Langlois c. Leblanc

2011 QCCQ 13771

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

BEAUHARNOIS

LOCALITÉ DE

SALABERRY-de-VALLEYFIELD

« Chambre civile »

N° :

760-32-013887-106

 

 

 

DATE :

Le 23 juin 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

L’HONORABLE

CLAUDE MONTPETIT, J.C.Q.

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PHILIPPE LANGLOIS &

FRANCE  DIONNE

 

Demandeurs

 

c.

 

YVON LEBLANC

 

Défendeur

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JUGEMENT

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[1]            Les demandeurs, Philippe Langlois et France Dionne, réclament du défendeur une somme de 7 000,00$ à titre de réduction du prix de vente d'un immeuble pour vices cachés, par demande introduite en date du 3 septembre 2010.

[2]            Le défendeur, Yvon Leblanc, refuse de payer cette somme au motif que la maison vendue n'était affectée d'aucun vice caché car il a déclaré les fissures datant de 1979 qui ont été réparées et au surplus, il a fait colmater, à ses frais, les fissures décelées par l'expert préachat des demandeurs.

[3]            Subsidiairement, le défendeur Leblanc plaide que la réclamation des demandeurs est grossièrement exagérée et que les fissures auraient pu être réparées à meilleur prix.

QUESTION EN LITIGE

[4]            L'immeuble du […] à Ste-Martine, acheté du défendeur en date du 10 décembre 2008, était-il affecté d'un vice caché au sens de l'article 1726 du Code civil du Québec?

LES FAITS

[5]            Les faits retenus par le Tribunal selon la preuve prépondérante se résument comme suit:

[6]            Au mois de septembre 2008, les demandeurs s'intéressent à la maison du défendeur Leblanc.

[7]            Cette maison a été construite en 1978 et le défendeur Leblanc l'habite depuis la construction.

[8]            Dans sa «déclaration du vendeur», dont une copie est remise aux demandeurs, le défendeur Leblanc déclare avoir fait réparer des fissures au solage en 1979 et mentionne ce qui suit quant à ces fissures:

«Une fissure avant colmatée; une fissure arrière injectée époxy intérieur et extérieur.»

[9]            Puisque monsieur Leblanc déclare que ces fissures n'ont jamais coulé depuis 1979, les demandeurs ne les font pas examiner par l'inspecteur préachat dont ils retiennent les services, monsieur Michel Pouliot.

[10]         Toutefois, les demandeurs ont suivi la recommandation de leur inspecteur de faire réparer deux autres fissures découvertes dans la fondation (à l'avant et du côté droit) et de réparer également les joints de ciment entre l'ancienne et la nouvelle partie du solage (deux joints mécaniques).

[11]         Ces réparations sont faites aux frais du vendeur Yvon Leblanc par Fissures Alain Grenier.

[12]         En septembre 2009, les demandeurs découvrent des signes de détérioration d'une des fissures réparées par le vendeur lors de la vente ainsi qu'une nouvelle fissure verticale qui n'existait pas lors de la vente.

[13]         Les demandeurs en avisent immédiatement le défendeur Leblanc et contactent celui qui a fait le travail en 2008, monsieur Alain Grenier.

[14]         L'expert en fissure Grenier refuse alors d'exécuter le travail, préférant référer les demandeurs à un ingénieur car le problème des fondations est grave selon lui.

LES TÉMOINS EXPERTS

[15]         En date du 21 octobre 2009, la maison est visitée par l'ingénieur Claude Guertin (rapport P-7) de la firme ProspecPlus Conseils Inc.

[16]         L'expert Guertin fait alors dégager les fissures réparées en 1979 par le vendeur Leblanc et fait aussi dégarnir les murs intérieurs afin d'avoir une vue complète de ces fissures.

[17]         Contrairement à ce qui avait été représenté par le vendeur Leblanc, l'expert Guertin découvre que la fissure de 1979 située à l'avant de la propriété n'a pas été colmatée de l'extérieur.

[18]         De plus, l'ingénieur Guertin découvre que l'autre fissure datant de 1979, située à l'arrière de la maison, n'a pas été injectée à l'époxy mais bien seulement colmatée avec du mortier.

[19]         L'expert Guertin note au niveau de cette fissure datant de 1979 un tassement différentiel, soit une dislocation structurelle de la fondation visible à l'œil nu (photo C-15A).  Cette dislocation ne peut être réparée par injection et nécessite un renforcement beaucoup plus important à l'aide d'attaches métalliques.

[20]         Pour régler le problème, selon l'ingénieur Guertin, il faut redonner au solage son état monolithique car le tassage différentiel, au fil des années, a fait en sorte que la maison n'est plus au niveau (voir tableau en trois dimensions, page 27 du rapport P-7).

[21]         Questionné à savoir si cette dislocation du solage existait au moment de l'achat par les demandeurs en décembre 2008, l'expert Guertin répond par l'affirmative et ajoute ce qui suit à la page 42 de son rapport:

«Finalement, considérant le contenu du rapport d'inspection préachat et des déclarations du vendeur sur l'immeuble, ainsi que l'état apparent de la propriété sous étude au jour de l'offre d'achat, nous sommes d'avis qu'il n'était pas possible, pour les nouveaux propriétaires, de savoir que des sommes substantielles devraient être considérées pour permettre la correction de vices qui étaient de toute évidence existants et inconnus des acheteurs au moment de l'achat de la propriété.»

[22]         L'expert entendu en défense, Richard Guertin, se qualifie de technologue en bâtiment.

[23]         Il s'est rendu sur les lieux en mai 2010 et il se dit d'accord, dans l'ensemble, avec le rapport de l'ingénieur Claude Guertin, notamment en ce que les fissures de 1979 n'ont pas été réparées selon les règles de l'art (D-15).

[24]         Toutefois, Richard Guertin se dissocie de la conclusion de l'ingénieur, à savoir qu'il y a tassement différentiel de la fondation et que celle-ci ne peut être réparée par injection à l 'époxy.

[25]         Le technologue Guertin conclut donc à l'exagération quant à cette partie du rapport de l'ingénieur Guertin.

ANALYSE

[26]         Après avoir entendu le témoignage des deux experts, le Tribunal retient le témoignage de l'expert en demande, l'ingénieur Claude Guertin, dont les explications ont été plus précises, claires et fondées sur des plans et des photos très détaillés.

[27]         En matière de vice caché, il faut déceler les quatre critères suivants :

 

-          Le vice est grave, c’est-à-dire qu’il cause des inconvénients sérieux à l’usage du bien et que l’acheteur n’aurait pas payé le prix convenu s’il l’avait connu;

 

-          Le vice est inconnu de l’acheteur au moment de la vente;

 

-          Le vice est caché, c’est-à-dire qu’il ne peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans devoir recourir à un expert;

 

-          Le vice est antérieur à la vente puisque la garantie porte sur l’état du bien au moment de la vente.

[28]         Les demandeurs ont dénoncé le problème qui affectait leur résidence par une correspondance abondante envoyée au défendeur et ont respecté ainsi les dispositions de l'article 1739 C.c.Q. qui se lit comme suit:

«1739.  L'acheteur qui constate que le bien est atteint d'un vice doit, par écrit, le dénoncer au vendeur dans un délai raisonnable depuis sa découverte. Ce délai commence à courir, lorsque le vice apparaît graduellement, du jour où l'acheteur a pu en soupçonner la gravité et l'étendue.

 

Le vendeur ne peut se prévaloir d'une dénonciation tardive de l'acheteur s'il connaissait ou ne pouvait ignorer le vice.»

[29]         Leur recours pour vices cachés est fondé sur l'article 1726 du Code civil du Québec qui stipule:

«1726.  Le vendeur est tenu de garantir à l'acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l'usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l'acheteur ne l'aurait pas acheté, ou n'aurait pas donné si haut prix, s'il les avait connus.

 

Il n'est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l'acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert.»

 

[30]         Le Tribunal conclut que les demandeurs ont été des acheteurs prudents et diligents en faisant inspecter la maison par deux experts, l'inspecteur préachat Pouliot et l'expert en fondation Daniel Grenier, avant de se porter acquéreurs de la maison.

[31]         Le Tribunal retient la version des demandeurs qu'ils ont été réconfortés par les représentations du vendeur Leblanc qu'il avait fait colmater la fissure avant en 1979 et injecter la fissure arrière de l'intérieur et de l'extérieur, ce qui était finalement faux.

[32]         Il a été décidé par les tribunaux qu'un vice révélé par des indices peut être considéré comme caché si le vendeur a fourni, même de bonne foi, des informations fausses ou inexactes qui  sont de nature à créer chez l'acheteur un sentiment de fausse sécurité. [1]

[33]         Le Tribunal considère que les acheteurs (demandeurs) étaient rassurés par la déclaration du vendeur (défendeur) que ces fissures avaient été réparées avec soin en 1979, ce qui n'était pas le cas selon les constatations de l'ingénieur Guertin.

[34]         De plus, la preuve démontre que les experts qui ont vu la maison avant l'achat (Pouliot et Grenier) ne pouvaient voir la dislocation du solage qui n'était visible qu'après des travaux destructifs intérieurs ou de creusage extérieur.

[35]         Quant aux  réparations que les demandeurs ont fait effectuer, la preuve révèle qu'ils ont déboursé la somme de 8 364,04$ (P-21) qu'ils acceptent de réduire à la somme de 7 000,00$.

[36]         L'ingénieur Claude Guertin a fait part au Tribunal que la solution retenue par les demandeurs  était  la  plus  économique  car  l'installation  de  pieux  aurait coûté plus de 50 000,00$.

[37]         Le Tribunal répond donc par l'affirmative à la question en litige, soit que l'immeuble du […], à Ste-Martine, était affecté, au niveau de la fondation, d'un vice caché grave et inconnu en date du 10 décembre 2008 et qu'ils n'auraient pas acheté l'immeuble s'ils l'avaient connu.

[38]         Les demandeurs ont prouvé qu'ils ont dû assumer les frais suivants pour les services de leur expert ingénieur, Claude Guertin:

·         Visite des lieux et prise de données (P-8)               602,75$

·         Rédaction du rapport (P-9)                                  1 489,95$

·         Présence à la Cour (P-28)                                         888,62$

        2 981,32$

[39]         Le Tribunal estime que le témoignage de l'expert Claude Guertin était nécessaire afin de permettre aux demandeurs de faire leur preuve et qu'il y a lieu de condamner le défendeur à payer la somme de 2 981,32$.

PAR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL:

            ACCUEILLE la demande des demandeurs;

CONDAMNE le défendeur Yvon Leblanc à payer aux demandeurs la somme de 7 000,00$ avec intérêts au taux légal, l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 C.c.Q. à compter de l'assignation du 16 septembre 2010, les frais judiciaires de 159,00$ et les frais d'expert de 2 981,32$.

 

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CLAUDE MONTPETIT, J.C.Q.

(JM2018)

 

Date d’audience :  Le 2 juin 2011

 

 

 

 

SECTION III

DU RETRAIT ET DE LA DESTRUCTION DES PIÈCES

 

Les parties doivent reprendre possession des pièces qu'elles ont produites, une fois l'instance terminée.  À défaut, le greffier les détruit un an après la date du jugement ou de l'acte mettant fin à l'instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.

 

Lorsqu'une partie, par quelque moyen que ce soit, se pourvoit contre le jugement, le greffier détruit les pièces dont les parties n'ont pas repris possession, un an après la date du jugement définitif ou de l'acte mettant fin à cette instance, à moins que le juge en chef n'en décide autrement.  1994, c. 28, a. 20.



[1]     Beaudet c. Bastien , QCCQ 13454;

      Gendron c. Cartier , QCCQ 5793;

      Rioux c. Doré , 2001 AZ-01036391 (C.Q.).