est chef de la cuisine depuis cinq (5) ans. Il s’agit d’un poste syndiqué. En 2010 et début 2011, elle supervisait certains employés et remplaçait la chef de service, Marie-Claude Cartier. À l’époque contemporaine des faits, elle a fait à l’employeur une déclaration déposée comme pièce P-9 qui se lit comme suit :
« J’ai reçu un appel de la caissière Francine Forcier le 30 décembre 2010 vers 10 h 20 car elle était hospitalisée depuis le 29 décembre à l’urgence pour des problèmes de santé. Elle me faisait mention qu’elle sortirait dans l’après-midi et serait en maladie pour quelques jours.
Elle m’a demandé qui était la caissière qui la remplaçait et si elle était arrivée car elle avait des choses à lui dire concernant les caisses, et qu’elle pourrait me répéter les choses ensuite, j’ai donc envoyé Gisèle Thibault la voir à l’urgence et elle m’a mise au courant de la situation par la suite.
Donc il manquait de l’argent dans le monnayeur, sa fille devait passer dans l’après-midi pour me remettre une enveloppe d’argent du guichet automatique mais que la suite viendrait plus tard car elle ne pouvait retirer plus au guichet.
J’ai pris la décision de faire le décompte du monnayeur à la cafétéria pour savoir combien d’argent au total il nous manquait et il manquait 250 $.
Vers la fin de l’après-midi, sa fille m’a remise une enveloppe comprenant 400,00 $. Francine avait inscrit sur l’enveloppe que le reste de l’argent viendrait plus tard.
J’ai fait une photocopie de cette enveloppe comme élément de preuve et mis à son dossier personnel. Sa fille m’a indiqué qu’elle était en maladie jusqu’au 6 janvier 2011. J’ai donc fait le remplacement pour les 3 et 4 janvier en cédulant Gisèle Thibault pour avoir la version des faits.
De plus nous avons constaté qu’il n’y avait aucun dépôt pour la machine à café à l’urgence effectué le 23 décembre 2010. »
[30] Son témoignage a confirmé essentiellement cette déclaration. Elle ajoute avoir parlé de cela à Marie-Claude Cartier les jours suivants. Au sujet du manque possible de change, elle dit ce qui suit :
« Lors des jours fériés, dans le temps des Fêtes et les fins de semaine, on a toujours des poches de change de surplus pour pas en manquer. En d’autre temps, on peut toujours aller à la comptabilité, car là elle est ouverte. »
[31] Le quatrième témoin produit par la partie patronale a été Marie-Claude Cartier. Elle travaille pour l’employeur depuis juillet 2010. À titre de chef de la production et distribution alimentaire, elle est la supérieure immédiate des préposées en alimentation et des caissières. Elle relève de Nicole Lauzon, chef des activités d’alimentation. Elle a expliqué le rôle des caissières. Elle a expliqué qu’à l’époque pertinente, l’intégrité du système reposait beaucoup sur la confiance dans les caissières car les procédures de contrôle étaient rudimentaires.
[32] Dans la semaine du lundi 27 décembre 2010, elle était en congé férié. Manon Rochette la remplaçait. Cette dernière l’a appelée chez elle pour l’informer de la situation. À son retour au travail, elle a fait les vérifications nécessaires (pièce P-8). Par la suite, elle a essayé à plusieurs reprises de rejoindre la réclamante au téléphone. Il n’y avait ni réponse ni boîte vocale. Elle est certaine que le service de comptabilité était ouvert les 28 et 29 décembre 2010. La pièce P-5 (un affichage) confirme cela.
[33] Elle était présente à la rencontre du 17 janvier 2011. La réclamante a avoué avoir apporté chez elle 1 200 $ appartenant à l’hôpital. Elle a mentionné qu’elle n’avait pas l’intention de voler cet argent, car elle l’avait pris parce qu’elle « avait eu peur de manquer de change et qu’elle voulait aller à la banque pour faire du change avec cet argent ». Elle a alors remis la balance de l’argent, c’est-à-dire environ 800 $ en billets, plus une enveloppe de 1,25 $ de monnaie. Le témoin dit qu’elle-même et les autres représentants de l’employeur n’ont pas cru la réclamante. À leurs yeux, cette justification était « cousue de fil blanc » parce qu’il y a « des mesures en place pour avoir du change s’il en manque ». Elle ajoute que, de toute manière, une caissière ne peut en aucune façon partir de l’hôpital avec de l’argent appartenant à l’employeur.
[34] Elle a participé à la décision de congédier la réclamante. Pour elle, le lien de confiance était brisé en raison des gestes qu’avait posés la réclamante, du rôle de la caissière, de la confiance totale qu’on doit avoir en elle vu qu’elle a accès à toutes les caisses, les monnayeurs, les machines distributrices, [...]. Selon M me Cartier, lorsqu’on a remis la lettre de congédiement à la réclamante, elle a réitéré sa peur de manquer de change et son intention d’aller en chercher à la banque. Pour les représentants de l’employeur, cela n’avait aucun sens.
[35] En contre-interrogatoire, elle dit qu’à la rencontre du 17 janvier, M. Pezet a demandé à plusieurs reprises à la réclamante si elle avait volé et elle a répondu « non ». À la question de savoir si elle-même croyait que la réclamante avait commis un vol, le témoin dit que la réclamante avait pris de l’argent appartenant à l’employeur et qu’à cause de son problème de santé, elle n’a eu d’autre choix que de l’avouer.
[36] Elle affirme que, dans la décision de congédier, l’employeur n’a, en aucune façon, considéré que la réclamante occupait son poste de caissière en raison de limitations fonctionnelles.
[37] Le premier témoin produit par la partie syndicale a été M. Gérard Pezet, conseiller en gestion des rapports avec les employés. Dans la lettre de suspension datée du 7 janvier 2010 et finalement reçue par la réclamante le 10 janvier 2011, il convoque cette dernière pour une rencontre le 17 janvier 2011. On lui demande pourquoi on a tant attendu. Il répond que la réclamante avait eu une période de congé maladie puis de congé annuel. Compte tenu de cela et des disponibilités des représentants de l’employeur, le 17 janvier 2011 était la première date disponible.
[38] M. Pezet admet que la réclamante avait un dossier disciplinaire vierge. À la question de savoir si elle avait collaboré à l’enquête, il répond qu’elle n’a jamais refusé de répondre aux questions qu’on lui posait. Cependant, on n’a pas cru ses explications.
[39] Le deuxième témoin produit par la partie syndicale a été M. Michel Pietrantonio, agent de grief depuis deux (2) ans. Il était présent à la rencontre du 17 janvier 2011. Il affirme qu’à au moins trois (3) reprises, un représentant de l’employeur a demandé à la réclamante si elle avait volé de l’argent et que cette dernière a toujours répondu « non ».
[40] Il était aussi présent lors de la rencontre du 21 janvier 2011 lorsque la lettre de congédiement (S-1) a été remise à la réclamante. Il a demandé aux représentants de l’employeur s’il y avait eu un vol. M. Pezet a répondu : « Tout est expliqué dans la lettre ». Ce dernier a ajouté : « Il n’y a pas d’accusation de vol ». Le témoin a compris que l’employeur n’avait pas fait de plainte à la police.
[41] Le troisième témoin entendu dans la preuve syndicale a été Kathy Forcier-Chaumont, fille de la réclamante. Elle est allée chercher sa mère à l’hôpital lorsqu’elle a eu son congé en après-midi du 30 décembre 2010. En quittant, elles sont arrêtées au guichet automatique de l’hôpital pour retirer de l’argent, mais « ça n’a pas fonctionné ». Elles sont donc allées à la succursale de la BMO près de l’hôpital. Plus tard dans l’après-midi, elle est allée porter cet argent à M me Rochette en lui disant : « Ma mère vous remet cet argent-là, elle fait dire qu’elle va venir porter le reste de l’argent ». M me Rochette lui a dit : « Qu’elle prenne son temps ».
[42] Le témoin dit que, durant la semaine suivante, sa mère « allait clairement pas bien ».
[43] En contre-interrogatoire, le témoin dit que, le 30 décembre 2010, elle a demandé à sa mère pourquoi elle retirait cet argent et lui demandait d’aller le porter à Manon Rochette. Sa mère lui a répondu que c’était parce que le 28 décembre, quand elle est partie de l’hôpital, elle avait apporté de l’argent pour aller faire du change. C’est sa mère qui a tenté de retirer l’argent du guichet à l’hôpital et qui est entrée à la BMO par la suite. En sortant de la BMO, sa mère lui a remis une enveloppe. Puis elles sont arrêtées tout de suite à l’hôpital pour remettre l’argent, sa mère demeurant dans la voiture.
[44] La réclamante a témoigné dans le cadre de la preuve syndicale. Je ne rapporterai pas ce qui n’est que répétition de ce qu’elle a dit dans son premier témoignage. Pour le dépôt de la machine à café, elle dit ce qui suit :
« Je devais déposer l’argent le 23 décembre. J’ai décidé de garder l’argent dans la boîte pour un surplus de monnaie pour la période des Fêtes en cas qu’il manque de l’argent. J’avais jusqu’au 4 janvier pour le déposer. »
[45] Pour le 28 décembre, elle explique qu’à l’heure où elle devait mettre toute la monnaie dans les machines, elle était malade, « manquait de souffle » et elle a donc demandé à M me Rochette de lui trouver une remplaçante. À la question de savoir ce qui lui « est passé par la tête » de partir avec l’argent, elle répond ce qui suit :
« Ben, tout était mal écrit sur les petits papiers des montants de chaque machine. Je me suis dit qu’étant donné que Manon connaissait ma job et je pensais revenir au travail le lendemain en utilisant mes pompes à la maison. »
[46] À la rencontre du 17 janvier 2011, les représentants de l’employeur lui ont demandé à quelques reprises si elle avait volé et lui dont dit que c’était préférable de l’avouer car ils pourraient le prouver avec des vidéos. Elle a remis l’argent. Au départ, c’est-à-dire le 28 décembre 2010, elle avait eu cet argent en petite monnaie puis l’avait changé la semaine suivante pour des billets.
[47] En contre-interrogatoire, elle admet avoir dit à M me Cartier à trois (3) reprises le 17 janvier qu’elle avait pris l’argent pour aller chercher du change à la banque. Elle ajoute qu’elle avait cette intention mais que finalement elle « serait pas allée parce que tout était en change ». Elle admet avoir pris beaucoup de temps le 28 décembre pour rouler toute cette monnaie et elle admet donc savoir ce qu’il y avait en change. Puis elle ajoute qu’elle voulait être sûre d’avoir assez de pièces de 1 $ pour la période des Fêtes. Ensuite, confrontée à la question de savoir pourquoi elle était partie avec 1 200 $ pour avoir suffisamment de pièces de 1 $ (mais évidemment beaucoup moins que 1 200 $), elle répond ce qui suit :
« J’ai parti avec cet argent parce que j’avais pas le temps d’aller porter cet argent-là dans les machines. C’était donc pas pour aller à la banque. »
[48] Elle poursuit en disant qu’elle voulait aller à la banque pour l’argent de la machine à café et pouvoir avoir des pièces de 1 $. Elle dit que Ginette Larochelle de la comptabilité, ce 28 décembre, lui avait remis toutes les pièces de 1 $ qu’elle avait, mais qu’elle avait quand même peur d’en manquer. On lui rappelle qu’elle avait dit dans son témoignage que Ginette Larochelle lui avait dit le 23 décembre qu’elle fermerait la comptabilité tôt le 28 décembre. Puis, devant la preuve (P-1) que Ginette Larochelle n’était pas au travail ni le 23 ni le 28 décembre, elle dit ce qui suit :
« Ok, mais c’était Annick; ok, en fait je vais dire que je me souviens pas. »
[49] Puis, elle dit que, même si le 30 décembre ça n’aurait pris que dix (10) ou quinze (15) minutes pour aller chez elle avec sa fille et rapporter les 1 200 $ à l’hôpital, parce qu’elle était malade, elle a préféré agir comme elle l’a fait en remettant 400 $ dans une enveloppe par l’intermédiaire de sa fille après être arrêtée au guichet puis à la banque.
3- DISPOSITIONS PERTINENTES DE LA CONVENTION COLLECTIVE ET DU CODE CRIMINEL
[50] Les dispositions de la convention collective pertinentes pour la solution du litige sont les suivantes :
« 5.06 Mesures disciplinaires
L’employeur qui congédie ou suspend une personne salariée doit, dans les quatre (4) jours civils subséquents, informer par écrit la personne salariée des raisons et des faits qui ont provoqué le congédiement ou la suspension.
L’employeur avise par écrit le syndicat de tout congédiement ou de toute suspension dans le délai prévu à l’alinéa précédent. »
« 11.18 Dans tous les cas de mesure disciplinaire, l’arbitre peut :
1- réintégrer la personne salariée avec pleine compensation;
2- maintenir la mesure disciplinaire;
3- rendre toute autre décision jugée équitable dans les circonstances y compris déterminer, s’il y a lieu, le montant de la compensation et des dommages auxquels une personne salariée injustement traitée pourrait avoir droit. »
[51]
Il convient de citer en partie l’article
« 322. (1) Commet un vol quiconque prend frauduleusement et sans apparence de droit, ou détourne à son propre usage ou à l’usage d’une autre personne, frauduleusement et sans apparence de droit, une chose quelconque, animée ou inanimée, avec l’intention :
a) soit de priver, temporairement ou absolument, son propriétaire, ou une personne y ayant un droit de propriété spécial ou un intérêt spécial, de cette chose ou de son droit ou intérêt dans cette chose;
b) soit de la mettre en gage ou de la déposer en garantie;
c) soit de s’en dessaisir à une condition, pour son retour, que celui qui s’en dessaisit peut être incapable de remplir;
d) soit d’agir à son égard de telle manière qu’il soit impossible de la remettre dans l’état où elle était au moment où elle a été prise ou détournée.
(2) Un individu commet un vol quand, avec l’intention de voler une chose, il la déplace ou fait en sorte qu’elle se déplace, ou la fait déplacer, ou commence à la rendre amovible.
(3) La prise ou le détournement d’une chose peut être entaché de fraude, même si la prise ou le détournement a lieu ouvertement ou sans tentative de dissimulation.
(4) Est sans conséquence, pour l’application de la présente loi, la question de savoir si une chose qui fait l’objet d’un détournement est soustraite en vue d’un détournement ou si elle est alors en la possession légitime de la personne qui la détourne.
[...] »
4- ARGUMENTATION ET DÉCISION
[52] Je ne rapporterai pas dans une partie distincte les prétentions des procureurs. Les principales seront évidemment traitées implicitement ou explicitement dans les pages qui suivent. Il convient cependant de rapporter dès maintenant les autorités auxquelles m’ont référé les procureurs. Les procureurs de la partie patronale m’ont référé aux autorités suivantes :
- J.-S. Masse, Le congédiement pour vol en droit du travail québécois [1]
- Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, local 486 et Provigo Distribution inc. (Maxi & Cie Gatineau) [2] ;
- Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, local 500 et Provigo Distribution inc. (Maxi Joliette) [3] ;
- Couvoir Boire & Frères inc. et Syndicat des salariés du secteur agricole (CSD) [4] ;
- Syndicat des salariés de la Caisse populaire de Plessisville (CSD) et Caisse populaire Desjardins de Plessisville [5] .
[53] Par ailleurs, le procureur de la partie syndicale me réfère aux autorités suivantes :
- Bernier, L, Blanchet, G, Granosik, L et Séguin E, Les mesures disciplinaires et non disciplinaires dans les rapports collectifs de travail , 2 e édition, Les Éditions Yvon Blais inc.;
- J.-S. Masse, Le congédiement pour vol en droit du travail québécois , Les Éditions Yvon Blais inc.;
- Syndicat des travailleuses et travailleurs du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay Lac-St-Jean (CSN) et Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay Lac-St-Jean [6] ;
- Travailleurs et travailleuses Unis de l’Alimentation et du Commerce, section locale 503 et Les Supermarchés G.P. inc. [7] ;
- Syndicat national des employés de Jewish General Hospital et Hôpital Général Juif [8] ;
- Centre hospitalier et Centre de réadaptation Antoine-Labelle (Centre Mont-Laurier) et Fédération des infirmières et infirmiers du Québec [9] ;
- Syndicat de la fonction publique du Québec inc. (Unité « Fonctionnaires ») et Gouvernement du Québec - Ministère du Revenu du Québec [10] ;
- Syndicat des Employés et Employées professionnels-les et de bureau, section locale 57 (S.I.E.P.B., C.T.C., F.T.Q.) et La Caisse populaire des Sources [11] .
[54] Il convient de procéder en deux (2) parties. Je traiterai tout d’abord du moyen préliminaire soulevé par la partie syndicale en se basant sur l’article 5.06 de la convention collective. Si nécessaire, il y aura lieu de poursuivre sur le fond.
4.1 Moyen préliminaire se référant à l’article 5.06
[55] Pour son moyen préliminaire, le procureur de la partie syndicale allègue le premier alinéa de l’article 5.06 de la convention collective qui se lit comme suit :
« L’employeur qui congédie ou suspend une personne salariée doit, dans les quatre (4) jours civils subséquents, informer par écrit la personne salariée des raisons et des faits qui ont provoqué le congédiement ou la suspension. »
[56] Le procureur de la partie syndicale soutient que la preuve a démontré que le véritable motif de congédiement de la réclamante est qu’elle aurait commis un vol. Il se réfère à cet égard à la rencontre du 17 janvier 2011 lors de laquelle des représentants de l’employeur ont demandé à trois (3) reprises à la réclamante si elle avait volé de l’argent appartenant à l’employeur. Il est exact que c’est ce qui est révélé par la preuve. Il est aussi exact que, lors de son témoignage, M me Cartier refuse en quelque sorte de qualifier de vol la conduite de la réclamante.
[57] En mettant de côté pour le moment les conséquences d’un irrespect par l’employeur de l’article 5.06, la question est celle de savoir si, par la lettre du 21 janvier 2011 (S-1), l’employeur a informé la réclamante « des raisons et des faits qui ont provoqué le congédiement ». Avec respect pour l’opinion contraire, il me paraît que cela a été fait. En effet, dans la lettre de congédiement (S-1), l’employeur a, pour l’essentiel, clairement allégué comme motif que la réclamante s’était appropriée un montant d’argent qui appartenait à cet employeur en posant les gestes décrits. La réclamante était donc parfaitement informée des raisons et des faits ayant provoqué, selon l’employeur, son congédiement. L’article 5.06 n’exige nullement que l’employeur qualifie juridiquement les raisons et les faits invoqués au regard du Code criminel ou de toute autre loi. Cette qualification juridique peut, selon les circonstances, être pertinente en cour d’enquête et audition et pour la décision à rendre, par exemple pour une question de qualité de preuve. Mais elle ne paraît pas exigée au départ par l’article 5.06 de la convention collective.
[58] Enfin, même si cela n’est pas nécessaire car j’estime que la lettre de congédiement respecte l’article 5.06, il convient de rappeler que l’irrespect d’une telle disposition n’entraîne pas nécessairement la nullité de la mesure disciplinaire. Comme le rappelle l’arbitre Gabriel-M. Côté dans l’affaire précitée de Le Syndicat des travailleurs et travailleuses du Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay Lac-St-Jean (CSN) et Centre de réadaptation en déficience intellectuelle du Saguenay Lac-St-Jean [12] , il existe deux (2) courants jurisprudentiels à cet égard. Pour ma part, j’ai émis l’opinion à plusieurs reprises que l’irrespect d’une telle disposition n’entraînait pas, sauf circonstances exceptionnelles et précises, nécessairement la nullité de la mesure disciplinaire, mais plutôt habituellement une requête pour précisions [13] .
4.2 Le fond
[59] La simple lecture du récit de la preuve démontre de nombreuses contradictions dans les explications ou excuses avancées par la réclamante. Elle démontre aussi, de façon claire et évidente, par une prépondérance de preuve très forte, que la réclamante a posé les actes qui lui sont reprochés et qu’elle a alors commis une faute équivalant à un vol en prenant « frauduleusement et sans apparence de droit » ou en détournant à son propre usage une somme de 1 200 $ appartenant à l’employeur avec l’intention de priver ce dernier « temporairement » de cette somme d’argent. Cela apparaît évident à la lecture de la preuve concernant les faits eux-mêmes et les explications bizarres, saugrenues, incohérentes et donc non crédibles avancées par la réclamante.
[60] À cet égard, il n’est pas nécessaire de reprendre, point par point, les témoignages rendus devant le tribunal tellement la simple lecture du récit de la preuve suffit pour arriver aux conclusions déjà mentionnées. Il suffit de mentionner dans un premier temps les aveux faits devant le tribunal par la réclamante et quelques autres éléments de preuve.
[61] À la fin de son interrogatoire en preuve patronale, elle a admis tous les faits mentionnés au paragraphe 1 de la lettre de congédiement, c’est-à-dire, en ajoutant quelques précisions évidentes révélées par la preuve :
- le fait qu’elle occupait le poste de caissière au service alimentaire;
- que le 28 décembre 2010, elle a quitté l’établissement avec un montant de 1 200 $ appartenant à l’employeur et provenant des machines distributrices;
- qu’à cause d’un problème de santé, le 30 décembre 2010, elle a dû rencontrer Gisèle Thibault qui la remplaçait pendant son absence pour lui expliquer avoir pris de l’argent des machines distributrices et que sa fille viendrait lui porter 400 $ en attendant le reste plus tard.
[62] Elle a aussi admis les trois (3) premières phrases du paragraphe 2 de cette lettre. Elles se lisent comme suit :
« Vous avez été suspendu sans solde pour enquête et nous vous avons convoqué à une rencontre le 17 janvier 2011. Vous avez alors admis avoir eu cet argent en votre possession. Cet argent provenait des machines distributrices et, le 28 décembre, vous avez pris avec vous un montant d’environ 1 200 $. »
[63] Elle admet aussi avoir avoué à cette rencontre du 17 janvier 2011, sans renier ni rétracter cet aveu, « que ce geste constituait une faute ».
[64] La suite de cette quatrième phrase de ce paragraphe 2 se lit comme suit :
« Mais selon vos prétentions, votre intention était d’aller à la banque chercher de la monnaie pour les machines distributrices. »
[65] À ce sujet, dans son témoignage en preuve patronale, la réclamante dit que, si elle a dit cela, elle ne s’en souvient plus, mais que ce n’était pas pour aller à la banque. Or, la preuve est limpide à l’effet qu’elle a dit une telle chose lors de cette rencontre. Cela ressort du témoignage de Marie-Claude Cartier dont il n’y a absolument aucune raison de douter de la crédibilité. Cela découle aussi très clairement du témoignage de la réclamante dans le cadre de la preuve syndicale. En effet, en contre-interrogatoire, elle admet qu’à trois (3) reprises, le 17 janvier 2011, elle a dit à M me Cartier avoir apporté les 1 200 $ pour aller chercher du change à la banque. On voit qu’alors, elle ne dit pas qu’elle ne souvient pas. Elle admet avoir fait cette déclaration le 17 janvier 2011. Dans son témoignage, sa fille a dit que sa mère lui avait affirmé avoir sorti cet argent le 28 décembre pour « aller faire du change ».
[66] Dans le contre-interrogatoire de la réclamante en preuve syndicale, elle ajoute et admet qu’elle avait cette volonté d’aller à la banque mais que « finalement », elle ne « serait pas allée à la banque parce que tout était en change ». Elle est en quelque sorte forcée de dire cela, car elle se rend bien compte qu’on ne va pas à la banque chercher de la monnaie quand on a 1 200 $ en monnaie dans un sac. Cela n’a aucun sens et de toute façon c’est contredit par la reste de la preuve (entre autres la pièce P-5 et les témoignages de M me Cartier et Rochette) quant à la disponibilité totale de monnaie pendant la période des Fêtes. D’ailleurs la réclamante elle-même finit par admettre que, même si elle avait eu peur de manquer de change (ce qu’elle ne se souvient pas avoir dit le 17 janvier 2011) elle aurait toujours pu en avoir à la comptabilité.
[67] Son « finalement » veut laisser croire que son intention était d’aller à la banque chercher de la monnaie mais que, lorsqu’elle a constaté que le 1 200 $ était presque exclusivement en monnaie, elle s’est ravisée. Cela aussi n’a aucun sens selon l’ensemble de la preuve. En effet, lorsqu’elle a quitté l’hôpital le 28 décembre vers 15 h 30, cela faisait à peine quelques heures qu’elle avait retiré cette monnaie des machines distributrices et l’avait mise en rouleaux. Dès le matin, et particulièrement à 15 h 30, elle savait très bien que la somme de 1 200 $ était presque exclusivement en pièces de monnaie. Dire qu’elle a finalement changé d’idée et ne serait pas allée à la banque n’a donc aucun sens. Je réfère aussi à toutes les autres contradictions à ce sujet dans les témoignages de la réclamante rapportés plus haut.
[68] Son explication d’aller à la banque chercher de la monnaie et sa tentative de l’expliquer sont saugrenues et dépourvues de toute logique. Je ne peux donc y accorder quelque crédibilité que ce soit.
[69] Cette absence totale de crédibilité explique pourquoi la réclamante se contredit et finit par dire qu’elle est partie avec l’argent le 28 décembre parce qu’elle n’avait pas le temps d’aller la remettre dans les machines distributrices ou ne voulait pas la laisser à la sécurité, le tout en raison de son état de santé. Mais, avec respect, et compte tenu du manque total de crédibilité de l’explication d’aller chercher de la monnaie à la banque, je ne peux accorder aucune crédibilité à cette justification relative à son état de santé. Cela est d’autant plus clair lorsque l’on constate les autres contradictions et invraisemblances du témoignage de la réclamante.
[70] C’est ainsi que, si elle avait apporté cet argent parce qu’elle était partie rapidement en raison de son état de santé, elle aurait rapporté l’argent tout au moins avant le 10 janvier 2011, date à laquelle elle a reçu la lettre de suspension pour fin d’enquête et lui interdisant l’accès à l’hôpital. En effet, elle-même et sa fille avaient trouvé le moyen le 30 décembre d’aller porter 400 $ et la preuve démontre que ça n’aurait pas été beaucoup plus compliqué d’aller porter la somme au complet, dans le sac.
[71] Son employeur a tenté de la rejoindre mais sans succès du 30 décembre au 7 janvier. Elle dit ne pas avoir répondu au téléphone car elle en était incapable. Et pourtant, elle dit que cela lui a pris une semaine pour se remettre. Voyant là une contradiction, elle se ravise et dit qu’elle ne s’est sentie bien que le 10 janvier. Compte tenu de l’ensemble de la preuve et du peu de crédibilité à accorder à son excuse première et principale, je ne peux admettre cette explication. Il aurait fallu une preuve plus solide que la simple affirmation de la réclamante et celle de sa fille à l’effet que sa mère n’allait « clairement pas bien ». « Ne pas être capable de répondre au téléphone tellement on est malade », cela va tellement contre le sens commun que ce n’est pas crédible à moins d’être appuyé par des faits clairs, précis et vérifiables.
[72] D’ailleurs, alors qu’on lui reproche de ne pas être allée porter l’argent à l’hôpital le 10 janvier 2011, elle ne se réfère pas à la lettre de suspension lui interdisant l’accès à l’hôpital, mais dit plutôt : « Vous savez pas ce que c’est de ne pas être capable de respirer. ». Et pourtant, elle venait d’affirmer que, le 10 janvier 2011, elle était rétablie après avoir d’ailleurs dit que dès le 7 janvier, elle allait mieux.
[73] Je pourrais continuer ainsi sur l’essentiel des faits. Il suffit de rapporter quelques autres contradictions ou invraisemblances dans les versions et témoignages de la réclamante. Elle affirme que le 23 décembre 2010, Ginette Larochelle du service de la comptabilité lui avait dit de passer tôt le 28 décembre car elle devait fermer le service plus tôt en raison d’un souper de bureau. Or la preuve est à l’effet que M me Larochelle était absente du travail les 23 et 28 décembre 2010. Confrontée à cela, la réclamante donne une réponse saugrenue qui affecte la crédibilité de tout son témoignage. En effet, elle dit : « Ok, mais c’était Annick; ok, en fait je vais dire que je me souviens pas. » Cela ne mérite aucun commentaire supplémentaire.
[74] Elle dit que le 28 décembre, elle était essoufflée, suffoquait, manquait d’air. Mais elle est capable de partir avec un sac d’argent « pas mal pesant », tellement pesant qu’elle dit avoir changé la monnaie en billets, partie à la banque et partie au dépanneur, précisément parce que cela aurait été pesant pour ramener le tout à l’hôpital. Et pourtant, le 17 janvier 2011, elle est totalement rétablie.
[75] Pour les autres contradictions et invraisemblances, je réfère au récit de la preuve.
[76] De tout cela, une des conclusions des procureurs de la partie patronale est la suivante :
« [...] il appert de la preuve que la seule explication raisonnable en l’instance est que la plaignante utilisait l’argent des machines distributrices pour des fins personnelles, et ce, minimalement, jusqu’au prochain dépôt. En clair, elle « roulait ses machines » (expression qu’elle a elle-même utilisée dans son témoignage), un peu a`la manière d’une procédure de « kiting ».
Elle pouvait ainsi utiliser, pendant la période des fêtes, la recette d’une machine pour couvrir le dépôt de la seconde et ainsi bénéficier de l’argent temporairement disponible, jusqu’au prochain dépôt; n’eut été de son absence pour maladie et du dépôt qui devait être effectué dans la machine « Grand Gourmet », elle ne se serait peut-être jamais fait prendre. »
[77] Il ne m’est pas nécessaire de déclarer si je suis d’accord ou non avec cette conclusion. Il suffit de déclarer que la preuve démontre clairement les actes reprochés à la réclamante et de référer à cet égard, en plus de ce qui précède, à la suite des aveux judiciaires de la réclamante lorsqu’elle est interrogée sur chaque phrase de la lettre de congédiement (S-1). Cela vaut tant pour la somme de 1 200 $ apportée à la maison que pour l’absence de dépôt le 23 décembre 2010 de la somme de 363,75 $ (pièce P-3) relative à la machine à café.
[78] Les fautes de la réclamante ont donc été établies clairement par la preuve et ses explications paraissent dénuées de crédibilité.
[79]
L’article 11.18 de la convention collective de
même que l’article
[80] À ce sujet, le procureur de la partie syndicale m’a référé à des autorités à l’effet que, même en cas de fraude ou de vol, cette discrétion de l’arbitre subsiste et doit être exercée. Il me réfère alors à la longue ancienneté de la réclamante et à son dossier disciplinaire vierge. Il allègue aussi que la réclamante a admis sa faute. Avec respect, cela me paraît inexact car, son prétendu aveu est suivi d’explications saugrenues et illogiques avancées pour la disculper. Il allègue aussi son état de santé. À ce sujet, je réfère aux propos que je tiens dans les pages précédentes. Le procureur syndical prétend aussi qu’il n’y a pas intention de frauder, mais un simple manque de jugement. Or cela est contredit par la preuve telle qu’analysée plus haut. À cet égard, il faut distinguer le mobile avancé par la réclamante (totalement non crédible) et l’intention coupable qui apparaît clair.
[81] Avec respect pour l’opinion contraire, il m’apparaît que je ne peux, en aucune façon, modifier le congédiement en une suspension. En effet, dans les circonstances révélées par la preuve et, compte tenu du poste occupé par la réclamante, si j’agissais ainsi, non seulement j’irais à l’encontre de la jurisprudence presque unanime sur la question, mais je rendrais même une décision qui risquerait d’être cassée par la Cour supérieure parce que déraisonnable. À ce sujet, il suffit de citer le passage suivant d’une décision que j’ai rendue dans l’affaire Travailleurs et travailleuses unis de l’alimentation et du commerce, local 486 et Provigo Distribution inc., (Maxi & Cie Gatineau) :
« En définitive, il n’est pas nécessaire de faire une révision jurisprudentielle élaborée sur la question. En effet, il est reconnu de façon presque unanime par la jurisprudence que dans le cas d’une caissière, la moindre faute impliquant fraude, vol ou simplement intention de fraude ou de vol entraîne en principe le congédiement à moins de circonstances très exceptionnelles. En effet, le poste de caissière en est un qui exige la plus haute confiance, une confiance absolue et totale. Dès lors, si une faute de la nature de celle commise par la réclamante est établie, il y a automatiquement et irrémédiablement rupture du lien de confiance nécessaire pour l’occupation d’un tel poste. Cela m’apparaît tellement évident que je ne vois pas pourquoi j’allongerais la présente décision pour en faire une démonstration plus détaillée. » [14]
[82] CONSIDÉRANT le grief;
[83] CONSIDÉRANT la convention collective;
[84] CONSIDÉRANT la preuve;
[85] EN CONSÉQUENCE, pour toutes les raisons mentionnées, je rejette le grief.
Sherbrooke, le 1 er novembre 2011
___________________________
Jean-Louis Dubé, arbitre
Procureur de la partie syndicale : M e Paul Gauthier
Procureurs de la partie patronale : M e Dominique L’Heureux
M me Édith Charbonneau, stagiaire
[1] 1998, Éditions Yvon Blais.
[2] Décision arbitrale du 6 septembre 2001 (Jean-Louis Dubé, arbitre).
[3] SOQUIJ AZ-50377532 (Jean-Louis Dubé, arbitre).
[4]
[5]
Décision
arbitrale du 19 septembre 2001,
[6]
SOQUIJ
[7] Décision arbitrale du 28 octobre 2004 (Huguette Gagnon, arbitre).
[8]
Décision
arbitrale du 31 mai 2005, SOQUIJ
[9] Décision arbitrale du 10 avril 2000 (Gilles Corbeil, arbitre).
[10] Décision arbitrale du 22 septembre 2004 (Diane Sabourin, arbitre).
[11] Décision arbitrale du 8 avril 2004 (Gilles Lavoie, arbitre).
[12]
SOQUIJ
[13]
Voir, entre
autres,
Syndicat des employés de Foyer Villa Maria inc.
et
Réseau
Santé Kamouraska
,
[14] Décision du 6 septembre 2001, p. 64.