N.B. c. Berbari

2011 QCCQ 14599

COUR DU QUÉBEC

« Division des petites créances »

CANADA

PROVINCE DE QUÉBEC

DISTRICT DE

HULL

LOCALITÉ DE

GATINEAU

« Chambre civile »

N° :

550-32-018385-101

 

 

DATE :

 Le 26 octobre 2011

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SOUS LA PRÉSIDENCE DE

 

L’HONORABLE

 

SERGE LAURIN, J.C.Q.

 

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N... B...

[…] Val-Des-Monts (Qc) […]

 

     Partie demanderesse

c.

 

PATRICIA BERBARI

[…] Gatineau (Qc) […]

     

Partie défenderesse

 

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J U G E M E N T

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INTRODUCTION

[1]    Madame B... consulte le D re Berbari pour une réduction mammaire et un redrapage. Suite à la première chirurgie, madame B... constate qu'il ne s'agit pas d'une réduction mammaire, mais bien d'une augmentation mammaire considérable. Le D re Berbari accepte de procéder à une deuxième chirurgie. Suite à cette deuxième chirurgie, madame B... trouve la réduction mammaire insuffisante et réclame du D re Berbari le coût d'une troisième chirurgie faite par un autre chirurgien plastique.

 

QUESTION EN LITIGE

[2]    Le Tribunal doit déterminer si le D re Berbari a respecté ses engagements contractuels.

 

LES FAITS

[3]    Le 9 octobre 2007, madame B... consulte le D re Berbari, chirurgienne plastique et esthétique, pour un redrapage des seins et une réduction mammaire. Le D re Berbari lui remet une estimation dont le montant s'élève à 4 500,00$ et un livret intitulé: «La diminution mammaire et le redrapage».

[4]    Le 5 novembre 2007, madame B... se présente à la clinique du D re Berbari et signe un consentement à la chirurgie, préparé par l'assistante du D re Berbari. Madame B... remet aussi un dépôt de 1 000,00$.

[5]    Après des recherches sur internet et après s'être informée sur le sujet, madame B... rencontre à nouveau le D re Berbari le 4 décembre 2007 pour obtenir plus d'informations. Elle demande au D re Berbari si suite à une réduction mammaire et un redrapage, les seins étaient pour être plus fermes. Le D re Berbari lui aurait répondu que pour avoir un galbe à la partie supérieure et un sein rond et ferme, il faudrait mettre un implant mammaire.

[6]    À cet effet, les notes du D re Berbari, en date du 4 décembre 2007, confirment cette rencontre et les désirs de madame B.... Le D re Berbari indique dans ses notes que la patiente veut un petit sein rond. Elle ajoute: «200 à 225 ml», en parlant d'implants, et mentionne que la patiente veut un galbe supérieur.

[7]    Le D re Berbari fixe le coût d'une telle chirurgie à 8 500,00$. Madame B..., ayant déjà versé la somme de 1 000,00$, il reste un solde de 7 500,00$, tel qu'indiqué sur le consentement à la chirurgie modifié. Madame B... affirme que le consentement à la chirurgie a été modifié unilatéralement par l'assistante du D re Berbari ou par le D re  Berbari elle-même, après la consultation du 4 décembre 2007. Elle est d'accord avec les coûts, mais pas les autres modifications qu'elle a constatées bien après la première chirurgie, lorsqu'elle a demandé une copie de son dossier médical. À la première phrase du consentement, il est mentionné: «Par la présente, j'autorise le D re  Berbari à procéder à la chirurgie suivante: redrapage seins + augmentation seins (salin) …» alors qu'elle affirme qu'initialement, il était plutôt mentionné le mot «réduction» au lieu du mot «augmentation». La modification est évidente sur l'original. Elle affirme ne pas avoir reçu l'original ni une copie du consentement suite à cette rencontre. Bien que ce consentement ait été amendé, il n'est pas paraphé par madame B..., mais uniquement par le D re Berbari.

[8]    Madame B... affirme que le D re Berbari ne lui a jamais fait essayer des   soutiens-gorge munis de prothèses pour voir le résultat probable. D'ailleurs, elle avait déjà des seins d'un volume de bonnet ''D''.  Elle affirme que jamais le D re Berbari lui a mentionné que ses seins augmenteraient de volume. Elle avait comme objectif de réduire le volume de ses seins.

[9]    Le 22 janvier 2008, madame B... rencontre le D re Berbari pour une consultation préopératoire. D'ailleurs, le D re Berbari dicte les notes de sa rencontre pour le centre hospitalier où la chirurgie aura lieue. On peut y lire:

«J'ai expliqué à la patiente la technique de redrapage mammaire avec une cicatrice périe-aréolaire et verticale infra-aréolaire. Nous avons discuté du volume des seins et elle insiste beaucoup qu'elle veut un petit B. Après avoir vu des photos avec une augmentation mammaire, elle a opté pour avoir un redrapage avec une augmentation de petit volume, 200 à 225 ml en plus de sa mastopexie pour donner un plus bel aspect aux seins (…).»

[10]         Lors de cette même rencontre, madame B... lui remet une photographie d'une femme aux seins nus comme référence à la grosseur de seins qu'elle désire obtenir. On peut facilement constater que le volume des seins sur la photographie est petit. Dans les notes du dossier médical de madame B..., le D re Berbari inscrit, en date du 22 janvier 2008, «photo de revue montrée par patiente, veut B pas plus».

[11]         Le 8 février 2008, madame B..., qui a un rhume, rencontre le D re Berbari et lui réitère son désir d'avoir des seins d'un volume de bonnet ''B''. Le médecin lui fixe un nouveau rendez-vous le 18 février 2008 pour constater de l'évolution de son rhume et pour s'assurer de l'état de la patiente pour subir la chirurgie du 25 février 2008. Dans les notes de la rencontre du 8 février 2008, le D re Berbari indique «rendez-vous au bureau, veut un B». Le 18 février 2008, madame B... rencontre à nouveau le D re Berbari et confirme qu'elle désire un volume de seins de bonnet ''B''. Encore une fois, dans les notes du 18 février 2008, il est indiqué «patiente veut un B, elle ne veut pas plus gros».

[12]         Préalablement à la chirurgie au centre hospitalier, en date du 25 février 2008,  une infirmière demande à madame B... de signer une formule de consentement.  Sur ce formulaire, il apparaît «opération indiquée ci-après: augmentation de seins (salines) / redrapage des seins». Suite à la présentation du consentement, madame B... spécifie à l'infirmière qu'elle ne veut pas une augmentation mammaire, mais bien une réduction mammaire. L'infirmière lui indique d'en parler avec le D re Berbari. Madame B... confirme l'avoir fait dans la salle d'opération alors que le docteur procédait aux dessins sur sa poitrine pour la chirurgie à être exécutée. Le D re Berbari semblait bien comprendre les désirs de madame B....

[13]         Immédiatement après la chirurgie, madame B... et son conjoint constatent que la poitrine de cette dernière est très volumineuse. Le D re Berbari la rassure en lui expliquant que ses seins sont enflés et que le bandage laisse présager des seins plus gros que prévu. Le docteur lui confirme que ses seins ne seront pas gros.

[14]         Le 19 mars 2008, madame B... rencontre le D re Berbari et lui explique qu'elle trouve ses seins encore gros. Le 15 avril 2008, elles se rencontrent encore et madame B... confirme que ses seins sont trop gros et qu'elle désire une réduction mammaire. Elle dit que les brassières qu'elle a achetées ont un bonnet d'une grosseur ''D'', bien loin du ''B'' qu'elle espérait obtenir. Le D re Berbari accepte de faire une deuxième chirurgie à ses frais.

[15]         L'examen des photographies préopératoires et postopératoires de la première chirurgie démontre que la grosseur des seins est plus volumineuse qu'avant la chirurgie. Le 11 juin 2008, madame B... rencontre le D re Berbari pour une consultation préopératoire. Dans les notes du docteur, il est indiqué: «la patiente veut un B maintenant, veut réduction de l'aréole aussi donc réduction mammaire». Madame B... affirme que la dictée du D re Berbari sur le formulaire de consultation pré admission du centre hospitalier est erronée. En effet, la deuxième chirurgie n'a pas été faite pour les motifs indiqués dans la dictée mais bien parce que les seins ne correspondaient pas à la grosseur qui avait été initialement convenue entre les parties. Le D re Berbari mentionne «la patiente trouve que ses seins sont trop gros et elle voudrait avoir une diminution mammaire». Elle ajoute, un peu plus loin: «elle voudrait que je rapetisse au maximum le volume de ses seins ainsi que je réduise la circonférence des aréoles, qui à mon avis est adéquate».

[16]         Le 7 juillet 2008, le D re Berbari procède à une deuxième chirurgie pour une réduction mammaire. Le 9 juillet 2008, on procède à l'enlèvement des bandages et madame B... trouve ses seins encore gros. L'infirmière lui dit qu'elle a de l'enflure et qu'elle aurait ''un bon 34 C ''. Madame constate qu'elle n'aura pas encore des seins d'une grosseur de bonnet ''B'' comme elle l'a demandé au D re Berbari.

[17]         Madame B... revoit le D re Berbari le 7 janvier 2009, et lui indique qu'elle trouve ses seins encore trop gros. Finalement, elle la revoit une dernière fois, le 15 avril 2009.

[18]         Le 20 juillet 2009, madame B... consulte un autre chirurgien, le D r Dubois. Ce dernier constate que la patiente désire des seins plus petits, situés plus haut, plus fermes et avec un galbe, mais n'a pas obtenu ce qu'elle désirait. Il souhaite consulter les protocoles opératoires et demande à la revoir éventuellement, afin qu'il puisse expliquer sa position.

[19]         Le 31 mars 2010, le D r Dubois procède à un redrapage et à une réduction mammaire bilatérale ainsi qu'au remplacement des implants mammaires. Suite à cette chirurgie, madame B... obtient finalement des seins du volume désiré. Le coût de cette nouvelle chirurgie s'élève à la somme de 9 315,75$. Madame B... réduit sa demande en justice à 7 000.00$ afin de respecter la juridiction de la Cour du Québec, division des petites créances.

[20]         Le D re Berbari témoigne et explique les difficultés d'une telle chirurgie. Elle fait aussi témoigner un témoin expert chirurgien plasticien, le D r Cholet, qui analyse le résultat de la chirurgie à partir des photographies et du dossier de madame B.... Il ne constate pas d'erreur médicale de la part du D re Berbari. Par contre, il admet que les seins de madame B..., même suite à la deuxième chirurgie, ne sont pas d'un volume de bonnet ''B''. Il démontre une méthode pratiquée pour démontrer aux patientes les effets de la chirurgie. Ceci consiste en l'installation d'implants à l'intérieur d'un soutien-gorge et l'essaie par la patiente de celui-ci, afin qu'elle puisse s'examiner devant un miroir et constater le résultat probable de l'intervention. Relativement à ce témoignage, madame B... affirme que le D re Berbari ne lui a pas fait essayer de soutien-gorge avec des implants, car ses seins étaient déjà gros et qu'elle désirait obtenir une réduction mammaire. Il était donc impossible d'imaginer le résultat escompté avec cette méthode.

[21]         Les docteurs Cholet et Berbari expliquent au Tribunal que le fait d'enlever des tissus de la peau et du gras ne peut être comparé en poids avec la solution saline des implants. On ne peut comparer les grammes de gras et les millilitres d'eau saline des implants.

[22]         Le D r Cholet affirme que le volume des seins correspond à la décision finale de la patiente. De plus, il explique qu'il aurait été dangereux de réduire davantage le volume des seins lors de la première chirurgie, car il aurait pu en résulter une nécrose du mamelon. Pour obtenir le résultat escompté par madame B..., il fallait procéder à un minimum de deux chirurgies. L'idéal aurait été d'enlever complètement l'intérieur du sein et attendre six mois avant de procéder à la deuxième chirurgie pour l'installation d'implants mammaires au volume de seins désiré par madame B.... Il confirme aussi qu'il s'agit d'une chirurgie complexe. Il admet que la chirurgie du 25  février 2008 correspond davantage d'un redrapage et d'une augmentation mammaire.

 

POSITION DES PARTIES

[23]         Madame B... affirme que le D re Berbari n'a pas donné l'information nécessaire pour un consentement éclairé. S'il était impossible pour elle d'obtenir un sein de petit volume, le D re Berbari devait l'en informer. Elle soutient que le D re Berbari n'a pas fait une réduction mammaire au volume désiré et convenu entre les parties.  Elle prétend que le D re Berbari n'a pas respecté ses engagements contractuels.

[24]         Pour sa part, le D re Berbari soutient qu'elle a agi selon les règles de l'art et qu'elle n'a pas commis d'erreur médicale. De plus, elle affirme avoir une obligation de moyen et non une obligation de résultat. Elle dit avoir tout fait pour rendre la chirurgie sécuritaire.

 

LE DROIT

[25]         Nous sommes en matière contractuelle. L'article 1458 du Code civil du Québec [1] stipule:

«Art. 1458 : Toute personne a le devoir d'honorer les engagements qu'elle a contractés.

Elle est, lorsqu'elle manque à ce devoir, responsable du préjudice corporel, moral ou matériel, qu'elle cause à son cocontractant et tenue de réparer ce préjudice;

Ni elle ni le cocontractant ne peuvent alors se soustraire à l'application des règles du régime contractuel de la responsabilité pour opter en faveur de règles qui leur seraient plus profitables.»

[26]         En vertu des règles sur la preuve prévues aux articles 2803 et 2804 C.c.Q., madame B... doit démontrer, selon la balance des probabilités, que le D re Berbari n'a pas respecté ses engagements contractuels.

 

ANALYSE

[27]         La preuve prépondérante révèle que madame B... désirait une réduction mammaire afin de faire passer le volume de ses seins d'une grosseur d'un bonnet gros ''C'' au volume de seins d'un volume de bonnet ''B'' et que le D re Berbari s'est engagée à lui réduire le volume de ses seins en conséquence. Suite à la première chirurgie, le résultat obtenu fait passer les seins d'un volume de bonnet gros ''C'' à un volume de bonnet gros ''D''. Le résultat de la deuxième chirurgie démontre que les seins sont passés d'un volume de bonnet gros ''D'' à un volume de bonnet gros ''C''. Ils n'étaient toujours pas au volume désiré initialement par la patiente et convenu entre les parties.

[28]         Le témoignage de madame B... est corroboré par les nombreuses notes au dossier du D re Berbari à l'effet que la patiente désire des petits seins d'un volume de bonnet ''B''. Le D re Berbari reconnaît avoir reçu une photographie remise par madame B... qui démontre les seins désirés par cette dernière. Le résultat escompté par madame B... est bien loin du résultat livré par le D re Berbari. Madame B... désirait de petits seins et elle s'est retrouvée avec de gros seins. Les nombreuses fois où madame B... répète au D re Berbari son désir d'avoir de petits seins démontrent qu'il s'agit, pour elle, d'une considération principale. Bien que le D re  Berbari l'ait noté à plusieurs reprises dans le dossier médical de madame B..., elle ne l'a pas réalisée. Si c'était impossible de réaliser l'opération telle que désirée ou impossible de la réaliser en une chirurgie, elle devait en informer la patiente, afin qu'elle puisse prendre une décision éclairée.

[29]         Le Tribunal constate que madame B... a démontré, selon la balance des probabilités, que le D re Berbari n'a pas respecté ses engagements et qu'elle est responsable du préjudice subi. Aussi, le Tribunal constate qu'il y a un lien de causalité entre le préjudice subi et le défaut par le D re Berbari de respecter ses engagements contractuels.

[30]         La troisième chirurgie s'élève à la somme de 9 315,75$.  Cette somme correspond seulement au coût de la chirurgie et ne comprend pas de compensation pour la douleur, la souffrance, l'incapacité partielle temporaire, etc.. Madame B... réduit sa réclamation à 7 000,00$ afin de respecter la juridiction de la Cour des petites créances. Madame B... a amplement établi son préjudice.

 

POUR CES MOTIFS, LE  TRIBUNAL :

ACCUEILLE la requête de la partie demanderesse;

CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 7 000,00$ en capital, avec les intérêts au taux de 5% l'an plus l'indemnité additionnelle prévue à l'article 1619 du Code civil du Québec , à compter du 1 er février 2010;

CONDAMNE la partie défenderesse à payer à la partie demanderesse la somme de 157,00$ pour les frais judiciaires encourus.

 

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SERGE LAURIN, J.C.Q.

 

 

 

 

 

 

Date d'audience: 26 septembre 2011

 

 



[1] Code civil du Québec , L.Q. 1991, c.64. (ci-après cité ''C.c.Q.'').