COMMISSION DES RELATIONS DU TRAVAIL

(Division de la construction et de la qualification professionnelle)

 

Cas :

CM-2011-2352

 

Référence :

2011 QCCRT 0528

 

Montréal, le

18 novembre 2011

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DEVANT LA COMMISSAIRE :

Josette Béliveau, juge administratif

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Doncar Construction inc.

Requérante

c.

 

Régie du bâtiment du Québec

Intimée

 

 

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DÉCISION

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[1]              Le 21 avril 2011, l’entreprise Doncar Construction inc. ( Doncar ) en appelle auprès de la Commission des relations du travail (la Commission ), conformément à l’article  164.1 de la Loi sur le bâtiment, L.R.Q., c. B-1.1 (la Loi ), afin de contester une décision de la Régie du bâtiment du Québec (la Régie ), rendue le 22 mars 2011.

[2]              Par cette décision, la Régie déclare que Doncar ne rencontre plus la condition énoncée au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi sur le bâtiment et qu’une «  nouvelle date d’audience devra être fixée   pour déterminer s’il y a lieu d’annuler ou de suspendre la licence d’entrepreneur de construction de l’entreprise « Doncar construction inc. » compte tenu qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction à une loi fiscale en lien avec ses activités dans le domaine de la construction   ».

[3]              Doncar conteste la décision de la Régie aux motifs que cette dernière a erré en donnant une interprétation illégitime et illégale de la disposition sur laquelle elle se fonde, en ne prenant pas appui sur la preuve présentée à l’audience et en appliquant une politique administrative déraisonnable et arbitraire. De plus, elle allègue que la décision n’est pas suffisamment motivée et que la Régie a refusé de considérer son droit acquis et son expectative légitime au maintien de sa licence d’entrepreneur en raison du délai écoulé.

[4]              Cet appel était assorti d’une requête en suspension de l’exécution de la décision de la Régie, en vertu de l’article 164.5 de la Loi, afin d’empêcher que la Régie ne statue sur la sanction administrative, à la suite d’une audience déjà fixée par la Régie, et ce, avant que la question juridictionnelle posée à la Commission ne soit décidée.

[5]              Le 9 mai 2011, la Commission entend cette requête en suspension. Le procureur alors au dossier de la Régie s’objecte à cette requête et plaide que la Régie n’a pas épuisé sa compétence et n’est pas functus officio .

[6]              Cependant, le jour même, le régisseur au dossier de la Régie accorde au procureur de Doncar une remise de l’audience fixée le 31 mai 2011 pour décider de la sanction et, à cause du présent recours, la reporte sine die jusqu’à ce que la Commission rende sa décision. Copie conforme de la lettre accordant cette remise est transmise au procureur de la Régie. La Commission constate que la requête en suspension est devenue sans objet et avise les parties que le dossier sur la requête en suspension est fermé.

[7]              Le 30 mai 2011, conformément à l’article  164.3 de la Loi sur le bâtiment , la Régie transmet à la Commission copie de son dossier, incluant l’enregistrement de l’audience qu’elle a tenue le 1 er  décembre 2010.

LES FAITS ET LES PROCÉDURES

[8]              Du dossier transmis par la Régie, la Commission résume ainsi les faits, lesquels ne sont pas contestés, ainsi que le déroulement des procédures devant la Régie.

[9]              Doncar est une entreprise titulaire d’une licence d’entrepreneur en construction délivrée par la Régie, depuis le 22 octobre 1986.

[10]           Le 9 décembre 2008, dans le cadre d’un règlement intervenu avec l’Agence du revenu du Canada, Doncar, poursuivie par voie de procédure sommaire, plaide coupable à l’infraction prévue à l’article 239 (1) (c) de la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C., 1985, ch. 1 (5 e suppl.), dans sa version modifiée.

[11]           Par ce plaidoyer de culpabilité, Doncar reconnaît avoir éludé le paiement d’un impôt de 128 062,00 $, en inscrivant des dépenses fausses ou trompeuses de 478 261,00 $ dans ses livres et registres pour l’année d’imposition de 2002. La Cour du Québec, chambre criminelle et pénale, la condamne à payer une amende de 102 450,00 $.

[12]           Le 6 avril 2010, la Régie transmet à Doncar un avis d’intention et de convocation à une audience. Cet avis fait état de la condamnation de Doncar, précisant qu’elle est reliée aux activités que l’entreprise exerce dans l’industrie de la construction, puisque cela lui a permis d’éluder le paiement d’un impôt applicable sur ses revenus tirés de ses activités d’entrepreneur en construction. Le but annoncé de l’audience est d’analyser le dossier afin de décider si, en vertu du paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 et du paragraphe 2° du premier alinéa de l’article  70 de la Loi sur le bâtiment , la Régie doit annuler ou suspendre la licence d’entrepreneur en construction de Doncar. Est jointe à cet avis la liste de 7 pièces qui seront produites à l’audience.

[13]           Une première audience a lieu le 21 juin 2010. Les procureurs des parties et le régisseur au dossier conviennent de scinder le débat en deux. Dans un premier temps, le régisseur devra décider si Doncar respecte toujours la condition de délivrance d’une licence prévue au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi. Si la réponse est négative, une deuxième audience portera sur le débat de la gravité de cette infraction et d’une éventuelle sanction administrative.

[14]           Le 28 juillet 2010, la Régie rend sa décision statuant non seulement au non-respect de la condition de délivrance prévue au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi, mais aussi décrétant une suspension de 15 jours de la licence de Doncar.

[15]           Le 26 août 2010, Doncar dépose à la Régie une demande de révision de cette décision en raison, entre autres motifs, de la violation des règles de justice fondamentale en ne lui permettant pas de faire valoir son point de vue sur la gravité de l’infraction et sur la sanction.

[16]           Le 3 septembre 2010, sans tenir d’audience, la Régie rend proprio motu une décision infirmant celle du 28 juillet et convoque Doncar à une nouvelle audience, le 1 er  décembre, afin de l’entendre de nouveau .

[17]           Le 1 er  décembre 2010, les procureurs des parties et le nouveau régisseur au dossier conviennent aussi de scinder le débat en deux selon la manière convenue le 21 juin 2010.

[18]           Lors de cette audience, la preuve soumise par le procureur de la Régie consiste à déposer les 7 pièces communiquées à Doncar dans l’avis d’intention et de convocation du 6 avril 2010 et il ne fait entendre aucun témoin. Ces pièces sont :

P-1 : une copie de la licence d’entrepreneur en construction de Doncar;

P-2 : un extrait du plumitif criminel et pénal, daté du 9 décembre 2008, indiquant le plaidoyer de culpabilité de Doncar à l’infraction prévue à l’article 239 (1) (c) de la Loi de l’impôt sur le revenu ;

P-3 : une copie de la sommation signifiée à Doncar énonçant son inculpation;

P-4 : une copie du procès-verbal informatisé de l’audience tenue le 9 décembre 2008, dans lequel la juge prend acte du plaidoyer de culpabilité de Doncar et la condamne à payer une amende de 102 450,00 $ dans un délai de 6 mois;

P-5 : une copie de l’ordonnance de paiement de l’amende;

P-6 : une copie d’un extrait daté du 11 mars 2010 du Registraire des entreprises, système CIDREQ, concernant Doncar, dans lequel les activités économiques déclarées par Doncar le 30 janvier 2010 sont : « 4035 égouts, aqueduc et routes; 4036 travaux de génie civil »;

P-7 : une copie de 3 pages du site Internet de Doncar imprimée le 26 mars 2010.

[19]           Quant à Doncar, elle indique au régisseur n’avoir aucune preuve à présenter.

[20]           Le 22 mars 2011, la Régie rend la décision contestée par le présent recours.

LES PRÉTENTIONS DES PARTIES

[21]           Les procureurs de la requérante , informés de l’intention des procureures de l’intimée de maintenir leur argument voulant que la Régie n’est pas functus officio , plaident, de manière préliminaire, que la Commission a compétence pour entendre le présent recours. Ils se fondent sur le libellé large et libéral de l’article  164.1 de la Loi sur le bâtiment, sur le fait que la Régie a épuisé sa compétence pour déterminer si les faits reprochés à Doncar font en sorte qu’elle ne remplit plus la condition prévue au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi et sur le fait que cette détermination est un préalable à l’exercice de la compétence de la Régie quant à une sanction.

[22]           Sur le fond, ils plaident que la détermination du lien entre l’infraction et l’exercice de ses activités d’entrepreneur en construction relève de la norme de la décision correcte, car la Régie exerce un pouvoir administratif relativement au respect d’une norme objective. Cette détermination est une étape préalable à l’exercice de sa compétence et, sur simple erreur, la Commission peut intervenir et substituer sa décision à celle de la Régie.

[23]           Ils soumettent que l’interprétation de la Régie a pour effet de vider complètement de son sens l’expression «  reliés aux activités que la personne entend exercer dans l’industrie de la construction  » employée au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi.

[24]           Ils poursuivent en disant que la Régie se base sur un raisonnement selon lequel Doncar étant titulaire d’une licence, elle exerce des activités de construction et, par conséquent, les inscriptions fausses ou trompeuses inscrites à ses livres et registres constituent une infraction à une loi fiscale reliée au domaine de la construction. Il n’y a aucune preuve au dossier voulant que l’infraction à la loi fiscale commise par Doncar est reliée à ses activités en construction. Cette interprétation est déraisonnable et déroge aux principes d’interprétation des lois.

[25]           La charge de prouver que Doncar ne rencontre plus la condition prévue au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi appartient au procureur de la Régie. De plus, en raison des graves sanctions administratives pouvant être imposées à Doncar, la preuve de la Régie doit atteindre un degré élevé de démonstration, selon la balance des probabilités, des conditions d’application de cet article.

[26]           Ils allèguent que Doncar a une expectative légitime au maintien en vigueur de sa licence. Les faits remontent à 2002 et le plaidoyer de culpabilité à 2008, donc il s’est écoulé plus de 5 ans depuis la commission de l’infraction, près de 16 mois depuis le plaidoyer de culpabilité et 7 mois depuis le dépôt de l’avis de cotisation annuelle de la licence d’entrepreneur avant que la Régie n’envoie son avis d’intention et de convocation. En l’espèce, la tolérance ou le temps écoulé constitue un moyen de défense et c’est de bonne foi que Doncar n’a pas dévoilé à la Régie ce plaidoyer de culpabilité, car elle a toujours cru que l’infraction commise n’est pas reliée à ses activités en construction.

[27]           Ils soutiennent que la Régie a adopté une politique administrative ayant pour effet de lier l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Cette politique prédétermine l’issue des audiences tenues devant la Régie dans les cas semblables à celui de Doncar. Des 20 décisions de la Régie recensées en la matière, il s’avère qu’un entrepreneur coupable d’une infraction à une loi fiscale voit sa licence suspendue alors que celui coupable d’un acte criminel se fait annuler sa licence. Ainsi, Doncar fait nécessairement face à une suspension de licence et la seule discrétion laissée au régisseur est d’en établir la durée.

[28]           Ils plaident que la décision n’est pas suffisamment motivée. L’entité administrative ne peut se contenter de paraphraser la loi et elle se doit de répondre aux principaux arguments soulevés par l’administré. Cette obligation est plus impérative encore lorsque la décision aura des effets importants sur l’administré.

[29]           Ils demandent d’accueillir la requête de Doncar et d’annuler la décision rendue par la Régie le 22 mars dernier.

[30]           Les procureures de l’intimée plaident que la Régie n’est pas functus officio , car elle n’a pas épuisé sa compétence, il lui reste à déterminer si une sanction doit être imposée. Qui plus est, la Régie et Doncar s’étaient entendues pour procéder en deux étapes, comme cela est rapporté aux paragraphes 5, 156 et 210 de la décision contestée. La remise accordée sine die par le régisseur, le 9 mai, reflète simplement son respect pour un tribunal supérieur.

[31]           Sur le fond, elles plaident que la norme applicable à la décision de la Régie est celle de la décision raisonnable, car la Régie exerce une large discrétion que lui confère le paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi . Cette norme est non seulement applicable à la détermination d’une sanction, mais aussi à celle du lien entre l’infraction à une loi fiscale et les activités en construction de la personne déclarée coupable. Par conséquent, cette décision appelle la déférence et l’on doit présumer qu’elle est raisonnable.

[32]           La décision rendue le 22 mars est fondée sur une preuve documentaire dont certains documents authentiques et le régisseur en a tiré ses conclusions. Il n’y a pas eu de contestation sur la recevabilité de ces documents, ce que Doncar conteste c’est le poids accordé à ces preuves. Il n’existe pas de pièce qui établit le lien entre l’infraction à la loi fiscale et les activités en construction de Doncar. Cependant, par présomption de fait, le régisseur a déduit qu’il y avait un lien.

[33]           Elles conviennent que le fardeau de preuve reposait sur le procureur de la Régie, mais il s’effectue par prépondérance de preuve ou balance des probabilités. Doncar n’a pas nié la preuve documentaire et elle a décidé de ne pas administrer de preuve. En l’absence de toute preuve contraire présentée par Doncar, la Régie a tiré une conclusion des faits devant elle et Doncar est malvenue de s’en plaindre.

[34]           Elles affirment que la décision contestée contient des motifs intelligibles qui permettent à Doncar d’exercer son recours. On comprend la démarche et la pensée du régisseur, certaines parties sont exprimées, d’autres sont implicites. La décision rendue couvre l’essentiel de la question en litige et tire les conclusions appropriées.

[35]           Elles plaident que le cœur du litige réside dans la détermination du lien entre l’infraction commise à une loi fiscale par Doncar et ses activités en construction. La Régie, aux paragraphes 195 à 202 de la décision, conclut de la preuve que Doncar a des activités en construction et, si elle a des activités d’une autre nature, ce n’est pas en preuve. Il faut faire une distinction entre une entreprise qui présente une première demande de licence et une entreprise qui est établie en construction. Doncar étant une entreprise en construction bien établie, il va de soi que le fait d’utiliser ses livres comptables et ses registres financiers pour y inscrire des dépenses fausses ou trompeuses pour éluder de l’impôt, est nécessairement lié aux activités en construction de Doncar.

[36]           Elles font valoir que Doncar ne bénéficie d’aucun droit acquis à la licence. On ne peut non plus prétendre que la Régie a agi tardivement. En effet, Doncar n’ayant pas divulgué sa condamnation prononcée en 2008 à la Régie, cette dernière l’a convoquée dès qu’elle l’a apprise en 2010. Ce délai est d’autant plus normal pour un organisme qui doit contrôler 45 000 titulaires de licence. De plus, la loi vise toute condamnation dans les 5 ans précédant une demande, ainsi la Régie était à l’intérieur de ce délai.

[37]           Elles plaident que Doncar n’a pas prouvé l’existence d’une politique administrative quant à l’application de la disposition législative en cause et de la sanction à imposer. Elles en réfutent l’existence, car ce pouvoir ne peut être délégué à des fonctionnaires de la Régie, il est exercé exclusivement par un régisseur qui, dans les décisions rendues à ce jour en la matière, trace la jurisprudence de la Régie.

[38]           Elles demandent de rejeter la requête de Doncar.

[39]           Pendant le délibéré, les procureurs de la requérante ont soumis par écrit un nouvel argument à l’encontre de la décision de la Régie selon lequel cette dernière a erré en concluant que l’expression « loi fiscale », employée au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi, couvre une loi fiscale fédérale. En vertu de la définition de l’expression «  loi fiscale  » à l’article  1 de la Loi sur l’administration fiscale , L.R.Q., c. A-6.002, celle-ci ne vise que les lois fiscales provinciales et la partie IX de la Loi sur la taxe d’accise , L.R.C. (1985) c. C-46. De même, la Loi d’interprétation , L.R.Q., c. I-16, qui s’applique à toutes les lois québécoises, prévoit aux paragraphes 8° et 10° de l’article 61 que le mot « loi », lorsqu’il est employé sans qualificatif, s’entend des lois du Parlement du Québec.

[40]           Les procureures de l’intimée ont eu un délai pour répondre par écrit à ce nouvel argument. Elles soutiennent que la Régie n’a pas erré en visant aussi une loi fiscale fédérale puisque les lois d’interprétation n’ont qu’une valeur supplétive et non contraignante. En l’espèce, l’objet et le contexte de la Loi s’opposent au recours à ces lois pour interpréter la disposition en cause. S’agissant de probité, l’intention du législateur n’est pas de limiter l’intervention de la Régie aux seuls cas d’infractions fiscales provinciales. De plus, on ne peut recourir à la définition de l’expression «  loi fiscale  » de la Loi sur l’administration fiscale puisque cette définition est limitée, dans son application, à cette loi et à ses règlements. On ne peut transposer cette définition dans la Loi, laquelle porte sur des matières différentes.

LES MOTIFS DE LA DÉCISION

1.            LA COMPÉTENCE DE LA COMMISSION   

[41]           La compétence de la Commission en appel d’une décision de la Régie, concernant la suspension ou l’annulation d’une licence d’entrepreneur en construction, est prévue à l’article 164.1 de la Loi B-1.1 :

164.1. Une personne intéressée peut contester devant la Commission des relations du travail :

1° une décision de la Régie ou d'une corporation mandataire visée à l'article 129.3 lorsque cette décision concerne la délivrance, la modification, la suspension ou l'annulation d'une licence ou est rendue en vertu de l'article 58.1;

[42]           Les procureures de la Régie font valoir que la Commission n’a pas compétence sur le présent recours, car la Régie n’en est pas dessaisie, il lui reste à disposer de l’application ou non d’une sanction.

[43]           Rappelons que d’un commun accord, les parties et le régisseur ont décidé de scinder le débat en deux. Dans un premier temps, le régisseur devait déterminer si Doncar respecte ou non le paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi avant de déterminer, dans un deuxième temps, s’il y avait lieu d’annuler ou de suspendre la licence de Doncar en vertu du paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 70 de cette Loi.

[44]           Rappelons aussi que, lors de l’audience du 9 mai dernier portant sur la requête en suspension de l’exécution de la décision de la Régie, le procureur de celle-ci a plaidé que le recours de Doncar était prématuré pour non-épuisement de la compétence de la Régie.

[45]           Or, la journée même, le régisseur au dossier de la Régie en a décidé autrement, en remettant sine die l’audience fixée le 31 mai pour décider de la sanction, à cause du présent recours. Dans la lettre accordant la remise, le régisseur écrit :

Pour faire suite à votre lettre datée du 4 mai 2011, je vous avise, par la présente, que j’accepte votre demande de remise.

Cependant, puisque vous avez déposé une requête devant la Commission des relations du travail, division de la construction et de la qualification professionnelle relativement à la décision qui a été rendue le 22 mars 2011, l’audience est reportée sine die .

Lorsque la Commission des relations du travail aura rendu sa décision, la Régie communiquera avec vous pour les suites appropriées…

(Caractères gras reproduits.)

[46]           Étant maître de sa procédure, le régisseur a décidé de suspendre jusqu’à ce que la décision de la Commission soit rendue. La conséquence en a été que la Commission a constaté que la requête en suspension de l’exécution de la décision de la Régie était devenue sans objet et les parties convoquées sur le fond du litige. Les procureures de la Régie auraient dû en prendre acte et elles ne peuvent contester devant la Commission la décision de leur cliente de suspendre sine die l’audience sur la sanction en soulevant qu’elle n’est pas functus officio .

[47]           La Commission convient néanmoins que cette manière de faire n’est peut-être pas des plus heureuses puisque, advenant que la décision de la Régie soit confirmée, le dossier lui sera retourné pour évaluer s’il y a lieu de sanction et, si oui, laquelle. Cette autre décision de la Régie serait appelable devant la Commission. Évidemment, en cas d’annulation de la décision de la Régie, il n’y aurait plus lieu de poursuivre pour la détermination de sanction.    

2.            QUESTION EN LITIGE ET NORME DE CONTRÔLE

[48]           L’unique question en litige est celle de déterminer si la Régie a erré en concluant que l’infraction à une loi fiscale commise par Doncar est en lien avec ses activités d’entrepreneur en construction.

[49]           Doncar soumet que la détermination du lien entre l’infraction et l’exercice de ses activités d’entrepreneur en construction relève de la norme de la décision correcte. Pour sa part, la Régie plaide que la norme applicable est celle de la décision raisonnable.

[50]           Dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 , la Cour suprême a réduit le nombre de normes de contrôle de trois à deux, soit celle de la décision correcte et celle de la décision raisonnable. Dans la détermination de la norme appropriée de contrôle, la Cour suprême énonce un certain nombre d’éléments dont les plus pertinents en l’espèce sont les suivants :

-     La question de droit qui revêt «  une importance capitale pour le système juridique (et qui est étrangère) au domaine d’expertise  » d’un décideur administratif relève de la décision correcte. Si la question de droit n’a pas cette importance, elle relève de la décision raisonnable.

-     Les questions touchant aux faits, au pouvoir discrétionnaire ou à la politique relèvent de la décision raisonnable, voire même celles où le droit et les faits s’entrelacent et ne peuvent être aisément dissociés relèvent de la décision raisonnable.

[51]           La Cour suprême indique aussi qu’il n’est pas toujours nécessaire d’effectuer une analyse exhaustive pour déterminer laquelle des deux normes trouve application. C’est le cas lorsqu’il existe des questions à l’égard desquelles l’état du droit établit déjà clairement la norme applicable. Qu’en est-il en l’espèce?

[52]           La jurisprudence quant à la norme de contrôle applicable dans le cadre de l’appel prévu à l’article 164.1 précité, distingue si la décision contestée porte sur l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire ou si elle concerne l’exercice d’un pouvoir administratif au respect d’une norme objective ( Les entreprises en sinistre Gérard Gingras c. Régie du bâtiment du Québec , 2010 QCCRT 0151 ). Dans le cas de l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire, la Commission conclut à la norme de la décision raisonnable ( Daniel Croteau et Lingco inc. c. Régie du bâtiment du Québec, (2001) CIC 1129A, Ste-Croix Pétrolier et Plus inc . c. Régie du bâtiment du Québec, (2004) CIC 2470, Corporation Waskahegen c. Commissaire de l’industrie de la construction , 2008 QCCS 5945 ). Dans le cas de l’exercice d’un pouvoir administratif au respect d’une norme objective, la Commission conclut à la norme de la décision correcte ( M.F.R. Construction c. Corporation des maîtres électriciens du Québec , (2006) CIC 2989).

[53]           Deux décisions récentes de la Commission ( Isolation Y.G. Ippersiel inc. c. Régie du bâtiment du Québec , 2011 QCCRT 0432 , et Construction Michel Gagnon ltée c. Régie du bâtiment du Québec , 2011 QCCRT 0438 ) ont identifié la norme de contrôle applicable à des décisions de la Régie fondées sur le paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 en conjonction avec le paragraphe 2° du premier alinéa de l’article 70 de la Loi .

[54]           Ces deux affaires concernaient essentiellement la détermination de la sanction après que les entreprises en cause aient été déclarées coupables à une infraction à une loi fiscale qu’elles ont, par ailleurs, admis avoir un lien avec leurs activités d’entrepreneur en construction. La Commission conclut à la norme de la décision raisonnable parce que la Régie est investie d’un large pouvoir discrétionnaire pour refuser la délivrance d’une licence «  lorsqu’elle estime que la gravité de l’infraction ou la fréquence des infractions le justifie  ».

[55]           Doncar prétend que lorsque la Régie détermine le lien entre l’infraction et l’exercice des activités d’entrepreneur en construction, elle exerce un pouvoir administratif relativement au respect d’une norme objective et que cette détermination est une étape préalable à l’exercice de sa compétence et, sur simple erreur, la Commission peut intervenir et substituer sa décision à celle de la Régie.

[56]           La Commission ne partage pas cet avis. Cette détermination relève de l’analyse de faits entourant les circonstances de l’infraction et de leur rattachement à l’exercice des activités d’un entrepreneur en construction. Cela relève du champ d’expertise de la Régie qui doit évaluer chaque cas au mérite.

[57]           Une analogie peut être faite avec la jurisprudence du Tribunal des professions pour l’application de l’article  149.1 du Code des professions , L.R.Q., c. C-26, lequel prévoit que le conseil de discipline d’un ordre professionnel peut être saisi d’une plainte du syndic lorsqu’un professionnel est déclaré coupable d’une infraction criminelle qui, de son avis, a un lien avec l’exercice de la profession. Dans l’affaire Grenier c. Avocats ( Ordre professionnel des ), 2008 QCTP 177 , le tribunal écrit que :

[96] La question du lien entre un acte criminel et l’exercice de la profession d’avocat se trouve à l’évidence pleinement dans le champ d’expertise des pairs appelés à fonder un jugement à l’aune de la protection du public et des impératifs de la profession.

[97] Il y a lieu de déférer à la décision et d’appliquer la norme de la décision raisonnable. Il n’est pas utile d’examiner les autres facteurs de l’analyse.      

[58]           Dans les affaires Souaid c. Médecins ( Ordre professionnel des ), 2009 QCTP 100 et Morand c. Massé et Comité de discipline de l’ACAIQ , EYB 2010-176430 , la norme de la décision raisonnable a aussi été appliquée à cette question de lien entre un acte criminel et l’exercice de la profession.

[59]           En l’espèce, c’est la Régie qui a le mandat de protéger le public et de délivrer les licences aux entrepreneurs en construction. La norme de la décision raisonnable trouve application et la déférence est de mise à l’égard de la décision de la Régie. L’interprétation de la disposition législative est une question de droit, mais les enseignements de la Cour suprême nous incitent à l’intégrer dans la norme de la décision raisonnable.

[60]           Ainsi, la Commission n’interviendra que si la décision de la Régie est déraisonnable. Dans l’affaire Dunsmuir, la Cour suprême décrit ainsi le caractère raisonnable comme étant celui qui «  tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux  issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit  ».

3.            LE DROIT

[61]           Il y a lieu, dès à présent, de citer les articles de la Loi sur le bâtiment qui balisent l’intervention de la Régie lorsqu’une personne qui demande ou détient une licence d’entrepreneur en construction est condamnée à une infraction à une loi fiscale.

[62]           L’article 55 de la Loi stipule que la Régie délivre une licence lorsque les conditions prescrites par la loi et les règlements sont remplies. Ces conditions visent principalement à s’assurer de la probité, de la compétence et de la solvabilité des personnes, tant physiques que morales, qui demandent la délivrance d’une licence, reflétant ainsi les objectifs de la loi.  

110. La Régie a pour objet de surveiller l’administration de la présente loi, notamment en vue d’assurer la protection du public .

111. Pour la réalisation de son objet, la Régie exerce notamment les fonctions suivantes :

[…]

2° contrôler la qualification des entrepreneurs et des constructeurs-propriétaires de façon à s’assurer de leur probité , leur compétence et leur solvabilité ;

[…]

(Caractères gras ajoutés.)

[63]           Le litige porte spécifiquement sur la condition prescrite au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi et sur le troisième alinéa du même article, lesquels se lisent comme suit :

60. Une licence est délivrée à une société ou personne morale qui satisfait aux conditions suivantes  :

1 ° […]

6 ° elle-même , l'un de ses dirigeants ou, si elle n'est pas un émetteur assujetti au sens de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1), l'un de ses actionnaires n'a pas été déclaré coupable, dans les cinq ans précédant la demande, d'une infraction à une loi fiscale ou d'un acte criminel et qui sont reliés aux activités que la personne entend exercer dans l'industrie de la construction ni d'un acte criminel prévu aux articles  467.11 à 467.13 du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) ou, ayant été déclaré coupable d'un tel acte ou infraction, cette personne a obtenu la réhabilitation ou le pardon;

[…]

Pour l'application du paragraphe 6° du premier alinéa relativement à une infraction à une loi fiscale, la Régie refuse de délivrer une licence lorsqu'elle estime que la gravité de l'infraction ou la fréquence des infractions le justifie . Elle doit aussi refuser de délivrer une licence lorsqu'un dirigeant d'une société ou d'une personne morale actionnaire de la société ou personne morale a été déclaré coupable d'une infraction visée au paragraphe 6°.

(Caractères gras ajoutés.)

[64]           Ces conditions doivent être maintenues en tout temps à défaut de quoi la Régie peut suspendre ou annuler la licence. L’article 70 stipule à cet effet :

70. La Régie peut suspendre ou annuler une licence lorsque le titulaire :

[…]

  ne remplit plus l'une des conditions requises par la présente loi pour obtenir une licence ;

[…]

(Caractères gras ajoutés.)

4.            EXPECTATIVE LÉGITIME AU MAINTIEN DE LA LICENCE

[65]           Doncar plaide que la Régie a toléré la situation puisqu’elle n’a pas agi alors que les faits remontent à 2002, la condamnation à 2008 et le dernier dépôt de cotisation annuelle à 7 mois avant la réception de l’avis d’intention et de convocation à une audience.

[66]           La Commission est d’avis que pour tolérer une situation encore faut-il la connaître. Or, Doncar admet ne pas avoir dévoilé à la Régie cette condamnation, en septembre 2009, sur le formulaire « Avis de cotisation - Déclarations obligatoires » parce qu’elle ne la considère pas reliée à ses activités d’entrepreneur en construction. Il s’est écoulé 16 mois avant que cette condamnation ne soit connue de la Régie qui a, dès lors, convoqué Doncar. On ne peut prétendre que la Régie a toléré la situation.

[67]           Qui plus est, le paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi est une disposition législative qui a un effet rétrospectif. En effet, il impose de nouvelles conséquences à l’égard d’évènements passés, en l’espèce à l’égard d’une condamnation à une infraction fiscale survenue dans les cinq ans précédant une demande de licence. Ce faisant, la condamnation de Doncar à une loi fiscale, en décembre 2008, peut valablement être soulevée par la Régie lorsqu’elle en a pris connaissance en 2010 parce qu’elle est toujours à l’intérieur du délai de cinq ans suivant la date de cette condamnation. 

5.            LA RÉGIE A-T-ELLE ERRÉ DANS SON INTERPRÉTATION DU PARAGRAPHE  6° DE L’ARTICLE  60 DE SA LOI CONSTITUTIVE?

[68]           Doncar fait valoir plusieurs moyens à l’encontre de l’interprétation de la Régie du paragraphe du premier alinéa de l’article 60 de sa loi constitutive. Elle argue que l’expression «  loi fiscale  » qui y est employée ne couvre pas une loi fiscale émanant du gouvernement fédéral. De plus, elle fait reproche à la Régie d’ignorer l’exigence du lien entre l’infraction et ses activités en construction, élargissant ainsi la portée de cette disposition, et en créant une distinction artificielle entre la personne qui demande une licence et celle qui la détient. De plus, cette interprétation irait à l’encontre des objectifs de la loi, soit d’enrayer le travail au noir, les activités de collusion et de corruption.

5.1          Intention du législateur

[69]           Lorsque le législateur a introduit cette disposition, en septembre 1998, elle se lisait :

60. Une licence est délivrée à une société ou personne morale qui satisfait aux conditions suivantes :

6 ° elle-même ou l'un de ses dirigeants n'a pas été déclarée coupable , dans les cinq ans précédant la demande, d'une infraction à une loi fiscale ou d'un acte criminel poursuivable par voie de mise en accusation seulement et qui sont reliés aux activités que la personne entend exercer dans l'industrie de la construction ;

[…]

(Caractères gras ajoutés.)

[70]           Il y a lieu de noter que les modifications ultérieures à ce paragraphe n’ont pas modifié d’un iota les règles applicables à une condamnation à une loi fiscale. La disposition vise toute condamnation à une loi fiscale, prononcée dans les cinq ans précédant une demande de licence, à la condition que l’infraction soit reliée aux activités de la personne condamnée au sein de l’industrie de la construction. Ce qui a changé, en 2009, c’est l’élargissement du nombre de cas visés par la condamnation à un acte criminel, ce qui n’est pas en cause dans la présente affaire.

[71]           Doncar propose la définition de l’expression «  loi fiscale  » à la Loi sur l’administration fiscale pour écarter l’application de la disposition de la Loi à une loi fiscale fédérale. Cet argument ne tient pas la route, on ne peut importer des définitions d’une loi à une autre alors qu’il est expressément prévu par le législateur qu’elles ne s’appliquent que dans le cadre de l’application et de la réglementation de cette loi particulière.

[72]           Doncar soumet que les paragraphes 8° et 10° de l’article  61 de la Loi d’interprétation prévoient que le mot « loi » employé sans qualificatif s’entend seulement des lois du Parlement du Québec. Pierre-André CÔTÉ, Stéphane BEAULAC et Mathieu DEVINAT dans Interprétation des lois, 4 e édition, Montréal, Éd. Thémis, 2009, p. 40, écrivent :

122. Les principes qu’énoncent les lois d’interprétation n’ont généralement que valeur supplétive : ils doivent être mis de côté si une intention contraire apparaît soit implicitement, soit tacitement en raison du contexte ou de l’objet (loi canadienne, art. 3 (1); loi québécoise, art.1).

[73]           Quels sont l’objet et le contexte de la disposition de la Loi sur le bâtiment ? Ceux-ci permettent-ils de dégager l’intention du législateur et d’interpréter l’expression «  loi fiscale  » sans recourir à la Loi d’interprétation ?

[74]           À la lecture du Journal des débats du 16 juin 1998, de la Commission permanente de l’économie et du travail chargée de l’étude détaillée du projet de loi n °  445, Loi modifiant diverses dispositions législatives relatives au bâtiment et à l’industrie de la construction , on constate que les préoccupations des parlementaires, des représentants du ministère du Travail et de la Régie portaient sur l’évasion fiscale dans l’industrie de la construction. Le sous-ministre de la construction au ministère du Travail, monsieur Alcide Fournier, s’exprime ainsi sur la portée de l’introduction de cette nouvelle disposition :

Dans le but d’encadrer un peu cette disposition-là, il faut d’abord dire qu’il s’agit d’infraction à une loi fiscale . Une loi fiscale , là, ce n’est pas des taxes municipales, ce sont des lois adoptées imposant, par exemple, un impôt sur le revenu ou un impôt sur les profits d’une entreprise et des taxes . Donc, ce n’est uniquement que ces choses-là qui sont visées.

Deuxièmement, il faut que ce soit des infractions relatives à l’activité dans la construction . Donc, on vient d’éliminer toutes les infractions qui peuvent être reprochées à un individu sur le plan personnel. Alors, ce sont des infractions reliées à l’activité dans l’industrie de la construction .

Le troisième point. Je pense qu’il faut dire que, lorsqu’on parle d’une infraction ou d’un acte criminel poursuivable, il y a d’abord une décision d’un tribunal qui constate qu’il y a eu infraction , etc. Ce n’est qu’à la suite de ça que la Régie va intervenir. Donc, il y a déjà, là, une limitation dans le champ d’application de cet article-là qui est limité à une loi fiscale. Il faut que l’infraction soit relative à des activités dans l’industrie de la construction et il faut évidemment qu’il y ait eu jugement de condamnation à l’infraction ou l’acte criminel .

(Caractères gras ajoutés.)

[75]           Et le directeur des affaires juridiques de la Régie de préciser :

Les cas visés, c’est strictement des cas de fraude, de fabrication de faux pour des fins d’éluder les impôts ou encore de payer des salariés en empêchant que ces salariés-là…de les payer finalement comptant sans qu’ils aient à payer leurs cotisations ou autre . On cache, on cache. Évidemment, un des objets de la Régie, c’est celui de s’assurer de la probité des gens qui ont des licences.

Mais une infraction à une loi fiscale… Une loi fiscale, c’est une loi qui impose un impôt, une taxe. Un impôt, c’est quoi? C’est l’impôt sur le revenu, tant fédéral que provincial. Et une taxe, c’est la TVQ, TPS .

(Caractères gras ajoutés.)  

[76]           La disposition législative adoptée par le législateur répond précisément à ces préoccupations. Le but visé, c’est de s’assurer de la probité des personnes qui demandent ou qui ont des licences d’entrepreneur en construction, et ce, dans le but ultime de protéger le public. Les personnes trouvées coupables d’une infraction à une loi fiscale relative à des activités dans l’industrie de la construction, dans les cinq ans précédant, pourraient être écartées de cette industrie par la Régie, laquelle se voit conférer un pouvoir discrétionnaire pour évaluer chaque cas au mérite. Certaines associations patronales proposaient de limiter l’infraction fiscale au seul cas de travail au noir relatif au travail clandestin rémunéré sous la table en éludant les déductions à la source. Le législateur n’a visiblement pas fait écho à ces demandes. 

[77]           L’idée manifeste de la disposition adoptée est de sanctionner les personnes dont le manque de probité dans leurs activités au sein de l’industrie de la construction est établi. Dans ce contexte, peut-on soutenir que parce qu’une personne serait condamnée à une infraction à une loi fiscale fédérale au lieu de provinciale, en lien avec ses activités en construction, ne serait pas visée? Sa probité ne pourrait être mise en doute du seul fait que l’évasion fiscale aurait été faite au détriment du gouvernement fédéral? La Commission ne peut se résoudre à donner une interprétation aussi restrictive à l’expression «  loi fiscale  » employée au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi et qui aurait pour effet d’annihiler la volonté du législateur.

[78]           Force est de conclure que l’expression «  loi fiscale  » vise à la fois les lois fiscales promulguées par les parlements du Canada et du Québec.

5.2          Le lien entre l’infraction et les activités en construction de la personne condamnée

[79]           Il s’avère à la lecture du Journal des débats de juin 1998 précité et du libellé du paragraphe 6° du premier alinéa de l’article  60 de la Loi sur le bâtiment que le point déterminant pour retenir la condamnation à une infraction à une loi fiscale à l’encontre d’une personne, est qu’elle doit être reliée à ses activités en construction. La seule condamnation à une infraction fiscale ne suffit pas, et ce, bien qu’elle crée un doute sur la probité de la personne condamnée. Cet article de la Loi sur le bâtiment est libellé de telle façon que le lien avec les activités en construction doit être établi, il doit exister un certain rattachement avec ces activités.

[80]           Cette exigence découle de la protection prévue à l’article  18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne, L.R.Q., c. C-12, qui se lit :

18.2 Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.  

[81]           Il est intéressant, de relater l’analyse que faisait la Cour supérieure du but visé par cette disposition de la Charte, dans l’affaire Mario Baillargeon c. Association trot et amble du Québec et Hippodrome de Montréal inc ., AZ-96021664  :

Par ailleurs, il n’est peut-être pas inutile de rappeler qu’une Charte des droits et libertés de la personne n’est pas une loi pénale ou fiscale qu’il convient d’interpréter restrictivement. La Cour suprême a souligné qu’il s’agit d’une loi fondamentale qui exprime les grands principes autour desquels une société veut s’organiser et se construire ( Insurance Corp. Of B.C. c. Heerspink (1982) 2 R.C.S. 145 ). On pourrait donc soutenir qu’en édictant l’article  18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne , le législateur québécois a voulu s’assurer que le citoyen qui est amené à répondre de ses actes devant une cour de juridiction criminelle n’est pas pénalisé dans son emploi ou privé de la possibilité de gagner sa vie, à moins que l’infraction qu’on lui reproche ait quelque rapport avec son emploi. Il est trop facile de crier «  haro sur le baudet  ». Il peut être tentant d’ajouter aux peines prévues par le Code criminel ou aux sentences imposées par la Cour, particulièrement dans des cas hautement médiatisés ou lorsqu’il s’agit d’une infraction particulièrement odieuse.

(Caractères gras et souligné reproduits.)       

[82]           Ainsi, dans les lois qui rendent des personnes inhabiles à exercer une profession à cause d’une condamnation à certaines infractions ou à certains actes criminels, le lien entre l’infraction ou l’acte et l’exercice de ladite profession doit être établi. Tel est le cas de la Loi.

[83]           En l’espèce, Doncar s’est reconnue coupable, en décembre 2008, de l’infraction pénale suivante :

À Laval, district judiciaire de Laval

1. Entre le 1er septembre 2001 et le 23 janvier 2003, Doncar Construction Inc. a inscrit des dépenses fausses ou trompeuses au montant de 478 261 $ dans ses livres et registres pour l’année d’imposition 2002, éludant ainsi le paiement d’un impôt de 128 062 $ établi en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu , L.R.C. 1985, ch.1 (5 e suppl.) dans sa version modifiée, commettant ainsi l’infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire prévue au paragraphe  239 (1)c) de la Loi de l’impôt sur le revenu .

(Soulignés reproduits.)

[84]           L’article  239 (1) c) de la Loi de l’impôt sur le revenu prévoit :

239. (1) Toute personne qui, selon le cas :

c) a fait des inscriptions fausses ou trompeuses, ou a consenti ou acquiescé à leur accomplissement, ou a omis, ou a consenti ou acquiescé à l’omission d’inscrire un détail important dans les registres ou livres de comptes d’un contribuable;

[…]

commet une infraction et, en plus de toute pénalité prévue par ailleurs, encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire :

f) soit une amende de 50 % à 200 % de l’impôt que cette personne a tenté d’éluder;

g) soit à la fois l’amende prévue à l’alinéa f) et un emprisonnement d’au plus 2 ans.

[85]           Cette infraction fiscale vise tout contribuable qui, directement ou indirectement, élude un impôt.

[86]           Doncar reproche à la Régie d’ignorer l’exigence du lien entre l’infraction et ses activités en construction, élargissant ainsi la portée de cette disposition, et de créer une distinction artificielle entre la personne qui demande une licence et celle qui la détient. Qu’en est-il?

[87]           Les motifs de la décision de la Régie sur ce point sont exprimés aux paragraphes 200 à 208 et se lisent :

[200] Selon le chef d’accusation, l’utilisation des livres comptables de l’entreprise témoigne du moyen qui a été utilisé par l’entreprise afin de commettre son infraction à une loi fiscale.

[201] Le lien qui relie l’infraction fiscale aux activités exercées par l’entreprise dans le domaine de la construction est l’utilisation pure et simple des registres financiers, identifiés à une entreprise de construction en l’occurrence « Doncar Construction Inc. » afin d’y inscrire les dépenses fausses ou trompeuses.

[202] Le seul fait d’utiliser ses livres comptables ou ses registres financiers dans le but d’éluder des impôts ou des taxes constitue, à mon sens, une infraction fiscale reliée aux activités exercées par l’entreprise dans le domaine de la construction.

[203] La précision à apporter ici est dans le fait que l’article  60 de la Loi sur le bâtiment a été institué dans le but de définir les conditions préalables à la délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction (réf. Section 3 - Délivrance d’une licence). L’article 60 se lit comme suit :

60. Une licence est délivrée à une société ou personne morale qui satisfait aux conditions suivantes :

L’important ici est les mots «  qui satisfait  », donc l’utilisation du présent dans « qui satisfait » démontre bien qu’il s’agit de conditions préalables à la délivrance d’une licence.

1 ° elle établit sa solvabilité selon les conditions et critères déterminés par règlement de la Régie;

[…]

6 ° elle-même, l'un de ses dirigeants ou, si elle n'est pas un émetteur assujetti au sens de la Loi sur les valeurs mobilières (chapitre V-1.1), l'un de ses actionnaires n'a pas été déclaré coupable, dans les cinq ans précédant la demande, d'une infraction à une loi fiscale ou d'un acte criminel et qui sont reliés aux activités que la personne entend exercer dans l'industrie de la construction ni d'un acte criminel prévu aux articles  467.11 à 467.13 du Code criminel (L.R.C. 1985, c. C-46) ou, ayant été déclaré coupable d'un tel acte ou infraction, cette personne a obtenu la réhabilitation ou le pardon;

[204] Donc, il appert qu’avant la délivrance d’une licence d’entrepreneur de construction, la Régie doit s’assurer que la société ou personne morale en demande de délivrance de licence respecte ces conditions préalables.

[205] Tant et si bien, que si une société ou personne morale en demande de délivrance de licence qui a été reconnue coupable à une infraction à une loi fiscale dans les cinq ans précédant sa demande, ne verra pas sa demande de délivrance de licence refusée, si l’infraction fiscale, dont elle a été reconnue coupable, n’est pas relié aux activités que la personne entend exercer dans l’industrie de la construction .

[206] Ce qui est différent pour une société ou personne morale détenant déjà une licence d’entrepreneur de construction.

[207] En effet, comme le précise le législateur, l’article 60 s’adresse à une société ou une personne morale en demande de délivrance de licence, alors que, pour  une société ou une personne morale déjà en licence, il va de soi, que ces société ou ces personnes morales sont des entreprises titulaires d’une licence d’entrepreneur de construction exerçant dans l’industrie de la construction.

[208] En d’autres mots, si une entreprise possède une licence d’entrepreneur de construction et qu’elle plaide coupable à une infraction à une loi fiscale, l’entreprise en question, ne répond plus aux conditions énumérées au paragraphe 60 (6) si l’infraction fiscale est liée avec l’industrie de la construction.

(Reproduit tel quel.) 

[88]           Le raisonnement fait par la Régie, aux paragraphes 203 à 208 de sa décision, quant à la distinction entre la personne qui demande une licence et celle qui en détient une, est erroné en droit. Le législateur parle au présent et les conditions requises pour obtenir une licence demeurent les mêmes pour son maintien, incluant la condition prévue au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi. D’ailleurs, le libellé du paragraphe 2 e de l’article 70 est on ne peut plus clair : «  La Régie peut suspendre ou annuler une licence lorsque le titulaire : 2° ne remplit plus l’une des conditions requises par la présente loi pour obtenir une licence.  ». 

[89]           Par conséquent, prétendre qu’une entreprise qui détient une licence d’entrepreneur en construction et qui plaide coupable à une infraction fiscale ne satisfait plus cette condition est non conforme à la loi. Une telle interprétation a pour effet d’évacuer l’obligation d’établir le lien qui doit exister entre l’infraction et les activités en construction de la personne condamnée. Du coup, elle élargit la portée de cette disposition à des cas non visés par le législateur.    

[90]           Pourtant la doctrine nous enseigne que chaque mot, chaque phrase d’une disposition législative comptent et a été rédigée pour produire quelque effet. Dans Interprétation des lois, précité, les auteurs écrivent :

1047. En lisant un texte de loi, on doit en outre présumer que chaque terme, chaque phrase, chaque alinéa, chaque paragraphe ont été rédigés délibérément en vue de produire quelque effet. Le législateur est économe de ses paroles : il ne « parle pas pour ne rien dire ».

[91]           La Commission conclut que la Régie n’a pas donné une interprétation raisonnable à la disposition législative en cause. Il y a lieu d’évaluer l’impact de cette interprétation erronée sur les faits et les conclusions que la Régie en a tirées.

5.3          Analyse des faits et du droit

[92]           Les deux parties ont convenu, avec raison, que la charge de démontrer que Doncar ne rencontre plus la condition prévue au paragraphe 6° du premier alinéa de l’article 60 de la Loi, selon la balance des probabilités, repose sur le procureur de la Régie.

[93]           Les auteurs Pierre Issalys et Denis Lemieux, L’action gouvernementale : Précis de droit des institutions administratives , 3 e  éd, Cowansville, Yvan Blais, 2009, p. 982, écrivent concernant la procédure et le régime de preuve applicables à l’imposition des sanctions administratives, comme en l’espèce, ce qui suit :

La procédure applicable à l’imposition de sanctions administratives en matière d’autorisations a été clarifiée et uniformisée par l’article  5 de la Loi sur la justice administrative (voir 11.18). S’agissant clairement de « décisions défavorables », le titulaire doit bénéficier, avant que soit prise la décision imposant une sanction, de la procédure contradictoire.

[…]

Le régime de preuve applicable aux sanctions administratives en matière d’autorisations ne fait pas l’objet de dispositions législatives. Il est gouverné par les deux principes suivants. En ce qui concerne le degré de preuve, il faut partir de la nette distinction opérée par la jurisprudence entre sanctions pénales, d’une part, et sanctions disciplinaires et administratives, de l’autre; dans le cas des premières tout doute raisonnable doit favoriser l’accusé, alors que pour les secondes la prépondérance de preuve suffit. En ce qui concerne la charge de la preuve , il faut distinguer entre les conditions de délivrance de l’autorisation, auxquelles l’administré doit prouver qu’il se conforme (voir 11.16) et les conditions d’application d’une sanction relative à l’autorisation, dont l’autorité administrative doit prouver qu’elles sont réunies .

[…]

(Soulignements ajoutés.)

[94]           Quels sont les éléments de preuve dont la Régie disposait pour conclure que l’infraction, commise en décembre 2008, est en lien avec les activités en construction de Doncar? 

[95]           Au paragraphe 193 de sa décision, la Régie fait le constat suivant :

[193] En l’espèce, la preuve produite devant la Régie ne démontre nullement que l’infraction en cause est reliée aux activités exercées par Doncar dans l’industrie de la construction.

[96]           Alors, pourquoi a-t-elle conclu à ce lien? Les paragraphes 195 à 202 montrent que la Régie se fonde essentiellement sur le fait que Doncar détient une licence d’entrepreneur en construction, sur un extrait de ses déclarations faites au Registraire en 2010 et sur trois pages du site Internet de Doncar de 2006 pour conclure que Doncar exerce des activités en construction et que, ce faisant, les dépenses fausses ou trompeuses, inscrites dans ses livres comptables, sont nécessairement liées à ses activités en construction.       

[97]           La Régie n’a aucune preuve de la nature de ces dépenses fausses ou trompeuses inscrites, faut-il le rappeler, entre septembre 2001 et janvier 2003 aux livres et registres de l’entreprise. Pour conclure au lien entre l’infraction commise et les activités en construction par présomption de fait, encore faut-il des faits.

[98]           Dans l’affaire Isolation Y.G. Ippersiel inc. c. Régie du bâtiment du Québec, précitée, l’entreprise avait recouru à un stratagème de fausse facturation, éludant ainsi le versement des taxes d’accise, afin d’obtenir de l’argent comptant pour verser des bonis à ses salariés pour éviter qu’ils joignent la concurrence. Dans l’affaire Construction Michel Gagnon ltée c. Régie du bâtiment du Québec , précitée, l’entreprise a fait affaire avec une entreprise qui émettait des factures « d’accommodation » pour de la location d’équipement moyennant commission. Elle déduisait le montant de ces factures comme charges d’exploitation en plus de recevoir des sommes en argent comptant correspondant au montant de la facturation moins un pourcentage d’administration et de taxes de vente facturées par l’entreprise accommodatrice. Les actionnaires récupéraient ces sommes d’argent pour leurs dépenses personnelles.

[99]           Voilà des faits qui parlent, qui permettent d’établir le lien entre le geste répréhensible pour lequel la personne a été reconnue coupable et ses activités en construction.  

[100]        En l’espèce, sans cette connaissance des faits des circonstances de la commission de l’infraction pénale, comment peut-on raisonnablement déduire que l’infraction est liée aux activités en construction de Doncar? La Commission est d’avis que cela ne peut être. Qui plus est, cette analyse des faits entourant les circonstances de l’infraction et de leur rattachement à l’exercice des activités de Doncar en construction doit se faire en fonction du moment de la commission de l’infraction et non 7 ans plus tard.

[101]        La Commission constate l’absence de preuve du lien entre l’infraction fiscale pénale à laquelle Doncar a plaidé coupable et ses activités en construction.

[102]        Les ordres professionnels qui appliquent le Code des professions sont investis de pouvoirs similaires à ceux de la Régie pour déterminer, en vertu de l’article 149.1 de ce code, le lien entre l’infraction criminelle d’un professionnel et l’exercice de la profession. Ils ont développé des critères qui sont repris par la Cour du Québec et le Tribunal des professions lorsqu’ils sont saisis, en appel, de ces questions ( Grenier c. Avocats ( Ordre professionnel des ) et Morand c. Massé et Comité de discipline de l’ACAIQ, précitées) . Ces critères s’énoncent en trois questions :

1-     L’infraction a-t-elle été commise dans l’exercice de la profession?

2-     L’infraction a-t-elle été commise à l’égard des personnes avec lesquelles la personne déclarée coupable pourrait être en relation?

3-     L’infraction a-t-elle un lien avec l’exercice de la profession?

[103]        Il revient à la Régie de formuler les siens au regard de la spécificité des activités des entrepreneurs en construction et de la finalité de la loi qui cherche à assurer la protection du public, notamment, par le contrôle de la probité des entrepreneurs en construction. Il lui revient aussi, en l’espèce, de décider de poursuivre ou non son enquête, car l’effet rétrospectif rattaché à la condamnation à une infraction fiscale est de 5 ans et les conditions requises de délivrance d’une licence doivent être maintenues de façon continue.

[104]        Pour ces motifs, la Commission conclut que la décision de la Régie, rendue le 22 mars 2011, ne se situe pas à l’intérieur des paramètres de la « raisonnabilité », elle n’appartient pas aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’y a pas lieu de disposer d’autres questions subsidiaires qui pourraient demeurer.      

EN CONSÉQUENCE, la Commission des relations du travail

ACCUEILLE                   le recours;

ANNULE                         la décision rendue par la Régie du bâtiment du Québec , le 22 mars 2011. 

                                        

 

 

__________________________________

Josette Béliveau

 

M Jean-Pierre Dépelteau

M e Martin Poulin

M e Mélissa Thibault

FRASER MILNER CASGRAIN S.E.N.C.R.L.

Représentants de la requérante

 

M e Cheyma Kabbara

M e Anne-Marie Gaudreau

LEROUX DESJARDINS

Représentantes de l’intimée

 

Date de la dernière audience :

21 juillet 2011

 

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