Régie intermunicipale de police Roussillon c. Faucher
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2011 QCCS 6083 |
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JC2050
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CANADA |
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PROVINCE DE QUÉBEC |
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DISTRICT DE |
LONGUEUIL |
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N° : |
505-05-009818-102 |
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DATE : |
18 novembre 2011 |
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SOUS LA PRÉSIDENCE DE : |
L’HONORABLE |
CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S. |
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RÉGIE INTERMUNICIPALE DE POLICE ROUSSILLON; |
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Demanderesse |
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c. |
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MAÎTRE NATHALIE FAUCHER; |
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Défenderesse |
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et |
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FRATERNITÉ DES POLICIERS DE LA RÉGIE INTERMUNICIPALE DE POLICE ROUSSILLON INC. |
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Mise-en-cause |
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JUGEMENT |
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INTRODUCTION
[1] Un policier suspendu avec demi-solde parce qu'il fait face à des accusations criminelles mais qui est par la suite acquitté a t-il droit de recevoir l'autre moitié du salaire dont il a été privé?
[2] Voilà pour l'essentiel la question à résoudre que pose la requête de la demanderesse.
PROCÉDURE DEVANT LE TRIBUNAL
[3]
La Régie intermunicipale de police de Roussillon ("
la Régie
")
présente une requête introductive d'instance en révision judiciaire selon les
articles
[4] La Régie veut que cette cour révise et casse la sentence arbitrale de Me Nathalie Faucher (" Me Faucher ") qui, le 11 août 2010, a ordonné à la Régie de rembourser au policier Yan Lefèvre (" Lefèvre ") le traitement et les avantages que ce dernier a perdus à la suite de sa suspension.
PARTIES À L'INSTANCE
[5] La Régie est une Régie intermunicipale créé dans le but d'assurer des services policiers sur le territoire des villes de Candiac, Delson, La Prairie, Saint-Constant, Saint-Mathieu, Saint-Philippe et Sainte-Catherine.
[6] La Fraternité des policiers de la Régie intermunicipale de police Roussillon inc. (" la Fraternité ") est de son côté une association de salariés regroupant tous les policiers salariés au sens du Code du travail [1] à l'emploi de la demanderesse.
[7] Quant à elle, Me Faucher est l'arbitre qu'ont choisie la Régie et la Fraternité pour entendre le grief du policier Lefèvre à qui elle a donné raison.
CONTEXTE FACTUEL
[8] Lefèvre travaille comme policier pour la Régie depuis 1999.
[9] En 2006, il fait l'objet d'accusations criminelles pour des gestes qu'il aurait posés alors qu'il n'agissait pas comme policier.
[10] Moins de trois semaines après que les accusations eurent été portées contre Lefèvre, la Régie l'avise qu'elle le relève provisoirement de ses fonctions, et ce, à demi-traitement.
[11]
Le jour des événements, Lefèvre aidait son père à déménager les effets
personnels de sa sœur. Les effets en question se trouvaient alors dans
l'appartement de son ex-conjoint. Un conflit a éclaté quant à la propriété d'un
réfrigérateur. Les choses ont dégénéré. Les policiers de Longueuil sont
intervenus. Finalement, Lefèvre a été accusé d'intimidation (art.
[12] On connaît la suite. Dès l'acquittement de Lefèvre, la Fraternité dépose un grief. Elle réclame de la Régie qu'elle paie au policier la rémunération à laquelle il a droit. Me Faucher accueille le grief.
SENTENCE ARBITRALE ATTAQUÉE
[13] Me Faucher entend le grief de Lefèvre le 31 mars et le 17 mai 2010. Elle prononce sa sentence le 11 août suivant.
[14] Il s'agit d'une décision écrite qui tient sur 19 pages et comporte 61 paragraphes.
[15] L'arbitre place l'affaire dans son contexte factuel, fait état de l'argumentation de la Fraternité et de la Régie puis pose la question en litige.
[16] Pour y répondre, elle fait appel aux dispositions pertinentes de la convention collective mais surtout à la jurisprudence des tribunaux de droit commun et d'arbitrage.
ARTICLE 8 DE LA CONVENTION COLLECTIVE
[17] L'article 8 de la convention collective alors en vigueur traite des mesures disciplinaires que la Régie peut imposer, dans les circonstances qui sont mentionnées, à un membre de la Fraternité. La situation de monsieur Lefèvre est expressément visée par l'article 8.10 dont la partie pertinente se lit comme suit:
" Lorsqu'un policier est poursuivi en discipline, en déontologie, au pénal ou au criminel pour un événement relié ou non à l'exercice de ses fonctions, il ne peut être relevé provisoirement de ses fonctions qu'avec au minimum demi-traitement ou il est assigné temporairement à d'autres fonctions, avec au minimum vingt (20) heures semaine conformément à l'article 31.01…".
[18] Il n'y a rien dans la convention collective qui prévoit ce qu'il adviendra du demi-traitement qui n'a pas été versé au policier suspendu puis acquitté. C'est ici le cas de Lefèvre.
MOTIFS DE RÉVISION
[19] Au soutien de sa demande de révision, la Régie allègue que la sentence arbitrale de Me Faucher contient une erreur déraisonnable dans l'interprétation de l'article 8.10 de la convention collective et que cette cour doit intervenir. Pour démontrer ce qui précède, la demanderesse allègue ce qui suit:
" a) la décision récente de la Cour suprême du Canada dans
l'affaire
L'Indutrielle-Alliance Compagnie d'Assurance sur la vie c.
Cabiakman
(
b) en l'espèce, le texte de l'article 8.10 de la convention collective P-1 énonce clairement cette intention des parties en permettant expressément à la demanderesse de suspendre un de ses policiers avec demi-traitement dans des circonstances bien définies;
c) il s'agit là, clairement, d'un compromis convenu par les parties afin de régler définitivement un problème souvent épineux;
d) énoncer, comme le fait la défenderesse, qu'un texte de cette nature ne vise que la question de la rémunération pendant la suspension d'un salarié mais non celle du remboursement de ces sommes après un acquittement (pièce P-3, pages 13 et 15, paragraphes 45 et 52) est le résultat d'une lecture extrêmement imparfaite de ce texte qui ne peut être considérée comme étant raisonnable;
e) de fait, selon cette décision, l'employeur devrait toujours rembourser au salarié les sommes dont il aurait été privé pendant une telle suspension et ce même s'il le congédiait suite à la décision du tribunal de juridiction criminelle;
f) de même, le fait pour la défenderesse de s'appuyer essentiellement sur des décisions ayant tranché de telles questions dans des situations factuelles similaires, mais alors qu'aucune disposition de convention collective n'était en cause (pièce P-3, page 17, paragraphe 55) illustre de façon évidente le caractère nettement incomplet de son analyse;
g) la décision P-3 constitue en conséquence un refus évident de la défenderesse de donner un sens utile et complet au texte de l'article 8.10 de la convention collective P-1 alors que ce texte est le fruit de la volonté des parties;
h) il s'agit là d'une décision déraisonnable qui justifie l'intervention de la Cour supérieure, surtout si on considère que la décision de suspendre Yan Lefèvre a été jugée parfaitement légitime par l'arbitre Serge Lalande dans la décision citée comme pièce P-6".
NORME DE CONTRÔLE
[20] Tant la Régie que la Fraternité sont d'avis que la norme de contrôle applicable en l'instance est celle de l'erreur déraisonnable. Le Tribunal estime que les parties ont raison sur ce point.
[21] En effet, la Cour suprême énumère dans l'arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick [2] certains éléments amenant l'application de la norme de la raisonnabilité comme critère de révision:
" [55] Les éléments suivants permettent de conclure qu'il y a lieu de déférer à la décision et d'appliquer la norme de la raisonnabilité:
-Une clause privative: elle traduit la volonté du législateur que la décision fasse l'objet de déférence.
-Un régime administratif distinct et particulier dans le cadre duquel le décideur possède une expertise spéciale (p. ex., les relations de travail).
-La nature de la question de droit. Celle qui revêt " une importance capitale pour le système juridique [et qui est] étrangère au domaine d'expertise" du décideur administratif appelle toujours la norme de la décision correcte (Toronto (Ville) c. S.C.F.P., par. 62). Par contre, la question de droit qui n'a pas cette importance peut justifier l'application de la norme de la raisonnabilité lorsque sont réunis les deux éléments précédents" [3] .
[22] En ce qui concerne le choix de la norme de contrôle judiciaire applicable aux décisions de l'arbitre, l'auteur Robert P. Gagnon [4] nous indique ce qui suit:
" Dans son rôle d'interprète de la convention collective, et, accessoirement, dans la mesure où il lui est nécessaire de faire appel à des lois ou à des règles de droit commun relevant de son expertise pour décider d'un grief , l'arbitre bénéficie d'une autonomie décisionnelle maximale et d'une obligation de retenue proportionnelle de la part des tribunaux supérieurs; seule une décision déraisonnable de sa part justifiera l'annulation de sa décision.
On se rapportera plutôt à la norme de la décision correcte lorsque la détermination de l'arbitre porte sur sa compétence à l'endroit du litige, ou s'il contrevient aux règles de la justice naturelle . S'agissant en particulier d'une loi de nature constitutionnelle ou quasi constitutionnelle comme c'est le cas pour les chartes, l'arbitre ne disposera d'aucune marge d'erreur en droit". (soulignements du Tribunal).
[23] La jurisprudence postérieure à l'arrêt Dunsmuir (en conformité avec les jugements antérieurs) a confirmé que la norme de contrôle applicable à la décision de l'arbitre appelé à interpréter et appliquer une convention collective est celle de la décision raisonnable, que les questions soumises à l'arbitre soient de droit ou de faits [5] .
[24] Une telle norme de contrôle exige la déférence à l'égard de la décision attaquée. La Cour suprême énonce en effet ce qui suit dans l'arrêt Khosa [6] :
" Lorsque la norme de la raisonnabilité s'applique, elle commande la déférence. Les cours de révision ne peuvent substituer la solution qu'elles jugent elles-mêmes appropriée à celle qui a été retenue, mais doivent plutôt déterminer si celle-ci fait partie des "issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit" ( Dunsmuir , par.47). Il peut exister plus d'une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l'issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d'intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l'issue qui serait à son avis préférable."
APPLICATION À L'ESPÈCE
[25] La déférence est donc de mise ici. Le Tribunal note que Me Faucher fonde sa décision sur des sources législatives et jurisprudentielles.
[26] L'arbitre fait référence au Code civil et à un certain nombre de jugements des tribunaux judiciaires.
[27] Ainsi, l'arbitre réfère à des articles du Code civil traitant du contrat de travail (articles 2085 à 2097).
[28] Elle cite la décision Cabiakman [7] de la Cour suprême du Canada et le jugement de la Cour supérieure de Sûreté du Québec [8] .
[29] La convention collective des parties étant muette sur la question d'un remboursement dans un cas comme celui de Lefèvre, Me Faucher devait donc interpréter les dispositions pertinentes à l'aide de la loi et de la jurisprudence. C'est exactement ce qu'elle a fait ici.
[30]
En matière de contrat de travail, l'employeur est tenu de permettre
l'exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération
fixée (article 2087 C.c.Q). De son côté, le salarié s"oblige alors
d'exécuter le travail convenu (article
[31] Dans l'arrêt Cabiakman , la Cour suprême mentionne avec approbation des décisions arbitrales ayant conclu au paiement du salaire d'un employé réintégré après avoir été suspendu sans solde. La cour énonce le principe que "… dans de telles situations, il existe une condition implicite de rétablissement de la situation juridique des parties après la cessation de la cause de l'inexécution des fonctions du salarié." [9]
[32] D'ailleurs, cette cour a refusé dans l'affaire Sûreté du Québec de réviser judiciairement une sentence arbitrale qui ordonnait le remboursement du salaire perdu par un policier lors de sa suspension dans des circonstances similaires à la présente cause [10] .
[33] Somme toute, la sentence arbitrale attaquée ici possède le caractère raisonnable décrit dans l'arrêt Dunsmuir [11] : justification de la décision, transparence et intelligibilité de son processus, appartenance de celle-ci aux issues possibles acceptables que les faits et le droit permettent de justifier.
[34] Sur le tout, le Tribunal est d'avis qu'il n'y a pas lieu d'intervenir.
CONCLUSIONS
[35] Pour tous ces motifs, le Tribunal:
[36] REJETTE la requête introductive d'instance de la demanderesse;
[37] Avec dépens .
CLAUDE CHAMPAGNE, J.C.S. |
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Me Gérard Caisse |
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Bélanger Sauvé |
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Procureur de la demanderesse |
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Me Frédéric Nadeau Trudel Nadeau Procureur de la mise-en-cause |
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Date d’audience : |
7 juillet 2011. |
[1] L.R.Q. chapitre C-27.
[2]
[3]
Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick,
[4] Robert P. Gagnon, "L'arbitrage de griefs" dans, Collection de droit 2011-2012, École du Barreau du
Québec, vol. 8, Droit du travail , Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 211, à la page 229.
[5] À titre d'exemple, voir Montréal (Ville de) c. Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal (SCFP,
301),
(CSN) c. CSSS Haut-Richelieu-Rouville,
[6]
Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa
,
[7]
Cabiakman
c.
Industrielle-Alliance Cie d'Assurance sur la Vie
,
[8] Sûreté du Québec c. Gagnon , C.S. 500-05-062113-004, 7 août 2001, juge Hélène Langlois.
[9] Arrêt Cabiakman , précité, paragraphes 70 et 71.
[10] Sûreté du Québec c. Gagnon, précitée.
[11]
Dunsmuir
c.
Nouveau-Brunswick
,