Paysagement Clin d'oeil inc. c. Services d'excavation JM inc.

2011 QCCS 5788

JG

1462

 
 COUR SUPÉRIEURE

(Chambre civile)

 

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

ST-HYACINTHE

 

N° :

750-17-001524-093

 

 

 

DATE :

  31 octobre 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE :

L’HONORABLE

PIERRE-C. GAGNON, J.C.S.

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PAYSAGEMENT CLIN D'ŒIL INC.

Demanderesse

c.

SERVICES D'EXCAVATION J.M. INC.

et

VILLE DE BELOEIL

et

VILLE DE LONGUEUIL

et

AXA ASSURANCES INC.

            Défenderesses

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TRANSCRIPTION RÉVISÉE DES MOTIFS DU

JUGEMENT RENDU SÉANCE TENANTE

LE 8 SEPTEMBRE 2011

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[1]            Il s'agit de deux requêtes en irrecevabilité : une de la Ville de Longueuil, l'autre de la Ville de Belœil, face à la réclamation extracontractuelle d'un sous-traitant (ci-après appelé « Clin d'œil »), qui n'a pas été payée par l'entrepreneur général Service d'excavation J.M. inc. ( ci-après appelé « SEJM »), donc réclamation d'un sous-traitant qui tente de recouvrer sa créance auprès de l'une et l'autre ville.

[2]            Les contrats de construction sont intervenus entre l'une et l'autre ville, d'une part et l'entrepreneur général SEJM, d'autre part.

[3]            Depuis la conclusion de ces contrats et leur exécution, SEJM a fait cession de biens.

[4]            Pour exécuter l'un et l'autre contrats, SEJM a donné des sous-contrats à Clin d'œil. Celle-ci réclame paiement, n'ayant pas été payée pour plusieurs des sous-contrats, dont certains étaient exécutés tant pour la Ville de Longueuil que pour la Ville de Belœil.

[5]            Le recours direct de Clin d'œil n'est pas institué sur une base contractuelle, Me Duval est clair à cet effet. D'ailleurs, les contrats de construction ne sont pas produits. Le recours direct est tenté sur une base extracontractuelle, si bien qu'il faut trouver dans la requête introductive d'instance et les pièces alléguées à son soutien, l'énoncé d'une faute quelconque de l'une et l'autre ville.

[6]            Quand on regarde la jurisprudence qui a été produite, cette faute pourrait théoriquement reposer sur une stipulation pour autrui qui aurait été énoncée aux contrats de construction, stipulation pour autrui que l'une ou l'autre ville n'aurait pas observée. Mais rien de tel n'a été allégué et rien de tel n'est vérifiable, les contrats de construction n'étant pas produits, répétons-le.

[7]            Quand on regarde cette même jurisprudence, parfois une faute est retenue parce que le contrat de construction permettait au donneur d'ouvrage d'exiger de l'entrepreneur général, avant de le payer des quittances des sous-traitants comme quoi ceux-ci étaient payés à jour. Là encore, ce n'est pas ce qui est allégué et on n'a pas accès aux contrats de construction pour vérifier que l'une ou l'autre ville avait le droit d'exiger de telles quittances. L'action ne peut donc être instituée sur cette base.

[8]            Finalement, selon la jurisprudence, la faute du donneur d'ouvrage peut-être engendrée par son défaut de retenir des fonds qui ne devaient pas être payés à celui qui en a reçu paiement et qui devaient plutôt être payés à un sous-traitant.

[9]            À ce sujet, il y a une distinction qu'il faut faire au paragraphe 12 de la requête introductive d'instance. Il est allégué que la Ville de Belœil a transmis 80 000 $ au syndic de SEJM. Il n'y a aucune allégation correspondante et semblable quant à ce que la Ville de Longueuil aurait ou n'aurait pas fait.

[10]         La théorie de la cause que fait valoir la demande s'apparente à celle qu'a validée le juge Landry dans le jugement Acier d'armature Ferneuf Inc . c. Giguère et Geoffroy [1] :

La Ville doit sous peine d'engendrer sa responsabilité extracontractuelle et doit indépendamment des clauses du contrat de construction, veiller sur les sous-traitants, quitte à payer directement les sous-traitants plutôt que le contractant.

[11]         Je relève tout de suite que ceci est une théorie de la cause intéressante, mais discutable, parce qu'énonçant une dérogation à la théorie de la relativité des contrats. Les contrats de construction ici, sont intervenus entre l'une et l'autre Ville et SEJM. Ces contrats obligeaient à payer le prix de l'ouvrage, non pas à n'importe qui, mais au seul et unique cocontractant qui était SEJM ou par extension, au syndic à la faillite de SEJM.

[12]         Je dois me gouverner en fonction de principes juridiques qui sont maintenant assez bien connus et qui comportent deux volets : les principes régissant l'irrecevabilité et ceux régissant la faute contractuelle ou extracontractuelle envers un sous-traitant.

[13]         J'utilise le plan d'argumentation de Me Williams pour ce qui est des principes concernant l'irrecevabilité. Il est maintenant incontestable que le juge des requêtes saisi d'une requête en irrecevabilité  (avant que le procès ait lieu) doit prendre connaissance de la procédure introductive d'instance et des pièces alléguées au soutien de la requête comme s'il y était référé. À cet effet, l'arrêt de Groupe Jeunesse c. Loto-Québec [2] paraît très clair.

[14]         Le tribunal doit tenir pour avérés tous les faits qui sont allégués soit dans la requête soit dans les pièces jointes, tous les faits allégués mais uniquement les faits allégués. Le juge ne doit pas en déduire ou en extrapoler d'autres que ceux qui sont allégués. Il s'agit uniquement des faits et non pas des arguments de droit que la demanderesse  en tire.

[15]         Le principe sous-jacent du Code de procédure civile est que l'action ne peut être déclarée irrecevable que si les allégations ne sont pas susceptibles de donner éventuellement ouverture aux conclusions recherchées et que si le juge des requêtes en est convaincu.

[16]         Dans l'arrêt Giroux c. Hydro-Québec [3] , on rappelle que le juge des requêtes doit toujours agir avec prudence parce que l'irrecevabilité est une entorse au droit d'être entendu et de se faire entendre pleinement lors d'un procès et de pouvoir présenter sa preuve de façon complète. En même temps, on dit au juge des requêtes que sa prudence ne doit pas l'amener à référer au juge du fond uniquement parce que la question apparaît complexe. Ce que j'en comprends, c'est que la prudence doit triompher surtout quand les faits sont controversés et que la mise en preuve de certains faits pourrait influer sur le sort de l'action. Je vous le dis tout de suite, je ne crois pas que ce soit le cas en l'espèce.

[17]         Le paragraphe 65 de l'arrêt Giroux comporte un bon résumé de ces principes :

[65]            Une requête en irrecevabilité sous l'article 165 (4) C.p.c. ne sera accueillie que si le juge est convaincu que l'action n'est pas fondée en droit en supposant que tous les faits allégués soient vrais.  Le juge doit faire preuve de prudence. Il doit s'abstenir de mettre prématurément fin à un procès à moins d'être convaincu du bien-fondé de la requête. Toutefois, à l'instar du juge André Rochon, je ne crois pas que cette règle de prudence puisse mener à occulter le principe de base de l'art. 165 C.p.c.  Ce n'est pas parce qu'une situation de fait est complexe, ou qu'une question de droit présente des difficultés, qu'il faille en renvoyer l'étude au juge du fond.  Le juge saisi d'une demande d'irrecevabilité doit trancher quelle que soit la difficulté.  

[18]         Il y a une autre catégorie de règles de droit qui doit nous guider ici, celle concernant une possible faute extracontractuelle du donneur d'ouvrage, non pas envers son cocontractant mais envers le sous-traitant. L'arrêt clé en la  matière est celui de la Cour suprême dans Banque de Montréal c. Bail ltée . [4]

[19]         Beaucoup de jugements ont été prononcés depuis en application des principes de l'arrêt Bail, que le contrat ne soit pas en soi la base du recours contre le donneur d'ouvrage mais que le contrat ait été l'occasion durant laquelle le donneur d'ouvrage aurait commis une faute civile par action ou par négligence à l'endroit du sous-traitant. Il faut à cet effet qu'on allègue des faits qui puissent être générateurs de faute.

[20]         À ce sujet, il y a le jugement rendu par le juge Yvan Mayrand dans l'affaire LML Electrique [5] .  Je vous en lis trois paragraphes avec lesquels je suis d'accord :

[17]       Le Tribunal est d'opinion que la dénonciation ne peut servir que pour permettre au sous-contractant d'exercer le recours hypothécaire mais ne crée pas de lien de droit additionnel entre celui qui fait la dénonciation et le propriétaire de l'immeuble.

[18]       Même si la Ville a reconnu que la demanderesse avait une créance sur les travaux exécutés, cette créance ne pouvait s'exercer que contre l'entrepreneur général. La demanderesse soutient que la défenderesse a reconnu la créance par suite de l'interrogatoire de monsieur Bernard Boisvert, représentant de la Ville, qui a admis au cours d'un interrogatoire avoir personnellement eu connaissance de la dénonciation et qu'il n'a jamais reçu de quittance finale de la part de la demanderesse.

[19]       La jurisprudence est constante à l'effet que les personnes qui veulent faire affaires avec une municipalité doivent être très prudentes puisque la municipalité ne peut se lier que par résolution et par règlement adoptés par le conseil municipal et à condition que toutes les formalités requises soient respectées rigoureusement.

[21]         Un autre arrêt pertinent est celui de Commission scolaire des Patriotes c. Distributeur Tapico ltée [6] , où il est question de l'appelante (la Commission scolaire des patriotes ) et d'un sous-traitant (Distributeur Tapico). Il est question aussi de Canspec qu'on devine être l'entrepreneur général :

[6]         Bien que l'appelante ( Commission scolaire des patriotes ) ait eu la faculté d'exiger de la part de l'entrepreneur général une quittance de sous-traitant, l'appelante n'était pas tenue d'agir ainsi en l'absence d'une stipulation pour autrui en faveur de l'intimée. S'étant abstenue de le faire, elle s'exposait devoir dédommager les sous-traitants impayés comme l'intimée si ceux-ci inscrivaient dans le délai prévu par la loi un avis d'hypothèque légal sur l'immeuble. Cependant l'appelante ne pouvait abandonner la protection que lui conférait le contrat principal, comme ce fut le cas ici, sans pour autant commettre une faute dans l'exécution de ses obligations envers Canspec susceptible de donner ouverture à l'application de la norme de conduite raisonnable invoquée dans l'arrêt Bail.

[22]         Ce sont les principes qui me guident aujourd'hui. Je dois me demander si les allégations donnent ouverture à un éventuel constat de faute de la part de l'une et l'autre Ville de ne pas avoir payé un sous-traitant plutôt que de payer leur cocontractant, soit l'entrepreneur général et le syndic à la faillite de cet entrepreneur général.

[23]         Je considère que les allégations ne donnent pas ouverture ici à quelque circonstance spéciale comme celles qu'envisageait le juge Landry dans l'affaire d'Acier d'armature Fer neuf que j'ai commentée plus haut, non plus que de circonstances spéciales comme celles qu'envisageait le juge Renaud dans l'affaire  Air Liquide Canada [7] .

[24]         Je considère que, même en tenant pour avérées toutes les allégations, le principe de la relativité des contrats persiste et que dans un cas comme celui-ci, le seul créancier de l'une et l'autre Ville était l'entrepreneur général ou le syndic à sa faillite, si bien qu'il ne saurait y avoir de lien de droit ni de faute extracontractuelle de l'une et l'autre Ville à l'égard de Clin d'œil.

[25]         POUR CES MOTIFS , les deux requêtes en irrecevabilité sont ACCUEILLIES avec dépens.

 

 

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L'HONORABLE PIERRE-C. GAGNON, J.C.S .

 

 

Me Marie-Claude Duval

BASTIEN MORAND & ASS.

Avocate pour la demanderesse

 

Me Émilie Roy

Avocate pour la Ville de Longueuil

 

Me Nathan Williams

TREMBLAY SAVOIE LAPIERRE

Avocate pour la Ville de Beloeil

 

 

Date d’audience :

 

8 septembre 2011

 



[1] J.E. 2002-1243 (C.Q.).

[2] J.E. 2004-715 (C.A.).

[3] [ 2003] R.J.Q. 346 (C.A.).

[4] [1982] 2 R.C.S. 554.

[5]   LMI Électrique (1995) ltée c. 9129-4330 Québec inc ., 2008 QCCQ 1795 .

[6] 29 mai 2003, AZ-03019131 (C.A.).

[7] Air liquide Canada c. Execelpro Électrique inc ., [2007] QCCQ 15041 .